Déclaration de M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice, sur le budget 2023 consacré à la Justice, à l'Assemblée nationale le 27 octobre 2022.

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Texte intégral

Mme la présidente.
Les porte-parole des groupes se sont tous exprimés.
La parole est maintenant à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice.
Je veux tout d’abord vous dire mon plaisir d’être parmi vous ce matin pour parler justice ; mieux encore, pour parler moyens de la justice. Vous le savez, le renforcement massif des moyens de la justice est ma priorité absolue. Il faut dire que l’héritage de ces trente dernières années n’est pas encore soldé. La route sera longue mais mon cap, et celui de cette majorité, est très clair : se donner enfin les moyens d’une justice qui réponde aux attentes de nos compatriotes. Une justice plus rapide, plus efficace, plus protectrice, une justice à la hauteur de ce que doit être ce grand service public qui fonde notre pacte social : c’est cela que nos concitoyens appellent de leurs vœux, et c’est cela que le projet de loi de finances pour 2023 propose, grâce à la volonté du Président de la République et de la Première ministre.
En effet, après deux hausses de plus de 8%, en 2021 et en 2022, le projet de budget que j’ai l’honneur de vous présenter aujourd’hui autoriserait une troisième hausse consécutive de plus de 8 % au profit de notre justice. En 2023, ce sont ainsi 710 millions d’euros supplémentaires qui viendraient abonder le service public de la justice, dont les crédits s’élèveraient au total à 9,6 milliards d’euros.
Ces moyens importants permettront d’alimenter les trois grands axes de ma politique. Il y aura tout d’abord une progression de 9% pour les services judiciaires, dont les crédits atteindraient 3,39 milliards d’euros en 2023. L’augmentation des crédits consacrés à l’administration pénitentiaire dépasserait ensuite 7% pour atteindre un budget de 3,91 milliards d’euros en 2023 – je sais, monsieur Sacha Houlié, que vous y êtes sensible. Enfin, les crédits de la protection judiciaire de la jeunesse augmenteront de plus de 10% et s’élèveront en conséquence à 917 millions d’euros pour 2023 – je sais qu’il s’agit pour beaucoup d’entre nous, comme Mme Cécile Untermaier, d’un enjeu majeur.
Ces crédits nous permettront de mieux prendre en charge, et plus rapidement, les mineurs qui nous sont confiés. Ils favoriseront le développement des outils qui mesureront l’efficacité des moyens alloués à la justice pénale des mineurs. Je pense en particulier au logiciel " Parcours " destiné à suivre de façon fine la prise en charge des mineurs et d’en mesurer les effets dans la durée.
Mais la protection judiciaire de la jeunesse s’inscrit, encore plus peut-être aujourd’hui, dans des politiques qui concernent toute la jeunesse. Ainsi, en matière de harcèlement scolaire, sujet qui vous préoccupe beaucoup, monsieur Balanant, nous encourageons les partenariats entre les procureurs et les chefs d’établissement scolaire sur tous les territoires et nous poursuivons bien évidemment les travaux avec le secteur associatif pour traiter de cette question si délicate.
Avec une hausse de plus de 26% du budget de la justice en trois ans, depuis mon arrivée, et de plus de 40% si l’on prend comme point de départ le début du premier quinquennat du Président de la République, le nouvel effort budgétaire est inédit. Certains d’entre vous diront que ce sont des économies de bouts de chandelle. Non, c’est un effort historique, qui n’a jamais été vu sous la Ve République. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem.) Je me suis dit, sans doute avec beaucoup de naïveté et de candeur, que tous les députés devant lesquels j’aurai l’honneur de m’exprimer ce matin jugeront que ce budget n’est au fond pas si mal, car personne avant nous n’a été jusque-là – personne !

M. Patrick Hetzel, rapporteur spécial.
Il n’y avait pas d’inflation avant !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.
Mais non, certains sur ces bancs continuent à minauder, à chipoter – c’est le mot que vous avez utilisé tout à l’heure, madame Garrido. Évidemment, vous aimez ce mot quand il sort de ma bouche : la poloche est-elle plus importante que le reste ? Ne pouvons-nous pas nous arrêter deux minutes pour dire nos désaccords démocratiques (Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem) et, en même temps, pour reconnaître que ce budget est un effort historique ? Quant à ceux d’entre vous qui me donnent en permanence des leçons,…

M. Patrick Hetzel, rapporteur spécial.
C’est un expert qui parle !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.
…ils choisissent de s’abstenir. En clair, ils refusent de donner à la justice les moyens qui, nous le savons tous, sont absolument indispensables. Bien sûr, tout n’a pas été réparé. Mais comme l’a dit tout à l’heure le président de la commission des lois qui, soit dit en passant, m’a volé cette formule que je veux désespérément mienne, plus n’est pas égal à moins !

Mme Raquel Garrido.
Personne n’a dit le contraire !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.
Lorsque je suis entré au Gouvernement et que j’ai présenté mon premier budget, je n’ai cessé d’entendre : " Il n’arrivera pas à le refaire l’année suivante ! " Quand, l’année suivante, j’ai à nouveau présenté le budget de mon ministère, certains l’ont critiqué, usant de cette expression syndicale : " Ce ne sont que des cacahuètes ! " Ce matin, je vous présente pour la troisième fois mon budget, avec une augmentation de 8%. Je le répète, qu’on le veuille ou non, plus n’est pas égal à moins ! Notre justice n’a jamais été aussi bien dotée que depuis que le Président de la République a été élu ! (Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem et HOR.)
Ces choses étant précisées, je vais entrer dans le détail, chiffres à l’appui. Les mots, voyez-vous, ont un sens, un double sens, un contresens ; on peut ne pas être d’accord sur leur définition ou leur signification. Mais les chiffres, eux, restent en place et sont incontestables. Je souhaite vous présenter en détail ce que ces moyens supplémentaires permettront de financer en 2023 et dans les années à venir.
La justice s’incarne d’abord dans les hommes et les femmes qui la servent. Je veux adresser, ici, mes profonds remerciements aux magistrats, aux greffiers, aux personnels pénitentiaires – ils sont la troisième force de sécurité de notre pays –, aux juristes assistants, aux avocats, aux professionnels du droit, aux agents administratifs. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem.) Je salue leur engagement dans l’œuvre de justice.
Le présent budget acte le plan de recrutement le plus important de l’histoire du ministère, avec 10 000 emplois supplémentaires d’ici 2027. La création de 1 500 postes de magistrats et de 1 500 postes de greffiers est d’ores et déjà actée. Cela représente un doublement des créations d’emploi par rapport au premier quinquennat du président. Par ailleurs, en 2023, 1 220 agents seront recrutés au sein de la justice judiciaire, 809 dans l’administration pénitentiaire et 92 dans les services de PJJ. Pour assurer ce niveau de recrutements, il nous faut davantage renforcer l’attractivité des métiers de la justice, notamment par des revalorisations salariales. J’en profite pour répondre à M. Castellani. S’il est vrai que le nombre de candidats aux concours de la magistrature avait chuté de manière significative au début des années 2010, cela n’est plus le cas aujourd’hui. L’année dernière, plus de 4 000 personnes ont candidaté aux différents concours de la magistrature. Un tel niveau de candidatures promet un vivier large qui permettra un recrutement de qualité dans les années à venir.
Le budget pour 2023 permettra, encore une fois, d’augmenter les crédits obtenus au titre des mesures catégorielles à hauteur de 80 millions d’euros pour revaloriser les professionnels du ministère. Sur ce montant total, 30 millions seront alloués aux magistrats, avec une revalorisation inédite de leurs primes de 1 000 euros par mois en moyenne, et 50 millions iront au reste de nos fonctionnaires.
Je veux vous rassurer, monsieur le rapporteur spécial. Les modalités de cette revalorisation sont en cours d’expertise, j’ai déjà eu l’occasion de vous le dire devant la commission des lois. En principe, la rémunération est faible, en particulier pour les jeunes en début de carrière. La revalorisation sera plus importante pour eux, allant au-delà de 1 000 euros.
Je dois le dire, je suis un peu choqué par les propos que vous avez tenus tout à l’heure. Vous vous êtes plaint de l’absence de réponse de mon ministère aux questions des parlementaires. Or, à ce jour, le taux de réponse est de 95 %.

M. Patrick Hetzel, rapporteur spécial.
Pas au 10 octobre, soit la date prévue par la loi !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.
Contrairement à ce que vous dites ou à ce que vous pensez, le ministère de la place Vendôme fonctionne.

M. Patrick Hetzel, rapporteur spécial.
Peut-être, mais il n’est pas exemplaire !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.
Les personnels que je dirige sont totalement impliqués dans leurs missions. J’insiste, ils répondent à hauteur de plus de 80% aux parlementaires qui souhaitent les interroger.

M. Patrick Hetzel, rapporteur spécial.
Plutôt 20% !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.
Ces crédits permettront également de poursuivre et de finaliser le plan de construction des 15 000 places de prison supplémentaires voulues par le Président de la République. En 2023, pas moins de 10 établissements pénitentiaires seront livrés, soit 7 structures d’accompagnement vers la sortie et 3 centres pénitentiaires proprement dits. Ces opérations sont complexes ; elles ont parfois été retardées, notamment en raison du covid. Certains réclament la sécurité mais ne sont jamais prompts à donner un terrain pour y construire un établissement pénitentiaire. Nous, nous avons surmonté les difficultés contentieuses, foncières et politiques…

Mme la présidente.
Veuillez conclure, monsieur le ministre.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.
…et nous parviendrons à finaliser ce projet en 2027. Nos engagements seront tenus. (Applaudissements sur les bancs du groupe RE.)

Mme la présidente.
Je vous prie de bien vouloir conclure, monsieur le ministre. Le temps de parole du Gouvernement a été fixé à dix minutes. (Protestations sur les bancs du groupe RE.)

M. Rémy Rebeyrotte.
Le temps de parole est illimité pour les membres du Gouvernement !

Mme la présidente.
Pour la discussion des crédits des différentes missions, la conférence des présidents a décidé de limiter à dix minutes le temps de parole du Gouvernement.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.
Je n’en ai pas été informé ! Il me semblait que le ministre avait un temps de parole illimité. (Exclamations sur les bancs des groupes RN et LFI-NUPES.)

Mme la présidente.
Non, pas pour ce qui est de la discussion des crédits.

Plusieurs députés du groupe LFI-NUPES.
Il faut respecter les règles !

Plusieurs députés du groupe RN.
Respectez la loi !

M. Laurent Jacobelli.
Il va falloir vous adapter, monsieur le ministre !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.
C’est extraordinaire. Vous vous plaignez de l’absence de débat et, quand le ministre vous répond, vous ne souhaitez pas l’écouter ! (Vives exclamations sur les bancs des groupes RN et LFI-NUPES. – Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem.)

Mme Raquel Garrido.
C’est le 49.3 parlementaire !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.
Puisque vous voulez une conclusion, je vous la livre ! Vous connaissez cette expression : « Quand je me regarde, je me désole ; quand je me compare, je me rassure. » (Sourires sur les bancs du groupe RE.) En matière budgétaire, les donneurs de leçon feraient bien de s’inspirer d’une position faite d’humilité, de silence et de rétrospection. Au-delà des divergences qui sont les nôtres, je veux que nous agissions en responsabilité. Le Rassemblement national est extraordinairement critique, toujours critique (Vives exclamations sur les bancs du groupe RN) , mais il s’abstient de voter le budget dont les magistrats ont besoin ! La réalité, c’est que la justice, sur le plan budgétaire, n’a jamais été aussi bien dotée. (Exclamations et claquements de pupitre sur certains bancs du groupe RN.) Si vous voulez augmenter les moyens de la justice, alors votez ce budget ! (Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem et HOR.)

Mme la présidente.
Je vous remercie, monsieur le ministre.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.
Bravo pour la censure, c’est formidable !

 

M. Laurent Jacobelli.
On n’est pas à Fresnes, il y a des règles ici !

Mme la présidente.
Nous en venons aux questions-réponses. Je vous rappelle que la durée de chaque question et de chaque réponse est fixée à deux minutes.
La parole est à Mme Élisa Martin.

Mme Élisa Martin.
Monsieur le garde des sceaux, je veux vous parler de la justice civile : celle qui ne prononce pas de peines mais qui règle les litiges ; celle à laquelle, le cas échéant, la majorité des Français peuvent être confrontés – en un mot, la justice du quotidien. Nous vous avons écouté : ayez la courtoisie d’en faire autant !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.
On ne m’a pas écouté, on m’a censuré !

Mme Élisa Martin.
Cette justice est au bout du rouleau. C’est celle de " l’appel des 3 000 ", publié en novembre 2021, qui témoignait d’un grand épuisement autant physique que moral et dénonçait froidement la situation par ces mots : " nous ne voulons plus d’une justice qui n’écoute pas, qui raisonne uniquement en chiffres, qui chronomètre tout et comptabilise tout ". Êtes-vous sourd, monsieur le garde des sceaux ?
Une première réponse est tombée, tel un couperet, avec le rapport Sauvé, intitulé « Rendre la justice aux citoyens ». Bien que les civilistes aient eu à cœur d’alimenter la réflexion, seules dix pages y étaient consacrées à la justice civile. Allongement des délais, justice au rendement – voire au rabais –, déshumanisation, perte de sens : voilà ce que nous déplorons ! La suppression des tribunaux judiciaires n’a rien arrangé et contribue même à élargir le fossé entre les Français et l’institution judiciaire.
Monsieur le garde des sceaux, vous vous vantez beaucoup de l’augmentation globale de votre budget. Certes, c’est une réalité. Mais en quoi la part consacrée à la justice civile permettra de répondre structurellement à ces enjeux ? Quelles perspectives donnez-vous au monde judiciaire, aux avocats, aux greffiers et aux magistrats, qui veulent assurer leur mission de service public et garantir l’accès au droit de tous les Français ? Que répondez-vous aux citoyens qui, démocratiquement et légitimement, aspirent à une justice efficace et juste ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)

Mme la présidente.
La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.
Regardez ce que nous avons fait. Nous avons embauché 720 magistrats, 850 greffiers et 2 000 contractuels. Qui a fait mieux avant nous ?

Mme Danielle Brulebois.
Personne !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.
Sous la présidence de François Hollande, seuls 27 magistrats ont été recrutés. Durant le mandat de Nicolas Sarkozy, le chiffre des recrutements était négatif puisque les magistrats partant à la retraite n’étaient pas remplacés. Pour notre part, nous avons ouvert des points-justice pour les plus défavorisés, nous avons augmenté le montant de l’aide juridictionnelle, nous avons recréé des juridictions. Je veux bien que plus soit égal à moins mais, au bout d’un moment, j’en ai assez de vos critiques ! Il y a ce que l’on fait, il y a ce que vous souhaitez qu’on fasse et il y a ce que nous allons faire. Les états généraux de la justice, nous allons les mettre en place. Le plan d’embauche qui est prévu – et qui sera tenu – est le plus important que ce ministère ait jamais connu ! (Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem.)

M. Benjamin Lucas.
Vous n’avez pas écouté la question !

Mme la présidente.
La parole est à Mme Élisa Martin.

Mme Élisa Martin.
Monsieur le garde des sceaux, quelle que soit la façon dont vous présentez les choses, la distorsion entre vos propos et la réalité – en particulier dans les tribunaux d’instance – perdure. (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NUPES et Écolo-NUPES.)

Mme la présidente.
La parole est à Mme Émilie Chandler.

Mme Émilie Chandler.
Elles s’appelaient Marie-Lise, Éléonore, Ghania. Je pourrais citer le nom de tant d’autres femmes, mais leur nombre est tel qu’il m’est impossible de le faire dans les deux minutes qui me sont imparties. Nous examinons aujourd’hui le budget consacré à la justice. Cette justice, elle doit être la même pour tous, être aussi efficace pour tous. La justice, on peut en dire ce que l’on veut : qu’elle est trop lente, trop laxiste, trop dure, ou qu’elle est tout cela à la fois. Mais il faut reconnaître une chose : la justice est une demande essentielle de nos concitoyens, en particulier lorsqu’elle concerne des événements aussi tragiques que le meurtre d’une femme par son compagnon, tout simplement parce qu’elle est une femme.
En 2022, elles sont 89 à être mortes sous les coups d’un homme. C’est autant de procédures à mener à leur terme, c’est autant de femmes qui, n’en doutons pas, ne voulaient plus vivre à genoux. C’est pour éviter que de tels drames ne se multiplient que le Président de la République a fait des violences faites aux femmes un axe essentiel de son premier quinquennat. Le budget de la justice pour 2023 connaît une hausse de 8% par rapport à 2022. C’est 710 millions d’euros en plus pour les prisons, pour les tribunaux et, surtout, pour les femmes et les hommes qui veillent chaque jour au bon fonctionnement de notre justice. Ma question est simple, monsieur le ministre. Comment intégrez-vous dans le budget pour 2023 l’enjeu des violences faites aux femmes et, au-delà, l’ensemble des violences intrafamiliales ? Quels moyens y sont dévolus ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RE.)

Mme la présidente.
La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.
Madame la députée, je veux saluer l’engagement qui est le vôtre. La lutte contre les violences intrafamiliales est un sujet majeur qui est au cœur de nos préoccupations. Nous avons formé des magistrats à cette question et le ministre de l’intérieur a souhaité qu’il en soit autant des enquêteurs. Nous avons mis en place le téléphone grave danger – à la disposition de nos juridictions – et le bracelet antirapprochement. Aujourd’hui, les ordonnances de protection sont prises en six jours. Par ailleurs, nous avons facilité l’hébergement des victimes, mais aussi celui des auteurs des violences – c’est non pas une faveur laxiste, comme le disent certains, mais une absolue nécessité. Nous avons lancé l’expérimentation du casque de réalité virtuelle pour sensibiliser les auteurs de violences et éviter les récidives.
Nous avons renforcé les lieux où une victime peut à la fois être soignée et se confier pour être prise en charge judiciairement. Le budget pour la protection des victimes de violences intrafamiliales a été multiplié par trois depuis 2017 et par deux depuis 2020 : 16,1 millions d’euros y seront dédiés, contre 8 millions d’euros à mon arrivée en 2020.
Voilà la réponse que je peux vous faire. Le sujet est au cœur de nos préoccupations. Je souhaite que l’on fasse plus encore et que l’on soit encore plus efficace, car c’est un enjeu sociétal absolument essentiel. (Applaudissements sur les bancs du groupe RE.)

Mme la présidente.
La parole est à M. Hubert Brigand.

M. Hubert Brigand.
On a beaucoup parlé des 15 000 places de prison – les mêmes, je pense, qu’il y a deux, cinq, dix ou quinze ans. En ce qui me concerne, je passe mon temps à manifester dans les territoires où, de façon autoritaire, le ministère veut imposer des prisons sans concertation. Il y a des manifestations, on bloque les rues, des conseillers municipaux démissionnent ou déposent des recours ; si bien que, entre le moment où le ministère décide autoritairement d’installer une prison et celui où elle ouvre, il peut se passer dix ans.
Je passe également du temps à manifester dans des territoires qui veulent, eux, des prisons, et auxquels on explique : « Ah, non, vous comprenez, vous n’y avez pas droit, ce n’est pas possible chez vous » avec des critères très contestables. Non, on ne comprend pas : nous nous battons pour en avoir, et d’autres se battent pour le contraire ! Je trouve cela dommage. Ma circonscription souhaite clairement accueillir un établissement pénitentiaire, ce qui devrait faciliter les démarches.

M. Patrick Hetzel, rapporteur spécial.
La mienne aussi. On attend toujours !

M. Hubert Brigand.
Vous avez vos critères et les élus locaux ont les leurs. Ma question est donc la suivante : que comptez-vous faire pour ouvrir le dialogue afin d’installer des prisons de manière concertée dans des territoires qui sont prêts à les accepter ? (Applaudissements sur quelques bancs des groupes LR, RE et HOR.)

Mme la présidente.
La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.
Il est compliqué d’implanter une prison car les plus grands demandeurs de sécurité ne sont pas toujours prêts à offrir un terrain. Vous n’imaginez pas combien de temps j’ai passé à trouver les terrains nécessaires ! Nous les avons, maintenant, et le programme 15 000 suit son cours ; j’ai passé une partie de mon été à visiter des chantiers et nous serons au rendez-vous de nos obligations.
Votre situation est un peu atypique. Vous proposez un terrain, mais celui-ci doit correspondre à des besoins : il doit être situé à une certaine distance du palais de justice et à proximité d’axes routiers permettant le transfèrement des détenus et la visite des familles. Ce n’est pas : " Tiens, on me propose une prison ! " Souvent, nous visons un terrain qui correspond aux critères que nous avons identifiés, mais les élus n’en ont pas envie ; il faut un certain courage citoyen pour accepter un établissement pénitentiaire.

Mme Danielle Brulebois.
Tout à fait !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.
Dans ces cas-là, l’Apij – Agence publique pour l’immobilier de la justice – se déplace pour expliquer qu’un établissement pénitentiaire sécurise davantage la commune où il est implanté, qu’il ne représente aucune perte en matière d’immobilier et que l’arrivée des détenus, et naturellement des gardiens avec leur famille, fait prospérer l’économie locale. Tout cela, nous sommes parfaitement habilités à le faire et nous le faisons ; encore faut-il que l’établissement pénitentiaire corresponde à un besoin.
Je veux rassurer la représentation nationale : les 15 000 places nettes, et même un peu plus, nous y arriverons, et les promesses du Président de la République seront respectées. C’est à la fois une question de dignité pour les détenus, une question de confort pour les agents pénitentiaires et un enjeu de sécurité car, quand les conditions sont plus dignes – ou moins indignes –, il y a moins d’insécurité au sein des prisons et l’on peut alors développer la réinsertion des détenus.
Voilà la réponse que je peux vous faire. Je me tiens naturellement à votre disposition pour vous expliquer toutes ces choses dans le détail et vous montrer précisément ce qui sort de terre, ce qui est sorti de terre et ce qui est en passe de sortir de terre. (Mme Danielle Brulebois applaudit.)

Mme la présidente.
La parole est à M. le rapporteur spécial.

M. Patrick Hetzel, rapporteur spécial.
Monsieur le garde des sceaux, vous nous dites que tout va bien, mais je voudrais tout de même insister sur la réponse au questionnaire budgétaire. La place Vendôme a reçu les questions avant le 15 juillet et la loi organique prévoit que les réponses sont à retourner pour le 10 octobre. Au 10 octobre, nous avions obtenu très précisément 20% des réponses. En outre, grâce au Gouvernement, les crédits de la mission Justice , dont la discussion était initialement envisagée pour le 4 novembre, sont examinés aujourd’hui. Encore une fois, vous faites travailler le Parlement dans des délais extrêmement courts : certaines réponses nous sont parvenues samedi soir, pour un rapport à rendre pour mardi. Alors, vraiment, le respect du Parlement de la part de la Chancellerie, on peut en parler !
Je voudrais maintenant évoquer un élément très factuel. Aujourd’hui, vous deviez être à Saint-Nazaire pour visiter un centre éducatif fermé ; en raison du chamboulement de l’agenda voulu par le Gouvernement, vous êtes aujourd’hui au banc. Eh bien, aujourd’hui, au tribunal de Saint-Nazaire, les quelque trente-cinq agents du personnel de greffe vont accrocher leur robe noire dans la salle des pas perdus du tribunal. Savez-vous pourquoi ? Parce qu’il y a un décalage énorme entre ce que vous dites à la tribune et ce qui se passe dans les tribunaux. Depuis septembre 2021, le personnel de greffe de ce tribunal a connu quatre détachements, deux démissions, un départ en retraite : sept postes qui ne sont toujours pas remplacés. Les postes existent, mais ils ne sont pas remplacés ! À l’application des peines, il y a deux greffiers à 50 % alors qu’ils devraient être deux à 100% ; à l’exécution des peines, il y a un greffier à 80% au lieu de deux greffiers à 100%. Ils travaillent dans l’urgence en permanence. Pourtant, la vie des gens est en jeu.
Monsieur le garde des sceaux, que faites-vous pour traiter les problèmes concrets ? On le sait, vous avez l’habitude des effets de manche, mais l’écart avec la réalité est abyssal. On a l’impression que ça n’imprime pas. Ce qui est incroyable, c’est qu’avec vous, moins devient plus. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe RN.)

Mme la présidente.
La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.
Il est caricatural de m’attribuer des propos selon lesquels tout irait bien. Si tout allait bien, j’aurais accompli une mission au-delà des espérances humaines et politiques qui sont les miennes et je ne serais plus membre du Gouvernement. Cette caricature, cette provocation m’étonne de votre part et ne fait pas avancer le débat.

Mme Marine Hamelet.
C’est la réalité !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.
Les 720 magistrats, les 850 greffiers, les 2 000 contractuels que nous avons embauchés sont arrivés dans les juridictions. Ils ont permis une baisse importante – 30% en moins – des stocks sur le plan national. Ne dites pas que tout cela n’est rien. Évidemment, vu les plans d’embauche qui étaient les vôtres, je comprends que vous tentiez d’expliquer à vos électeurs que le personnel que nous avons embauché ne sert strictement à rien. C’est d’ailleurs un peu injurieux à leur égard.
Effectivement, j’étais censé aller à Saint-Nazaire. Cela veut dire que je vais sur le terrain, que je rencontre les gens et que je les entends.

M. Patrick Hetzel, rapporteur spécial.
Heureusement !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.
Je n’ai jamais dit que tout était réglé ; si tout était réglé, je ne me serais pas battu pour obtenir un budget historique pour la troisième année consécutive. Ma réponse, monsieur Hetzel, c’est le budget : que vous le vouliez ou non, plus n’est pas égal à moins.
Je veux bien que personne ne salue ces efforts, qu’on trouve que c’est de la poloche. Mais en comparaison avec ce qui a été fait avant, nous n’avons pas à rougir. Je ne fais pas dans la forfanterie, dans le culturisme en disant : " Tout est réglé. " Je n’ai jamais dit cela, parce que ce n’est pas vrai. Si tel était le cas, je n’aurais pas mis en place les états généraux de la justice et le Président de la République n’aurait pas annoncé un plan d’embauche de 10 000 personnes pour concrétiser ce qui a été l’un des engagements forts de sa campagne présidentielle. On n’est pas obligé de caricaturer. Quand le budget augmente, on peut s’arrêter une toute petite seconde pour dire : " Au fond, ce n’est pas mal. " Qu’il y ait des divergences entre nous, c’est bien normal dans une démocratie, mais on ne peut pas dire que nous n’avons pas fait les efforts que nous avons faits. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes RE et HOR.)


source https://www.assemblee-nationale.fr, le 3 novembre 2022