Texte intégral
GUILLAUME ERNER
C’est aujourd’hui que le premier prix Goncourt des détenus sera décerné à un auteur ou une autrice, au terme d’un mois de lectures et d’échanges organisé dans les prisons. Un projet qui s’inscrit notamment dans la politique de réinsertion, mise en place par le Gouvernement, alors que la France fait face à une surpopulation carcérale inédite. Des états-généraux de la Justice également se sont tenus du 18 octobre au 8 juillet dernier. Mais aucune annonce n’a pour l’instant été faite. Bonjour Monsieur le Ministre. Bonjour Eric DUPOND-MORETTI. Merci d’être avec nous. Mon camarade, Stéphane ROBERT vient d’évoquer Adrien QUATENNENS, et, disait-il, le retour impossible. Votre point de vue sur ce qui vient d’être dit ?
ERIC DUPOND-MORETTI
Bon, d’abord, vous le savez, le garde des sceaux ne peut pas commenter une décision de justice. C’est une règle qui n’est pas mineure, c’est la séparation des pouvoirs. Donc j’entends, comme vous l’avez entendu, la décision rendue par la juridiction lilloise. Aucun commentaire. Pour le reste, la seule chose que je veux dire, c’est que je ne crois qu’en la justice, l’institution judiciaire. La justice privée, je la trouve extraordinairement inquiétante. Elle n’a pas à se substituer à la justice. La justice, elle n’est pas parfaite, mais on n’a rien trouvé de mieux. Donc pour le reste, monsieur QUATENNENS est seul avec sa conscience, et ensuite, libre à vous de faire les commentaires que vous faites. Moi, je n’en ai strictement aucun à faire.
GUILLAUME ERNER
On parle du prix Goncourt des détenus, puisque vous êtes ici pour évoquer ce prix qui va être décerné pour la première fois, Monsieur le Ministre, dans les questions donc de réinsertion des détenus, quel rôle symbolique réel peut avoir ce type d’initiative ?
ERIC DUPOND-MORETTI
Alors, d’abord, c’est une initiative qui remonte au mois de mars de cette année, avec Roselyne BACHELOT, on avait décidé d’allier nos efforts, pour amener davantage de culture en prison. La population carcérale, ce n’est pas la plus cultivée, on le sait, il y a beaucoup d’analphabétisme, et l’idée, voyez, dans la réinsertion, c’est que les gens sortent meilleurs de prison qu’ils n’y sont rentrés, et la culture est un des leviers qui permet cela. Bon. L’idée, c’est davantage de lectures, davantage de culture, davantage de mots puisque les mots ont un rôle pacificateur, il y a un grand linguiste qui s’appelle BENTOLILA et qui dit que là où les mots sont prononcés, la violence recule, au fond. Si je vous marche sur les pieds, je dois immédiatement vous dire pardon, Monsieur. Et si je n’ai pas le volume lexical pour cela, si je vous dis immédiatement des gros mots, alors, ça ne pacifie rien, mais ça annonce l’agression. Donc tout le monde comprend évidemment le rôle de la culture. Donc l’idée, c’est de faire un Goncourt du détenu, comme il y a eu un Goncourt des lycéens, au début, on est un sceptique, pour ne pas dire circonspect, et puis, ensuite, je pense que ça va se mettre en place, et que ça deviendra quelque chose d’important. Alors, 31 établissements pénitentiaires, 500 détenus, certains qui ne lisent pas, et qui se sont mis à la lecture, et puis, des rencontres avec les autrices et les auteurs, pour discuter de tout cela. Donc ça, c’est à la fois la culture, bien sûr, mais aussi la réinsertion.
GUILLAUME ERNER
Cette réinsertion, les différentes activités qui sont proposées, certaines ont fait polémique, il y a eu une polémique cet été au sujet de stages de kart dans les prisons. Pourquoi une polémique sur les karts et pas de polémique sur la lecture en prison, Monsieur le Ministre ?
ERIC DUPOND-MORETTI
Alors, je vais vous le dire, la prison, c’est trois choses, mettre un individu dangereux, momentanément à l’écart, pour protéger la société, c’est punir, moi, j’assume la fermeté de la réponse pénale, sans démagogie, mais j’assume aussi une part d’humanisme sans angélisme, punir, et c’est réinsérer. Bon. Dans le kart, je ne vois ni punition, on en est même très loin, ni réinsertion. Dans la culture, oui, dans le sport et ses valeurs, oui. Dans le travail, oui, j’ai d’ailleurs conçu un contrat du détenu travailleur, parce que je pense que le sens de l’effort, même dans ce monde clos, qui est la prison, n’est pas un sens interdit, et qu’il faut permettre aux hommes, aux femmes, qui sont incarcérés, de sortir avec un diplôme, davantage de mots, une formation, les valeurs du sport sont également importantes. Bon, et puis, sur cette histoire du karting, je ne voulais pas que l’extrême droite préempte le sujet, ce qu’elle a tenté de faire immédiatement. Vous avez entendu que la prison s’est transformée dans leur bouche en un parc de loisirs, alors, on a eu droit à tous les parcs, Disneyland, à tout ce que vous voulez, l’hôtel 4 étoiles, enfin, toutes ces imbécilités qui sont répandues fréquemment. La prison, c’est un lieu de grande promiscuité, et nous avons d’ailleurs, j’en parlerai peut-être, mis en place, à la fois, un programme de création de nouvelles places, mais également, de rénovation des établissements pénitentiaires indignes.
GUILLAUME ERNER
Alors justement, puisque la France est aujourd’hui le mauvais élève européen en matière de surpopulation carcérale, il y a eu une expérience de tentée pendant le Covid, les détenus qui étaient en fin de peine ont été libérés, il n'y a pas eu, à ma connaissance en tout cas, de catastrophe liée à cela. Pourquoi ne pas s'inspirer, Monsieur le Ministre, de cette expérience-là, en permettant à certains détenus de quitter la prison aujourd’hui ?
ERIC DUPOND-MORETTI
D’abord, on va redire les choses, c'est effectivement Nicole BELLOUBET qui a permis la libération, mais une libération anticipée de détenus qui étaient en fin de peine, en excluant un certain nombre d'infractions qui avaient été commises et sanctionnées. Pourquoi, parce que ça ne peut pas être automatique, les leviers, pour éviter la surpopulation carcérale, ils sont de trois ordres, c'est la création de nouvelles places, bien sûr, la rénovation, je l'ai dit, c'est la lutte évidemment contre la délinquance et la lutte contre la récidive. Bon. N'inversons pas les choses, et dans les programmes que nous mettons en place, il y aura, mais, j'aurai l'occasion d'en reparler, des mesures de libération sous contrainte.
GUILLAUME ERNER
Vous aurez l'occasion, vous voulez dire ?
ERIC DUPOND-MORETTI
Très prochainement, puisque ça entre en vigueur en début d'année, ça permet d'éviter ce que l'on appelle les sorties sèches, et les sorties sèches, nous savons que, statistiquement, elles génèrent de la récidive, donc un meilleur suivi et une meilleure... comment dirais... meilleure intervention des personnels pénitentiaires et des SPIP, vous savez ce que sont les SPIP...
GUILLAUME ERNER
Non…
ERIC DUPOND-MORETTI
Ce sont les services de probation et d'insertion professionnelle, nous avons créé 15.000 SPIP de plus, ça, ça tente à lutter contre la récidive, les leviers, ils sont là : création de places, lutte contre la récidive, lutte contre la délinquance.
GUILLAUME ERNER
Mais Monsieur le Ministre, avant d'être ministre, vous étiez avocat, je me souviens, on avait eu une discussion, une interview, et je vous avais dit : est-ce que c'est une peine de prison trop lourde, et vous m'aviez repris, en disant : un jour de prison, c'est de trop. Il y a aujourd'hui beaucoup de gens dans les prisons, qui sont en prison pour des affaires, par exemple, de stupéfiants, par exemple de hit, alors qu'il y a, dans de nombreuses législations aujourd'hui, eh bien, une dépénalisation, une légalisation du shit, est-ce que ça n'est pas une situation qui aujourd'hui est uniquement de nature à remplir les prisons ?
ERIC DUPOND-MORETTI
Un jour de trop, c'est un jour.... un jour de prison est un jour de trop, ça me paraît une évidence, ça veut dire, d'abord, qu'une infraction a été commise, et une infraction commise…
GUILLAUME ERNER
Je ne suis pas sûr que vous…
ERIC DUPOND-MORETTI
Ah, mais laissez-moi finir, ça signifie d'abord qu’une infraction a été commise, et une infraction commise est une infraction de trop. Et ensuite, ça répond aussi à ce que nous disent les populistes, à savoir que la justice est laxiste, parce que sur la montée de la délinquance, nous savons que dans certains domaines, la délinquance monte, elle a baissé dans d'autres domaines, mais la seule explication que l'extrême-droite fournit à ce pays, c'est la justice est laxiste, et tous les chiffres démontrent le contraire, qu'il s'agisse de la matière correctionnelle, juges exclusivement professionnels, ou de la matière criminelle, c’est le jury populaire qui tranche. On a des augmentations très claires des quantums de peines. Pour autant, pour autant, il faut assumer la répression, si j'ose dire, et je le dis, Monsieur, sans démagogie, avec humanité, mais sans angélisme, c'est ça le fil sur lequel je me trouve, et j'essaie de tenir cette position nuancée…
GUILLAUME ERNER
Alors, restons sur le cannabis, Monsieur le Ministre…
ERIC DUPOND-MORETTI
Alors, sur le cannabis, je vais y venir. C'est la position que j'essaie de tenir dans une époque dont vous ne concéderez qu’elle n’est plus du tout nuancée. Le cannabis, moi, je suis totalement contre la dépénalisation, pour différentes raisons. D'abord, parce que ça démoli un certain nombre de nos gamins, ça les déscolarise. Tout le monde le sait. Ensuite, nous avons beaucoup évolué scientifiquement, et nous savons aujourd'hui que le cannabis peut provoquer un certain nombre de maladies mentales d'une grande gravité. Je pense à la schizophrénie en particulier. Enfin, les trafiquants de stups aujourd'hui, si demain, on légalise, ils deviennent quoi, Monsieur, ils viennent travailler à Radio-France ?
GUILLAUME ERNER
Non, mais, ils pourront devenir…
ERIC DUPOND-MORETTI
Qu’est-ce qu’ils font ?
GUILLAUME ERNER
Des commerçants en matière…
ERIC DUPOND-MORETTI
Oui, bien sûr, bien sûr, c'est une évidence absolue, ils vont trafiquer…
GUILLAUME ERNER
Eh bien, si vous pensez que la réinsertion…
ERIC DUPOND-MORETTI
Non, mais, attendez, non, mais laissez-moi, Monsieur, attendez…
GUILLAUME ERNER
Laissez-moi juste poser une question : si vous pensez que la réinsertion est possible, les délinquants d'hier peuvent devenir les commerçants de demain ?
ERIC DUPOND-MORETTI
Bien sûr, Monsieur, mais tous les délinquants d'hier ne deviendront pas des commerçants de demain. Et puis, moi, je vous parle des trafiquants qui trafiquent et qui ne sont pas sous main de justice, si j'ose dire, parce que, permettez-moi de vous dire que quand la justice intervient, souvent, le mal est fait, pour ne pas dire toujours, et les infractions sont commises, mais avant, en amont, il y a des trafics de résine de cannabis, vous le savez, vous évoquez ça. Vous voulez quoi faire de ce trafic de cannabis, vous voulez désormais qu'il n'existe pas…
GUILLAUME ERNER
Comme en Espagne, comme au Canada…
ERIC DUPOND-MORETTI
Non, non, mais en Espagne, ils en sont largement revenus, et au Canada, il n’y a pas les mêmes structures qu'en France, il n’y a pas les mêmes dispositions qui sont celles que nous connaissons, sociologiques notamment, et il n'y a pas les cités telles que nous les connaissons, pardon de vous dire ça. Mais, moi, je sais, parce que j'ai vu un certain nombre de rapports que, je le redis, des gamins sont démolis. Moi, je veux bien faire de l'angélisme, non, non, mais, on peut considérer que c'est shit pour tout le monde, et boutiques ouvertes, mais, Monsieur, je vais vous dire quelque chose, les trafics…
GUILLAUME ERNER
Non, je voulais votre point de vue, nous l’avons…
ERIC DUPOND-MORETTI
Laissez-moi terminer, je ne l'ai pas encore exprimé, et puis, pardon, je suis venu ici pour parler du Goncourt…
GUILLAUME ERNER
Je vais passer à un autre sujet…
ERIC DUPOND-MORETTI
Pas du trafic de shit, parce que sinon, nous aurions consacré une émission à cela. Mais les trafiquants qui trafiquent aujourd'hui le shit, demain, potentiellement, trafiqueront d'autres stupéfiants, la cocaïne en particulier, voire l'héroïne. Et si vous pensez qu'on règle une question en disant : on légalise tout, je pense que nous y avons, les uns et les autres, considérablement réfléchi. Maintenant, je vais vous dire autre chose, puisque vous me laissez le micro sur cette question, il y a aujourd'hui beaucoup de règlements de comptes liés au trafic de stup. Bon, et moi, je dis, ça peut vous paraître réac, qu’on ne peut pas fumer son petit pétard tranquille le samedi soir sans penser que s'il y a des consommateurs, il y a aujourd'hui du trafic, et il y a une criminalité organisée autour de ça. Ensuite, chacun fait avec sa conscience.
GUILLAUME ERNER
Monsieur le Ministre, il y a autre chose qui est de nature à modifier le quotidien de la justice, et notamment la question des prisons, c'est la réforme de la police judiciaire avec une augmentation des pouvoirs... vous levez les yeux au ciel…
ERIC DUPOND-MORETTI
Je lève les yeux au ciel, je suis venu vous parler du Goncourt, c'était ce que nous avions grosso modo décidé, je vais vous dire deux mots là-dessus, je ne veux pas m'égarer, c'est trop important, le Goncourt des détenus, c'est trop important le contrat du détenu travailleur…
GUILLAUME ERNER
Bon alors, dites-moi ce que vous voulez dire sur le Goncourt des détenus…
ERIC DUPOND-MORETTI
C’est trop important la création des structures d’accompagnement à la sortie…
GUILLAUME ERNER
Ensuite, il faut aussi que je puisse poser des questions…
ERIC DUPOND-MORETTI
Sur la PJ, Monsieur, c’est très clair, il y a une réforme organisationnelle qui est du périmètre du ministère de l'Intérieur, les magistrats ont exprimé quelques craintes, parce qu'ils craignent de ne plus pouvoir désigner les services qu'ils ont choisis, j'ai dit que nous serions très attentifs à cela. Gérald DARMANIN m’a publiquement répondu en disant que rien ne serait changé, c'est en particulier l'article 12-1 pour les juristes qui nous écoutent du code de procédure pénale ; il ne sera pas modifié. Enfin, il y a une expérimentation, et cette expérimentation fait l'objet aujourd'hui d'un examen dans le cadre d'une inspection qui est, à la fois, diligentée par l'Inspection de la justice, l’IGPN et l'IGA, et nous aurons les résultats de tout cela, et nous en reparlerons.
GUILLAUME ERNER
Donc on aura la possibilité de se revoir sur cette réforme de la police judiciaire…
ERIC DUPOND-MORETTI
Voilà, et nous ne parlerons…
GUILLAUME ERNER
Vous voulez parler du Goncourt des détenus…
ERIC DUPOND-MORETTI
C’est pour ça que vous m’avez invité…
GUILLAUME ERNER
... Un mauvais souvenir de cette visite à France Culture, Monsieur le Ministre…
ERIC DUPOND-MORETTI
Non…
GUILLAUME ERNER
Dites-moi ce que vous voulez nous dire sur le Goncourt des détenus, j'ai encore quelques questions autres, malgré tout, à vous poser, vous êtes ministre…
ERIC DUPOND-MORETTI
Bon, eh bien, allez-y, allez-y, mais réinvitez-moi plus souvent...
GUILLAUME ERNER
Mais je voulais que vous restiez plus longtemps, vous n’avez pas voulu, moi, j’aurais été ravi de passer un long moment avec vous, Monsieur le Ministre, vous le savez…
ERIC DUPOND-MORETTI
Non, non, ce n’est pas que je n’ai pas voulu…
GUILLAUME ERNER
J’ai une question à vous poser…
ERIC DUPOND-MORETTI
C’est que j’ai un peu de travail…
GUILLAUME ERNER
Monsieur le Ministre, ne perdons pas de temps parce qu’ensuite, vous allez me dire que vous êtes pressé. Donc toujours sur la question de la justice de tous les jours cette fois-ci, j'ai, alors, votre stylo a sauté dans le studio, j'ai une amie qui cherche à divorcer à Toulouse, elle a un temps d'attente d'un an. Un an pour une procédure civile, une procédure courante, est-ce que c'est normal qu'il faille attendre si longtemps ?
ERIC DUPOND-MORETTI
Parmi les reproches que l'on peut légitimement adresser à l'institution judiciaire, il y a la longueur, la lenteur, bien, j'y travaille d'arrache-pied, et je présenterai le 5 janvier le fruit du travail des états généraux, c'est plein, plein, plein de gens qui ont réfléchi, des professionnels de la justice, des magistrats, des avocats, des greffiers, des universitaires. Nous avons un certain nombre de propositions à faire, l'objectif, c'est que la justice soit plus proche de nos compatriotes, qu'elle soit plus efficace, plus protectrice et plus rapide. Et je présenterai un certain nombre de mesures très précises qui vont en ce sens. Je veux d'ailleurs vous dire à ce propos que sur le terrain budgétaire, après 30 ans d'abandon, et budgétaire et politique et humain, nous avons donné à la justice des moyens historiques, notamment en termes humains, puisque, nous avons embauché des magistrats, des greffiers, des contractuels, dans le but justement d'alléger la tâche des magistrats, des greffiers, et une tâche allégée, ça signifie, en réalité, une justice rendue plus rapidement. Et à ce titre, je voudrais vous dire que grâce aux contractuels, que j'ai embauchés, nous avons en France, de façon aujourd'hui établie, une diminution des stocks de dossiers de plus de 20 %, ça signifie que, dès à présent, la justice est rendue plus vite, mais il y a encore Monsieur, beaucoup, beaucoup d'efforts à faire, parce que nous avons fait beaucoup de choses, mais il reste beaucoup de choses à faire.
GUILLAUME ERNER
Une dernière question avant de reparler du Goncourt des lycéens (sic), vous êtes soupçonné de prise illégale d'intérêt, Eric DUPOND-MORETTI, et si vous êtes renvoyé devant la Cour de la justice de la République, le procureur qui vous jugera, c’est vous-même qui allez le nommer, est-ce qu'il n'y a pas, là, une impasse constitutionnelle dans cette situation ?
ERIC DUPOND-MORETTI
Mais c’est vous qui dites que c’est moi qui vais le nommer…
GUILLAUME ERNER
Qui d’autre pourrait le nommer ?
ERIC DUPOND-MORETTI
Le Premier ministre.
GUILLAUME ERNER
Donc c'est la solution que vous avez trouvée pour...
ERIC DUPOND-MORETTI
Mais, pardon, Monsieur, vous êtes bien pessimiste, d'abord, j'ai formé un recours…
GUILLAUME ERNER
C’est une éventualité…
ERIC DUPOND-MORETTI
Voilà, qu’il convient de rappeler tout de même…
GUILLAUME ERNER
Tout à fait…
ERIC DUPOND-MORETTI
Je ne suis pas au-dessus des lois, mais, je ne suis pas en dessous des lois, moi, je me suis très, très peu exprimé sur l'affaire qui me concerne, et pour cause, et pour cause. J’aurais, si je suis renvoyé, qui est la perspective que vous évoquez, l'occasion de dire tout ce que j'ai à dire. Ce que je me suis contenté de dire, pour le moment, c'est que je n'avais fait que suivre les recommandations de mon administration, comme l'auraient fait à ma place tous les ministres de la Justice. Pour le reste, vous savez, Monsieur, que j'ai formé un pourvoi, bien. Nous attendons les résultats de ce pourvoi. Et si je suis toujours renvoyé au moment où se posera la question que vous posez, c'est-à-dire la nomination du prochain procureur général près la Cour de cassation, le Premier ministre pourra parfaitement me remplacer dans cette tâche.
GUILLAUME ERNER
Le Goncourt des détenus, Monsieur le Ministre, puisque vous souhaitiez continuer à en parler, puisque vous êtes venu, dites-vous, pour cela. Quel but peut-on en attendre, et aujourd'hui, quel dispositif peut être utilisé pour permettre justement à la culture d'agir sur la réinsertion des détenus ?
ERIC DUPOND-MORETTI
Eh bien, la culture, elle est porteuse, ça, c'est son aspect ludique, d'une forme d'évasion parfaitement licite. Il faut quand même le dire, puisqu’on parle de la culture en prison. Par ailleurs, c'est les multiples échanges, c'est la volonté, vous savez, il y a dans la culture, dans la lecture en particulier, la possibilité d'accéder à l'introspection, et de réfléchir sur son propre parcours, c'est aussi ça le but de la culture. Et je trouve que c'est absolument formidable que de mettre ça en place, et puis, ça conserve ce lien entre l'intérieur, la prison, les murs, et l'extérieur, et c'est un lien que je maintiens également dans le cadre du contrat du détenu travailleur, puisque je veux, et j'ai pour objectif, de faire travailler tous les détenus qui le souhaitent, et pour ça, je suis en train de lancer un appel au patronat, grands patrons, petits patrons, moyens patrons, pour que l'on permette à la fois à des détenus de se former, et aussi à des détenus de travailler, et pour certains d'entre eux, c'est une première expérience professionnelle. Et le but derrière tout cela, mais même pas en filigrane, je l’annonce clairement, c'est la réinsertion, et donc l'absence de récidive.
GUILLAUME ERNER
Le grand livre que vous conseilleriez à un détenu en prison, un grand livre de liberté ou pas d'ailleurs, je n'en sais rien, Monsieur le ministre ?
ERIC DUPOND-MORETTI
Ah, c'est une question difficile, peut-être, peut-être " L'Etranger ".
GUILLAUME ERNER
Pourquoi ?
ERIC DUPOND-MORETTI
Ah, parce qu’il y a un passage que je trouve absolument merveilleux, Meursault se lève, il veut exprimer un certain nombre de choses, et il se dit qu'au fond, c'est inutile, et qu'il a, d'une certaine façon, été dépossédé de son propre procès. Et donc, c'est très inspirant, parce que la justice doit être le contraire de cela, et c'est une véritable réflexion…
GUILLAUME ERNER
C'est-à-dire, c'est-à-dire que la justice doit être comprise d'abord par celui qui est l'accusé ?
ERIC DUPOND-MORETTI
Par celui qui est accusé, et par légitime, naturellement, un bon jugement, une belle décision, c'est une décision, pour reprendre l'expression d’un de mes anciens confrères, dans laquelle les victimes et l'accusé sont d'une certaine façon enfermés.
GUILLAUME ERNER
Dernière question, Eric DUPOND-MORETTI…
ERIC DUPOND-MORETTI
Ce qui est le cas – pardon – du V13, je ne veux pas m'exprimer sur le procès de Nice, puisqu’il vient de se terminer, nous savons que des appels ont été interjetés, mais ce qui est le cas du V13, qui est d'ailleurs, pardon de le dire, et avec un enthousiasme irrépressible, ce qui d'ailleurs est la meilleure façon de répondre au terrorisme.
GUILLAUME ERNER
Merci Monsieur le Ministre de la Justice et Garde des sceaux, Eric DUPOND-MORETTI.
Source : Service d’information du Gouvernement, le 16 décembre 2022