Déclarations de MM. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, et Gabriel Attal, ministre chargé des comptes publics, sur le projet de loi de finances pour 2023, au Sénat le 17 novembre 2022.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Bruno Le Maire - Ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ;
  • Gabriel Attal - Ministre délégué, chargé des comptes publics

Circonstance : Discussion d’un projet de loi

Texte intégral

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de finances, considéré comme adopté par l’Assemblée nationale, en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, pour 2023 (projet n° 114, rapport général n° 115, avis nos 116 à 121).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Monsieur le président, monsieur le rapporteur général, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le ministre, cher Gabriel Attal, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux de vous retrouver pour vous présenter ce projet de loi de finances.

Je suis revenu ce matin de Bali, où s’est tenu le G20, auquel j’accompagnais le Président de la République, à un moment où les nuages s’accumulent sur l’économie mondiale.

Le risque principal est identifié : un conflit qui dure en Ukraine et crée de l’incertitude pour tous les acteurs économiques, sans exception. La traduction de ce risque, nous la connaissons depuis plusieurs mois : c’est une inflation élevée qui pénalise nos compatriotes et nos entreprises, et qui inquiète profondément la société française.

L’inflation a d’abord touché les prix du gaz et de l’électricité, qui ont été multipliés par cinq, six ou sept, puis s’est étendue aux prix alimentaires, c’est-à-dire à la vie la plus quotidienne de nos compatriotes.

S’il n’y avait qu’un seul chiffre découlant de la guerre en Ukraine à retenir, ce serait celui-ci : le choc énergétique représente désormais plus de 3% de la richesse européenne, qui a quitté le continent européen pour aller vers les pays producteurs de pétrole et de gaz ; cela représente 1 000 euros par citoyen européen. L’Europe en a été privée au profit des producteurs de pétrole et de gaz. Il y a donc urgence à maintenir une politique qui nous permettra de ramener l’inflation à un niveau plus raisonnable en 2023.

Dans ce contexte économique difficile, l’économie française résiste, avec une croissance positive au troisième trimestre, avec un investissement des entrepreneurs toujours dynamique, avec un chômage qui a encore continué de baisser le mois dernier, et avec une attractivité qui se maintient parce que nous avons conservé, avec constance, les mêmes lignes de politique économique.

Qui aurait imaginé voilà seulement quelques années que la capitalisation boursière de la place de Paris serait plus importante que celle de la place de Londres ? C’est chose faite aujourd’hui. Et c’est le résultat de la constance de la politique économique et fiscale que nous avons menée depuis plus de cinq ans avec le Président de la République. (M. Jérôme Bascher manifeste son scepticisme.)

Dans ce contexte de forte inflation, la priorité du gouvernement français, celle qui se lit dans le projet de loi de finances (PLF) que nous vous présentons avec le ministre délégué chargé des comptes publics, Gabriel Attal, est de protéger les ménages et les entreprises contre les conséquences de l’inflation.

Nous maintenons pour l’année 2023 un bouclier énergétique qui permettra d’éviter aux ménages de payer une facture de 180 euros ou 200 euros en plus par mois.

Nous continuons à aider les entreprises et nous allons déployer de nouvelles aides, sur lesquelles je reviendrai.

Nous avons mis en place un chèque énergie.

Nous proposons une aide complémentaire pour ceux qui se chauffent au fioul, en plus de toutes les mesures d’indexation sur l’inflation que nous avons prises, concernant les pensions de retraite, le salaire minimal, qui a dépassé les 8 % d’augmentation depuis plus d’un an, ou les minima sociaux.

Mais je veux être clair avec vous. En 2023, nous passerons à des aides plus ciblées. En 2023, le ciblage des aides, pour les ménages comme pour les entreprises, devra être la règle. Pourquoi ?

D’abord, c’est une question de justice. Cibler les aides, c’est aider non plus tout le monde de manière indifférenciée, mais ceux qui en ont le plus besoin : les ménages qui ont les revenus les plus faibles, les familles qui sont le plus en difficulté, les entreprises qui ne peuvent pas répercuter l’augmentation de leurs coûts énergétiques sur le niveau de leurs ventes ou leurs prix.

Ensuite, nous devons prendre conscience que le choc énergétique n’est pas transitoire ; il est structurel. Par conséquent, nous devons nous adapter à ce nouvel environnement énergétique lié à la guerre en Ukraine et à la transition climatique. Il faudra donc, à un moment donné, que les prix du gaz et de l’électricité en France rejoignent les prix de marché. Nous préférons le faire de manière progressive, en fixant le cap très clairement vis-à-vis de nos compatriotes, plutôt que manière brutale.

Mon intervention est donc l’occasion de dire avec beaucoup de clarté que nous commencerons, à partir du début de 2023, à mieux cibler les aides, pour faire face à un choc énergétique qui est structurel et pour permettre – j’y insiste – aux prix en France de retrouver les prix de marché. Cela nous conduira à augmenter les prix du gaz et de l’électricité de 15% au début de l’année 2023 et à mettre fin à la remise de 30 centimes d’euro sur les carburants.

Cela n’exclut pas, tant s’en faut, d’aider ceux qui en ont le plus besoin, de soutenir ceux auxquels il faut impérativement un véhicule pour se rendre sur leur lieu de travail. Ainsi, d’une aide massive, qui concerne tout le monde et qui, par conséquent, n’est pas nécessairement la plus juste ou la plus efficace, nous allons passer à une aide plus ciblée vers les ménages qui en ont réellement besoin et vers ceux qui vont travailler : apprentis, aides-soignantes, commerçants, artisans, notamment ceux du bâtiment et des travaux publics qui sillonnent les routes de France et n’ont pas d’autre choix que d’utiliser leur véhicule.

Je le répète, le ciblage doit donc être la règle pour qu’en France, les prix de l’électricité et du gaz, et les prix de l’énergie de manière générale, retrouvent les prix de marché, afin d’accompagner la sortie de crise en 2023. (M. Fabien Gay s’exclame.)

Nous aiderons également – je l’ai indiqué – les entreprises.

L’ensemble du Gouvernement entend les inquiétudes de toutes les entreprises, petites ou grandes, qui voient exploser le montant de leurs factures d’électricité ou de gaz. Je veux leur dire avec beaucoup de gravité que nous les avons toujours soutenues pendant la crise du covid-19 et lorsqu’il s’est agi de faire face aux difficultés conjoncturelles. Dans les bons jours comme dans les mauvais, nous continuerons à soutenir notre tissu industriel, notre tissu économique, nos petites et moyennes entreprises (PME), nos très petites entreprises (TPE) et nos entreprises industrielles.

Nous le ferons d’abord de manière structurelle, en vous proposant la suppression définitive de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), à laquelle nous procéderons en deux fois, à hauteur de 4 milliards d’euros en 2023, puis de nouveau de 4 milliards d’euros en 2024, pour soutenir la compétitivité de nos entreprises industrielles.

J’entends tous ceux qui nous disent que les Allemands font plus pour leurs entreprises et que les Américains protègent plus leur secteur industriel. Je les invite donc à soutenir une baisse des impôts de production qui permettra aux PME industrielles de gagner en compétitivité et de retrouver le niveau d’excellence qui doit être le leur.

Nous le ferons ensuite de manière conjoncturelle, face à l’augmentation des prix de l’électricité et du gaz et à l’explosion des factures de certaines entreprises.

Nous protégerons d’abord les plus petits, conformément à l’exigence de justice dont je viens de vous faire part. Les TPE bénéficieront du même bouclier que les ménages.

Nous protégerons ensuite les PME, notamment celles qui sont inquiètes de devoir payer des montants extrêmement élevés. Elles auront accès dans les tout prochains jours à un guichet qui leur permettra d’alléger leurs factures. Puis, en 2023, les PME auront droit à une remise directe sur leurs factures pour amortir le choc énergétique.

Les PME bénéficieront donc d’une protection globale représentant 3 milliards d’euros au minimum d’aides publiques, ce qui fera baisser de 20% en moyenne leurs factures.

Nous protégerons également les entreprises de taille intermédiaire (ETI) et les entreprises énergo-intensives, car c’est là où le ciblage est le plus nécessaire. Nous devons tout faire pour leur apporter des aides, qui iront jusqu’à 150 millions d’euros, afin d’éviter les délocalisations, les ralentissements de production et les fermetures d’usines que beaucoup d’entre vous redoutent.

Nous avons conscience de la difficulté. Je me suis battu pour obtenir une simplification des aides ; nous l’avons obtenue. Je me suis aussi battu pour que le montant maximum des aides passe de 100 à 150 millions d’euros : nous l’avons également obtenu.

Nous ne laisserons tomber aucun site industriel français, car il y va de la reconquête industrielle que nous avons engagée avec le Président de la République et le Gouvernement depuis plus de cinq ans. Elle donne des résultats et nous permet, enfin, de recréer des emplois industriels dans notre pays.

Quand ces aides seront-elles disponibles ? Dans les prochains jours !

Comment seront-elles versées ? Sous forme de guichet ou d’aides directes au paiement des factures des PME !

Certains me demandent si ces mesures sont suffisantes par rapport à celles qui sont prévues par l’Allemagne. Je comprends parfaitement cette question, qui a été soulevée notamment par les représentants des chefs d’entreprise.

J’aurai l’occasion de m’entretenir dès le début de la semaine prochaine avec le ministre de l’économie allemand, Robert Habeck. Mais une chose est claire : nous sommes dans un marché unique ; toutes les entreprises sont donc soumises aux mêmes règles et aux mêmes obligations.

Je veux donc le dire avec beaucoup de force : face à la crise énergétique, les entreprises françaises seront aussi bien défendues et protégées que les entreprises allemandes. Je rappelle d’ailleurs à ceux qui l’auraient oublié que, pour la moitié de leurs factures, les entreprises françaises continuent de bénéficier d’une électricité nucléaire à bas coût, via l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh), ce qui représente un avantage compétitif significatif.

Enfin, le ciblage répond à une toute dernière exigence, non négligeable, et que Gabriel Attal et moi-même défendons avec beaucoup de fermeté : le rétablissement des finances publiques, auquel je sais que les sénatrices et les sénateurs sont particulièrement attachés.

M. Philippe Folliot. C’est vrai !

M. Bruno Le Maire, ministre. Nous voulons tenir nos objectifs de réduction des déficits et de la dette.

Nous tiendrons les objectifs qui ont été fixés de baisse de la dette à partir de 2026 et de retour sous les 3 % de déficit en 2027.

J’ai vu qu’un certain nombre de sénateurs avaient proposé, dans le cadre de la loi de programmation des finances publiques, d’aligner les objectifs de réduction des dépenses en volume de l’État sur les objectifs de réduction des dépenses en volume des collectivités locales. Ainsi, État et collectivités locales seraient traités de la même manière, avec –0,5% de dépenses en volume sur la durée du quinquennat. J’accueille favorablement cette proposition, qui est un signe d’équité et qui traduit la volonté du Sénat de rétablir dans les meilleurs délais possible nos finances publiques.

Il reste à nous entendre sur le montant précis de dépenses publiques que cela représente. Je sais que Gabriel Attal et moi-même aurons avec vous un débat constructif sur le sujet. Vous avez réussi à trouver un accord, ce dont je me félicite, sur le vote du projet de loi de finances rectificative. Je souhaite que nous puissions, dans cette voie du compromis, trouver également un accord sur la loi de programmation des finances publiques.

Vous me permettrez de tirer des leçons plus globales du G20, auquel j’ai participé aux côtés du Président de la République au cours des quatre derniers jours. Elles sont au nombre de quatre.

Premièrement, aucun État – certainement pas l’Europe, certainement pas le continent africain – ne sera dans la même situation à l’issue de la guerre en Ukraine.

L’Europe, d’abord, prend crûment conscience, à l’occasion de cette guerre, que la dépendance énergétique n’est pas une option et qu’elle doit bâtir son indépendance énergétique pour garder son rang économique et éviter des dépenses publiques d’un montant inacceptable bénéficiant à des pays producteurs d’énergies.

Le continent africain, ensuite, est le plus touché par l’explosion des prix alimentaires, l’inflation et le risque de pénuries alimentaires.

Je rappelle que le G20, sous l’impulsion du Président de la République, a condamné l’agression russe. Cette guerre contraire au droit international a fait dérailler une reprise économique qui allait dans la bonne direction. Elle aura donc, je le redis, des conséquences structurelles sur la répartition des forces économiques dans le monde.

Deuxièmement, personne, aucun État – ni la Chine ni nos alliés américains – ne fera de cadeau à l’Europe.

Nous devons donc, nous, Européens, faire bloc face à la détermination de la Chine d’affirmer son leadership économique, et face à la volonté économique américaine de défendre ses intérêts économiques et industriels, notamment via l’Inflation Reduction Act (IRA).

L’Europe doit faire bloc. Des divisions européennes dans ce contexte ne seraient pas simplement incompréhensibles ; ce serait de l’inconscience !

Chacun désormais dans le monde défend ses intérêts, notamment économiques, et les défend brutalement. L’Europe doit apprendre à les défendre aussi, sinon brutalement, du moins avec la plus grande fermeté.

Troisièmement, personne ne pourra ralentir la nécessité de la transition énergétique.

La transition énergétique n’est pas le problème ; elle est la solution.

Elle est la solution, d’abord, pour les pays en développement, qui doivent passer du charbon à des énergies renouvelables et bénéficier pour cela, si nous voulons vraiment atteindre nos objectifs climatiques, du soutien financier et technologique des pays développés. C’est ce que nous avons fait avec Emmanuel Macron en proposant qu’un fonds accompagne le développement des énergies renouvelables dans les pays en développement. Encore une fois, c’est la condition pour atteindre nos objectifs climatiques.

La transition énergétique est la solution, ensuite, pour nous, qui sommes une grande puissance industrielle. En effet, l’accélération de la transition énergétique en France, que porte et défend la Première ministre depuis plusieurs mois, représente plus d’indépendance, des technologies de pointe, de la puissance économique, du rayonnement et de l’efficacité. Nous devons donc nous engager avec la plus totale détermination et au rythme le plus rapide possible dans la transition énergétique.

L’énergie sera la grande question économique du XXIe siècle. Elle doit être disponible, décarbonée, et à un coût raisonnable. Les États qui l’auront compris gagneront au cours du XXIe siècle. Et ceux qui ne l’auront pas compris seront marginalisés.

Quatrièmement, aucun État ne peut se détourner du sort des pays les plus pauvres, en particulier des États africains.

Pendant la crise du covid-19, j’avais eu l’occasion de rappeler à cette même tribune que, pour compenser l’effondrement de l’économie dans le monde, les pays développés avaient consacré jusqu’à 25% de leur richesse nationale au soutien de leurs entreprises, des salariés et de l’économie. Dans les pays en développement, ce taux est inférieur à 3%.

Et voilà que ces pays subissent un deuxième choc du fait de l’augmentation des prix, de l’inflation, du risque de crise alimentaire, derrière lesquels se profile – nous le savons tous – le risque de crises migratoires et de désordres politiques. Je suis fier que la France, par la voix du Président de la République, ait porté haut et fort lors du G20 cette exigence de soutien aux pays africains !

M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. le ministre délégué.

M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le président, monsieur le ministre, cher Bruno Le Maire, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite à mon tour saluer l’initiative du DuoDay, qui s’inscrit dans le cadre de la Semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées. Nous sommes tous ici très attachés à cet enjeu.

Vous me permettrez donc d’avoir un mot particulier pour deux conseillers qui sont au banc du Gouvernement aujourd’hui : Khalil Ibrahim Hamzaoui, mon « duo », qui est docteur en informatique et qui a fait le tour de France en fauteuil roulant, parcourant ainsi 3 000 kilomètres (Applaudissements.), et Arnaud Boeglin, qui accompagne Bruno Le Maire.

Nous étions réunis ici hier soir pour examiner le deuxième projet de loi de finances rectificative (PLFR) pour cette année 2022. Je tiens à remercier l’ensemble des sénateurs qui étaient présents de la qualité des échanges que nous avons eus.

Je l’ai dit, et Bruno Le Maire vient de le rappeler, au vu de la situation économique de notre pays, le climat d’incertitude dans lequel nous devons évoluer est réel ; je n’y reviendrai pas.

Hier soir, cet hémicycle a voté pour donner aux Français des moyens supplémentaires de combattre la vie chère.

Avec l’ouverture de ces 2,5 milliards d’euros, nous allons aider les Français à se chauffer et à se déplacer et nos étudiants et chercheurs à travailler dans de bonnes conditions. Nous allons financer la bataille en faveur du plein emploi et poursuivre notre engagement sans faille aux côtés du peuple ukrainien. Tout cela, nous le ferons en tenant l’objectif de déficit que nous avions fixé pour 2022, car il est hors de question – Bruno Le Maire l’a souligné – de laisser déraper nos comptes.

Je sais évidemment que l’adoption de cette loi financière n’efface en rien les clivages qui nous séparent. J’ai conscience que nous aurons, durant la discussion qui s’ouvre, un débat extrêmement nourri sur un certain nombre de sujets. Je pense notamment à la suppression de la CVAE et, aussi, aux modalités du filet de sécurité que nous allons mettre en place pour protéger les collectivités qui en ont besoin face à la flambée des prix de l’énergie.

L’année qui s’achève a été celle d’un choix politique et économique extrêmement clair : protéger les ménages, les entreprises et les collectivités locales face à la hausse des prix. C’est un choix de justice, mais aussi d’efficacité.

Cette stratégie est efficace, parce qu’il vaut mieux investir pour préserver que payer pour réparer.

Le budget que nous présentons pour l’année prochaine traduit la continuité de cette stratégie sans jamais perdre de vue que l’argent public est l’argent des Français et que chaque euro investi doit être un euro efficace.

Mais protéger les Français, ce n’est pas se satisfaire d’une politique du chèque ou d’une vision court-termiste. C’est assumer qu’il faut à la fois répondre aux urgences du quotidien, financer l’action publique, préparer l’avenir et protéger nos comptes.

C’est autour de ces quatre axes que s’articule notre action, et il n’y a pas à choisir parmi ces objectifs, même s’ils peuvent parfois sembler contradictoires. Car, en réalité, il faut tout mener de front.

Le premier axe de ce projet de loi de finances est de répondre à l’urgence de la fin du mois, dans un contexte où l’inflation demeure à un niveau élevé, +6,2% au mois d’octobre 2022 par rapport à son niveau d’octobre 2021.

Répondre à l’urgence, nous le faisons avec le maintien des boucliers énergétiques l’année prochaine, tout en prévoyant une hausse contenue à 15%. Concrètement, si cette mesure n’était pas votée, dès le début de l’année prochaine, un ménage chauffé à l’électricité payerait en moyenne 121 euros de plus par mois, tandis qu’un ménage chauffé au gaz verrait ses factures alourdies, également en moyenne, de 185 euros par mois.

Répondre à l’urgence, nous le faisons aussi avec l’indexation du barème de l’impôt sur le revenu. Bien sûr, c’est un ajustement qui est fait chaque année. Mais lorsque l’inflation dépasse les 5 %, chacun comprendra que la décision n’a pas la même portée ; lors de certaines années, d’ailleurs, nous n’avons pas procédé à cette indexation.

Le coût de cette mesure témoigne de sa portée, puisque ce sont 6,2 milliards d’euros que nous rendons aux Français ou – pour être plus précis – auxquels nous renonçons pour préserver leur portefeuille.

Oui, nous voulons continuer à redonner du pouvoir d’achat aux Français. Je veux d’ailleurs souligner que, parmi les amendements retenus en première lecture dans le texte considéré comme adopté par l’Assemblée nationale, figurent un certain nombre de mesures qui vont redonner de l’oxygène au pays.

Redonner de l’oxygène à ceux qui travaillent, avec la hausse de la valeur faciale des titres-restaurants de 11,84 à 13 euros.

Redonner de l’oxygène aux parents qui doivent faire garder leurs enfants, avec la hausse de 50% du plafond du crédit d’impôt pour garde d’enfants, porté à 3 500 euros.

Redonner de l’oxygène à nos entrepreneurs, avec la hausse du plafond permettant de bénéficier du taux réduit d’impôt sur les sociétés (IS) pour les PME.

Redonner de l’oxygène à nos agriculteurs, avec la prorogation jusqu’à 2025 de la déduction pour épargne de précaution (DEP), ainsi que de son indexation sur l’inflation.

Le deuxième axe de ce projet de loi de finances est d’assurer le réarmement de nos fonctions régaliennes, pour tenir les engagements pris devant les Français durant la campagne présidentielle.

Ce projet de loi de finances prévoit plus de moyens pour la police, pour la justice et pour nos armées, dans un contexte géopolitique à haut risque.

Dans le cadre de la loi de programmation militaire (LPM), ce texte prévoit une hausse de 3 milliards d’euros pour la mission " Défense ".

Vous me permettrez de m’arrêter un instant sur les lois de programmation militaire, afin de vous montrer l’ampleur de l’engagement budgétaire que nous consacrons aujourd’hui à nos armées. Loi de programmation militaire 2009-2014 : 182 milliards d’euros sur six ans, soit 30 milliards par an en moyenne ; loi de programmation militaire 2014-2019 : 191 milliards d’euros sur six ans, soit 32 milliards par an, en hausse de 6% par rapport à la loi de programmation précédente ; loi de programmation militaire 2019-2025, celle qui est actuellement mise en œuvre : 295 milliards d’euros sur sept ans, soit 42 milliards par an, ce qui représente une augmentation de 31 % par rapport à la loi de programmation précédente.

Nous vous proposons de voter 1,4 million d’euros de crédits supplémentaires pour améliorer les moyens de nos forces de sécurité, notamment en termes d’équipements et de technologies numériques, mais également pour renforcer la présence des policiers et gendarmes sur la voie publique, conformément à la trajectoire prévue dans la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi), que vous avez adoptée très largement ici et qui prévoit 8 500 créations de postes sur le quinquennat.

Enfin, nous poursuivons le renforcement des moyens du ministère de la justice, avec une nouvelle hausse de 8% pour la troisième année consécutive. Depuis 2017, le budget de ce ministère aura augmenté de plus de 40% pour réarmer cette fonction régalienne essentielle pour notre pays.

Vous le voyez, ce que nous présentons, c’est un projet de réarmement de nos services publics.

Le troisième axe de ce texte, c’est de préparer l’avenir.

Préparer l’avenir, c’est faire le pari de l’éducation ; c’est gagner la bataille du plein emploi ; c’est accélérer la transition écologique.

L’année prochaine, le budget de l’éducation nationale va augmenter de 3,7 milliards d’euros. Comme nous nous y étions engagés pendant la campagne, aucun professeur ne commencera sa carrière en gagnant moins de 2 000 euros nets par mois.

Préparer l’avenir, c’est aussi gagner la bataille du plein emploi. C’est l’objectif que nous avons fixé à l’horizon 2027. Ce sont ainsi 6,7 milliards d’euros de crédits supplémentaires qui seront investis dans l’emploi et l’apprentissage, pour atteindre le million d’apprentis d’ici à 2027.

Mais, je le dis clairement – et Bruno Le Maire l’a d’ailleurs rappelé –, nous ne gagnerons pas la bataille du plein emploi avec plus de pression fiscale. C’est la raison pour laquelle nous avons rendu 54 milliards d’euros aux ménages et aux entreprises au cours des cinq dernières années. Et c’est la raison pour laquelle nous souhaitons mener à son terme la suppression de la CVAE, même si, pour tenir nos comptes publics, cela se fera sur deux exercices budgétaires.

Sur ce sujet, je sais que cet hémicycle est loin d’être un terrain conquis, en tout cas s’agissant du calendrier qui figure dans le projet de loi initial. Sur certaines travées, il existe une opposition de principe à l’idée même de supprimer des impôts de production ; sur d’autres, il y a une volonté de différer à l’année prochaine la suppression de cet impôt.

Pour ma part, je crois que l’amélioration de notre compétitivité doit rester un objectif central, dans un contexte où la hausse des prix de l’énergie met nos entreprises à rude épreuve ; les présidents de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) et du Mouvement des entreprises de France (Medef) l’ont d’ailleurs rappelé lors des dernières heures.

Préparer l’avenir, c’est enfin protéger la planète. À cet égard, ce PLF prévoit le financement de politiques ambitieuses en faveur des transitions écologique, énergétique et territoriale, telles que le fonds vert pour l’investissement des collectivités, le plan Vélo, pour 250 millions d’euros, et une augmentation de 500 millions des crédits dédiés à MaPrimeRénov’.

En ce qui concerne la rénovation énergétique des bâtiments, je veux souligner un certain nombre d’avancées durant l’examen des différents textes financiers.

Le rétablissement du crédit d’impôt dont peuvent bénéficier les PME pour leurs travaux de rénovation provient d’un amendement du groupe Les Républicains de l’Assemblée nationale, porté par la députée Émilie Bonnivard, que nous avons retenu dans le PLF.

Je pense aussi à la prolongation d’une année de l’éligibilité à MaPrimeRénov’ sans condition de ressources, également issue d’un amendement des Républicains, porté par la députée Véronique Louwagie, que nous avons intégré au projet de loi de finances rectificative.

Le quatrième axe de ce texte, c’est le refus du laisser-aller budgétaire.

Comme ministre des comptes publics, je continuerai à défendre le passage du « quoi qu’il en coûte » au « combien ça coûte », parce que l’argent public ne sera jamais de l’argent magique.

Oui, malgré les aléas, nous poursuivons le rétablissement des comptes amorcé dès 2021, en stabilisant le solde public à 5 % cette année comme en 2023, alors qu’il était – je le rappelle – de 8,9 % en 2020 et de 6,5 % en 2021. Nous proposons une trajectoire pour revenir sous les 3 % d’ici à 2027.

Nous y parviendrons parce que nous pourrons compter sur des recettes fiscales importantes encore l’an prochain, notamment de TVA et d’impôt sur les sociétés liées à la bonne tenue de l’activité ces derniers mois.

Nous y parviendrons aussi grâce aux recettes liées à la contribution sur les rentes inframarginales, qui devraient s’élever – l’estimation a été revue à la hausse – à 11 milliards d’euros l’année prochaine. Ce projet de loi de finances rend cela possible, puisqu’il intègre les mécanismes européens qui nous permettent de faire contribuer les énergéticiens bénéficiant d’une rente liée à l’envolée des prix. Je sais que nous aurons de nouveau un débat sur les superprofits, après celui que nous avons eu cet été lors de l’examen du précédent PLFR. Avec Bruno Le Maire, nous avions alors renvoyé le sujet à une discussion à l’échelon européen.

À l’époque, certains nous avaient dit que cette réponse était une forme de manœuvre dilatoire pour enjamber le débat, et qu’on savait bien qu’à la fin, il ne se passerait rien. Et pourtant, il s’est passé quelque chose ! Et même quelque chose de massif : un accord européen sur un mécanisme de taxation des superprofits que nous transcrivons dans ce PLF. Ce mécanisme permettra de capter 11 milliards d’euros de superprofits sur les énergéticiens l’an prochain et de financer une partie importante du bouclier tarifaire pour protéger les Français.

Cette trajectoire de sérieux que j’évoquais, nous la tiendrons en 2023 et les années suivantes, afin d’assurer la stabilisation de la dette et le retour du déficit sous la barre des 3%. Je sais que la majorité sénatoriale souhaite un rythme plus soutenu dans la consolidation des finances publiques. Je l’ai dit hier, au regard de la situation économique, engager une baisse trop brutale de la dépense publique pourrait avoir des effets dévastateurs sur nos services publics et l’activité économique et, plus globalement, sur la cohésion de notre société.

Dans les propositions qui sont émises par le Sénat, figure notamment le fait de rehausser l’effort de maîtrise de dépenses en volume de l’État pour faire passer la baisse de -0,4% à –0,5%, à parité avec celle des collectivités locales. Bruno Le Maire vient de l’évoquer, nous sommes ouverts sur le sujet.

Parvenir à maîtriser la trajectoire des dépenses publiques suppose de partager un même sentiment de responsabilité vis-à-vis de notre pays, de sa crédibilité, de sa capacité d’action et de son indépendance. Cela suppose aussi de répartir l’effort entre l’ensemble des administrations publiques : l’État et ses opérateurs, la sécurité sociale et les collectivités territoriales. Nous aurons cette discussion durant l’examen du PLF.

Les débats seront vifs, mais je ne doute pas que nous saurons trouver ensemble une voie d’équilibre. Chacun à notre place, chacun avec nos convictions, nous défendons l’intérêt de notre pays.

Le moment que nous traversons et les défis auxquels nous faisons face – le défi géopolitique avec la crise en Ukraine, le défi climatique, le défi démographique – nous appellent à trouver ensemble des pistes, à prendre des décisions et des mesures, et à définir les axes qui nous permettront d’agir pour l’intérêt des Français. Vous nous trouverez toujours, Bruno Le Maire et moi, à vos côtés pour avancer dans cette direction. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP et sur des travées du groupe RDSE.)


Source http://www.senat.fr, le 2 décembre 2022