Interview de Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État, chargée de l'économie sociale et solidaire et de la vie associative, à France Inter le 30 novembre 2022, sur l'immigration, l'accueil des étrangers en France et le sujet des l'obligation de quitter le territoire français (OQTF).

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Média : France Inter

Texte intégral

NICOLAS DEMORAND
Débat sur l'immigration ce matin dans "Le Grand entretien", avec Léa SALAMÉ nous recevons Benoît HAMON et Marlène SCHIAPPA, Benoît HAMON ancien ministre de l'Éducation nationale sous François HOLLANDE, ancien candidat PS à la présidentielle de 2017, vous avez quitté la vie politique pour devenir directeur général de l'ONG SINGA spécialisée dans l'intégration économique des migrants. Marlène SCHIAPPA vous êtes secrétaire d'État chargée de l'Économie sociale et solidaire et de la Vie associative, bonjour à tous les deux.

MARLÈNE SCHIAPPA
Bonjour.

BENOÎT HAMON
Bonjour.

LÉA SALAMÉ
Bonjour.

NICOLAS DEMORAND
Et merci d'être au micro d'Inter. On va donc parler avec vous de cette question de l'immigration et de l'accueil des étrangers en France, question centrale dans le débat politique depuis quelques mois, qu'il s'agisse de l'expulsion contrariée de l'imam Hassan IQUIOUSSEN cet été, du meurtre d'une jeune fille de 12 ans, Lola, par une suspecte qui était sous le coup d'une obligation de quitter le territoire français, ou qu'il s'agisse encore de l'accueil du navire humanitaire "Ocean Viking."

LÉA SALAMÉ
Et puis il y a le projet de loi très attendu sur l'immigration que vous allez défendre aux côtés de votre collègue Gérald DARMANIN, Marlène SCHIAPPA, un premier débat sans vote aura lieu la semaine prochaine à l'Assemblée nationale, avant que le texte n'arrive en janvier en Conseil des ministres, puis au Parlement pour un vrai vote. D'abord sur l'esprit de ce texte, on avait envie de vous interroger l'un et l'autre, résumé par Gérald DARMANIN en une formule dont il a le secret, "être méchant avec les méchants et gentil avec les gentils."

(…)

MARLÈNE SCHIAPPA
Moi je trouve que c'est, vous l'avez dit Léa SALAMÉ, Gérald DARMANIN il est connu pour son sens de la formule, pour son sens politique aussi, il est très attaché au fait de ne pas à parler comme un techno avec de la langue de bois, mais d'être compris par tous et par toutes. L'immigration c'est un sujet en fait qui, sous ces airs simples, est assez technique, est assez complexe, et donc c'est un résumé. Moi je vous dirais que c'est une loi qui vise à considérer les personnes qui viennent de l'étranger pour ce qu'elles font et non pour ce qu'elles sont, mais aussi à sortir d'une certaine hypocrisie sur la question de l'immigration, notamment…

LÉA SALAMÉ
C'est-à-dire ?

NICOLAS DEMORAND
Laquelle, oui ?

MARLÈNE SCHIAPPA
Notamment, en fait dans notre quotidien, nous tous, et les gens qui nous écoutent, croisent des travailleurs clandestins tous les jours, que ce soit des livreurs, des agents de nettoyage, des métiers du lien, dans les restaurants il y a une probabilité élevée, si vous y allez, pour qu'il y ait des travailleurs clandestins, et aujourd'hui ils ne peuvent pas être régularisés, ou alors ils le peuvent, via la circulaire Valls, à la demande de leur employeur, ce qui peut générer des situations complexes, ils sont à la main de leur employeur, nous nous voulons aujourd'hui sortir de cette hypocrisie, arriver vers de la dignité pour eux, et les régulariser.

NICOLAS DEMORAND
Avant d'entrer dans le corps de la loi il y a la question de l'inflation législative sur le sujet de l'immigration, plusieurs associations ont écrit à Élisabeth BORNE pour demander si la France avait vraiment besoin d'une 29e loi asile et immigration, 29e depuis 1980, sachant que la dernière en date était en 2018, votre position Benoît HAMON.

(…)

LÉA SALAMÉ
Là vous faites référence, et Marlène SCHIAPPA vous pouvez réagir, puisque vous dites, vous, c'est une vision immature, c'est vrai qu'Emmanuel MACRON, il y a un mois, a dit cette phrase, "on a sans doute accueilli trop de gens, il faut moins d'immigration en France", il l'a dit.

MARLÈNE SCHIAPPA
Non, mais d'abord moi je veux me réjouir que les associations prennent part au débat. Je suis ministre chargée de la Vie associative, vous l'avez rappelé, j'ai été bénévole dans ces associations, j'ai fait de l'alphabétisation des femmes primo-arrivantes, je sais, pour avoir travaillé, d'ailleurs on a travaillé avec SINGA, et je veux saluer le travail remarquable qui est mené par l'ONG SINGA, mais par aussi d'autres associations comme France Terre d'Asile, Aurore et d'autres, parce que quand l'État doit accueillir des personnes venant d'Afghanistan, ou d'Ukraine, et faire face à des crises, les associations répondent présentes, y compris avec des professionnels, mais y compris avec des bénévoles. Ensuite, moi je suis d'accord avec Benoît HAMON quand il dit qu'on ne peut pas être pour ou contre l'immigration, c'est un fait, je suis complètement d'accord avec vous, la transition démographique elle est là, mondialement il y a toujours eu des mouvements migratoires, l'idée n'est pas d'être pour ou contre, l'idée est de se dire quelle politique publique nous voulons mener pour cela. Est-ce qu'on considère que la France peut expulser par exemple des étrangers délinquants, oui ou non, si oui comment, et comment on se donne les moyens de le réaliser réellement, et comment on fait pour mieux intégrer, et là je rejoins aussi Benoît HAMON sur le fait qu'on doit mettre plus de moyens pour accompagner vers le travail, vers la langue et vers l'intégration.

LÉA SALAMÉ
Alors ça, à l'instant une dépêche vient de sortir, comme quoi les cadres de la majorité présidentielle, donc chez vous Marlène SCHIAPPA, veulent rétablir la double peine qui avait été supprimée par Nicolas SARKOZY, c'est-à-dire la double peine pour un étranger c'est "tu fais ta peine de prison", pour un délinquant, "tu fais ta peine de prison et ensuite tu es expulsé."

MARLÈNE SCHIAPPA
Pour moi le sujet double peine ou pas double peine c'est un peu une Arlésienne et c'est un peu en sujet sémantique, derrière la sémantique il y a des faits, et moi je me targue d'avoir obtenu d'Édouard PHILIPPE en 2018 le soutien du gouvernement, dans un comité interministériel immigration, à l'expulsion des étrangers qui sont auteurs de violences sexistes et sexuelles. Je considère que quelqu'un…

LÉA SALAMÉ
Donc vous êtes favorable à la double peine, pour ces sujets-là.

MARLÈNE SCHIAPPA
Moi, comme par exemple Justin TRUDEAU au Canada, je considère que si quelqu'un a été condamné pour des violences conjugales, ou pour un viol, oui, il doit être expulsé.

(…)

NICOLAS DEMORAND
Il y a une question de politique publique quand on prend le sujet des OQTF, donc les fameuses obligations de quitter le territoire français, question revenue au cœur de l'actualité avec le meurtre atroce de la petite Lola qui aurait été tuée par une femme faisant précisément l'objet d'une OQTF, on rappelle que seuls 12 % de ces OQTF sont appliquées en moyenne chaque année depuis l'élection d'Emmanuel MACRON en 2017, ce projet de loi veut durcir les règles et rendre impossible la vie des étrangers faisant l'objet des OQTF. Est-ce que ce sera efficace, vous parliez de politique publique Benoît HAMON, là il s'agit d'appliquer des politiques publiques.

(…)

LÉA SALAMÉ
Marlène SCHIAPPA, c'est ça qu'il faut faire, il faut faire le modèle allemand, c'est-à-dire ne pas donner une OQTF mais donner un de job ? C'est l'idée de Benoît HAMON.

MARLÈNE SCHIAPPA
Alors, partiellement, d'ailleurs la ministre de l'Intérieur, la ministre fédérale de l'Intérieur allemande, vient d'annoncer notamment une loi qui a pas mal de points communs avec celle que défend Gérald DARMANIN, qui avait trouvé d'ailleurs une coalition, y compris allant jusqu'à la gauche. Pour répondre à ce qu'a dit à Benoît HAMON à l'instant. D'abord, en 2021 je veux rappeler que la France est le pays d'Europe qui a le plus expulsé, on nous dit tout le temps que les OQTF elles sont inapplicables, qu'elles sont très difficiles à appliquer, c'est vrai, mais je veux rappeler ce fait-là.

LÉA SALAMÉ
Pardon, je suis obligée de vous arrêter, c'est un élément de langage, parce que toutes les années vous avez très très peu expulsé, on était…

MARLÈNE SCHIAPPA
Il y a deux années précédentes où il y avait le Covid et il n'y avait plus de vols…

LÉA SALAMÉ
Non, non, on était nettement en dessous des pays européens !

MARLÈNE SCHIAPPA
En 2020 c'est vrai qu'il n'y avait plus de vols, 2019…

LÉA SALAMÉ
Non, mais je vous parle de 2017-2018, Emmanuel MACRON était au pouvoir.

MARLÈNE SCHIAPPA
Ok. Moi ce que je veux dire aussi par rapport à ça c'est qu'il y a un débat qu'on peut avoir, et que Gérald DARMANIN mènera avec les parlementaires de tous les bords, c'est est-ce qu'on doit donner des OQTF à des personnes dont on sait qu'elles ne sont pas expulsables. Il y a aujourd'hui en France des gens qui ne sont pas expulsables, aujourd'hui on ne renvoie pas quelqu'un vers l'Afghanistan, on ne renvoie pas quelqu'un vers l'Ukraine, on ne renvoie pas quelqu'un vers la Syrie, donc ça c'est une vraie question, et ça rejoint ce que disait Benoît HAMON sur le calcul des pourcentages d'application des OQTF. Je veux dire ensuite que sur les sanctions, il y a des sanctions aussi que nous allons renforcer pour les employeurs, pour ceux qui emploient au noir, il y aura maintenant une amende forfaitaire administrative, parce que nous nous considérons, et là je pense qu'on peut se rejoindre, que le travail doit être un vecteur d'émancipation, d'intégration, de dignité, d'ailleurs je veux rappeler que moi j'ai dans mes précédentes fonctions naturalisé près de 20.000 travailleurs Covid, qui étaient ces travailleurs étrangers de la première ligne, des nounous, des agents de sécurité, des livreurs de repas, des aides-soignants, qui ont porté le pays à bout de bras pendant le confinement, qui sont aujourd'hui nos compatriotes et des citoyens français, ils sont près de 20.000, peut-être certains nous écoutent aujourd'hui, à être maintenant de nationalité française, grâce à leur travail.

(…)

NICOLAS DEMORAND
Marlène SCHIAPPA, une convention citoyenne.

MARLÈNE SCHIAPPA
Alors je vais répondre parce qu'il y a cinq propositions, donc on est aux "questions au gouvernement", donc sur le cinquième point, sur la convention, d'abord il y a une loi, il y a un débat parlementaire annuel, vous le savez Benoît HAMON, devant les parlementaires, sur la question de l'immigration, et c'est vrai que sur ce sujet on est toujours partagé entre d'un côté les Français ont des choses à dire sur l'immigration et il convient bien sûr de les écouter, et de l'autre côté c'est vrai que c'est toujours un débat qu'il faut manier, je pense, avec prudence, tant il peut ressusciter des appels à la haine, et parfois des propos racistes sur ces sujets. Sur la question de faire…

LÉA SALAMÉ
On se souvient, pardon, du débat sur l'identité nationale lancé par Nicolas SARKOZY…

MARLÈNE SCHIAPPA
Absolument.

LÉA SALAMÉ
C'est ça que vous voulez, Benoît HAMON, je ne sais pas !

BENOÎT HAMON
Non mais, la haine elle est partout sur les réseaux sociaux, elle est partout dans la société, la montée des actes racistes elle est partout, moi je considère que s'il y a une convention citoyenne sur l'immigration, qui est organisée par les pouvoirs publics, avec les associations, on remettrait de la rationalité dans le débat, et on a besoin…

MARLÈNE SCHIAPPA
Je relaierai la demande au ministre de l'Intérieur. Sur la question de faire travailler les demandeurs d'asile, moi ce que je trouve indigne aujourd'hui, et je pense qu'on sera tous d'accord, c'est les délais de réponse aux demandeurs d'asile. On a, dans l'année précédente, augmenté de 200 emplois en plus les agents de l'OFPRA, c'est-à-dire ceux qui apportent des réponses, et dans la loi qui sera présentée par Gérald DARMANIN on va raccourcir encore les délais, encore plus, parce qu'on a commencé à les raccourcir, pour faire en sorte de tenir cet objectif de plusieurs mois pour pouvoir dire oui ou non à des demandeurs d'asile et leurs familles, est-ce que oui ils peuvent avoir le statut de réfugié, ou non, et effectivement c'est une question qui peut être mise au débat, de savoir si on peut travailler dès lors qu'on est dans cette démarche de demande d'asile, mais plus vite on aura réduit les délais… vous savez aujourd'hui le contentieux administratif, 50 % du contentieux administratif c'est du droit des étrangers et c'est des recours devant la CNDA, il y a jusqu'à - la Cour nationale du droit d'asile - il y a jusqu'à 12 recours aujourd'hui, nous on voudrait qu'il y en ait trois pour qu'il y ait une réponse, oui ou non, très rapide. Ensuite pour vous répondre sur la question de la régularisation. Effectivement nous l'idée, pour les métiers en tension, c'est de donner des cartes et de régulariser pour une durée de un an, dans un premier temps, pour renforcer la dignité de ces personnes qui aujourd'hui sont obligées de se cacher pour travailler, qui payent des impôts, mais qui sont des fantômes administratifs, on veut nous les régulariser, leur donner une existence en France, ce sera d'un an, et ensuite, bien évidemment, s'ils répondent aux critères on pourra donner des cartes qui vont plus loin. Je réponds à la dernière question de Benoît HAMON sinon il va me dire que je ne lui ai pas répondu, sur la comparaison avec la loi proposée par la ministre allemande, que j'ai regardée avec beaucoup d'attention, effectivement elle propose de pouvoir acquérir la nationalité allemande au bout de cinq ans, mais il y a en Allemagne, comme en France, des conditions, notamment de langue, et ça c'est très important pour nous. On va mettre beaucoup de moyens sur l'apprentissage de la langue française, on va mettre aussi les employeurs à contribution, que les employeurs puissent donner des jours de congés, puissent contribuer financièrement, matériellement en tout cas, à l'apprentissage de la langue, pour aider ces personnes à mieux s'intégrer, parce qu'on s'intègre, je crois, par le travail, l'école, la langue.

NICOLAS DEMORAND
Dans le texte, s'ils ne parlent pas la langue, on retire le titre de séjour et ils s'en vont, dit Gérald DARMANIN.

MARLÈNE SCHIAPPA
Ça fait partie des grands sujets de l'intégration. Qu'est-ce qu'on appelle l'intégration ? C'est travailler, avoir ses enfants à l'école, apprendre la langue et respecter les valeurs de la République, ce sont les piliers de l'intégration.

NICOLAS DEMORAND
Benoît HAMON.

BENOÎT HAMON
Oui mais… typiquement un exemple. Présenté comme ça, on se dit effectivement, un test, un examen, est un moyen de mieux maîtriser le français…

MARLÈNE SCHIAPPA
Mais oui.

BENOÎT HAMON
C'est un moyen, surtout en l'espèce, là, de trier ceux que l'on va accepter, ceux que l'on ne va pas accepter…

MARLÈNE SCHIAPPA
Non.

BENOÎT HAMON
C'est-à-dire, en clair, de refuser l'insertion d'une partie des étrangers.

MARLÈNE SCHIAPPA
Au contraire, c'est tout le contraire, c'est passer d'une obligation de moyens à une obligation de résultat. Aujourd'hui ils ont l'obligation de suivre des cours de français, peu importe la qualité du cours, peu importe le résultat au final si les personnes ont vraiment appris le français ou pas… une obligation de résultat.

BENOÎT HAMON
A la fin ce sera surtout le moyen de restreindre l'accès à un statut administratif, la possibilité de travailler en étant régularisé, mais ce que je veux simplement dire c'est que, aujourd'hui, je réagis à ce que dit Marlène SCHIAPPA qui est présente - c'est normal, elle est membre du gouvernement - comment dire, un argumentaire très positif de la nouvelle loi Darmanin…

MARLÈNE SCHIAPPA
Très réaliste.

BENOÎT HAMON
J'insiste sur une chose, c'est que cette loi…

NICOLAS DEMORAND
Vous vous la trouvez très négative la loi, Benoît HAMON, qu'on sache clairement les choses ?

(…)

LÉA SALAMÉ
Marlène SCHIAPPA, qu'est-ce que vous répondez à ça, sur le regroupement familial ?

MARLÈNE SCHIAPPA
Non, mais d'abord on est au début de la construction de cette loi, elle sera présentée au Conseil des ministres en janvier, le ministre de l'Intérieur est en train de poursuivre ses consultations parlementaires, bien évidemment les ONG auront voix au chapitre, je rappelle qu'il y a une ministre de la Citoyenneté, Sonia BACKES, qui a pris ma suite au ministère de l'Intérieur, qui est chargée notamment du droit d'asile, et qui est bien sûr écoutera les associations et les ONG, comme je l'ai dit au début, je pense qu'il est toujours important d'écouter le plaidoyer des associations de terrain avec lesquelles on travaille tant pour accueillir ces personnes.

(…)

BENOÎT HAMON
(…) Moi je crois beaucoup, pour reprendre un mot dont on a parlé dans l'élection présidentielle, mais qu'on doit Édouard GLISSANT, qui est un concept, au concept de créolisation au sens où le mélange devient créatif, et je pense que ce changement d'échelle des migrations doit nous amener à accepter, à désirer même, ce mélange, parce qu'il est devant nous.

MARLÈNE SCHIAPPA
C'est d'ailleurs pour ça qu'on a fait l'hébergement citoyen ensemble, avec SINGA, que je salue, qui est une vraie innovation sociale, pour que des citoyens français puissent héberger des personnes arrivant de pays en guerre.

BENOÎT HAMON
Le programme "J'accueille", effectivement.

MARLÈNE SCHIAPPA
Absolument.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 1er décembre 2022