Texte intégral
YVES CALVI
Bonjour Monsieur le Garde des sceaux.
ÉRIC DUPOND-MORETTI
Bonjour Monsieur CALVI.
YVES CALVI
Bienvenue sur RTL. Et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il va y avoir beaucoup de changements dans notre justice en France dès le 1er janvier prochain. Vous êtes prêt ?
ÉRIC DUPOND-MORETTI
Je suis prêt à vous répondre, oui.
YVES CALVI
Oui, à me répondre et à ces changements avec l'ensemble de vos services.
ÉRIC DUPOND-MORETTI
Oui, je les ai initiés, pour un certain nombre d'entre eux, pour ne pas dire tous les changements qui vont intervenir, oui.
YVES CALVI
Monsieur le Garde des sceaux. A partir du 1er janvier, vous allez généraliser les cours criminelles départementales. Cours qui ne sont composées que par des juges professionnels, est-ce que c'est la fin, d'une certaine façon, des juridictions populaires ?
ÉRIC DUPOND-MORETTI
Absolument pas. D'ailleurs, vous savez qu'une décision rendue par la cour criminelle départementale, en cas d'appel, l'affaire est jugée par la cour d'Assises traditionnelle.
YVES CALVI
Elle rebascule dans l'univers normal, si je puis dire.
ÉRIC DUPOND-MORETTI
Oui, oui, et j'ai renforcé d'ailleurs la souveraineté populaire, puisque j'ai exigé qu'il y ait une majorité de jurés pour prendre une décision de culpabilité.
YVES CALVI
Pourquoi cette professionnalisation, quelle est son utilité, et comment en arrivez-vous à ce besoin dans la structure de la justice française ?
ÉRIC DUPOND-MORETTI
Parce que c'est Nicole BELLOUBET qui met en place la cour criminelle départementale, on l'expertise, et nous avons maintenant le retour de cette expérimentation, ça va plus vite, donc c'est mieux pour les victimes et pour les accusés. Les audiences semblent plus apaisées, c'est ce qui ressort des différents rapports, et puis, surtout, on évite la correctionnalisation, la correctionnalisation…
YVES CALVI
Ça veut dire quoi, oui, vous savez que, voilà, votre univers, et c'est le vôtre, on le comprend très bien, mais pour la plupart de ceux qui nous écoutent, il est très abscons.
ÉRIC DUPOND-MORETTI
Alors, je vais traduire, il y avait une embolisation des cours d'Assises classiques, et un certain nombre de viols étaient jugés en correctionnelle. On oubliait qu'il s'agissait d'un viol, on en faisait une agression sexuelle. Et c'était insupportable pour les victimes. Eh bien, la cour criminelle départementale permet de régler cette question.
YVES CALVI
Alors, c'est amusant parce qu'on peut voir les choses dans l'autre sens, il y a deux syndicats de magistrats, mais aussi de nombreux avocats qui s'inquiètent d'une justice qui ne sera plus rendue au nom du peuple français en quelque sorte, et en particulier, pour ces affaires très nombreuses de viols que vous venez d'évoquer, qui, en effet, sont très présentes, enfin, c'est une inversion de l'analyse. Que répondez-vous ?
ÉRIC DUPOND-MORETTI
Non, mais, c'est très singulier, le V13 par exemple, ce procès qui a condamné les terroristes…
YVES CALVI
Attentat du 13 novembre, je le rappelle.
ÉRIC DUPOND-MORETTI
Dont tout le monde a souligné la très grande qualité, ce procès, c'est un procès devant une juridiction exclusivement composée de magistrats professionnels, c'est curieux que les syndicats de magistrats aient de la défiance à l'encontre de leurs collègues, ça, c'est la première chose. Et deuxièmement, si on n'est pas content d'une décision rendue par la cour criminelle départementale, on interjette appel, et on se retrouve devant la cour d'Assises classique.
YVES CALVI
Les viols, vous l'avez dit, représentent la très grande majorité des crimes jugés par ces nouvelles cours, 88 % dans 15 départements ayant testé le dispositif. Est-ce que finalement, vous ne créez pas une juridiction spécialisée pour traiter et pour juger du viol ?
ÉRIC DUPOND-MORETTI
Non, pas du tout, parce qu'il n'y a pas que le viol, la compétence de cette cour criminelle départementale, c'est le quantum de la peine, alors là aussi, je vais traduire…
YVES CALVI
Merci…
ÉRIC DUPOND-MORETTI
C'est 20 ans de réclusion criminelle, au-delà, c'est la cour d'Assises classique, traditionnelle, qui a vocation à juger.
YVES CALVI
Quels sont les autres exemples que les viols qu'on va retrouver dans ces cours criminelles ?
ÉRIC DUPOND-MORETTI
Certains vols par exemple avec des circonstances aggravantes, il n'y a pas que des affaires d'ordre sexuel, pas du tout, il y a un certain nombre d'autres infractions qui ne sont pas punies dans le code pénal d'une peine supérieure à 20 ans.
YVES CALVI
Vous espérez réduire le temps, et je dirais l'exécution de la justice dans quel délai ?
ÉRIC DUPOND-MORETTI
Alors…
YVES CALVI
Je veux dire, voilà, est-ce qu'on peut donner une évaluation, ça ne vous engage pas définitivement, mais, voilà…
ÉRIC DUPOND-MORETTI
Vous savez que je vais présenter en début d'année les états-généraux de la Justice, les travaux, et ce que nous avons retenu, l'idée, c'est de rendre une justice plus proche de nos compatriotes, plus protectrice, plus rapide, dans tous les domaines, je dis bien dans tous les domaines. Et s'agissant de la cour criminelle départementale, nous savons déjà qu'en audience, 6 mois plus vite que devant la cour d'Assises classique, 6 mois, ça n'est pas rien quand on est une victime ou quand on est un accusé et que l'on attend son procès.
YVES CALVI
Avez-vous des magistrats et des greffiers pour faire fonctionner ces nouvelles cours, du personnel, du matériel qui fonctionne, et donc des moyens ?
ÉRIC DUPOND-MORETTI
Nous avons renforcé de façon historique, historique, les moyens de la justice, vous avez, à ma place, la semaine dernière, interviewé le procureur général de Paris, Rémy HEITZ, qui vous a dit : la justice connaît des difficultés, je partage ce constat, mais il a dit également que la justice n'avait jamais été dotée d'autant de moyens, 44 % d'augmentation du budget. Depuis que je suis Garde des sceaux, 26 % d'augmentation. Avec cet argent, nous avons embauché des magistrats comme jamais, c'est un plan historique d'embauches, 700 magistrats, 850 greffiers, 2.000 contractuels. Pour vous donner un exemple, sous François HOLLANDE, c'est 140 magistrats, sous Nicolas SARKOZY, c'est moins 100 et quelques magistrats, pourquoi moins, parce qu'on ne remplaçait pas ceux qui partaient à la retraite, pardon, mais ça n'est pas terminé, quand j'ai dit ça, nous n'avons pas tout réglé, et il y a le grand…
YVES CALVI
Et pourtant, les magistrats grognent en quasi-permanence…
ÉRIC DUPOND-MORETTI
J'entends bien, mais les magistrats ne peuvent pas penser que plus est égal à moins, ou alors, c'est à désespérer de tout. Et dans le plan d'embauches que nous allons mettre en place, c'est 1.500 magistrats de plus, ce sont les promesses présidentielles. 1.500 greffiers de plus. Et des contractuels. Au total, un plan d'embauches qui concerne 10.000 emplois nouveaux.
YVES CALVI
Alors, une toute dernière question qui est peut-être symbolique, le Garde des sceaux défend cette réforme avec ces cours professionnalisées, est-ce que l'avocat n'a vraiment aucun état d'âme, on ne rendra pas, d'une certaine façon, la justice selon du peuple français, et pourtant, vous êtes un homme qui aime les symboles ?
ÉRIC DUPOND-MORETTI
Non, mais lorsque…
YVES CALVI
En sa présence…
ÉRIC DUPOND-MORETTI
Très clairement, lorsque j'étais avocat, que je défendais des intérêts privés, j'ai dit ma crainte de voir la cour d'Assises disparaître, mais elle ne disparaît pas, elle est même renforcée, je vous l'ai dit tout à l'heure, puisqu'il faut désormais une majorité de jurés pour que l'expression de la souveraineté populaire ait vraiment du sens. Et le Garde des sceaux, il est garant, pardon, de l'intérêt général, et quand on me dit : ça fonctionne bien, quand on me dit : c'est audiencé plus vite, quand on me dit que c'est susceptible de régler la question de la correctionnalisation des viols, eh bien, le Garde des sceaux, il ne peut dire que, alors, on prolonge cette expérience et on la fait nôtre…
YVES CALVI
Et on y va…
ÉRIC DUPOND-MORETTI
Oui, bien sûr.
YVES CALVI
Il nous reste quatre minutes, autre sujet intéressant, le partenariat entre la justice et l'armée concernant les mineurs délinquants, vous avez tenté une expérimentation, visiblement, c'est un succès, expliquez-nous, est-ce que vous allez généraliser ces partenariats entre notre justice et notre armée, et qu'y font les gamins qui s'y retrouvaient ?
ÉRIC DUPOND-MORETTI
Je pense qu'un certain nombre de gamins délinquants vont s'améliorer avec l'autorité bienveillante des militaires et toutes les valeurs de l'armée, c'est quoi les valeurs de l'armée, c'est le dépassement de soi, c'est la solidarité, c'est la discipline, c'est le respect, je pense que pour un certain nombre de gamins, ça va être très utile naturellement, Monsieur CALVI, parce qu'il faut toujours être nuancé. Il ne suffit pas d'envoyer des gamins délinquants dans des casernes pour régler la question de la délinquance des mineurs, vous l'imaginez…
YVES CALVI
On est d‘accord.
ÉRIC DUPOND-MORETTI
D'abord, une expertise de la protection judiciaire de la jeunesse, et pour les gamins qui sont aptes à recevoir cette autorité bienveillante, on y va.
YVES CALVI
Qu'est-ce que c'est la différence avec un centre éducatif ?
ÉRIC DUPOND-MORETTI
Centre éducatif, écoutez, c'est du pluridisciplinaire, d'abord, il faut voir comment ces gamins rentrent au centre éducatif fermé ou au centre éducatif renforcé…
YVES CALVI
Et un soldat, c'est formé pour prendre en charge un délinquant ?
ÉRIC DUPOND-MORETTI
Attendez, attendez, ça n'est pas une prise en…
YVES CALVI
Ce serait bien que vous répondiez à ma question…
ÉRIC DUPOND-MORETTI
Mais j'y réponds, mais laissez-moi répondre à cette question. Ça n'est pas une prise en charge totale, il reste naturellement sous le contrôle du centre éducatif fermé ou du centre éducatif renforcé, mais il va faire un stage à l'armée, on a fait cette expérimentation, vous l'avez rappelé, à Coëtquidan, et ça fonctionne, et ça fonctionne bien. Le président de la République en a fait une promesse présidentielle, et j'irai, en début d'année, avec mon ami Sébastien LECORNU, signer une convention de partenariat entre le ministère de la Justice et le ministère des Armées.
YVES CALVI
Eric DUPOND-MORETTI et les juges, ça mériterait un livre, vous l'écrirez peut-être un jour, on a l'impression que vous avez de plus en plus de mal à nouer votre contact avec les magistrats, la semaine dernière, vous êtes allé une nouvelle fois à la rencontre des syndicats, et le moins qu'on puisse dire, c'est que les échanges ont été vifs, est-ce que vous pouvez encore restaurer un lien avec cette profession ?
ÉRIC DUPOND-MORETTI
D'abord j'y suis allé. Et moi, je ne suis pas un Garde des sceaux qui fuit le dialogue, voyez-vous, on aurait pu se répondre par voie épistolaire, j'y suis allé. D'abord, les chefs de juridiction, qui m'ont accueilli, on dit publiquement que nous avions considérablement renforcé les moyens de la justice.
YVES CALVI
Mais c'est une réalité objective…
ÉRIC DUPOND-MORETTI
Bon, eh bien, voilà, c'est une réalité objective, donc je suis allé rappeler ça, en disant que le travail n'était pas terminé, qu'il restait des choses à faire. Mais pardon, je voudrais vous dire quelque chose, quand on embauche des magistrats, et que l'on fait l'annonce, entre l'annonce et l'arrivée des magistrats, il faut le temps de la formation, et je comprends l'impatience des magistrats, je veux d'ailleurs leur rendre hommage, et je vais vous dire qu'il y a l'expression syndicale, bien sûr, elle est ce qu'elle est, je la respecte, mais, il y a aussi ce que me disent les magistrats de terrain, que je rencontre tous les jours, et je suis entouré de magistrats d'ailleurs, parce que ceux qui m'entourent à la chancellerie, ce sont des gens qui viennent du judiciaire et qui ont vocation à y retourner ; donc ce n'est pas les uns contre les autres, c'est les uns avec les autres, avec un seul objectif : améliorer la justice pour nos compatriotes.
YVES CALVI
On en est où des réductions de peines automatiques, alors que nos prisons ont un taux d'occupation de près 120 % ?
ÉRIC DUPOND-MORETTI
Les réductions de peines automatiques, elles n'ont pour moi aucun sens. Elles doivent être conditionnées à l'effort, à l'effort, et je lance…
YVES CALVI
Donc évaluées…
ÉRIC DUPOND-MORETTI
Et je lance un grand plan à compter des premiers jours de l'année prochaine pour faire venir des patrons, j'ai d'ailleurs construit le contrat du détenu travailleur, je pense que le sens de l'effort en prison n'est pas un sens interdit, et l'effort, c'est mesuré à l'aune des qualités de chacun.
YVES CALVI
Donc il faudra travailler plutôt que bien se conduire ? Enfin, peut-être les deux, ça serait pas mal…
ÉRIC DUPOND-MORETTI
C'est les deux. Et pardonnez-moi, le travail, pour l'exiger, il faut qu'il soit en prison disponible, mais il n'y a pas que le travail, Monsieur CALVI, il faut se lever le matin, il faut se désintoxiquer, il faut apprendre à lire, il faut apprendre à écrire. Il faut se former. Tout ça, c‘est incitatif.
YVES CALVI
On reçoit monsieur FARANDOU tout à l'heure, vous lui demandez de venir ?
ÉRIC DUPOND-MORETTI
Bien sûr.
YVES CALVI
Vous avez besoin de patrons de ce type ?
ÉRIC DUPOND-MORETTI
Mais bien sûr, et d'ailleurs, le patron du MEDEF a dit ok d'ores et déjà, ROUX de BEZIEUX a dit ok. Ce contrat, ce contrat, pardon, c'est 45 % du Smic. Nous prenons en charge les droits sociaux, nous prenons en charge toutes les formalités administratives, et une partie de ce salaire va à l'indemnisation des victimes, et le but de tout cela, c'est de la réinsertion.
YVES CALVI
Une toute dernière question, sur votre renvoi devant la Cour de justice de la République, pour un soupçon de conflit d'intérêt, comptez-vous démissionner si jamais vous étiez condamné, un oui, un non, ça suffit ?
ÉRIC DUPOND-MORETTI
D'abord, je ne suis pas encore renvoyé, ne brûlez pas les étapes. Et permettez-moi de bénéficier des règles de la procédure, je ne suis pas au-dessus des lois, je ne suis pas en dessous, on ne parle pas des chiens, là…
YVES CALVI
Comment ça, on ne parle pas des chiens ?
ÉRIC DUPOND-MORETTI
Oui, vous savez, cette initiative qui consiste…
YVES CALVI
On en a parlé sur l'antenne de RTL…
ÉRIC DUPOND-MORETTI
D'accord, ok, parce que ça, c'est quand même quelque chose que je porte et que je trouve absolument formidable pour les enfants.
YVES CALVI
Un oui, un non à ma question, vous ne voulez pas répondre ?
ÉRIC DUPOND-MORETTI
Mais elle est prématurée votre question, Monsieur CALVI, j'ai formé un pourvoi en cassation…
YVES CALVI
Vous savez qu'il est normal qu'on se la pose…
ÉRIC DUPOND-MORETTI
Je ne sais pas…
YVES CALVI
Enfin, en tout cas, que je vous la pose…
ÉRIC DUPOND-MORETTI
Oui, mais il est normal que je vous réponde de cette façon, je ne suis pas un sous-justiciable.
YVES CALVI
Merci Eric DUPOND-MORETTI…
ÉRIC DUPOND-MORETTI
Je vous en prie…
YVES CALVI
Bonne journée, bon travail à vous.
ÉRIC DUPOND-MORETTI
Merci.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 22 décembre 2022