Texte intégral
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, rejeté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 (projet n° 71, texte de la commission n° 87, rapport n° 86, avis n° 73).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, monsieur le ministre, cher Gabriel Attal, mesdames, messieurs les sénateurs, je m’exprime devant vous dans un contexte économique difficile, marqué par de fortes incertitudes : des incertitudes géopolitiques, liées à la guerre en Ukraine ; des incertitudes liées à la politique protectionniste de certains de nos partenaires, comme la Chine ou les États-Unis, ces derniers ayant adopté l’Inflation Reduction Act, qui pèse aujourd’hui sur nos industries et implantations industrielles ; des incertitudes liées à la forte volatilité des prix du gaz, qui, après avoir été multipliés par cinq ou dix, a baissé de près de 50% en quelques semaines.
Mais ce qui touche le plus nos compatriotes, c’est l’inflation résultant de ces incertitudes. L’inflation a atteint des niveaux inédits depuis quarante ans dans l’Union européenne. Je voudrais que chacun d’entre nous prenne conscience de la réalité de l’inflation dans les autres pays européens : 22% dans les pays baltes, 17% aux Pays-Bas, 11% en Allemagne.
De ce point de vue, la France résiste mieux que ses voisins, grâce au choix stratégique fait au mois d’octobre 2021 de mettre en place d’un bouclier énergétique sur le gaz et l’électricité. La France conserve ainsi le taux d’inflation le plus faible de la zone euro, à près de 6%.
La France résiste aussi économiquement. Nous avons réalisé 0,2 point de croissance au troisième trimestre 2022. L’investissement des entreprises a aussi progressé de 2,3%, contre 0,8% au deuxième trimestre. Il continue de progresser dans l’aéronautique, dans l’automobile et dans l’informatique.
Je ne sous-estime pas les difficultés économiques, mais je ne voudrais pas que nous cédions au pessimisme ou à l’autoflagellation. Notre économie dépend des circonstances internationales, mais elle est aussi affaire de détermination, de stabilité des choix de politique économique réalisés depuis près de six dernières années et de notre vision de long terme d’une économie compétitive, innovante et décarbonée.
Dans ces circonstances, nous avons une priorité : protéger nos compatriotes contre l’inflation et faire baisser celle-ci, pour la ramener, dans les meilleurs délais possible, à un niveau plus raisonnable.
Comment y parvenir ? D’abord, il convient de garantir – c’est une nécessité absolue – une bonne coordination de la politique monétaire et de la politique budgétaire.
À l’échelon national, nous ne pouvons pas avoir une politique monétaire restrictive et une politique budgétaire expansionniste. C’est pourquoi nous avons décidé, avec la Première ministre, de mettre en place des aides ciblées pour les entreprises contre l’augmentation des prix du gaz et de l’électricité. Ces aides, à hauteur de 10 milliards d’euros, sont intégralement financées soit par les 3 milliards d’euros déjà prévus dans le plan de résilience, soit par les 7 milliards d’euros de recettes supplémentaires du prélèvement sur les rentes inframarginales des entreprises énergéticiennes. Ces aides sont donc plafonnées, pour ne pas exposer le budget de l’État à la volatilité des prix du marché. C’est une décision non seulement protectrice, mais aussi responsable du point de vue des finances publiques, afin d’éviter une divergence entre politique monétaire et politique budgétaire.
Idem à l’échelon européen : nous devons coordonner nos politiques budgétaires pour garantir des niveaux de soutien comparables face à l’inflation. Regardez ce qui s’est passé en Grande-Bretagne ! Cela doit nous servir de leçon ! Tout n’est pas possible ! On peut toujours promettre à nos compatriotes de dépenser 7 %, 8 % ou 10 % de notre PNB pour lutter contre l’inflation, le résultat, c’est la sanction immédiate des marchés, l’envolée des taux d’intérêt et la nécessité de revenir en arrière.
Avec le Président de la République, nous préférons aller de l’avant, coordonner nos réponses de politique budgétaire. Je le rappelle, contrairement à ce que j’entends trop souvent dire, le niveau de soutien, en France, des citoyens et des entreprises est parfaitement comparable à celui des autres grands pays de la zone euro, de l’ordre de 4% à 5% du PIB sur la période 2021-2023. Cette coordination préserve la force de notre réponse et évite une fragmentation de la zone euro.
Ensuite – c’est la deuxième nécessité, qui n’est pas la plus simple à faire comprendre, mais qui est la plus courageuse et la plus responsable –, il faut éviter la spirale inflationniste qui avait été provoquée dans les années 1970 par une augmentation générale des salaires totalement découplée de la productivité du travail. C’est très bien de promettre l’indexation des salaires sur l’inflation ! Je le sais, nombre de nos compatriotes souhaiteraient aujourd’hui avoir des salaires plus élevés.
Le Président de la République a fermé la porte à une telle indexation générale. Je le crois profondément, c’est une décision courageuse et responsable. Elle nous évitera, demain, bien des déboires comme ceux que nous avons connus dans les années 1970.
En effet, l’indexation générale des salaires sur les prix, sans considération de la productivité du travail, conduit à une nouvelle réduction de la marge des entreprises. Cette perte serait ensuite répercutée sur les prix, qui augmenteraient. C’est une spirale sans fin : augmentation des salaires, puis augmentation des prix, puis nouvelle augmentation des salaires et nouvelle augmentation des prix. Nous refusons, en responsabilité, d’entrer dans une telle spirale inflationniste.
Nous serions perdants sur tous les tableaux. Nous aurions une inflation hors de contrôle, alors même que notre objectif stratégique est de revenir à des niveaux raisonnables d’inflation pour protéger les plus modestes et les entreprises les plus fragiles. Nous décrocherions en termes de compétitivité, au moment même où, grâce aux efforts constants que nous menons depuis plusieurs années, nous retrouvons notre compétitivité. Nous ruinerions tous les efforts de réindustrialisation, qui ont donné des résultats sur l’emploi, l’attractivité et l’investissement, depuis six ans.
Est-ce que cela signifie pour autant que nous devrions abandonner l’idée d’une meilleure rémunération du travail ? Certainement pas ! Mais faisons la différence entre les promesses démagogiques d’indexation générale des salaires sur les prix et le choix responsable, qui est celui de notre majorité, de garantir une meilleure rémunération du travail.
Cette dernière concerne d’abord les plus modestes, grâce à l’indexation existante du Smic, qui a augmenté de 8% en un an. Les salariés les plus modestes sont donc protégés contre l’inflation.
Au-delà, je l’ai dit à de multiples reprises depuis plus de trois ans, avant même que l’inflation ne revienne, les entreprises qui le peuvent doivent augmenter les salaires. D’ailleurs, à en juger par les chiffres, nombre d’entre elles le font depuis plusieurs mois. Il faut continuer à travailler sur un meilleur partage de la valeur entre capital et travail. Car c’est le vrai débat, le débat juste. Quand nous poussons à l’intéressement et à la participation, notamment grâce à la suppression de la taxe de 20% sur l’intéressement, à la facilitation d’accords d’intéressement pour les plus petites entreprises, à la mise en place d’une prime défiscalisée jusqu’à 6 000 euros, ou à la facilitation de l’accès à l’actionnariat salarié, qui a fortement augmenté depuis cinq ans, nous garantissons un meilleur partage de la valeur entre le travail et le capital, au profit du travail. Tel est le fil rouge de la meilleure rémunération du travail. Tel est le vrai fil rouge de la justice sociale. Il s’agit non pas d’argent distribué gratuitement, mais d’argent résultant du travail, de la production et de la compétitivité retrouvée de nos entreprises.
C’est la raison pour laquelle nous devons avancer plus rapidement avec les partenaires sociaux sur notre proposition de dividende salarié, qui doit donner rapidement des résultats concrets. Une entreprise qui distribue des résultats à ses actionnaires doit aussi distribuer des salaires à ses employés. Tel est le sens du dividende salarié proposé par le Président de la République. Il s’agit d’une nouvelle illustration de notre volonté de mieux partager la rémunération du travail et du capital.
La troisième réponse pour lutter contre l’inflation, au-delà de la coordination de la politique monétaire et budgétaire et de la rémunération du travail grâce à un meilleur partage de la valeur, c’est l’investissement de long terme dans l’énergie. En effet, 60% de l’inflation est importée, due à la flambée du prix des énergies fossiles, qui représentent encore, je le rappelle, les deux tiers de la consommation d’énergie dans notre pays. Si nous voulons réduire l’inflation, il faut renforcer notre indépendance, notamment énergétique.
En effet, ne nous y trompons pas ! L’inflation, en Europe, se traduit par un transfert massif de richesse des pays européens vers les pays producteurs d’énergie fossile. Nous n’avons pas vocation à financer les pays producteurs d’énergies fossiles. Nous avons vocation à investir dans le renouvelable et l’énergie nucléaire, comme l’a proposé et décidé le Président de la République.
Un budget, ce sont aussi des constantes, qui font la force d’une politique. Je m’apprête à les réaffirmer ici, même si je sais que nous aurons, dans les jours qui viennent, un vrai débat sur ces sujets.
La première de nos constantes, c’est le renforcement de l’appareil productif et, donc, la baisse des impôts. Je connais les doutes qui se sont manifestés dans cette assemblée – nous en avons discuté avec un certain nombre de présidents de groupe –, à l’égard d’une nouvelle baisse des impôts de production, notamment la suppression en deux temps de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), après une première baisse de 10 milliards d’euros des impôts de production, qui nous a permis de revenir à près de 2 points d’écart avec l’Allemagne, alors que nous avions auparavant 3 points d’écart.
Certains ont exprimé des doutes. Je continue à être profondément convaincu de la nécessité d’une nouvelle baisse des impôts de production, de 4 milliards d’euros en 2023 et de 4 milliards d’euros en 2024.
À l’appui de cette conviction, je voudrais rappeler des faits simples. La situation de l’économie française depuis trente ans se caractérise – hélas ! – par le niveau d’impôts le plus élevé de tous les pays de la zone euro et le niveau d’industrialisation le plus faible de tous les pays de la zone euro. C’est ce contre quoi je continuerai de me battre. C’est ce contre quoi nous nous battrons inlassablement, avec toute la majorité. La France n’a pas vocation à avoir une industrie faible et des impôts élevés. Je préférerais qu’elle ait des impôts plus faibles et une industrie plus forte. C’est le sens de la baisse des impôts de production. C’est le sens de la baisse, en deux fois, de la CVAE. Cela doit nous permettre de poursuivre la réindustrialisation du pays. Car il n’y aura pas de réindustrialisation avec un écart d’imposition aussi important par rapport à nos grands partenaires européens.
Certains disent qu’il est trop tôt pour continuer la baisse des impôts de production. Mais, à mon avis, ce sont les mêmes qui diront demain que c’est trop tard ! Certains disent que c’est un cadeau fait aux entreprises. Mais ce sont les mêmes qui viennent pleurer dans mon bureau en regrettant que nos industries ne soient pas suffisamment compétitives. Certains disent qu’il faut protéger les collectivités locales. Mais ce sont les mêmes qui essayent d’attirer, à juste titre, sur leurs communes ou dans leurs départements des entreprises industrielles pourvoyeuses d’emploi, de richesses et de prospérité pour leur territoire.
Certains me disent que la bonne direction serait d’augmenter les impôts au nom de la justice fiscale. Je tiens à leur rappeler que, malgré les efforts menés avec constance depuis six ans, avec cette majorité et le Président de la République, malgré la baisse de 10 milliards d’euros sur les impôts de production, malgré la baisse des impôts sur les sociétés, qui ont été ramenés de 33,3% à 25%, malgré la baisse des impôts sur le revenu, malgré la suppression de la taxe d’habitation, malgré la suppression de la redevance audiovisuelle, malgré une baisse générale des impôts de près de 50 milliards d’euros au cours des cinq dernières années, nous restons le pays dont le taux de prélèvement obligatoire est le plus élevé des pays européens, derrière le Danemark. C’est vous dire à quel point notre marge de manœuvre en matière de baisse d’impôts et de compétitivité fiscale est grande !
Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis le premier défenseur de la justice fiscale. Mais je souhaite aller chercher l’argent là où il se trouve, c’est-à-dire non pas dans la poche des Français, mais auprès des géants du numérique. Ces derniers doivent désormais payer une taxe sur les activités digitales, qui nous rapporte cette année 660 millions d’euros. La France a été la première à mettre en place une telle mesure.
Je pense également à la mise en place de la taxation minimale de l’impôt sur les sociétés, pour éviter toute optimisation fiscale. Si nous ne réussissons pas à adopter une telle mesure d’ici à la fin de l’année à l’échelon européen, nous l’instaurerons à l’échelon national au début de l’année 2023.
Aller chercher l’argent là où il se trouve, c’est aussi refuser les rentes des énergéticiens, avec la mise en place d’un prélèvement obligatoire qui nous rapportera l’année prochaine 26 milliards d’euros.
Je suis pour la justice fiscale, mais je ne suis pas pour qu’on augmente les impôts des Français. Je considère que ces deux aspects sont parfaitement compatibles.
La deuxième constante, c’est la maîtrise de la dépense publique, comme le rappellera tout à l’heure le ministre des comptes publics. Cette loi de programmation des finances publiques doit nous permettre de revenir sous la barre des 3 % du PIB en 2027. Je compte sur la grande sagesse des sénatrices et sénateurs pour éviter les dérapages à 15 milliards d’euros de dépenses supplémentaires qui ont été proposés à l’Assemblée nationale.
De tels dérapages témoignent d’une indifférence totale soit à la bonne tenue des finances de la Nation, soit, ce que je ne peux croire, à la vie de nos compatriotes. En effet, je le rappelle, ces 15 milliards d’euros ont été gagés sur le bouclier électricité. Ainsi, si ces 15 milliards d’euros étaient financés par la suppression d’une partie du bouclier énergétique, cela signifierait une augmentation de 40% du prix de l’électricité et une hausse de la facture de près de 600 euros par an, en moyenne, pour les ménages français. Ni l’indifférence à la bonne tenue des finances de la Nation ni l’indifférence à la vie de nos compatriotes ne sont acceptables et ne correspondent aux orientations de notre majorité.
La troisième constante de notre politique budgétaire, c’est notre engagement européen. De ce point de vue, je compte sur vous, mesdames, messieurs les sénateurs, pour que nous trouvions ensemble un accord sur la loi de programmation des finances publiques.
Selon moi, il est bon, pour la nation française, d’avoir de la visibilité sur les finances publiques à un horizon de cinq ans. Il est bon, pour nos partenaires européens, de savoir que les finances publiques de la France, deuxième économie de la zone euro, sont bien tenues. Il est bon de prendre des engagements, qu’il s’agisse de la réforme de la structure de l’assurance chômage ou des retraites. Il est rassurant pour nos compatriotes et nos entrepreneurs de savoir où nous allons, quand commencera la baisse de la dette publique, pour atteindre les 3 % de déficit public. La seule garantie législative que nous ayons pour donner une visibilité à nos compatriotes sur les finances publiques, c’est la loi de programmation des finances publiques.
Votre proposition consiste à aligner la baisse des dépenses publiques de l’État sur celle des collectivités locales, soit -0,5% en volume. C’est une proposition qui est juste.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances, rapporteur. Elle est honnête !
M. Bruno Le Maire, ministre. Et elle est en effet honnête.
Vous avez proposé une réduction des dépenses de 37 milliards d’euros. Disons que c’est ambitieux, très ambitieux… Mais je suis certain que notre travail en commun devrait permettre de faire émerger des propositions réalistes et concrètes et de trouver, du moins je l’espère, un compromis sur cette loi de programmation des finances publiques, dont je persiste à penser qu’elle est rassurante pour nos compatriotes, rassurante pour nos partenaires européens et responsable du strict point de vue de la bonne tenue de nos finances publiques. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, monsieur le ministre, cher Bruno Le Maire, mesdames, messieurs les sénateurs, le 25 octobre dernier, ce projet de loi de programmation des finances publiques a été rejeté par l’Assemblée nationale.
Ce jour-là, j’ai pris acte du choix souverain des députés. Mais je n’ai pas pu m’empêcher d’exprimer une conviction que je veux partager avec vous aujourd’hui.
Nous pouvons avoir des désaccords, et il est d’ailleurs normal, sain, que les groupes politiques n’aient pas la même analyse de ce qu’il convient de faire pour les cinq prochaines années. Oui, nous pouvons avoir des désaccords sur l’évolution des dépenses ou sur la manière dont les collectivités territoriales contribuent à l’effort de maîtrise. Sur ce point, j’ai relevé qu’un certain nombre d’amendements avaient été adoptés en commission des finances.
Pour autant, il me semble que laisser notre pays sans cadre et sans trajectoire écornerait profondément sa crédibilité, notamment à l’égard de nos partenaires européens. Ce n’est ni une menace ni un épouvantail. C’est simplement le rappel d’un principe de réalité, et même d’un principe de bon sens. Qui peut croire que notre pays se porterait mieux parce que nous aurions décidé d’avancer sans balises ou sans points de repère ? Qui peut croire que le rejet du sérieux budgétaire est une réponse aux problèmes que nous devons résoudre ? Qui peut croire que notre pays serait plus fort ou plus libre parce qu’il aurait renoncé à la maîtrise de ses finances publiques, à plus forte raison dans le contexte que nous connaissons, marqué à la fois par la hausse des prix et par la hausse des taux !
La réalité, la responsabilité, le bon sens, votre assemblée en a de nouveau fait preuve, en adoptant jeudi dernier en commission des finances une loi de programmation des finances publiques, dont nous sommes saisis aujourd’hui. J’observe qu’une question préalable a été déposée par le groupe CRCE. Je formule le souhait qu’elle ne soit pas adoptée, dans la mesure où nous avons besoin de ce cadre pour les années à venir. C’est un enjeu de crédibilité pour notre pays.
Contrairement à ce que j’ai pu entendre, ce projet de loi de programmation est non pas un carcan, mais un cadre. Il s’agit de rappeler les objectifs que nous avons fixés et les engagements que nous avons pris devant les Français durant la campagne présidentielle.
Ces engagements sont clairs : ramener le déficit public sous la barre des 3% du PIB d’ici à la fin du quinquennat et stabiliser notre endettement public à partir de 2026.
Cette trajectoire est crédible, d’autant plus qu’elle est déjà engagée. Le déficit public était de 9% en 2020. Nous l’avons ramené à 6,5% en 2021, et il devrait s’établir à 4,9% cette année, soit 0,1 point de mieux que la prévision réalisée au mois de juillet dernier. J’aurai l’occasion d’y revenir demain, puisque je serai auditionné par la commission des finances sur le deuxième projet de loi de finances rectificative pour 2022.
Cette trajectoire, qui est déjà engagée, ne peut pas être différée. En tant que ministre des comptes publics, j’ai le devoir de rappeler que l’effort de maîtrise de nos comptes ne peut pas être remis à plus tard.
Quand un pays comptabilise plus de 3 000 milliards d’euros de dette, plus tard, c’est trop tard. Quand les taux d’intérêt remontent, plus tard, c’est trop tard. Quand la charge de la dette augmente – elle sera de 51 milliards d’euros l’année prochaine –, plus tard, c’est trop tard.
Oui, nous devons poursuivre l’effort de maîtrise des dépenses publiques. Il s’agit non pas de mettre en œuvre un programme d’austérité, mais simplement d’éviter le dérapage et de fixer un cadre d’évolution de la dépense.
J’ai bien conscience que la majorité sénatoriale souhaite que nous allions plus loin s’agissant de la maîtrise des dépenses de l’État. À cet égard, des amendements ont été présentés et adoptés en commission des finances sur les articles 2, 3 et 4 pour que l’effort réalisé par les administrations centrales sur les dépenses soit aligné avec celui qui est proposé pour les collectivités territoriales, soit une baisse annuelle de 0,5% en volume.
Bruno Le Maire l’a dit à l’instant, nous sommes ouverts à ce qu’il y ait parité dans l’effort. Il était en effet prévu un effort de 0,4% pour l’État et de 0,5% pour les collectivités locales.
Vous avez adopté, mesdames, messieurs les sénateurs, un amendement visant à exclure une grande partie des dépenses de l’État prises en compte dans le cadre de la maîtrise des dépenses publiques. Il s’agit d’un agrégat excluant la charge de la dette, ainsi que toutes les mesures de soutien, notamment économiques et sanitaires.
Bien entendu, nous sommes ici pour discuter de la trajectoire. C’est même l’objet de ce débat ! Mais je veux simplement préciser que cela représenterait une baisse supplémentaire de dépenses de l’ordre de 37 milliards d’euros à l’horizon de 2027 par rapport à la trajectoire que nous avons présentée ; cela ramènerait le solde de fin de quinquennat de 2,9% à 1,7%. Nous aurons ce débat dans un instant, mais permettez-moi simplement de dire qu’un tel ajustement doit pouvoir être atteint de manière crédible. Il faudrait en effet trouver 37 milliards d’euros d’ici à 2027 et 25 milliards d’euros d’ici à 2025 !
L’article 12 prévoit l’évolution des dépenses pour les grandes missions budgétaires de l’État dans les trois années à venir. Par cohérence, si votre assemblée décidait un effort supplémentaire de 25 milliards d’euros à l’horizon 2025, cet article devrait être amendé, pour préciser où ces 25 milliards d’euros devraient être pris. Sur la défense ? Sur l’éducation nationale ? Sur la transition écologique ? Nous pouvons avoir ce débat. Il s’agit d’économies importantes. Toutefois, nous sommes ouverts à cette proposition, pour montrer que l’État est prêt à faire encore plus d’efforts.
Le Gouvernement a déposé des amendements visant à rétablir les articles 2, 3 et 4 dans leur version originelle. Nous estimons que la trajectoire figurant dans cette loi de programmation des finances publiques permet une maîtrise de la progression des dépenses, dans un cadre soutenable. Une politique d’austérité trop brutale qui sabrerait les services publics dans les prochaines années aurait des conséquences trop importantes sur la vie quotidienne des Français, rendrait difficiles la conduite de la Nation et, donc, l’activité économique.
Au cours de ce débat, nous ferons preuve d’ouverture s’agissant du rehaussement de cette trajectoire, qui n’a rien d’intangible ! Bruno Le Maire l’a dit, nous chercherons toujours à trouver un compromis lors des différentes étapes de l’examen de ce texte. Toutefois, nous ne pourrons pas adhérer à un objectif à nos yeux totalement inatteignable, sauf à faire des choix qui seraient dommageables pour nos services publics ou qui reviendraient à pratiquer une forme d’austérité.
Je le disais voilà une minute, nous proposons le sérieux : nous ne voulons ni de la gabegie ni de l’austérité.
J’en reviens donc à la première conviction que je veux partager avec vous aujourd’hui : ce projet de loi de programmation des finances publiques est un élément central de la crédibilité non seulement du Gouvernement, mais aussi de la France. Il s’agit de notre crédibilité à l’égard de nos partenaires européens, puisque nous traduisons dans ce texte les objectifs fixés dans le programme de stabilité que je vous ai présenté début août. Il s’agit aussi de notre crédibilité à l’égard des investisseurs et des agences de notation, dans un contexte de remontée des taux d’intérêt en France comme chez nos voisins. En la matière, chacun doit le mesurer, nous avons changé d’époque : voilà encore seulement un an, nous empruntions à taux nul. Désormais, le taux d’intérêt sur les obligations assimilables du Trésor (OAT) à dix ans oscille entre 2,5% et 3%.
La crédibilité de notre pays, sa capacité à honorer ses engagements, je sais que vous y êtes attachés autant que nous. Je n’emploierai donc jamais cet argument comme une parade, comme une manière d’esquiver le débat ou de laisser entendre qu’il faudrait accepter ce texte sans modification. Je le sais bien, nous avons des points de désaccord, notamment sur la manière dont les collectivités territoriales doivent contribuer à l’effort de maîtrise. Je n’esquive pas ce débat, sur lequel je reviendrai dans un instant. Je veux simplement vous dire que la discussion qui commence aujourd’hui doit nous permettre de doter la France d’une loi de programmation. C’est notre responsabilité et notre devoir, car la situation inverse aurait pour seul effet d’affaiblir le pays.
La deuxième conviction que je veux partager avec vous, c’est que cette trajectoire des finances publiques est aussi un contrat que le Gouvernement passe avec le Parlement, donc avec les Français qui y sont représentés. Ce texte doit être un texte pour le Parlement, pour partager un cap, pour mieux piloter les finances publiques, pour s’assurer que les lois de finances annuelles sont en cohérence avec la trajectoire que le Gouvernement propose.
Je veux d’ailleurs le rappeler, la nouvelle version de la Lolf, la loi organique relative aux lois de finances, issue de la révision dite Woerth-Saint-Martin, donc d’une initiative parlementaire, a renforcé la portée de la loi de programmation pluriannuelle. Ainsi, le Gouvernement doit désormais justifier devant le Haut Conseil des finances publiques les éventuels écarts par rapport à la trajectoire pluriannuelle de la loi de programmation des finances publiques, en amont du dépôt du projet de loi de finances de l’année.
Pour dire les choses simplement, il me semblerait un peu baroque que le Parlement, après avoir à juste titre œuvré pour renforcer son pouvoir de contrôle, se prive d’un important instrument de ce contrôle.
Je dis une chose simple, si l’on veut passer du " quoi qu’il en coûte " au " combien ça coûte ", comme nous le souhaitons tous, il faut renforcer la capacité du Parlement à évaluer les dispositifs. Je sais que vous partagez ce constat, et les travaux que vous avez conduits en commission des finances en témoignent.
Le texte prévoit – c’est son article 7 – le bornage à quatre ans des dépenses fiscales. J’ai noté l’adoption en commission des finances d’un amendement du groupe SER visant à ramener ce bornage à trois ans.
L’article 15 dispose : " Les créations, extensions ou prolongations d’un dispositif d’aides aux entreprises instaurées après le 1er janvier 2023, ne sont applicables que pour une durée précisée par le texte qui les institue, dans la limite de cinq ans. " Cet article prévoit aussi la remise systématique d’une évaluation. Là encore, il s’agit de renforcer le rôle du Parlement dans sa capacité à contrôler le pilotage des finances publiques par l’État.
Le texte prévoit – c’est son article 21 – des " évaluations de la qualité de l’action publique, dont les conclusions sont transmises au Parlement au plus tard le 1er avril de chaque année ". À cet égard, un amendement adopté sur l’initiative du rapporteur général vise à introduire un certain nombre de précisions pour renforcer l’information, donc la capacité de contrôle du Parlement.
Je le disais, nous ne pouvons pas différer l’effort de maîtrise de nos finances publiques.
Y parvenir suppose de partager un même sentiment de responsabilité : responsabilité à l’égard de notre pays, de sa crédibilité, de sa capacité d’action et de son indépendance.
Y parvenir suppose aussi de répartir l’effort entre l’ensemble des administrations publiques : l’État et ses opérateurs, la sécurité sociale et les collectivités territoriales.
L’article 23, qui tend à préciser les modalités de respect de l’objectif d’évolution des dépenses locales (Odedel) fixé à l’article 16, a fait l’objet d’un amendement de suppression lors de l’examen du texte en commission des finances. Cet amendement de suppression n’a pas été uniquement défendu par le rapporteur général, mais il a été soutenu aussi par un certain nombre de groupes d’opposition. J’en prends acte tout en rappelant que ce mécanisme constitue, à mes yeux, une solution d’équilibre pour que les collectivités territoriales contribuent de façon juste, équitable et équilibrée à l’effort collectif.
Vous le savez, les associations d’élus nous ont toutes fait savoir qu’elles ne souhaitaient pas la reconduction à l’identique des contrats de Cahors. Cette forme de contractualisation avait succédé en 2017 aux baisses massives de la dotation globale de fonctionnement (DGF) et était vécue par beaucoup comme une mise sous tutelle. Nous avons donc abandonné les contrats de Cahors et nous avons tourné la page. À l’issue d’une très longue concertation avec les associations d’élus, menée avec mes collègues Christophe Béchu et Caroline Cayeux, nous avons proposé les pactes de confiance.
À ceux qui pensent qu’il ne s’agit que d’un glissement sémantique, je dis : regardez les déclarations des associations d’élus. Certes, toutes les associations d’élus n’ont pas applaudi des deux mains la mise en place des pactes de confiance. Mais un certain nombre d’entre elles ont soutenu la logique qui les sous-tendait. Je peux mentionner les représentants des intercommunalités, qui ont clairement exprimé que les pactes de confiance tournaient la page des contrats de Cahors, ou l’Assemblée des départements de France, dont le président, François Sauvadet, a affirmé : " Nous sommes prêts à une participation de tous les départements à la trajectoire en volume et non en valeur avec une réduction de nos dépenses de 0,5% par rapport au niveau d’inflation. […] Je pense que la solution à laquelle nous sommes parvenus est un effort supportable et tenable dès lors que le Gouvernement ne nous met pas de dépenses supplémentaires sur le dos. " En d’autres termes, François Sauvadet est prêt à valider le dispositif des pactes de confiance dès lors que l’État s’engage à sortir des dépenses prises en compte les allocations individuelles de solidarité (AIS), qui sont des dépenses non pilotables pour les départements. Je me suis engagé devant l’Assemblée nationale à ce que les AIS ne figurent pas dans les dépenses prises en compte pour le mécanisme de l’article 23.
Une large majorité dans cet hémicycle considère qu’il faut abandonner tout mécanisme tendant à corriger des dérapages. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’article 23 a été supprimé en commission.
Là-dessus, je vais vous dire notre conviction : ce dispositif, quand bien même il serait adopté par le Parlement, ne serait probablement pas activé. J’ai rencontré les représentants des associations d’élus et des collectivités locales : ils sont parfaitement lucides et conscients de la situation budgétaire de notre pays, ainsi que de leur capacité à maîtriser leurs dépenses. Pour autant, prévoir en cas de dérapage un cadre pour les 500 plus grandes collectivités de notre pays afin de leur permettre de revenir vers une trajectoire plus soutenable me semble être une mesure de crédibilité vis-à-vis de celles et ceux qui nous regardent aujourd’hui.
Je ne partage donc pas l’idée selon laquelle la suppression de l’article 23 serait justifiée. La vocation d’un tel dispositif n’est pas de punir ou d’infantiliser. L’objectif est de nous donner un cadre et un objectif de maîtrise des dépenses de fonctionnement, non pour entraver les collectivités, mais, au contraire, pour les aider à dégager de la capacité d’autofinancement pour investir.
Oui, nous pensons toujours que le mécanisme proposé à l’article 23 est juste et pertinent. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement a déposé un amendement visant à rétablir cet article. Nous aurons bientôt l’occasion d’en discuter de façon plus approfondie.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, les quelques réflexions que je voulais partager avec vous avant d’entamer l’examen de ce projet de loi de programmation des finances publiques. En somme, nous pouvons avoir des divergences sur les paramètres, sur les points de passage ou sur la manière dont chaque catégorie d’administration publique doit contribuer à l’effort collectif. Mais nous devrions tous nous entendre sur le fait que la sixième puissance mondiale ne peut pas se dérober à ses obligations de sérieux budgétaire. À en juger par les discussions que nous avons eues ensemble et par les travaux qui ont eu lieu en commission des finances, il me semble que nous nous retrouverons autour de cet objectif. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
(…)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Gabriel Attal, ministre délégué. Madame la présidente, peut-être devrais-je demander une suspension de séance pour lire ce livre avant de répondre aux orateurs. (Sourires.)
En tout cas, je souhaite remercier de ce riche débat l’ensemble des sénateurs qui se sont exprimés. Je sais que la discussion va se poursuivre lors de l’examen des amendements.
Je veux d’abord retenir le fait qu’une majorité d’orateurs souscrivent à l’objectif d’assainissement de nos finances publiques et de retour à une trajectoire budgétaire plus maîtrisée.
Ensuite, il y a effectivement un débat sur le rythme. Pour notre part, nous prévoyons une stabilisation de la dette en 2026 et un retour du déficit sous les 3% à l’horizon 2027. C’est ce que nous avions annoncé pendant la campagne présidentielle.
Plusieurs orateurs ont estimé qu’un tel calendrier nous plaçait en queue de peloton en termes de calendrier ; Mme Lavarde a parlé de mauvais élève. Il est vrai que les autres pays européens qui sont dans notre situation affichent, dans les programmes de stabilité publiés au printemps 2022, un retour sous les 3 % pour 2025 ; c’est par exemple le cas de l’Espagne. Il faudra tout de même suivre l’évolution de cette trajectoire lors des prochains programmes de stabilité que ces pays présenteront, d’autant que, depuis le printemps, nombre de gouvernements ont annoncé des mesures pour lutter contre les effets de l’inflation, en particulier via des boucliers tarifaires. Nous verrons s’ils prévoient toujours les mêmes calendriers.
Nous assumons de privilégier un retour maîtrisé, planifié, sous les 3% plutôt que de mettre en place une politique brutale d’austérité budgétaire. Nous tirons ainsi les enseignements de ce qui s’est fait à la suite de la crise financière de 2008-2010. À l’époque, en voulant rétablir trop brutalement et trop rapidement les équilibres financiers, on a cassé la dynamique de croissance et in fine créé du chômage, avec des conséquences sur le déficit, la dette et les finances publiques.
Nous assumons de dire que le rétablissement des comptes publics doit être compatible avec l’activité économique. En 2021, la croissance française a été une locomotive pour l’Europe ; en 2022, notre économie et notre croissance résistent remarquablement.
Mme Lavarde a cité les trois dimensions importantes de la croissance – la consommation, l’investissement, le commerce extérieur –, mais elle s’est peu attardée sur l’investissement. Peut-être était-ce pour éviter de mettre en avant un signe positif : le fait que l’investissement continue de progresser dans notre pays, de 2,8% au dernier trimestre selon l’Insee. Je ne dis pas cela pour le mettre au crédit du Gouvernement ; je le mets au crédit des femmes et des hommes qui entreprennent et qui investissent dans notre pays, permettant d’embaucher, de stimuler l’activité économique et, donc, de susciter des recettes.
Car oui, monsieur Féraud, nous avons assumé de baisser la pression fiscale sur les entreprises, mais nous collectons davantage de recettes fiscales de leur part depuis la diminution des taux. Depuis que nous avons réduit en cinq ans le taux de l’impôt sur les sociétés de 33% à 25%, nous en percevons davantage de recettes. Nous sommes en train de faire la démonstration qu’une surtaxation contribue à rétrécir le gâteau fiscal et qu’on peut moins taxer tout en percevant davantage de recettes !
Par conséquent, nous assumons de vouloir continuer de baisser la pression fiscale pour que l’activité économique se développe encore, nous permettant ainsi de percevoir des recettes supplémentaires.
La majorité sénatoriale défend une autre ligne : aller beaucoup plus vite dans le rétablissement des comptes.
M. Jean-François Husson, rapporteur. Pas " beaucoup " plus vite ! Plus vite !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. Elle préconise de revenir sous les 3 % en 2025, soit deux ans plus tôt que ce que nous avons proposé.
J’ai entendu Mme Lavarde défendre cette trajectoire. Mais je le redis : cela implique 25 milliards d’euros d’économies supplémentaires à trouver non pas en fin de période, monsieur Longuet, mais en 2025 !
L’article 12 du projet de loi fixe l’évolution des crédits des missions du budget général de l’État jusqu’en 2025. Je pense donc que la majorité sénatoriale aurait pu, par souci de cohérence, amender cet article pour montrer où précisément elle souhaite trouver les 25 milliards d’euros d’économies qu’elle annonce par ailleurs. Est-ce sur la défense ? Sur l’éducation nationale ? Sur la transition écologique ?
Je suis favorable à ce qu’on fasse le plus d’économies possible. Comme je l’ai indiqué tout à l’heure, si les travaux parlementaires sur ce texte découlent sur un compromis prévoyant une augmentation de l’effort de l’État par rapport à notre proposition initiale, j’en serai le premier ravi. Mais il faut que ce soit crédible et soutenable.
Monsieur Longuet, les différentes réformes que vous avez citées – les retraites, le RSA, l’assurance chômage, Pôle emploi, le service public de la petite enfance – ont bien vocation à nous permettre de rétablir nos finances publiques. Certaines de ces réformes, comme celle des retraites, permettent des économies budgétaires directes. Toutes permettent d’élargir le marché du travail, donc d’augmenter le taux d’emploi et d’avoir des recettes supplémentaires.
Mais elles sont intégrées dans la programmation des finances publiques que nous vous proposons. La partie gauche de cet hémicycle et celle de l’Assemblée nationale nous reprochent d’ailleurs d’intégrer dans la programmation les bénéfices de réformes qui ne sont pas encore votées.
M. Jean-François Husson, rapporteur. On ne sait pas encore quelle réforme des retraites vous comptez faire !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. Par conséquent, les économies ou recettes supplémentaires que vous appelez de vos vœux doivent être trouvées ailleurs, monsieur Longuet. Mais je vous rejoins totalement sur le fait que si nous avions un taux d’emploi équivalent à celui de l’Allemagne, j’aurais beaucoup moins de travail, et nous nous poserions beaucoup moins la question de l’équilibre de nos finances publiques. D’ailleurs, les réformes que nous menons sur les retraites, la formation professionnelle, l’apprentissage, les lycées professionnels visent justement à augmenter le taux d’emploi. Si plus de Français ont un travail, nous aurons plus de recettes pour les finances publiques, notamment pour la sécurité sociale.
Sur la question de la décorrélation entre les prix de l’électricité et du gaz, je suis d’accord avec vous. C’est exactement le combat que mène le Gouvernement à l’échelon européen. Ce n’est pas facile, mais je crois que nous progressons ; je ne suis pas directement chargé de ce dossier, mais c’est ce que me disent Bruno Le Maire et Agnès Pannier-Runacher. Le dernier Conseil européen a permis de dessiner certaines avancées, notamment un plafonnement sur le prix du gaz utilisé pour produire de l’électricité, ce qui serait une première marche très utile.
Il faut évidemment tenir compte des évolutions démographiques. C’est bien ce que nous avons fait dans ce texte. Il est vrai que nous aurons 500 000 élèves de moins dans l’éducation nationale dans les cinq années à venir. Nous avons connu un boom démographique pendant la période précédente, mais nous arrivons dans le creux de la vague. Nous voulons continuer d’améliorer le taux d’encadrement des élèves – dans tous les départements, c’est une demande forte –, mais nous avons aussi intégré les évolutions démographiques dans la programmation.
Sur la productivité du service public ou la réduction du nombre de fonctionnaires, il est vrai – je l’assume – que nous avons changé de logique par rapport à 2017.
En 2017, Emmanuel Macron s’était engagé – j’avais participé à la campagne présidentielle – à supprimer un certain nombre de postes de fonctionnaires durant le quinquennat. Mais les choses ont évolué, et nous l’assumons, avec la crise des " gilets jaunes ". Nous avons considéré qu’il fallait d’abord engager des réformes qui nous permettraient ensuite de dégager des marges. Cela a été le cas du prélèvement à la source ou de la suppression d’un certain nombre d’impôts. Mon ministère, qui représente entre 4% et 6% de l’emploi public, a concentré 80% des efforts de réductions d’effectifs ces dix dernières années. Vous le voyez, nous savons faire des efforts en matière d’emploi public. Mais nous le faisons à la suite de réformes de modernisation qui permettent de dégager des marges.
En 2022, le Président de la République ne s’est pas engagé sur un nombre de postes de fonctionnaires à supprimer. La candidate de LR l’avait fait, mais sans vraiment dire où ces postes seraient retirés…
Le mandat qui m’a été donné, c’est la stabilité de l’emploi public sur le quinquennat. Un nombre important de créations de postes sont prévues en 2023, notamment dans le régalien.
Stabilité ne veut pas dire immobilisme : nous allons créer 8 500 postes dans la justice, et autant dans la police et la gendarmerie ; nous devrons donc en supprimer ailleurs. La logique globale est de créer des postes déconcentrés, notamment à partir de l’administration centrale, pour privilégier les territoires.
De manière schématique, on peut dire que 10 000 postes de fonctionnaires, c’est 500 millions d’euros. Pour atteindre le niveau d’économies que vous envisagez, il faudrait prévoir la suppression nette de très nombreux postes de fonctionnaires !
Faire des prévisions économiques, c’est évidemment un exercice difficile. Cela fait toujours l’objet de controverses. Nous pouvons en discuter longuement : vous me direz que nos prévisions sont trop optimistes ou ambitieuses ; je vous répondrai qu’elles sont réalistes et étayées.
Mais une chose est sûre : ce qui fait la croissance, ce ne sont ni les prévisions ni les débats de l’année précédente entre politiques ou entre experts ; c’est la confiance dans l’économie. J’ai en tout cas une certitude : nos prévisions, quelles qu’elles soient, ne se réaliseront pas si nous ne continuons pas nos politiques visant à redonner des marges à nos entreprises pour qu’elles puissent investir et recruter. C’est pourquoi il est si important de réduire la CVAE, comme nous le prévoyons, et de poursuivre les actions en faveur de l’emploi, de la formation et de la compétitivité de nos entreprises.
Un mot, maintenant, sur les collectivités locales – nous aurons l’occasion d’y revenir au moment des discussions sur les articles 16 et 23. Je suis tout à fait favorable à ce que la discussion parlementaire permette un rééquilibrage des efforts respectivement demandés à l’État et aux collectivités locales.
Le texte du Gouvernement prévoyait, pour l’État, une baisse de 0,4% en volume des dépenses sur le quinquennat, contre 0,5 % pour les collectivités. La commission des finances du Sénat a proposé 0,5 % pour tout le monde. J’y suis très ouvert : cette disposition suppose un effort supplémentaire de la part de l’État, mais nous devons être capables, me semble-t-il, de l’assumer.
Cependant, vous demandez aussi que, pour mesurer l’effort de maîtrise des dépenses de l’État, les mesures mises en œuvre dans le cadre de la relance ou pour faire face à la crise ne soient pas prises en compte, ce qui implique de trouver 25 milliards d’euros. Or, dans la copie présentée, on ne demande pas la même chose aux collectivités locales, pour lesquelles les dépenses liées à la relance et à la crise sont bel et bien prises en compte dans le calcul.
En d’autres termes, derrière un apparent équilibre entre l’État et les collectivités locales se niche en réalité un très grand déséquilibre : dans la copie proposée par la commission des finances, les dépenses de l’État sur les cinq années à venir augmenteront de 1,5% en valeur, là où elles augmenteront de 10 % en valeur pour les collectivités locales. Cela veut dire, je le redis, qu’il faut trouver 25 milliards d’euros à l’horizon 2025 et 37 milliards d’euros à l’horizon 2027.
Il ne s’agit pas d’imposer une cure d’austérité aux collectivités locales – on a bien vu ce que cela avait donné sous le quinquennat Hollande, avec les baisses brutales de DGF. J’ai entendu M. Breuiller nous reprocher de vouloir baisser les dépenses de fonctionnement des collectivités. Non ! Dans le projet de loi de programmation des finances publiques tel que le Gouvernement l’a présenté, les dépenses de fonctionnement des collectivités locales augmentent de 21 milliards d’euros sur les cinq années qui viennent ! En aucun cas elles ne baissent : elles vont continuer à progresser. Nous posons simplement un cadre de maîtrise dans la durée, pour l’État et pour les collectivités locales.
Vous nous dites que nous devrions soutenir les collectivités locales ; mais, monsieur Breuiller, nous ne leur avons pas imposé, nous, des baisses brutales et massives de DGF comme sous le quinquennat de François Hollande. Et les écologistes faisaient partie de cette majorité…
M. Roger Karoutchi. Eh oui !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. La DGF, nous l’avons sanctuarisée depuis cinq ans.
Nous l’avons fait au niveau global ; il est vrai que beaucoup de maires se plaignent d’avoir vu leur DGF baisser. Il se trouve que je fais partie des quelques membres du Gouvernement qui sont élus locaux, même si je n’ai pas eu la chance ou l’honneur d’être maire…
M. Jean-François Husson, rapporteur. Cela viendra !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. Modeste conseiller municipal depuis près de dix ans, j’ai pu constater que, pour ce qui est de ma commune, en dépit de cette sanctuarisation depuis cinq ans, la DGF avait légèrement baissé du fait de la péréquation.
À cet égard, le PLF pour 2023 est historique et inédit : 320 millions d’euros supplémentaires sont mobilisés pour neutraliser les effets de la péréquation, ce qui veut dire qu’en 2023, pour la première fois depuis treize ans, la DGF de 95% des communes augmentera.
Pendant la crise sanitaire, 10 milliards d’euros ont été transférés de l’État aux collectivités locales ; ces cinq dernières années, les concours financiers de l’État aux collectivités locales ont augmenté de 5 milliards d’euros.
M. Roger Karoutchi. Elles étaient à l’os !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. Franchement, on a connu plus grande maltraitance des collectivités ! Ayez l’honnêteté de le dire.
J’entends les comparaisons entre le déficit de l’État et celui des collectivités locales, qui ne font pas de déficit et qui représentent une part plus faible de la dette. Reste que le déficit et la dette de l’État, qui se sont accrus à l’occasion du " quoi qu’il en coûte ", ont aussi permis aux collectivités locales d’avoir moins de dépenses à effectuer… Ainsi, en évitant à des centaines de milliers d’entreprises de se casser la figure et, partant, à des millions de Français d’être plongés dans la précarité, l’État a empêché une explosion des dépenses sociales des collectivités. L’investissement du " quoi qu’il en coûte " a certes alourdi le déficit et la dette de l’État, mais aussi évité des dépenses aux collectivités, et nous l’assumons totalement.
Notre conviction est qu’il ne faut pas opposer l’État et les collectivités : c’est l’un avec l’autre, et non pas l’un contre l’autre ! Nous avons les mêmes objectifs et les mêmes intérêts, à savoir permettre à notre pays de continuer à investir pour faire face aux transitions écologique et démographique.
Faut-il laisser filer les dépenses et se retrouver avec des taux d’intérêt qui explosent, au risque de priver l’État et les collectivités locales elles-mêmes des marges de manœuvre nécessaires pour investir ?
Non : nous avons plutôt intérêt, État et collectivités locales, à affronter le défi des transitions écologique, énergétique, démographique et numérique en investissant massivement, ce qui suppose, je le répète, d’avoir des marges de manœuvre, donc de maîtriser suffisamment nos dépenses de fonctionnement, État comme collectivités locales, afin de bénéficier de taux d’intérêt soutenables et de pouvoir emprunter. Telle est la logique que nous défendons, main dans la main avec les collectivités !
Enfin, je veux répondre à M. Bacchi sur la question des investissements sociaux, concernant en particulier un certain nombre de professions très engagées, que vous avez saluées en disant qu’elles étaient méprisées.
Vous avez cité notamment les aides-soignants. Je veux quand même rappeler que le Ségur de la santé, dans son volet revalorisation, a entraîné l’augmentation salariale la plus forte qu’a connue l’hôpital public dans son histoire sur un temps aussi court : à la clé, près de 200 euros net en plus par mois pour tous ceux qui y travaillent et 10 milliards d’euros d’investissements pérennisés à cet effet.
Vous avez cité également les enseignants. Dans le PLF pour 2023 est prévue une augmentation de 10 % de la rémunération de tous les enseignants à la rentrée de septembre 2023. Je n’ai pas souvenir, dans un passé récent ou lointain, de pareille augmentation sur une année. Nous prévoyons même une nouvelle augmentation de 25 %, dans les années qui viennent, pour des enseignants qui accepteront de s’engager dans des missions supplémentaires ; celles-ci sont en train d’être définies, en concertation avec les représentants des enseignants, par le ministre de l’éducation nationale.
Beaucoup de Français sont en difficulté ; oui, il faut poursuivre l’effort et soutenir davantage nos enseignants, mais je ne peux pas vous laisser dire qu’ils sont méprisés quand ils vont bénéficier de 6 milliards d’euros de revalorisation salariale, soit 10% d’augmentation dès l’année prochaine. Ce genre d’appréciation ne me semble pas tout à fait conforme à la réalité, mais nous aurons l’occasion d’en débattre lors de l’examen du PLF. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Source http://www.senat.fr, le 16 novembre 2022