Déclaration de M. Hervé Berville, secrétaire d'État chargé de la mer, sur le projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables et la politique des affaires maritimes pour 2023, au Sénat le 19 octobre 2022.

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  • Hervé Berville - Secrétaire d'État auprès de la Première ministre, chargé de la mer

Texte intégral

M. Jean-François Longeot, président. - C'est avec plaisir que nous recevons Hervé Berville, nommé Secrétaire d'État chargé de la Mer placé auprès de la Première ministre.

Nous souhaitions vous entendre dans le cadre de l'examen prochain, par le Sénat, du projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables, qui a été déposé sur le bureau de notre assemblée le 26 septembre dernier. En application du décret d'attribution publié en juillet dernier, votre secrétariat d'État est associé aux politiques publiques en matière de protection du littoral et d'énergies marines renouvelables, en lien avec le ministère de la transition énergétique d'Agnès Pannier-Runacher qui a en charge le développement des énergies renouvelables.

Cette rencontre est aussi l'occasion d'aborder votre feuille de route pour 2023, s'agissant des affaires maritimes.

Sans plus tarder, entrons dans le vif du sujet avec le projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables qui comporte un titre dédié à l'éolien en mer. Je souhaiterais en particulier aborder trois points.

En matière d'éolien en mer, il semble exister un véritable paradoxe français. La France dispose du deuxième gisement de vent marin d'Europe, derrière le Royaume-Uni, mais nous sommes très en retard par rapport à nombre de nos voisins pour déployer cette énergie : alors que le Royaume-Uni possède déjà plus de 10 gigawatts (GW) de puissance installée et l'Allemagne plus de 7 GW, nous en sommes tout juste à mettre en fonction notre premier parc éolien offshore à Saint-Nazaire, qui disposera d'une capacité de 480 mégawatts (MW).

Le retard s'accumule et l'objectif fixé par la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) d'une capacité de 6 GW en 2020, a déjà été reporté à 2028. Récemment, le Président de la République a annoncé un relèvement des objectifs à 18 GW pour 2035 et 40 GW pour 2050 : c'est louable, mais très difficile à concrétiser sans une véritable accélération du processus. En moyenne, il nous faut dix ans pour mettre en exploitation un parc éolien en mer, contre cinq ans en moyenne dans l'Union européenne. Or, de l'avis de nombreux acteurs, les dispositions du projet de loi sur l'éolien en mer permettraient tout au plus de gagner quelques mois sur l'ensemble du processus...

Quel regard portez-vous sur les raisons de ce retard français ? Votre ministère identifie-t-il des pistes complémentaires pour aller plus vite ?

Les autres énergies marines renouvelables ne sont pas traitées par le projet de loi. Je pense en particulier aux énergies houlomotrice, marémotrice et à l'énergie thermique des mers. Le Gouvernement identifie-t-il des mesures pour favoriser les investissements publics et privés dans ces énergies marines émergentes ?

Enfin, je souhaite vous entendre sur la place des ports dans le déploiement des énergies marines renouvelables. Situés à l'interface entre le domaine terrestre et maritime, les ports accueilleront de nombreuses activités nouvelles pour accompagner la transition énergétique : outre les activités industrielles -- telles que celles nécessaires à la fabrication et à l'assemblage des composants des éoliennes -- pensons à la logistique nécessaire à la construction et à l'exploitation des sites de production d'énergie en mer, mais aussi aux activités de maintenance. L'aménagement d'espaces adaptés à ces activités va nécessiter d'importants investissements dans les années à venir. Comment le Gouvernement a-t-il prévu d'accompagner les ports dans cette transition sur le plan financier ?

M. Hervé Berville, secrétaire d'État auprès de la Première ministre, chargé de la mer. - La politique maritime est une priorité du Gouvernement. La France dispose du deuxième espace maritime du monde et la mer, est un lieu de conflictualité renforcée - voyez notamment ce qui se passe dans la région indopacifique -, qui concentre des enjeux centraux pour l'humanité tout entière. Il y a l'enjeu du dérèglement climatique, qu'on ne pourra pas traiter sans aborder la question de la protection des océans, et l'enjeu de souveraineté économique, avec la pêche, la transition énergétique et, plus largement, l'économie maritime.

La feuille de route que m'a adressée la Première ministre s'articule autour de trois priorités.

La première, c'est la protection des océans et de la biodiversité marine, car sans ressource, il n'y a pas de pêche et nous ne pouvons pas faire face au dérèglement climatique ; l'accélération du dérèglement climatique nous oblige à travailler davantage, avec tous les acteurs, en particulier sur le trait de côte. La deuxième, c'est le développement de l'économie maritime, nous avons à défendre notre modèle de pêche, qui est diversifié, avec en particulier des actions aidant l'installation des pêcheurs et la décarbonation des navires, en articulant ces actions avec les politiques publiques conduites sur le littoral. La troisième, enfin, c'est la planification et la coordination des politiques publiques qui concernent la mer, car ses usages se diversifient - tourisme, pêche, énergies renouvelables -, il faut donc davantage d'organisation, en lien bien sûr avec les territoires concernés. Les objectifs peuvent être contradictoires, nous devons nous concerter davantage.

Notre méthode, c'est d'abord de partir du terrain : je me déplace autant que faire se peut sur tout le territoire, je suis allé à Boulogne-sur-Mer, en Corse, en Bretagne, en Gironde, au Pays basque - nous cherchons toujours à adapter notre stratégie au territoire.

Ensuite, nous voulons renforcer la présence de la France dans les institutions européennes : trop souvent, la politique de la pêche a été une variable d'ajustement des politiques publiques, nous devons rappeler à nos partenaires européens la priorité de l'enjeu maritime, nous devons défendre nos pêcheurs, nous voulons aussi encourager le déploiement des énergies renouvelables maritimes et il nous faut également protéger les outre-mer contre la pêche illicite et les atteintes de plus en plus nombreuses à la biodiversité.

Enfin, nous voulons fonder davantage l'action sur la science et l'innovation. Nous disposons d'équipes de premier plan au sein de l'Institut de recherche pour le développement (IRD), de l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer), du CNRS, les connaissances scientifiques sont très utiles au consensus, il faut les diffuser - et encourager la science, c'est pourquoi nous consacrerons quelque 350 millions à l'exploration des fonds marins.

Sur l'éolien en mer, nous donnons la priorité à la planification - car c'est elle qui explique la différence entre un parc éolien en mer qui est bien accepté et un autre qui est mal reçu. Il faut concerter les projets avec tous les usagers de l'espace maritime, comme nous le faisons sur la terre ferme et comme le font nos voisins européens, nous devons prendre en compte les attentes des pêcheurs aussi bien que des acteurs locaux, et d'abord des élus. La planification, c'est aussi l'articulation des projets avec la stratégie nationale pour la mer et le littoral, qui est en passe d'être redéfinie au sein du Conseil national de la mer et des littoraux et qui sera déclinée par façades maritimes. Je crois à l'intelligence collective, la concertation est un atout, je le dis comme élu de Saint-Brieuc où le premier parc éolien maritime français a été installé.

Nous travaillons aussi sur les autres énergies marines renouvelables, avec des tests pilotes, en Normandie, dans le Morbihan, nous le faisons en lien avec les collectivités territoriales, pour trouver les solutions alternatives aux énergies fossiles les mieux adaptées au territoire, chaque fois en lien avec l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe).

Les ports représentent un enjeu essentiel : il n'y aura pas de déploiement des énergies renouvelables maritimes sans eux. Avec Clément Beaune, nous réunissons la semaine prochaine les gestionnaires des grands ports maritimes (GPM) pour définir une stratégie nationale en la matière. Nous avons besoin d'associer les ports, ce qui suppose des adaptations législatives, en particulier pour libérer du foncier, pour installer des centres de maintenance, pour décarboner les ports - ils veulent aller de l'avant et nous devons les y aider, en lien avec la stratégie nationale pour la mer et le littoral, pour orienter les investissements à venir.

La stratégie nationale, de même, ne pourra pas se faire sans perspectives d'avenir pour les pêcheurs. Je n'ignore pas la crise que traversent les pêcheurs, liée au Brexit, à la guerre en Ukraine et à la crise énergétique - et c'est pourquoi le Gouvernement, c'est unique en Europe, a étendu aux pêcheurs l'aide aux carburants, avec une enveloppe de 28 millions d'euros, nous entendons continuer en portant le plafond à 120 000 voire 130 000 euros. Notre modèle est fondé sur la pêche artisanale, d'autres pays européens n'ont pas fait ce choix, nous avons davantage d'emplois directs et indirects liés à la pêche, nous aidons nos pêcheurs pour leur carburant - mais aussi à décarboner leurs navires, nous avons lancé un fonds d'amorçage de 6 millions d'euros dans cet objectif. 

Enfin, nous voulons soutenir davantage la formation aux métiers de la mer, par des investissements dans les lycées maritimes : c'est le sens des augmentations de crédits que vous constaterez dans le projet de budget pour 2023 en particulier pour l'École nationale supérieure maritime (ENSM). Le pavillon français participe de notre souveraineté, les métiers de la mer sont de haute valeur ajoutée, ils sont territorialisés, il faut les promouvoir - ce sera aussi l'objet du stand de mon ministère au départ, le 6 novembre, de la route du rhum.

M. Didier Mandelli, rapporteur du projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables. - La France va devoir résoudre une équation délicate pour atteindre les objectifs fixés par le Pacte éolien en mer signé en mars dernier par le Président de la République : accélérer le déploiement des projets éoliens offshore, en atteignant un rythme minimal d'attribution d'appels d'offres de l'ordre de 2 GW par an, tout en renforçant la concertation pour assurer l'acceptabilité sociale des projets qui a parfois fait défaut - je pense notamment au parc éolien de Saint-Brieuc, qui a suscité une vive contestation locale.

La solution dépendra de notre capacité à atteindre ces objectifs de déploiement, tout en associant étroitement toutes les parties prenantes. De nombreux acteurs - industriels, élus locaux, associations ou riverains - expriment une forme de lassitude vis-à-vis de la méthode suivie par le Gouvernement, qui donne l'impression de traiter les appels d'offres les uns après les autres par « à coups », sans donner une vision globale des projets envisagés à l'échelle des différentes façades.

L'article 12 du projet de loi va dans le bon sens, avec un document stratégique de façade (DSF) pour définir des zones d'implantation de futurs appels d'offres, mais les acteurs que j'ai auditionnés s'interrogent. En effet, cette planification des projets par le DSF ne serait que facultative, elle ne concernerait pas tous les appels d'offres et viserait seulement des « zones potentielles d'implantation ». De plus, en attendant la révision des DSF qui ne devrait pas intervenir avant 2024, nous pourrions perdre du temps pour le lancement des appels d'offres, sachant que l'élaboration du premier cycle des DSF a nécessité près de six ans de travail. En outre, le DSF vise à planifier l'ensemble des activités liées au littoral et à la mer : il y a donc un risque que l'éolien en mer « phagocyte » les autres usages dans les débats publics, ou bien qu'il se perde parmi tous les enjeux abordés.

Or, pour atteindre l'objectif de 18 GW de puissance installée en 2035 - qui sera sans doute traduit dans la prochaine loi de programmation sur l'énergie et le climat - nous aurions intérêt à planifier sans attendre, de manière claire et précise, les futurs projets éoliens offshores. Il nous faudra associer étroitement les usagers de la mer, le public et les élus locaux, mais aussi disposer d'une approche globale si on veut être en capacité de répartir les objectifs de développement sur les quatre façades maritimes.

Que répondez-vous aux acteurs qui expriment une méfiance vis-à-vis de la capacité pour les DSF à intégrer une planification de l'éolien en mer avec suffisamment de précision et de célérité ?

Avez-vous réfléchi à une méthode nationale pour identifier des zones précises d'implantation des projets éoliens en mer, avec un calendrier prévisionnel des appels d'offres à horizon de cinq et dix ans ?

Nous avons besoin de bâtir une méthode de planification robuste avant l'arrivée de la prochaine PPE, et je crains que le dispositif proposé ne laisse un peu certains acteurs « au milieu du gué »...

Estimez-vous, enfin, que les technologies utilisées permettent de bâtir les parcs éoliens suffisamment loin de la côte, de façon à éviter les problèmes posés par leur visibilité depuis le rivage ?

M. Philippe Tabarot, rapporteur pour avis des crédits de la mission "Transports ferroviaires, fluviaux et maritimes". - Votre arrivée au secrétariat d'État à la mer coïncide avec la refonte administrative et budgétaire des « affaires maritimes », qui intègrent désormais le secteur de la pêche et de l'aquaculture. Quelles sont les grandes lignes du budget des affaires maritimes pour 2023 - en dehors du secteur de la pêche et de l'aquaculture qui ne relève pas du champ de compétences de notre commission ?

Je souhaiterais aborder plus précisément deux points relatifs au verdissement du transport maritime.

La flotte de commerce sous pavillon français se compose d'environ 200 navires de transport et on estime à 380 millions d'euros le coût nécessaire à son renouvellement - selon Armateurs de France - dont 60 millions d'euros nécessaires pour le seul verdissement. Or, les armateurs disposent de peu de soutien public pour absorber le surcoût lié au verdissement des navires... Le Plan de relance ne comportait aucun crédit pour l'armement maritime. Quant au plan d'investissement « France 2030 » et aux 4 milliards d'euros annoncés pour les « véhicules du futur », ils ne semblent pas intégrer le transport maritime.

Comptez-vous remédier à ce manque et mobiliser des investissements publics pour aider les armateurs à concourir à l'objectif fixé par l'Organisation maritime internationale de réduire de 50 % d'ici 2050 les émissions de CO2 liées au transport maritime ? Comment se passe la mise en oeuvre du « suramortissement vert » dont nous avons assoupli les conditions l'année dernière ? Ce mécanisme a-t-il aidé les acquisitions d'équipements verts pour les navires ?

Enfin, les documents budgétaires manquent de précision quant à la ventilation des 175 millions d'euros que le Plan de relance a consacré au verdissement des ports. Avez-vous des exemples à nous donner d'opérations conduites cette année, notamment en matière de soutien au report modal ? 

La pandémie mondiale suivie de l'invasion russe en Ukraine a rappelé l'agilité que la Nation exige de ses ports pour assurer l'approvisionnement de la chaîne logistique. Or, les infrastructures d'accès à nos grands ports maritimes ont souffert d'une longue période de sous-investissement. Notre commission n'a de cesse d'interpeller le Gouvernement à ce sujet, mais à quand un véritable plan d'investissement en faveur du développement des infrastructures de report modal dans nos grands ports maritimes ?

Enfin, vous n'êtes pas sans savoir que la commune de Vallauris, dans les Alpes-Maritimes, s'est opposée au mois de juin à un projet d'implantation d'une ferme aquacole de 24 000 mètres carrés, soit la surface de trois terrains de football. La motion adoptée par le conseil municipal de cette commune s'inquiète des conséquences sur l'environnement, qui seraient désastreuses et contreviendraient aux impératifs de protection découlant du classement de la baie de Golfe-Juan en zone Natura 2000. Quel est votre avis sur ce projet ?

M. Hervé Berville, secrétaire d'État. - Je réponds d'autant plus volontiers à votre invitation à définir la planification en matière maritime, que c'est l'une des priorités de ma feuille de route. Le texte de loi permet de mutualiser le débat sur le DSF avec celui sur les projets éoliens en mer, et vous soulignez à raison deux risques : celui qu'on ne parle que d'éolien en mer au cours des débats sur le DSF et celui qu'on banalise ce sujet, sans en parler suffisamment. Il faut placer le sujet à son niveau pertinent : pour certains territoires, l'éolien maritime est prioritaire, pour d'autres ce n'est pas le sujet principal ; il faut donc éviter de travailler par « à coup » et mieux se relier à un ensemble, c'est la planification, au service d'une stratégie nationale pour la mer et le littoral. Cette stratégie est en passe d'être redéfinie par le Conseil national de la mer et des littoraux, qui s'est fixé jusqu'au mois de juin prochain pour y parvenir, cette stratégie intégrera tous les enjeux ; ce travail de définition est lancé, j'ai récemment envoyé les courriers pour l'installation des instances concernées. Ensuite, la PPE définira l'enveloppe globale que nous aurons à répartir, avec les élus, pour un déploiement par façade. Il est bien entendu trop tôt pour répartir les objectifs, y compris entre technologies - nous soutenons les innovations justement pour ne nous fermer aucune porte -, la ventilation pourra débuter par façade à compter de la mi-2023, après concertation avec les élus, puis avec les autres acteurs, en particulier les pêcheurs. La communication n'est pas la concertation, nos concitoyens pensent parfois trop vite qu'une fois le projet communiqué, il est fait - mais il faut compter avec la concertation, qui prend du temps et peut infléchir les projets. Nous avons aussi un enjeu de cahier des charges, avec des éléments très concrets comme l'alignement des éoliennes, qui a une incidence forte sur l'acceptation sociale - il faut donc regarder et discuter les choses au plus près du terrain.

Mon enveloppe budgétaire atteint 240 millions d'euros pour 2023 - après une augmentation de 23 millions d'euros l'an passé -, dont 77 millions pour la présence et l'intervention de l'État en mer à travers le fonds d'intervention maritime, 35 millions pour les gens de mer, 86 millions pour la flotte de commerce - cela couvre le netwage aussi bien que le soutien au verdissement de la flotte -, et 50 millions d'euros pour la pêche.

Nous avons des retours positifs sur le suramortissement. Nous avons la chance d'avoir des entreprises à la pointe en matière de flotte de commerce maritime, c'est aussi un élément de notre souveraineté, il faut accompagner ces entreprises sans renoncer à être exigeants.

Sur les ports, nous accompagnons bien des projets de décarbonation, je pense en particulier à des solutions de captage de gaz carbonique à Dunkerque, financées par France relance.

Vous constatez avec raison que la dimension maritime est absente du plan France 2030. Nous tâchons d'y remédier, avec des projets de navires à zéro émission et un comité de pilotage de France 2030 va se tenir prochainement pour examiner la possibilité d'intégrer des projets maritimes. Je porterai également cette ambition lors des Assises de la mer à Lille début novembre, nous avons un grand chantier en particulier sur les transports maritimes.

Enfin, je vous répondrai plus précisément par écrit sur le projet de ferme aquacole dans le golfe de Juan.

M. Stéphane Demilly. - Le Gouvernement évoque l'ouverture d'une cinquantaine de parcs d'éoliennes maritimes d'ici 2050, et, quand on voit celui qui a été inauguré le 22 septembre à Saint-Nazaire, avec des éoliennes aux pales de 80 mètres, on comprend que la concertation est à tout le moins indispensable. Quand vous n'étiez pas encore ministre, vous avez déclaré que le parc d'éoliennes dans la baie de Saint-Brieuc n'était « ni fait, ni à faire », c'est une belle prise de position ! Le 20 octobre 2021, l'océanographe François Sarano nous a dit, devant cette commission, que l'ancrage des éoliennes en mer détruisait le milieu marin, parce que les nuages de sédiments ferment l'accès aux ressources de ce milieu. Depuis votre prise de fonctions, avez-vous pu vous faire une opinion sur ce sujet essentiel pour l'acceptabilité des éoliennes en mer ? Quelle est la résilience des milieux marins autour des parcs d'éoliennes ?

M. Jean-Michel Houllegatte. - Une question sur le partage de la valeur en zone économique exclusive (ZEE) : la convention de Montego Bay dispose que la répartition est à la discrétion de l'État côtier, mais elle ne prévoit de transfert que pour les droits souverains, ce qui paraît exclure les collectivités territoriales. Dans ces conditions, quelle analyse faites-vous de l'affectation des recettes liées aux parcs éoliens ? Quelles seront les retombées sur les collectivités territoriales ? 

M. Guillaume Chevrollier. - Quelle est la feuille de route de votre ministère en matière de biodiversité ? Nous connaissons encore mal les conséquences environnementales des éoliennes maritimes, elles suscitent des inquiétudes : envisagez-vous d'exclure certaines zones considérées comme plus sensibles ? Comment mieux informer le public ?

Enfin, la pêche à la senne danoise, qui est une pêche démersale, mécontente les pêcheurs artisanaux, car elle détruit la ressource, avec des filets de plusieurs kilomètres qui ne laissent rien derrière eux. Les pêcheurs français ne comprennent pas la position de l'État, qui paraît s'accommoder de cette pêche industrielle pratiquée près de nos côtes sous pavillon européen : que leur répondez-vous ? 

Mme Nicole Bonnefoy. - Dans les enceintes européennes, le Gouvernement s'accommode effectivement de la pêche démersale : pourquoi accepter une telle pêche industrielle climaticide, qui prive nos pêcheurs de leur moyen d'existence ?

Ensuite, des ONG s'inquiètent d'un projet de l'entreprise Total d'exploitation de gaz au large de l'Afrique du Sud : l'État français peut-il laisser faire un tel écocide, alors que l'Agence internationale de l'énergie s'est prononcée en 2021 contre tout nouvel investissement dans les énergies fossiles afin d'atteindre la neutralité carbone d'ici à 2050 ?

Mme Angèle Préville. - Il nous faut résoudre une équation difficile, entre les usages nombreux de la mer et l'obligation de préserver le vivant dans les océans, car on sait désormais que le rôle décisif de l'océan dans l'absorption du carbone est conditionné à la présence du vivant dans les océans. Comment pensez-vous prioriser les différents usages des mers ?

Comment, ensuite, envisagez-vous l'énergie mécanique des océans, c'est-à-dire l'utilisation des marées pour produire de l'énergie : l'usine marémotrice de la Rance date des années 1960, bien des projets ont été développés depuis dans d'autres pays, par exemple en Écosse - comment regardez-vous cette source d'énergie ?

M. Hervé Berville, secrétaire d'État. - La biodiversité reste l'un des piliers de notre action et rien, dans le projet de loi, ne remet en cause notre volonté d'agir pour la protéger - c'est l'une des raisons pour lesquelles des règles strictes s'imposent pour tout projet d'éolien en mer. Quand j'ai dit que le parc de la baie de Saint-Brieuc était « ni fait, ni à refaire », je me référais à cette expression de mon grand-père et qu'il employait pour dire qu'une chose n'avait pas été faite dans les règles de l'art, qu'elle aurait pu être mieux faite - et donc qu'il y avait des leçons à tirer de l'expérience, c'est ce que nous faisons.

S'agissant de l'impact des parcs éoliens, rien ne permet de dire aujourd'hui qu'on devrait ne pas les développer, ils répondent aux exigences de la transition énergétique, tout en préservant la biodiversité, il y a même des exemples où la biodiversité s'est trouvée accrue aux abords des éoliennes. Cependant, chaque situation est différente, et il faut donc regarder les effets à long terme, c'est pourquoi nous prévoyons 50 millions d'euros pour l'Observatoire de l'éolien en mer, et l'Office français de la biodiversité devra donner son avis sur tout projet.

Sur la taxation dans les ZEE, vous avez raison, les textes prévoient qu'elles vont à l'État, mais je rappelle que ce n'est pas contradictoire avec l'intérêt des territoires, qui bénéficient des politiques publiques conduites par l'État, avec en plus la possibilité d'une péréquation. Je prends bonne note des demandes des présidents de région pour l'affectation des ressources, mais les opérations en ZEE ont des coûts spécifiques qu'on doit examiner avant de trancher toute répartition.

Cette année est très riche en événements nationaux et internationaux pour la protection de la biodiversité, il y a eu le One Ocean Summit à Brest en février, où le président de la République a dit la priorité de cette protection pour la France, il y a eu la Conférence des Nations unies sur les océans à Lisbonne au mois de juin, il y aura la COP 27 sur le changement climatique à Charm el-Cheikh le mois prochain, puis la COP 15 sur la biodiversité à Montréal, en décembre. La France défend en particulier l'objectif de 30 % d'aires marines protégées, avec 10 % en zones de protection forte et 5 % de protection forte en Méditerranée. Notre modèle de protection de la biodiversité n'empêche pas la pêche ni d'autres activités, une cohabitation est possible, nous le démontrons sur la côte d'Iroise aussi bien que dans le golfe du Lion.

La France a aussi l'ambition de parvenir à un traité de protection de la biodiversité en haute mer, laquelle représente les deux tiers des océans. Ce traité créerait des aires marines protégées en haute mer, avec un contrôle effectif de la conservation des espèces ; il prévoirait le partage des ressources génétiques dans cet espace, pour que toute molécule découverte en haute mer ne puisse être l'objet d'une appropriation, mais considérée comme un bien commun de l'humanité ; et ce traité mettrait en place un mécanisme d'étude environnementale pour toute activité en haute mer - autant de sujets où il est difficile d'aboutir, parce qu'il n'y a rien aujourd'hui de cet ordre en haute mer.

Sur la pêche démersale, à la senne danoise, la France n'est certainement pas une facilitatrice. Ce qui s'est passé, c'est que, dans le trilogue européen, un amendement du Parlement européen entendait interdire cette pêche pour les navires hollandais et belges, remettant frontalement en cause le libre accès aux ports européens et les principes fondamentaux des pêches communes. Un accord a donc été trouvé, au nom de ces principes. La France demande depuis plus de dix ans une régulation, comme celle que nous avons mise en place dans le cadre des comités régionaux de pêche en Bretagne et en Nouvelle-Aquitaine ; j'ai renouvelé notre demande pour des actions concrètes, nous devons avancer dans le bon cadre. Sans l'accord intervenu cette année, il y aurait eu une libéralisation totale des eaux l'an prochain, ce qu'aucun pays ne souhaitait. De notre côté, nous allons continuer à soutenir la pêche artisanale, avec en particulier des aides aux carburants, une gestion pluriannuelle des quotas, et notre stratégie est définie en lien avec les territoires.

L'usine marémotrice de la Rance fait l'objet d'investissements, nous allons continuer à financer tous les projets innovants pour réduire notre dépendance aux énergies fossiles, c'est une raison pour accélérer les éoliennes en mer, nous le faisons en lien avec l'Ademe - mais cela prend du temps.

Le projet en Afrique du Sud que vous citez est porté par une entreprise privée qui contracte avec un pays souverain, la France n'y a pas sa part - et les projets que nous soutenons, notamment via l'Agence française du développement (AFD), répondent tous à nos objectifs : la France ne soutient pas des projets qui mettent à mal la biodiversité marine.

M. Hervé Gillé. - Quelle sera la position du Conseil national de la mer et des littoraux sur la stratégie nationale ? Ce Conseil contribuant à élaborer cette stratégie, n'y a-t-il pas un risque de confusion des rôles quand on lui demandera de donner son avis sur cette stratégie ?

Sophie Panonacle, la présidente de ce Conseil, a suggéré un amendement au projet de loi de finances, pour créer un fonds consacré à l'érosion côtière : qu'en pensez-vous ?

Enfin, nous avons du mal à percevoir, dans la stratégie des ports, le développement de l'intermodalité : quels sont les efforts sur ce sujet essentiel ?

M. Joël Bigot. - Personne ne conteste la nécessité du mix énergétique, donc l'utilité de développer l'éolien en mer. Vous nous dites que l'activité est maintenue, mais les producteurs se posent des questions - les producteurs de coquilles Saint-Jacques, en particulier, s'inquiètent pour la ressource : que leur répondez-vous ? Vous dites vouloir travailler en amont avec les populations locales, il y a de quoi, en effet, lorsqu'on voit les oppositions qui se sont manifestées en particulier à Saint-Nazaire.

Enfin, quelle est la capacité de production de l'usine marémotrice de la Rance ? Elle a été installée en 1966, mais ce prototype n'a pas été dupliqué parce qu'il n'est pas rentable : qu'en est-il précisément ? 

M. Frédéric Marchand. - Le potentiel économique de la pêche ultramarine est certain, mais du retard, trop de retard a été pris ; des projets de développement sont identifiés : quelles suites pensez-vous pouvoir leur donner ?

M. Fabien Genet. - Alors que nos fonds marins représentent 17 fois la superficie terrestre de notre pays, le sujet des grands fonds marins apparaît désormais comme un enjeu essentiel : comment l'abordez-vous ? Quelle est la position française sur l'exploration et l'exploitation des grands fonds marins ? Le Sénat vient de consacrer à ce thème un débat en séance plénière, suite à la publication du rapport de notre mission d'information « L'exploration, la protection et l'exploitation des fonds marins : quelle stratégie pour la France ? » : quels partenariats, en particulier, vous paraissent-ils envisageables ?

M. Gérard Lahellec. - Dans la présentation de vos priorités, vous venez d'énoncer la production d'énergie en troisième position, après la protection de la biodiversité marine et la pêche ; si tel est bien le cas, il faut se garder de confondre vitesse et précipitation dans le déploiement d'éoliennes en mer...

Une question sur les délaissés portuaires : peuvent-ils être utilisés pour produire de l'énergie - sans porter atteinte à la loi « littoral » ?

Une remarque, ensuite : il n'y a pas que les grands ports maritimes (GPM) dans notre pays - en Bretagne, avec 2 700 kilomètres de côtes, nous n'en avons pas un seul, depuis qu'en 2004 ils ont été transférés à la région, avec désormais la simple compensation de 1,5 million d'euros de dotation annuelle pour les gérer... Ces ports décentralisés ont pourtant des questions très importantes à régler, comme la desserte des îles, avec un sujet bien identifié de la décarbonation des navires : comment les prenez-vous en compte ?

Enfin, merci de préciser votre position sur le parc éolien de la baie de Saint-Brieuc, il faut lever les ambiguïtés... 

Mme Nadège Havet. - La compagnie maritime Brittany Ferries vient d'appeler à sortir du moins-disant social, après que sa concurrente Irish ferries vient d'ouvrir ses lignes à des ferries battant pavillon chypriote : qu'en pensez-vous ?

M. Hervé Berville, secrétaire d'État. - Doit-on craindre une confusion des rôles pour le Conseil national de la mer et du littoral, dans l'élaboration et l'avis sur la stratégie nationale pour la mer et les littoraux ? Je ne le crois pas, elle sera le forum de la stratégie nationale, il n'y a pas de doublon, et, plutôt que d'ajouter un outil pour redéfinir la stratégie nationale d'ici la mi-2023, j'utilise ce qui fonctionne bien aujourd'hui.

La création d'un fonds d'érosion côtier est-elle souhaitable ? Il y a déjà une ligne budgétaire dédiée, le fonds vert annoncé par la Première ministre sera mobilisable - et si je suis favorable à des moyens supplémentaires, je crois qu'il ne faut pas multiplier les outils, nous pourrons débattre de la meilleure méthode mais je veux pour aujourd'hui retenir notre intention de nous en occuper et de déployer des projets face à l'érosion côtière.

L'intermodalité avance, je pense à des projets de connexion ferroviaire à Fos, à la construction d'une chatière au Havre, nous avons aussi à voir le prix de la manutention avec les armateurs, c'est un levier pour inciter à la multimodalité.

Le parc éolien menace-t-il la ressource en coquilles Saint-Jacques ? Elles n'ont jamais été aussi abondantes que cette année, mais corrélation n'est pas causalité ; nous regarderons dans la durée, nous sommes très attentifs à la ressource halieutique, elle a été préservée depuis des décennies par les pêcheurs, il faut continuer à le faire.

Un projet d'usine marémotrice avait été fait pour la baie du mont Saint-Michel, il n'a pas abouti, nous investissons pour que l'usine de la Rance continue de tourner. Elle n'est pas à l'équilibre, c'est un prototype avec des coûts de maintenance importants, nous continuerons à la soutenir et EDF la gère avec soin avec la volonté d'en faire une vitrine.

Le développement dans les outremers ne peut se passer d'une ambition forte pour les flottes de pêches ultramarines. Il y a un enjeu d'investissement dans les ports, qui concerne du reste tous les ports, au-delà des GPM. Il y a aussi un enjeu de modernisation de la flotte, des bateaux trop anciens créent de l'incompréhension chez nos compatriotes ultramarins, le changement passe par les règles européennes, nous nous y attelons et nous mettons déjà en place un fonds d'amorçage de 6 millions d'euros pour aider la décarbonation des navires de pêche. Il faut aussi développer les métiers de la mer, en adaptant les formations aux spécificités ultramarines. 

Sur l'exploration des fonds marins, comme je l'ai dit dans le débat en séance plénière, nous sommes focalisés sur la connaissance et la recherche, c'est la priorité, du fait des risques de l'exploitation des fonds marins. L'exploration, oui, l'exploitation, non : c'est ce qu'a dit le président de la République à Lisbonne, nous avons adapté notre code minier dans ce sens, et nous mobilisons 350 millions d'euros sur le sujet.

Les énergies marines renouvelables ne viennent-elles qu'en troisième position parmi mes priorités ? En réalité, mes priorités sont articulées : la préservation des océans, par exemple, implique qu'on développe les énergies maritimes renouvelables, ceci pour moins polluer les océans...c'est cohérent, pas antinomique.

Les ports décentralisés sont intégrés à notre stratégie nationale, elle ne concerne pas seulement les GPM, mais tous les ports.

Sur le parc éolien de la baie de Saint-Brieuc, certains feignent de découvrir ma position, mais j'ai toujours dit que ce parc ne devait pas se faire n'importe comment ni à n'importe quel prix. Le président de la République est venu dès 2018 au cap Fréhel pour rediscuter de ce projet, le préfet a remis tout le monde autour de la table en 2019, ma position est la concertation et la planification, je l'ai dit aux pêcheurs lors de mon premier déplacement comme ministre - comme vous, nous sommes cohérents, nous avons rectifié une trajectoire qui était partie dans le mauvais sens.

Le dumping social est déloyal, il met à mal le pacte social européen, nous nous battons pour que les entreprises aient le plus haut standard, nous travaillons avec le gouvernement britannique sur les liaisons transmanches. Le président de la République est engagé contre le dumping, nous ne lâcherons rien, comme nous l'avons fait pour les travailleurs détachés en 2017. Mon ministère travaille sur le sujet, en particulier sur les moyens de coercition si des bateaux ne respectaient pas nos règles.

M. Jean-François Longeot, président. - Merci pour la clarté de vos propos et votre énergie, nous sommes mobilisés pour faire avancer l'ensemble de ces sujets.


Source http://www.senat.fr, le 28 octobre 2022