Déclaration de M. Gabriel Attal, ministre chargé des comptes publics, sur la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, au Sénat le 11 janvier 2023.

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  • Gabriel Attal - Ministre délégué chargé des comptes publics

Circonstance : Débat organisé au Sénat à la demande de la commission des finances

Texte intégral

Mme le président. L'ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la commission des finances, sur la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales.

Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s'il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l'orateur disposera alors à son tour d'un droit de répartie, pour une minute.

Monsieur le ministre, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura regagné sa place dans l'hémicycle.

Le temps de réponse du Gouvernement à l'issue du débat est limité à cinq minutes.

Dans le débat, la parole est à M. Jean-François Husson, au nom de la commission qui a demandé ce débat. (Mme Laure Darcos applaudit.)

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat sur la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales s'inscrit dans la continuité des travaux engagés par la commission des finances et la Haute Assemblée il y a de nombreuses années.

Au cours des dernières années, il y a bien sûr eu l'examen du projet de loi devenu la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude, qui comprend de nombreux apports du Sénat, mais aussi les tables rondes organisées par la commission des finances sur les Pandora Papers ou les CumEx Files et les amendements que nous avons pu proposer dans le cadre de l'examen des projets de loi de finances. Surtout, une mission d'information de la commission, présidée par le président Claude Raynal et dont j'étais le rapporteur, a achevé ses travaux et a rendu ses conclusions au mois d'octobre dernier.

La lutte contre la fraude a un triple objectif : dissuasif, budgétaire et répressif. J'insisterai sur la dissuasion, car être efficace dans notre lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, c'est à la fois parvenir à dissuader certains acteurs de "tenter leur chance", au mépris de nos règles communes, et préserver le consentement à l'impôt, tout en assurant le financement par tous, dans le respect des capacités de chacun, de nos services publics. J'ajoute que, en période de crise, la fraude fiscale est d'autant moins acceptable que nous demandons à tous de faire des efforts et que nous devons maîtriser nos finances publiques.

Dans le cadre de cette mission d'information, nous avons travaillé sur quatre aspects : le renforcement de l'efficacité de la réponse pénale à la fraude fiscale, l'amplification des efforts déployés pour lutter contre la fraude à la TVA, la nécessité d'assortir les dispositifs d'accès aux données des garanties juridiques nécessaires pour assurer leur pleine effectivité et le renforcement des outils de lutte contre les montages fiscaux et internationaux abusifs.

Notre première conclusion fut que l'arsenal normatif mis en place par la France pour lutter contre la fraude paraissait plutôt robuste. De fait, nos travaux n'appellent pas à une révolution fiscale, mais, comme nous le souhaitions, ils aboutissent à l'élaboration d'un bilan de la loi de 2018 ainsi qu'à des propositions concrètes, réalistes et, pour la plupart, faciles à mettre rapidement en œuvre.

D'ailleurs, plusieurs recommandations ont d'ores et déjà donné lieu à des amendements présentés dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2023. Ils ont, dans leur grande majorité, été adoptés à l'unanimité et certains ont même survécu au couperet de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution. Je pense, par exemple, à l'extension des compétences des officiers fiscaux judiciaires aux escroqueries concernant la TVA ou à l'impératif de mieux évaluer la fraude.

L'évaluation est en effet un enjeu fondamental : alors que les chiffres se multiplient dans le débat public, parfois à tort et à travers, nous avons besoin d'évaluations méthodologiquement plus étayées et plus robustes. Il faudrait pouvoir estimer, monsieur le ministre, la proportion des droits fraudés que l'administration parvient finalement à récupérer : 10 % ? 20 % ? 30 % ? Plus ? Personne ne peut véritablement le dire…

Il serait évidemment dommage de nous arrêter là dans le suivi des travaux de la commission. D'abord, toutes les recommandations relevant de la loi n'ont pas encore trouvé leur traduction législative. C'est le cas par exemple de la sécurisation des dispositifs d'accès aux données ou de certaines propositions concernant la lutte contre la fraude à la TVA. Ensuite, certaines dispositions, qui n'ont pas été retenues dans la loi de finances pour 2023, doivent être rediscutées. Il s'agit par exemple du rôle des assistants spécialisés, qui aident les procureurs dans le traitement des dossiers de fraude les plus complexes, de la détaxe à la TVA, des moyens des services d'enquêtes spécialisés ou encore – sujet majeur – du droit de visite des douanes.

Pour résumer, il nous reste donc encore bien du travail pour donner toute leur portée aux recommandations de nature législative de la mission d'information et pour améliorer la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales. Nous devons réfléchir au véhicule le plus approprié pour les inscrire dans la loi.

Toutefois, il est également des sujets sur lesquels d'éventuels progrès dépendent non pas véritablement du Parlement, mais bien du Gouvernement. C'est notamment le cas de la lutte contre les montages transfrontaliers abusifs, sujet majeur s'agissant d'une source inépuisable de fraude et d'évasion fiscales.

Les évaluations de l'Observatoire européen de la fiscalité sont, à cet égard, sans appel : plus de 10 % de la richesse nette totale de l'Europe, soit 2 300 milliards d'euros, seraient détenus à l'étranger, pour une perte de recettes fiscales de l'ordre de 55 milliards d'euros par an. L'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) estimait en 2020 que, à l'échelon mondial, 11 000 milliards d'euros étaient détenus sur des comptes offshore. Or le pouvoir du législateur est relativement limité pour lutter contre ces phénomènes, si le Gouvernement n'agit pas en amont, à l'échelon européen ou international.

Je ne nierai pas que le projet de taxation minimale est un premier pas satisfaisant, même s'il est insuffisant et perfectible, mais il n'y a encore que trop peu d'avancées, par exemple sur la renégociation des conventions fiscales. Pouvons-nous encore accepter que certaines conventions facilitent les arbitrages de dividendes, pratique plus connue sous le nom de CumEx Files ? Un chiffre, monsieur le ministre : ces montages auraient coûté à la France 33 milliards d'euros de recettes fiscales en vingt ans. Sur la seule année 2018, près de 1,2 milliard d'euros auraient échappé à la France, le montant recouvré ne s'élevant qu'à 277 millions d'euros. Monsieur le ministre, quels sont les efforts déployés pour renégocier certaines conventions ou pour les assortir de clauses anti-abus ? La commission des finances suit ce dossier depuis le premier jour et elle poursuivra son travail.

De même, encore trop souvent, les services du contrôle fiscal, pourtant expérimentés et déterminés, ne peuvent accéder à des documents essentiels à leurs enquêtes. Des blocages persistent dans certains pays et la transparence n'est pas toujours garantie. Les actuelles listes, grise ou noire, de paradis fiscaux sont insuffisantes.

Que fait le Gouvernement, à l'échelon européen ou international, pour lutter contre les paradis fiscaux et pour accroître la transparence sur les bénéficiaires effectifs ? Quelle sera sa position lorsqu'il s'agira de revoir la réglementation européenne relative aux informations sur les bénéficiaires effectifs de sociétés, alors que la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a sévèrement amoindri la portée de cette réglementation pour ce qui concerne les objectifs de lutte contre l'évasion fiscale ?

Après cette brève présentation de nos récents constats et de nos recommandations pour l'avenir, mais aussi ces quelques questions adressées à M. le ministre, je laisse maintenant la place au débat.

Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, en introduction de ce débat, je tiens à souligner combien je me réjouis que le Sénat ait inscrit ce débat important à son ordre du jour.

Ce débat est en effet crucial pour notre pacte social, la lutte contre la fraude étant un facteur essentiel du consentement à l'impôt et de notre capacité à rester une société unie.

C'est également un enjeu politique important, nous avons pu le mesurer quand, lors de la dernière campagne présidentielle, un certain nombre de candidats ont proposé de créer un ministère de la lutte contre la fraude. Il se trouve que ce ministère existe, c'est le ministère des comptes publics, et je vous prie de croire que nous avons fait du renforcement de notre efficacité en la matière une priorité importante. D'ailleurs, avant la fin du premier trimestre de 2023, j'aurai l'occasion de présenter un plan de lutte contre toutes les fraudes, fiscale, sociale ou douanière.

À cet égard, je tiens à saluer la très grande qualité du travail du Sénat et notamment de la mission d'information de votre commission des finances. Nous avons eu l'occasion de débattre à plusieurs reprises, dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2023, des conclusions de cette mission et plusieurs des mesures recommandées dans son rapport ont été intégrées – vous l'avez indiqué, monsieur le rapporteur général – dans la loi de finances.

Néanmoins, certaines d'entre elles n'ont pas survécu au couperet non du 49.3, mais du Conseil constitutionnel (Sourires.), qui les a censurées en tant que cavaliers budgétaires. Peut-être aurons-nous l'occasion de les insérer dans de futurs textes.

En tout état de cause, nous allons avoir cet après-midi un débat important pour le redressement des comptes publics, lequel passe aussi par cette lutte, mais aussi, de manière plus globale, pour notre pacte social et pour le consentement des Français à notre modèle de solidarité.

Mme le président. La parole est à M. Rémi Féraud. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Rémi Féraud. C'est à la demande de la commission des finances que nous débattons aujourd'hui de la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, pour faire suite au rapport rendu voilà quelques semaines par le président Claude Raynal et le rapporteur général Jean-François Husson.

Ce sujet nous anime tous, surtout depuis que de grandes affaires ont été révélées par la presse : Panama Papers, CumEx Files, Pandora Papers… Si l'on reprend l'historique des mesures adoptées au cours des dix dernières années, il faut souligner les progrès que représentent la création du parquet national financier (PNF), celle de l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales et celle de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). C'est grâce à la mise en place de ces institutions que les avancées de notre pays en matière de lutte contre la fraude fiscale ont été jugées positivement par certaines ONG.

Au cours du quinquennat précédent, nous avons également eu à examiner le projet de loi de 2018 relatif à la lutte contre la fraude. Lors de nos débats, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain avait souligné les avancées du texte, comme la réforme du "verrou de Bercy", qui avait déjà fait l'objet d'une proposition de loi de notre collègue Marie-Pierre de La Gontrie. D'autres dispositions, comme celle qui portait sur la lutte contre la fraude à la TVA, constituaient de réelles avancées et nous ne nous étions pas opposés à ce texte.

En revanche, nous avions exprimé nos regrets sur la timidité du Gouvernement à l'égard des paradis fiscaux, la liste retenue excluant de nombreux pays dont les pratiques s'apparentent pourtant à un véritable dumping fiscal. Mon collègue Thierry Carcenac alertait également le Sénat sur la faiblesse des effectifs de la direction générale des finances publiques affectés au contrôle fiscal, alors que le nombre d'entreprises soumises à la TVA ne cesse d'augmenter.

La mission d'information de la commission des finances permet de dresser un premier bilan de l'application de cette loi. Le premier enseignement qu'elle a tiré est la difficulté d'apprécier l'efficacité de la lutte contre la fraude fiscale en France. Si les résultats du contrôle fiscal sont en hausse depuis 2018, nous ne pouvons pas apprécier pleinement l'efficacité du dispositif, faute de données fiables sur l'ampleur de la fraude.

Néanmoins, pour ce qui concerne la réforme du verrou de Bercy, la mission d'information a montré dans ses conclusions que l'équilibre trouvé en 2018 permet d'obtenir des résultats encourageants, les dossiers transmis par l'administration fiscale aux parquets ayant fortement augmenté. C'est bien la preuve que cette remise en cause partielle du verrou de Bercy était nécessaire…

Sur la TVA, les travaux de la commission justifient les inquiétudes que nous avions exprimées, puisque la part de la TVA dans les résultats du contrôle fiscal ne cesse de régresser d'année en année. Il y a sur ce point un réel besoin de faire monter les contrôles en puissance. Il ne faut pas prendre de retard, afin que le contrôle s'adapte à l'évolution de la fraude.

Vous le voyez, tous les principes, alertes et objectifs que nous défendions en 2018 sont toujours vrais aujourd'hui.

J'ajoute qu'il ne peut pas y avoir de véritable lutte contre la fraude fiscale sans une détermination de même ampleur contre l'évasion fiscale et les paradis fiscaux.

À cet égard, les députés de gauche se sont alarmés récemment, à juste titre, d'une mesure inscrite discrètement dans la loi de finances. Dans une tribune publiée dans le journal Le Monde, ils ont protesté contre la création d'une nouvelle niche fiscale, en faveur des captives de réassurance, insérée dans le texte par voie d'amendement au Sénat et adoptée quasiment sans débat grâce au recours à la procédure du 49.3. Ces captives sont un moyen d'optimisation fiscale : sur la centaine d'entre elles qui sont détenues par des entreprises, moins de dix sont domiciliées en France, le reste étant réparti dans des paradis fiscaux.

Comment le Gouvernement peut-il affirmer qu'il agit avec une vraie détermination contre l'évasion fiscale quand il fait adopter une telle mesure ? Alors que la France est "à l'euro près", selon le ministre de l'économie, comment peut-il prendre des mesures qui favorisent l'exil fiscal des multinationales et coûteront encore quelques centaines de millions d'euros supplémentaires à l'État ?

Cela montre bien qu'il est indispensable d'agir à l'échelon international, le rapporteur général y insistait. Je me félicite également de l'instauration d'un taux d'imposition minimal sur les sociétés, fixé à 15 % dans l'Union européenne ; c'est un premier pas, mais il doit s'inscrire dans une politique globale, cohérente et déterminée, pour prendre tout son sens.

Parce que l'évasion et la fraude fiscales minent notre contrat social et démocratique, le consentement à l'impôt, la régulation mondiale, la capacité des peuples à maîtriser leur destin et à rechercher l'intérêt général au service de tous, ce n'est qu'en conjuguant mesures françaises et internationales qu'il sera possible d'établir une politique efficace en la matière. Je me félicite que le Sénat y contribue (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Éric Bocquet applaudit également.)

Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Beaucoup de sujets ont été abordés, je vais devoir choisir…

Je vous rejoins, monsieur le sénateur, sur la question de la fraude à la TVA. C'est en effet un enjeu majeur, puisque, selon la dernière évaluation de l'Insee, la fraude à cette taxe s'élève à environ 20 milliards d'euros par an. On voit donc à quel point il est nécessaire d'agir plus efficacement.

À cet égard, un chantier me semble majeur : celui de la facturation électronique interentreprises, décidée par le Parlement voilà plusieurs années. Cette réforme, qui va entrer en vigueur à partir de 2024, sera majeure. D'un point de vue technique, elle est d'une ampleur comparable à celle du prélèvement à la source. On en parlera probablement moins, parce que cela concerne non pas les Français directement, mais les entreprises, mais nous y travaillons tout de même d'arrache-pied pour anticiper les choses et pour rendre cette réforme simple pour les entreprises ; c'est d'ailleurs ce qui justifie une entrée en vigueur progressive.

L'Italie a été le premier pays d'Europe à mettre en place une telle réforme et, dès les premières années, elle a pu recouvrer plusieurs milliards d'euros de TVA supplémentaires. Ensuite, il y a eu un effet comportemental sur la déclaration des entreprises. Donc, oui, je suis d'accord pour faire de la fraude à la TVA une priorité et le chantier de la facturation électronique est à cet égard crucial.

Le second sujet concerne le secteur du e-commerce, qui a pris énormément d'ampleur. Des discussions sont actuellement menées à l'échelon européen sur ce thème ; je pense notamment à la directive dite "e-commerce", sur laquelle nous souhaitons également avancer.

Mme le président. La parole est à M. Éric Bocquet.

M. Éric Bocquet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à saluer l'excellente initiative de la commission des finances, sous l'impulsion de son président et de son rapporteur général, consistant à mettre sur pied la mission d'information sur la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, près de quatre ans après l'adoption de la loi, dite Darmanin, du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude.

En effet, il convenait de tirer un premier bilan des dispositions adoptées à l'époque ; il est très salutaire que le Parlement s'intéresse à ce sujet de manière permanente, tant l'enjeu est fondamental pour nos finances publiques. Au cours des dernières années, on a constaté une difficulté : les révélations sur ce sujet dans la presse suscitent des réactions indignées pendant quarante-huit heures au mieux, puis le soufflé retombe, tandis que les réactions du Gouvernement ne sont pas à la hauteur des enjeux financiers colossaux.

Chacun a ici en mémoire la déclaration très péremptoire du président Nicolas Sarkozy, le 23 septembre 2009 : "Les paradis fiscaux, c'est terminé !"

Pourtant, au cours des quatorze dernières années, les scandales se sont répétés. Si l'on fait le compte, depuis 2013 – année de la tristement célèbre affaire Cahuzac, qui a fait tant de mal à notre République –, pas moins de quinze affaires ont été révélées par les journalistes d'investigation et les lanceurs d'alerte. Je les remercie, au nom de l'intérêt général !

Chaque fois, on retrouve les mêmes montants astronomiques, les mêmes systèmes sophistiqués et, trop souvent, malheureusement, l'implication de responsables politiques de haut niveau, ici et ailleurs. C'est ainsi que nous eûmes successivement droit aux Panama Papers, aux Paradise Papers, aux LuxLeaks, à l'OpenLux, aux CumEx Files, à l'affaire UBS et, plus récemment, aux Pandora Papers. Quel exotisme…

Cette accumulation d'affaires illustre parfaitement le caractère systémique et quasi industriel de l'évasion fiscale. Ce constat confère aux responsables politiques, quels qu'ils soient, une responsabilité majeure. Quel est donc le bilan de la loi de 2018 ?

La mission d'information a constaté l'insuffisante évaluation de la fraude fiscale, notre rapporteur général l'a rappelé. La loi de 2018 avait prévu la création d'un observatoire d'évaluation de la fraude fiscale. Celui-ci n'a jamais vu le jour, faute d'un président. Pourtant, j'avais modestement proposé, à l'époque, ma candidature, à titre bénévole, soucieux que je suis des deniers publics. L'observatoire est donc mort-né, perdu dans les limbes…

Certes, le verrou de Bercy fut quelque peu desserré. C'est une bonne chose, mais il n'a toutefois pas été complètement supprimé. Nous sommes nombreux à penser que sa suppression totale devrait être envisagée, mais cela nécessiterait de renforcer en parallèle les moyens de la justice, notamment le parquet national financier, afin que notre justice puisse traiter comme il convient tous les dossiers de fraude fiscale.

Je ne partage pas la satisfaction de la mission d'information à propos des réponses pénales et des instruments de justice que constituent la convention judiciaire d'intérêt public (CJIP) – je me demande toujours où est l'intérêt public dans ce dispositif – et la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), une sorte de plaider-coupable à l'anglo-saxonne.

Certes, le Gouvernement peut mettre en avant les condamnations de McDonald's ou du Credit Suisse au cours des derniers mois, mais les amendes récupérées ne représentent pas la totalité des sommes détournées et cette méthode de "négociation" laisse entendre au commun des mortels que la loi fiscale ne s'applique pas de la même manière, "selon que vous serez puissant ou misérable", pour reprendre les termes du grand Jean de La Fontaine.

Notre mission d'information a aussi examiné de manière très logique la dimension européenne du sujet. L'Union européenne considère qu'il n'existe en son sein aucun paradis fiscal. Pour répondre à cela, je me contenterai de citer l'exemple de nos "partenaires" du Luxembourg, mis en cause en février 2021 dans une enquête au long cours du journal Le Monde intitulée OpenLux. Nous apprenions dans cette enquête que le Luxembourg hébergeait 55 000 sociétés offshore, cumulant ensemble 6 500 milliards d'euros d'actifs, quasiment vingt fois le budget de la France ! En outre, parmi ces 55 000 sociétés venaient, en tête de classement, les Français, 17 000 de nos concitoyens détenant des sociétés offshore.

L'une des armes essentielles, indispensable dans la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, est la transparence. Or, de ce point de vue, l'Union européenne envoie ces derniers temps des messages quelque peu inquiétants et contre-productifs, comme Jean-François Husson l'a rappelé.

Jugeons-en : la Cour de justice de l'Union européenne considère au travers d'une décision très surprenante que la communication des informations sur les bénéficiaires effectifs des sociétés est réservée aux pouvoirs publics et aux organismes spécialement habilités à recevoir ces données. Jusque-là, de telles informations étaient en libre accès sur internet. La CJUE freine ainsi les ardeurs des défenseurs d'une transparence absolue.

Il est clair que seules une volonté politique forte, pérenne, et une priorisation de ce combat permettront d'avancer véritablement, au nom de l'intérêt général. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)

Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Les conventions judiciaires d'intérêt public me semblent, à plusieurs titres, être un outil utile. D'abord, elles font gagner du temps, les procédures judiciaires pouvant être extrêmement longues. Ensuite, elles permettent de s'assurer que les finances publiques recouvrent une part très importante de la fraude.

Indépendamment du fait que les recours en appel, ou les procédures elles-mêmes, peuvent être très longs, il faut savoir, au moment d'entamer une bataille judiciaire, qui l'on affronte. Même si l'État est, évidemment, très outillé, de grandes entreprises disposent parfois d'une armée juridique ; aussi, les choses peuvent durer.

De plus, la succession d'instances et d'appels peut finir par faire baisser le montant que nous parvenons à recouvrer. J'en veux pour preuve le cas d'UBS : le contentieux n'est pas encore réglé, il me semble, mais il est clair que la peine sera amoindrie, entre la première condamnation et l'appel, de plusieurs milliards d'euros.

Je tiens à saluer l'engagement des agents et des enquêteurs de la direction des vérifications nationales et internationales (DVNI). Ils ont notamment permis la signature de la CJIP avec McDonald's cet été ; j'étais allé les rencontrer sur site pour saluer ce travail qui a rapporté 1,3 milliard d'euros. Vous-même, monsieur le sénateur, avez cité une autre affaire, concernant le Credit Suisse.

Si la DVNI me paraît un outil utile, il faut examiner si signer un accord avec les parties "vaut le coup", ou s'il vaut mieux aller au contentieux ; je vous rejoins évidemment sur ce point. Les agents remarquables qui ont été à l'œuvre sur les affaires mentionnées, en l'occurrence, ont considéré que signer la CJIP valait la peine, ce sur quoi nous étions d'accord. Elle nous permet de recouvrer les montants contestés, et garantit également, par rapport à des procédures multiples étalées sur plusieurs années, de remettre plus rapidement "dans les clous" l'entreprise concernée.

Mme le président. La parole est à Mme Sylvie Vermeillet. (M. Michel Canévet applaudit.)

Mme Sylvie Vermeillet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, à parcourir les multiples et vertigineuses estimations de la fraude fiscale, à les comparer à nos semaines de débat pour ajuster les lois de finances, on a l'impression de se trouver devant le tonneau des Danaïdes…

En effet, pendant que nos travaux se concentrent sur la création, la suppression ou la répartition de tel ou tel impôt, des dizaines de milliards d'euros nous échappent du fait d'une telle fraude.

Par conséquent, je remercie la mission d'information relative à la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, et je salue son travail important, en premier lieu celui du rapporteur général de la commission des finances, Jean-François Husson. En effet, compte tenu des montants en jeu, il y a bien urgence à agir dans ce domaine.

Je souscris sans réserve aux recommandations visant à donner accès aux données nécessaires à leur mission de contrôle et de répression aux services de la direction générale des finances publiques (DGFiP), de la direction générale des douanes et droits indirects et à ceux de la justice. Je souscris également aux recommandations dont l'objectif est de fluidifier les échanges entre ces directions et de favoriser le partage des données utiles à chacune.

Il est urgent de mettre en œuvre la recommandation n° 5 du rapport, visant à doubler, d'ici à cinq ans, le nombre d'officiers fiscaux judiciaires, ce qui suppose que les salaires soient attractifs.

Tout commence par là, monsieur le ministre : il nous faut les meilleurs des meilleurs pour déjouer les systèmes les plus sophistiqués qui soient. Fort heureusement, quelques-uns de ces spécialistes sont de notre côté, mais ils sont trop peu nombreux, et sous-rémunérés au regard de ce que la grande finance peut offrir. Pour inverser le rapport de force, il nous faut déployer des armes de gros calibre. Cela suppose, en premier lieu, de disposer d'agents nombreux, très bien payés et bénéficiant de moyens.

En matière de fraude à la TVA, estimée entre 20 milliards et 25 milliards d'euros chaque année, je présenterai trois constats.

Le premier est lié aux fraudes à la TVA. Leurs sources sont multiples : absence de reversement de la TVA collectée, reversement de cette taxe à un taux minoré, optimisation des opportunités du droit intracommunautaire en multipliant, pas seulement en matière de e-commerce, les opérateurs non immatriculés ou défaillants et, bien sûr, organisation de fraudes de type "carrousel".

En raison de ce fléau qu'est la fraude carrousel, j'ai un doute sur l'efficacité de la généralisation de la procédure d'autoliquidation de la TVA au 1er janvier 2022. L'autoliquidation constitue justement le point de départ d'une telle fraude ! Si les déclarations ne sont pas contrôlées, les failles vont devenir des gouffres ; le machine learning à disposition des services de contrôle de la DGFiP n'est pas encore assez intelligent pour vérifier cette autoliquidation.

Mon constat est donc un appel à la vigilance : le guichet unique de déclaration de la TVA à l'importation sera-t-il efficace ?

Mon deuxième constat sera une suggestion au sujet des actifs numériques, notamment les jetons non fongibles, les NFT (Non Fongible Tokens), pour lesquels la fraude de type carrousel est tentante. Essayons de ne pas prendre trop de retard sur les voleurs et adaptons notre réglementation !

Les NFT peuvent être instantanément acquis et cédés entre deux assujettis à la TVA. L'absence de flux physique facilite la fraude. Comme il n'existe pas de registre officiel permettant de faire le rapprochement entre l'adresse publique détenant les actifs numériques et la dénomination sociale du bénéficiaire, ne peut-on pas obliger les entreprises françaises à déclarer, comme les particuliers, leurs comptes d'actifs numériques à l'administration fiscale ?

Dernier constat, si la fraude carrousel est un enjeu important, il existe aussi toute une fraude de base consistant à ne pas déclarer tout ou partie de ses recettes. Je me suis déjà exprimée plusieurs fois à ce sujet, car il est clair que les comptables et les banquiers savent qui triche et qui déclare.

L'agence Tracfin est, bien sûr, opérationnelle, mais les experts-comptables ne vont pas lui adresser des signalements pour des affaires mineures. Or de telles affaires représentent, à l'échelle de la France, quelques milliards d'euros de TVA.

Aussi, monsieur le ministre, quelle est votre position sur le secret professionnel inhérent aux professions bancaires et comptables ? Ne pensez-vous pas qu'il pourrait exceptionnellement être levé lorsque l'administration fiscale procède à des contrôles ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Premièrement, je confirme qu'il faut renforcer les moyens du service d'enquêtes judiciaires des finances (SEJF). Ce service, très utile, dirige des enquêtes judiciaires avec les services de Bercy. Au-delà des moyens, je souhaiterais élargir la réflexion à la question des compétences et des pouvoirs.

En effet, les moyens ne peuvent être dissociés du champ de compétence, ce que le Sénat a bien perçu en préconisant dans le rapport de sa mission d'information une extension des pouvoirs des officiers fiscaux judiciaires aux escroqueries à la TVA. Cette extension pourrait intégrer d'autres domaines, conformément à la feuille de route du plan de lutte contre toutes les fraudes que j'évoquais précédemment, sur lequel nous travaillerons dans les trois prochains mois.

Deuxièmement, les NFT étant des actifs numériques, ils sont traités fiscalement comme tels. À ce titre, nous avons adapté notre droit pour améliorer le traitement des revenus issus des crypto-actifs. Aussi, nous ne sommes pas pris de court par l'irruption des NFT : nous savons déjà comment les prendre en compte. Les particuliers comme les entreprises doivent déclarer ceux qu'ils détiennent.

Il faut probablement aller plus loin, perfectionner les obligations déclaratives et nos outils. Pour cette raison, la Commission européenne a dévoilé un projet : la directive relative à la coopération administrative DAC8. Elle vise à renforcer les obligations déclaratives en la matière. Il me semble que la présidence suédoise du Conseil de l'Union européenne en a fait une de ses priorités. Évidemment, la France elle-même sera à la manœuvre.

Troisièmement, je rappelle que les intermédiaires financiers ne peuvent opposer le secret professionnel lorsque la DGFiP leur demande des informations ou, en tout cas, lorsqu'elle exerce ce qu'on appelle son droit de communication. Lorsque cela est le cas, ces intermédiaires s'exécutent ; ils ont également l'obligation de communiquer ces données à Tracfin, en cas de doute sérieux.

Bien entendu, il arrive que des professionnels ne se conforment pas à la loi. Il faut alors les identifier puis les sanctionner. Toutefois, l'écrasante majorité d'entre eux respecte, sur demande, le droit de communication et fait les signalements à Tracfin.

Mme le président. La parole est à Mme Sylvie Vermeillet, pour la réplique.

Mme Sylvie Vermeillet. Je vous remercie, monsieur le ministre, pour vos réponses. Malgré tout, le prochain fléau en termes d'évasion fiscale et de fraude à la TVA sera, je le pense, lié aux NFT. La preuve, l'administration fiscale britannique a ouvert une enquête sur trois de ces jetons ; 250 sociétés sont mises en cause.

Il faut conserver une vigilance particulière en matière de déploiement de ces crypto-actifs. Je suis certaine que vous ne prenez pas de retard et que vous faites ce qu'il faut.

Mme le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme cela a été dit, la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales est un sujet étudié de longue date par notre commission des finances. Mon collègue Éric Bocquet a rappelé nos discussions, remontant à quelques années, sur l'organisation de véritables COP fiscales et financières.

Pour sa part, en 2019, le groupe RDSE avait organisé, sur l'initiative de notre ancien collègue Yvon Collin, un débat relatif à la fraude à la TVA transfrontalière, un sujet également crucial. Cette thématique a été conservée dans les travaux de la mission d'information : je m'en félicite.

En effet, le montant de la fraude à la TVA, et plus largement à l'ensemble des impôts, est considérable. Pourtant, on bute encore sur la difficulté à évaluer le montant exact de la fraude fiscale, et ce à plusieurs dizaines de milliards d'euros près.

C'est un aspect particulièrement éclairant du rapport d'information remis à l'automne dernier : il pointe "un défaut d'évaluation du phénomène de fraude […] préjudiciable à la juste appréciation des résultats du contrôle fiscal". On ne saurait être plus clair !

Plusieurs de nos voisins, qui ne sont pourtant pas les derniers en matière de fraude ou d'optimisation, publient des estimations de la fraude fiscale, ou, plus exactement, de l'écart entre les recettes attendues et celles qui sont effectivement recouvrées. Il s'agit principalement des pays anglo-saxons et nordiques. Cela suppose d'importants travaux méthodologiques et des contrôles aléatoires. Cette mission pourrait concrètement relever de l'Insee.

Une première évaluation – bonne nouvelle ! – a été donnée en 2022 pour la TVA : entre 20 milliards et 25 milliards d'euros de fraude par an. Cela représente un taux de fraude sur la première ressource fiscale compris entre 10 % et 15 %.

Notre arsenal juridique en matière de lutte a pourtant évolué ces dernières années. Je pense en particulier à la suppression du fameux verrou de Bercy, en 2018, à mettre au crédit du précédent gouvernement. Avant, le juge avait l'initiative des poursuites non pour fraude fiscale, seulement pour blanchiment de fraude. Dorénavant, la justice dispose de marges de manœuvre plus importantes, même si cela a pour conséquence logique une forte hausse du nombre de dossiers à traiter par le parquet national financier.

Plus largement, la lutte contre la corruption a été renforcée depuis l'adoption de la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi Sapin 2. Les entreprises et les banques implantées en France se voient désormais appliquer des règles de conformité plus strictes, entrant également dans le cadre d'accords internationaux, comme ceux de Bâle III.

Parallèlement, les technologies évoluent aussi : l'échange automatique de données est une réalité, bien que les moyens de contournement soient eux aussi toujours plus sophistiqués. Les règles internationales plus strictes ont eu pour effet collatéral le développement de la finance de l'ombre, tandis que le système Beps (Base Erosion and Profit Shifting) de l'OCDE, visant à lutter contre l'érosion des bases fiscales, reste facultatif dans bien des domaines.

Les propositions d'évolution législative se heurtent à des difficultés de procédure. Je pense ainsi aux dispositions de la dernière loi de finances censurées il y a quelques jours par le Conseil constitutionnel : l'article 83, qui concernait la levée du secret professionnel des agents des finances publiques en faveur des assistants détachés auprès du procureur de la République, et l'article 187, qui réduisait le nombre de membres de la commission des infractions fiscales, ont été considérés comme des cavaliers législatifs malgré l'avis favorable émis en séance par le Gouvernement. C'est la preuve que les sages de la rue de Montpensier peuvent se montrer aussi tatillons que notre commission des finances en matière de recevabilité ! (Sourires sur le banc des commissions.)

Je terminerai mon propos sur les lacunes persistant dans notre droit national ou européen. En 2023, certaines de nos conventions fiscales bilatérales restent avantageuses pour les investisseurs étrangers, alors que la France est souvent décrite comme un enfer fiscal. Il est vrai que notre droit fiscal est l'un des plus complexes, et que la pression fiscale moyenne reste élevée. À ce propos, dispose-t-on d'une évaluation de la fraude involontaire, liée à l'ignorance de certaines règles de fiscalité ?

En conclusion, a-t-on réellement progressé dans la lutte contre l'évasion fiscale depuis le sommet du G20 à Londres en 2009 ? Si les connaissances et les moyens de lutte se sont indéniablement renforcés, force est de constater que les ordres de grandeur sont restés plus ou moins les mêmes. Le "mur de l'argent", évoqué il y a plus d'un siècle par Édouard Herriot, garde encore de beaux jours devant lui…

Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur Requier, vous abordez dans votre intervention un point important : la capacité d'évaluation de la fraude, et notamment celle à la TVA. Je tiens à dire que nous avons précisément fait évoluer notre méthodologie d'évaluation de la fraude à la TVA sur l'initiative du Parlement.

J'évoquais l'étude de l'Insee estimant cette fraude à 20 milliards d'euros ; en réalité, le chiffre exact est de 23 milliards d'euros par an. Cette estimation est justement élaborée à partir d'une nouvelle méthodologie, construite avec les services de la direction générale des finances publiques. À partir des contrôles fiscaux effectués, la nouvelle évaluation se fonde sur une extrapolation. La méthode est clairement différente de la précédente, celle de l'écart de TVA.

Comme vous, je crois profondément qu'il faut perfectionner notre évaluation. La question du montant de la fraude dans notre pays, qu'elle soit fiscale ou sociale, revient beaucoup dans le débat public, mais il est très difficile d'y répondre. Si nous étions capables d'apporter une réponse précise, nous saurions où se situe la fraude ; elle serait alors recouvrée.

J'y vois une question démocratique essentielle. Je le disais précédemment, la lutte contre la fraude a pris une place importante lors de la dernière élection présidentielle, les procédures que vous évoquiez ayant été au centre de l'attention ; cette lutte est même devenue aux programmes des candidats à l'élection présidentielle ce que le tabac est aux amendements parlementaires (M. Antoine Lefèvre rit.), à savoir un gage pour faire passer toutes les propositions. Face à des propositions nombreuses, il suffit de dire que ces dépenses seront financées par l'argent recouvré grâce à la lutte contre la fraude, mais quel est le montant recouvrable derrière cette expression de "lutte contre la fraude" ?

Dans le cadre de la feuille de route que je présenterai, il sera essentiel de renforcer notre capacité d'évaluation et d'objectivation du phénomène.

Mme le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre.

M. Antoine Lefèvre. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, "la fraude est à l'impôt ce que l'ombre est à l'homme", disait Georges Pompidou. L'ancien Président de la République soulignait de cette façon l'étroite relation entre la contribution obligatoire des citoyens aux charges publiques, respectée par le plus grand nombre, et la proportion d'individus qui choisira de s'y soustraire au cours de son existence.

La fraude fiscale priverait chaque année l'État de 80 milliards à 100 milliards d'euros de recettes, selon l'Insee. Ces estimations sont approximatives, les déterminer précisément étant impossible, mais elles donnent à elles seules le tournis. Elles équivalent en tout et pour tout à près d'un quart des 450 milliards d'euros du budget de l'État adopté pour 2023.

Cette fraude porte gravement atteinte aux principes de solidarité nationale et d'égalité devant tant la loi fiscale que les charges publiques, qui figurent – vous le rappeliez, monsieur le ministre – en préambule de notre Constitution.

Ses préjudices pour notre société sont innombrables. Ils sont autant d'investissements manqués dans les politiques publiques de notre nation que de coups de couteau donnés à notre contrat social. La redistribution pour nos concitoyens les plus défavorisés n'est pas pleinement opérée, l'idée même de performance publique est affaiblie, la confiance qui doit régir les rapports entre les citoyens et l'administration se trouve durablement sapée.

C'est parce que notre société condamne avec la plus grande sévérité les faits de fraude fiscale que notre puissance publique s'est dotée, au fil des décennies, d'armes nouvelles pour la combattre. Le Conseil constitutionnel a fait le choix de l'ériger au rang d'objectif de valeur constitutionnelle par une décision du 29 décembre 1999. Le législateur, pour sa part, a examiné puis adopté la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude ; notre chambre avait puissamment contribué à l'élaboration de ce texte en adoptant notamment en commission la fin du verrou de Bercy, ainsi que le renforcement des diverses sanctions pénales et administratives applicables.

La commission des finances du Sénat a souhaité ramener ce sujet au cœur des discussions il y a un an, en mettant sur pied en janvier 2022 une mission d'information relative à la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales. Je remercie le président de cette commission, Claude Raynal, ainsi que son rapporteur général, Jean-François Husson, pour leur initiative extrêmement judicieuse, ainsi que pour la grande qualité des travaux qu'ils ont rendus.

Leurs conclusions font état d'un gain d'efficacité des instruments affectés au contrôle fiscal, et, ainsi, d'une progression des montants recouvrés sur les cinq dernières années : environ 10,6 milliards d'euros en 2021 contre 7,7 milliards d'euros trois années plus tôt. Face à cette hausse de 38 % des recouvrements, nous serions bien ingrats de bouder notre plaisir…

Hélas, ces montants demeurent bien loin de la réalité de ceux annuellement soustraits à l'État et aux collectivités. Il revient dès lors au législateur non seulement de poursuivre les efforts engagés dans cette direction, mais aussi, et peut-être en premier lieu, d'interroger les motifs de la persistance de cette fraude fiscale.

Si l'on se fonde sur la pensée développée par l'économiste américain Richard Musgrave en 1959, l'État doit pourvoir trois grandes fonctions constitutives de sa puissance publique : l'allocation des ressources, la redistribution des richesses et la régulation de l'activité économique. Partant de là, la volonté qui anime l'auteur de l'infraction de fraude fiscale résulte de la perte de légitimité de ces missions, et donc de l'absence de consentement à y contribuer à un titre quelconque, fût-il marginal.

En réalité, assurer le consentement des citoyens à l'impôt dépend invariablement de sa juste et proportionnelle détermination par le Parlement. "Demandez plus à l'impôt et moins au contribuable !", disait Alphonse Allais à la Belle Époque. Ce propos est en substance repris par la théorie de la courbe de Laffer, qui introduit une corrélation entre, d'une part, une trop grande pression fiscale et, d'autre part, une baisse de la légitimité des prélèvements obligatoires et, ainsi, un déclin des recettes publiques.

Toutefois, il me semble particulièrement important de saluer le fait que la répression de la fraude et de l'évasion fiscales jouit en France de moyens autrement plus étendus que par le passé.

D'abord, la fin du monopole de l'administration fiscale sur les poursuites pénales a considérablement élargi les voies de recours du ministère public contre les auteurs d'infractions.

Ensuite, les dénonciations obligatoires au parquet de fraudes fiscales supérieures à 100 000 euros, introduites par la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude, ont favorisé un rebond de 75 % des dossiers transmis par l'administration. En 2021, 1 217 dossiers de fraude sur les 1 620 recensés par la DGFiP étaient le fruit de cet assouplissement.

Enfin, n'omettons pas la fin d'une relative opacité des décisions de la commission des infractions fiscales, qui n'était pas tenue avant 2018 de motiver ses avis en faveur ou défaveur de poursuites. J'y vois la preuve que la justice fiscale n'aurait su déroger plus longtemps à l'exigence de transparence qui régit ses homologues pénale ou civile.

Toutefois, il revient au législateur d'examiner davantage de nouvelles pistes d'amélioration de notre politique en matière de lutte contre la fraude fiscale.

Dans son rapport rendu en octobre 2022, la mission d'information relative à la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales a préconisé que soient estimés dans la loi de finances initiale les montants approximatifs de la fraude – vous les avez évoqués, monsieur le ministre – sur le fondement d'une méthodologie aussi précise que possible. Une telle ambition donnerait potentiellement une lisibilité nouvelle à l'action publique en matière de répression, voire faciliterait une prise de conscience dans l'opinion de l'ordre de grandeur des sommes échappant à l'État. Peut-être même, soyons fous, permettrait-elle un infléchissement des comportements des auteurs d'infraction…

La lutte contre la fraude fiscale ne pourra jamais se prévaloir d'une pleine efficacité tant que des coups continueront d'être portés au lien qui unit le citoyen à l'administration. La légitimité de ce lien est une condition essentielle au retour du consentement à l'impôt. La suppression de la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) adoptée dans la loi de finances pour 2023 constitue un exemple d'atteinte à ce lien, en ce qu'elle est appelée à étioler, à long terme, le lien d'appartenance entre les acteurs économiques et leur territoire.

Par ailleurs, si les récentes avancées ont permis de mettre fin à l'anomalie démocratique qui privait notre pays d'une police fiscale opérationnelle, les autorités en charge des poursuites judiciaires en matière fiscale et leurs services ne disposent toujours pas d'une plénitude de compétence. En effet, si le service d'enquêtes judiciaires des finances constitue bel et bien le bras armé de la répression des fraudes, ses effectifs étant dotés des pouvoirs de police judiciaire, les vingt-cinq officiers en poste ont une compétence qui reste cantonnée à certaines infractions fiscales, les privant ainsi de la même amplitude d'intervention que les officiers de police judiciaire.

Regrouper sous une seule et même bannière les pouvoirs d'enquête et de poursuite sera une étape importante pour assurer la pleine performance de la police fiscale, telle qu'on peut l'observer en Allemagne ou aux Pays-Bas. Peut-être tendrons-nous un jour vers la constitution d'une véritable police fiscale et financière française autonome, sur le modèle de la Guardia di Finanza italienne, appelée à œuvrer en binôme avec le parquet national financier.

Enfin, il paraît indispensable de renforcer la coopération entre les différents services de répression, tant au niveau territorial, entre les directions régionales des finances publiques (DRFiP) et les directions régionales des douanes et droits indirects (DRDDI), qu'au niveau international, avec les autorités des pays voisins.

Le législateur en est conscient : la lutte contre la fraude fiscale a encore de beaux jours devant elle. Charge à nous, parlementaires, de poursuivre ce combat et d'améliorer la sensibilisation du public sur les préjudices liés à cette fraude.

Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Je vous remercie, monsieur Lefèvre, de votre intervention. Je crois comme vous qu'une lutte efficace contre la fraude fiscale fait partie du pacte social.

Je vous remercie également d'avoir salué les effets de la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude. À l'occasion de son adoption, il a été rappelé un point essentiel : cette politique tient sur deux jambes, à savoir, d'un côté, la lutte contre la fraude, de l'autre, la nouvelle relation de confiance entre l'administration fiscale et les acteurs économiques, particuliers et entreprises, notamment pour apporter une sécurisation juridique à ces derniers.

Je salue une nouvelle fois tout le travail de la direction générale des finances publiques pour établir cette confiance. Il porte véritablement ses fruits. Nous le voyons notamment du côté des chefs d'entreprise : un changement a été perçu, il est reconnu comme utile.

J'estime, comme vous, que la réforme du verrou de Bercy a été extrêmement positive. Elle a permis une augmentation très forte du nombre des dossiers transmis à la justice.

J'ajouterai simplement, en écho à l'intervention de Mme Vermeillet et à nos échanges sur le renforcement des moyens du SEJF, que l'enjeu actuel est celui de la priorisation. En effet, de nombreux dossiers étant actuellement transmis à la justice, il faut aider les parquets à mettre en avant les dossiers nécessitant, selon l'ampleur de la fraude estimée, de véritables enquêtes judiciaires.

Ce travail sera mené. Je discute régulièrement avec mon collègue Éric Dupond-Moretti sur ce sujet pour mieux accompagner les parquets en la matière.

Mme le président. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen.

M. Pierre-Jean Verzelen. Comme les autres intervenants, je salue l'initiative de la commission des finances. Cette dernière nous propose de nous pencher sur un sujet à l'origine de nombreuses discussions et de divers fantasmes, lié, de manière centrale, au financement du budget de l'État. Il s'agit également d'une certaine conception de la justice face à l'impôt, notamment pour les contribuables, particuliers comme entreprises, qui le paient.

Dans ce débat, je distinguerai la fraude fiscale de l'évasion fiscale.

La fraude fiscale est condamnée par la loi, puisqu'il s'agit de minimiser ses revenus, de les détourner, de ne pas les déclarer, de se soustraire frauduleusement au paiement de l'impôt. Dit simplement, elle consiste, par des moyens illégaux, à ne pas payer d'impôt ou à en payer une moindre part.

L'évasion fiscale, quant à elle, n'est pas définie par le droit. Elle consiste à utiliser des moyens à la limite de la légalité pour payer le moins d'impôts possible, dans une démarche d'optimisation. Autrement dit, par des procédés licites, l'objectif est de faire disparaître l'impôt payé en France au profit de contrées fiscales plus accueillantes. Nous sommes ici dans une zone grise juridique.

Comme cela a été dit, notamment par vous, monsieur le ministre, chacun vient avec ses chiffres. Par nature, il est compliqué d'additionner des données qu'on ne connaît pas, même si des méthodes de calcul permettent de se faire une idée du total. Pour ma part, le chiffre dont je disposais tournait autour de 25 milliards d'euros par an.

Le montant de la fraude et de l'évasion fiscales fait l'objet de nombreux fantasmes. Certains voient dans le recouvrement des sommes détournées la solution à tous les problèmes. La difficulté est qu'il faut parvenir à mettre la main sur ces montants. Quand bien même nous recouvrerions les sommes en question, elles ne représenteraient qu'un très faible pourcentage du coût des propositions économiques de plusieurs candidats à l'élection présidentielle… Je le précise pour replacer le curseur au bon endroit.

De manière régulière, le débat sur l'imposition des plus riches et des grandes entreprises revient logiquement dans le débat public. En effet, plus le niveau d'imposition sera proche entre notre pays et les autres, qu'ils soient voisins ou non, moins il y aura de dumping et de projets d'évasion fiscale. Un tel débat a eu lieu lors de l'examen de la loi du 30 décembre 2022 de finances pour 2023 au sujet des superprofits. Il est tout à fait légitime de réfléchir à la mise en place d'un impôt exceptionnel sur des années tout aussi inhabituelles.

Néanmoins, l'enjeu fondamental est celui d'un impôt minimal, afin de faire en sorte que toutes les entreprises, grands groupes compris, paient ce taux plancher. Elles ne doivent pas pouvoir optimiser jusqu'à parvenir à une contribution nulle.

À ce sujet, notons l'action du Gouvernement menée depuis quelques années auprès de nos partenaires européens et au sein de l'OCDE pour instaurer un impôt minimal de 15 %. Il devrait être mis en œuvre en 2023 pour les 138 juridictions ayant accepté cet accord.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous confirmer que la mise en place de cet impôt minimal est en cours, et qu'elle sera une réalité dans les mois qui viennent ?

La situation que je viens d'évoquer est celle d'États qui se réunissent autour d'une table pour discuter, mais d'autres ne souhaitent pas participer aux échanges : j'en viens donc à la question de l'évasion fiscale et des paradis fiscaux. Comprenons-nous bien sur ce point important : sans paradis fiscal, pas d'évasion fiscale.

Depuis la crise financière de 2008, plusieurs réformes ont visé à s'attaquer aux paradis fiscaux, mais les résultats sont loin d'être à la hauteur de ce que nous pourrions attendre. Évidemment, les pays concernés sont indépendants et n'ont pas à recevoir d'ordres. Néanmoins, une volonté politique internationale coordonnée peut faire avancer la lutte contre cette distorsion.

Comme une collègue l'indiquait précédemment, il reste beaucoup à faire sur le plan bancaire. Ayant travaillé dans ce secteur, je me souviens de l'embargo sur l'Iran : pour tout virement de France vers ce pays ou vers les pays plateformes permettant le transit des fonds, il fallait réunir un nombre extrêmement important de documents ; les sommes demeuraient bloquées plusieurs semaines entre les pays. Il était beaucoup plus simple et souple, en parallèle, d'opérer des virements vers les paradis fiscaux, malgré les déclarations à Tracfin. Il reste donc des marges de progression en ce domaine.

Monsieur le ministre, quelles mesures coordonnées à l'échelle internationale et coercitives pourraient être mises en œuvre pour lutter contre l'opacité des paradis fiscaux ?

Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Nous avons évidemment à cœur de poursuivre la lutte contre les paradis fiscaux, et nous actualisons régulièrement la liste des États dits non coopératifs en la matière. Croyez bien, monsieur le sénateur, en la célérité absolue de notre action sur ce sujet.

Je veux revenir – il faut choisir, en deux minutes – sur le pilier 2, à savoir l'instauration au niveau mondial d'une imposition minimale des grandes entreprises, en saluant le progrès majeur que constitue cette initiative.

J'en rappelle l'histoire : on nous a dit, quand le Président de la République a porté ce sujet devant l'OCDE en 2020-2021, que nous n'arriverions pas à obtenir un accord. Or nous avons bel et bien obtenu, en octobre 2021, un accord dans le cadre de l'OCDE rassemblant 140 États sur la mise en œuvre d'une telle imposition minimale.

On nous a dit, ensuite, qu'il n'y aurait pas d'accord au niveau européen pour transcrire cette déclaration dans le droit communautaire. Et il est vrai que certains pays, notamment la Hongrie, pour ne pas la citer, bloquaient en utilisant leur droit de veto, tant et si bien que, en septembre 2022, sur l'initiative de la France, cinq pays – l'Allemagne, l'Espagne, l'Italie, les Pays-Bas et la France – ont signé une motion commune indiquant que, en l'absence de transcription à brève échéance du pilier 2 dans le droit de l'Union européenne, ils l'appliqueraient unilatéralement. Cette position a contribué à faire bouger les lignes au niveau européen, jusqu'à l'accord historique obtenu lors de la réunion du Conseil de l'Union européenne le 15 décembre dernier.

Il s'agit vraiment d'un progrès majeur, qui va permettre de lutter contre l'optimisation fiscale, laquelle scandalise évidemment les Français. Une petite PME n'a pas la possibilité de minorer son impôt sur les sociétés en délocalisant une partie de ses profits dans des pays où l'imposition est moindre, ce qui crée une véritable inégalité entre les entreprises. En tant que ministre du budget, j'ajoute que cette lutte va engendrer des rentrées fiscales supplémentaires permettant de financer nos politiques publiques.

Vraiment, il faut saluer cette avancée importante et la faire connaître. Les Français étant régulièrement scandalisés par la révélation d'affaires dans ce domaine, il importe, lorsque les choses avancent, de le leur montrer.

Mme le président. La parole est à M. Daniel Breuiller.

M. Daniel Breuiller. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens pour commencer à saluer, comme l'ont fait les orateurs qui m'ont précédé, les travaux de la mission d'information relative à la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales lancée sous l'impulsion de Jean-François Husson et de Claude Raynal. Je vous remercie également, mes chers collègues, pour ce débat en séance publique.

Si le groupe écologiste a voté les recommandations de ce rapport – ce n'est pas si fréquent –, c'est qu'il répond aux enjeux du civisme, de la dissuasion et de la répression. À cette fin, évidemment, il faut en premier lieu une véritable volonté politique. Le Gouvernement veut-il se donner les moyens de lutter plus vigoureusement contre la fraude et l'évasion fiscales ?

La réponse réside sans doute en partie dans le fameux "en même temps" jupitérien : si des avancées majeures sont à noter, subsistent néanmoins des ambiguïtés idéologiques et des mesures pensées, sans doute, pour ne pas trop effrayer les milliardaires et les champions du CAC 40. En d'autres termes, on observe, d'un côté, une attitude dure avec les fraudes des pauvres et, de l'autre, une attitude parfois plus conciliante, au nom de l'efficacité et de la rapidité des procédures – c'est ainsi que vous l'avez justifiée, monsieur le ministre –, avec la fraude des multinationales ou des plus riches.

Le sujet est difficile, car la marge est étroite entre la fraude fiscale et l'évasion fiscale ; dans cette marge grandissent les populismes.

Je pense notamment au président Macron faisant le choix de l'opacité lorsqu'il défend, en 2021, la "clause de sauvegarde", qui empêche la publication d'informations indispensables pour lutter contre l'évasion fiscale.

Je pense aussi – vous venez d'en parler – au choix de la France, lorsque Joe Biden propose une imposition minimale à hauteur de 21 % des 7 000 ou 8 000 plus grandes entreprises du monde, de se ranger plutôt, dans un premier temps, du côté de l'Irlande, qui ne compte pas vraiment parmi les pays les plus allants en la matière…

En décembre, l'Europe est parvenue à un accord, adoptant un impôt minimum global au taux de 15 %. C'est une victoire, vous venez de le souligner, et nous ne la boudons pas, mais ce n'est pas assez.

Selon nous, en effet, il reste injuste, et même inacceptable, de taxer moins les multinationales que des TPE et des PME. Ces écarts nourrissent un sentiment d'injustice.

Il est indispensable d'amplifier les actions menées contre l'opacification des flux financiers mise en lumière, entre autres, par les affaires des Pandora Papers, des Panama Papers ou des CumEx Files.

Il est indispensable de doubler le nombre d'officiers fiscaux judiciaires, comme cela est préconisé dans le rapport de la mission d'information, et de leur donner les moyens de traiter aussi la fraude à la TVA. Au passage, chacun des postes créés génère des recettes bien supérieures aux coûts salariaux afférents, ce qui démontre tout l'intérêt du service public. Ne nous en privons pas ! Là où il y a une volonté d'agir, il y a des résultats.

Pendant les derniers débats budgétaires, monsieur le ministre, vous n'avez cessé, sur tous les sujets, d'opposer à nos propositions un sempiternel "combien ça coûte ?". Mais demandons-nous aussi un instant combien cela coûte de ne pas se donner les moyens de mieux lutter contre la fraude et l'évasion fiscales !

Le coût de la fraude à la TVA est estimé à 20 milliards ou 25 milliards d'euros par an par l'Insee, qui montre également que les pertes de recettes globales dues au non-respect des droits fiscaux seraient de l'ordre de 80 milliards à 100 milliards d'euros par an.

Au niveau européen, on estime que plus de 7 900 milliards d'euros d'avoirs sont cachés dans des places offshore, échappant à l'impôt du pays d'origine. C'est près de dix fois le montant du plan de relance européen ! C'est vertigineux.

Ne faut-il pas y voir la conséquence d'une attitude qui, consistant à répéter inlassablement qu'il y a trop d'impôts, finit par accréditer l'idée que l'impôt n'est pas une ardente nécessité ? De l'optimisation fiscale à la fraude fiscale, la marge est parfois ténue. Cela engendre une délinquance qui se croit au-dessus des lois, au-dessus des droits, au-dessus du pacte républicain et du contrat social.

Ces fraudeurs font baisser les recettes publiques, diminuant les capacités de l'État à financer des politiques publiques ambitieuses indispensables au quotidien des Français ou à la si nécessaire transition écologique, mais aussi, tout simplement, à équilibrer les comptes publics.

M. le ministre Le Maire nous a assuré qu'il serait "intraitable avec ceux qui ont triché". Tant mieux ! Car les personnalités mises en cause par les Pandora Papers sont des gens de pouvoir : anciens dirigeants, élus, familles royales, milliardaires. Flanqués d'armées de juristes, ils maîtrisent les lois, s'en exonèrent et profitent de l'opacité du système financier international.

Il est donc urgent, au niveau national, de renforcer encore davantage les moyens de l'administration fiscale et, au niveau européen, d'étendre la liste des paradis fiscaux en y incluant tous les pays impliqués dans les Pandora Papers. Le travail de la commission des finances représente à cet égard un point d'appui utile, et le Gouvernement gagnerait, ou plutôt gagnera, à l'intégrer pleinement.

Quelques mots en guise de conclusion : vive le journalisme d'investigation, la presse libre et les lanceurs d'alerte ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Éric Bocquet applaudit également.)

Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Je rejoins le sénateur Breuiller lorsqu'il dit qu'il faut lutter contre toutes les fraudes et se garder d'être fort avec les faibles et faible avec les forts. Toutes les fraudes doivent être poursuivies et sanctionnées, tous les impayés recouvrés.

Je vous livre un chiffre important : 40 % du montant total des fraudes recouvrées par la DGFiP chaque année est issu des enquêtes de la DVNI, cette direction que j'ai citée voilà quelques instants à propos de l'affaire McDonald's et qui enquête sur les très grandes entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur à 400 millions d'euros.

On voit combien est importante la part des très grandes entreprises dans les montants recouvrés par la DGFiP chaque année.

N'opposons pas une fraude à une autre : je l'ai dit, toutes les fraudes doivent être combattues. Parfois, dans le débat politique, on peut avoir le sentiment que certains portent leur regard sur la seule fraude fiscale, quand d'autres ne considèrent que la fraude sociale, dans une logique de stigmatisation. Telle n'est pas du tout ma position : mon souhait est que nous luttions contre toutes les fraudes, fiscale, sociale, douanière, sans stigmatisation, sans instrumentalisation, en ayant simplement à cœur de renforcer notre cohésion et notre pacte social. C'est ce que les Français attendent de nous.

Mme le président. La parole est à M. Didier Rambaud. (M. Julien Bargeton applaudit.)

M. Didier Rambaud. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la fraude fiscale consiste à échapper ou à tenter d'échapper à l'impôt, par tout moyen. C'est le détournement illégal d'un système fiscal. Un peu plus de quatre ans après l'adoption de la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude, nous pouvons affirmer que, depuis 2017, notre pays a considérablement progressé en la matière.

Je commencerai par évoquer, de ce point de vue, la réforme de ce que l'on désigne comme le verrou de Bercy. Antérieurement seule habilitée à engager les poursuites en cas d'infraction de fraude fiscale, l'administration fiscale est désormais tenue d'informer le procureur de la République, qui décide seul de l'opportunité de poursuites pénales, dans le cas où le montant des droits fraudés est au moins égal à 100 000 euros.

De surcroît, la coopération entre les services de Bercy et la justice a été renforcée. Par exemple, les dossiers des personnalités enregistrées à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique peuvent être transmis au parquet, sous certaines conditions, lorsque le montant des droits fraudés est au moins égal à 50 000 euros.

Par ailleurs, les agents de l'administration fiscale ne sont plus tenus au secret à l'égard du parquet, même pour des dossiers ne faisant pas l'objet d'une transmission. Une telle réforme permet aujourd'hui de constater qu'une action conjointe des services de la justice et de Bercy, moderne et efficace, est possible. C'est l'occasion de saluer le travail réalisé par les femmes et les hommes de ces services.

De nouveaux outils ont également été votés en matière de lutte contre la fraude sociale, à l'image de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité et de la convention judiciaire d'intérêt public. Rappelons, en outre, que la liste des paradis fiscaux dressée par l'Union européenne a été transposée en droit français.

À l'échelle internationale, l'extension du projet de lutte contre l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices, mené sous l'égide de l'OCDE, doit également être soulignée. La quinzième et dernière action du projet consistait en l'élaboration d'une convention multilatérale, outil juridique innovant qui fait gagner du temps puisqu'il permet d'aménager automatiquement l'ensemble des conventions liant les États. Autrement dit, la convention multilatérale ne se substitue pas aux conventions bilatérales, mais elle les modifie. Une fois encore, la France a été pionnière dans la mise en œuvre de cette convention, grâce à l'impulsion donnée par la majorité présidentielle.

Force est de constater qu'en matière de lutte contre la fraude sociale et l'évasion fiscale les gouvernements successifs, depuis 2017, agissent. En 2020, M. le ministre le confirmera, l'État a récupéré près de 7,8 milliards d'euros grâce aux contrôles effectués dans le cadre de la lutte contre la fraude fiscale.

C'est la raison pour laquelle la mission d'information conduite par M. le président de la commission des finances et par M. le rapporteur général ne conclut pas à la nécessité d'une "révolution fiscale", mais préconise plutôt un certain nombre d'ajustements et d'évolutions. Une telle conclusion atteste qu'il existe d'ores et déjà, à ce jour, des dispositifs efficaces pour lutter contre la fraude et l'évasion fiscales. Est-ce pour autant suffisant ? Bien évidemment, non !

Paradise Papers, Panama Papers, LuxLeaks, SwissLeaks, voilà autant d'exemples qui démontrent que, en matière de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, des progrès peuvent indéniablement être réalisés.

À cet égard, certaines recommandations du rapport d'information semblent pertinentes, à commencer par l'augmentation du nombre d'officiers fiscaux judiciaires jusqu'à leur doublement à l'horizon de cinq ans. Le service d'enquêtes judiciaires des finances ne dispose à l'heure actuelle que de 40 officiers fiscaux judiciaires alors qu'il a été saisi de 169 affaires de fraude fiscale et de blanchiment de fraude fiscale.

Pour ce qui est de la fraude à la TVA, sujet complexe – nous le savons tous, il s'agit d'un gisement important de ressources budgétaires –, nous pourrions envisager de permettre aux agents des douanes de sanctionner directement ce type de fraude dans le cadre du dédouanement à l'importation, via la création d'un délit douanier spécifique dans le code des douanes.

Enfin, parce que les montages fiscaux complexes sont réalisés en tenant compte des différences juridiques d'un pays à l'autre, les solutions les plus efficaces exigent d'être conçues à l'échelle internationale. Pourquoi ne pas envisager une réflexion sur la création d'un dispositif de name and shame envers les pays qui ne jouent pas le jeu de la coopération en matière d'échange d'informations, en complément des listes européennes ?

La complexité de la fiscalité internationale requiert en effet des efforts concertés pour avancer, notamment à l'échelle européenne. C'est bien en ce sens que la France doit continuer d'être moteur et force de proposition, comme elle sait l'être depuis 2017, avec l'objectif de renforcer la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales.

Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Je remercie le sénateur Rambaud d'avoir rappelé tous les apports majeurs de la loi de 2018 en matière de lutte contre la fraude : il y a un avant et un après concernant les outils, les moyens et les résultats.

Je salue aussi le fait qu'il ait mentionné l'enjeu essentiel de la communication et du partenariat entre les services fiscaux et le monde économique, c'est-à-dire les entreprises.

Je donne un chiffre : 20 000 rescrits sont transmis chaque année par l'administration fiscale aux entreprises, avec, dans l'écrasante majorité des cas, un délai de transmission de moins de trois mois, et un taux de satisfaction des entreprises de 95 % quant à leur confiance dans les services de la DGFiP. Ces données sont extrêmement positives.

Vous avez également mentionné les outils nouveaux qui ont été créés par la loi de 2018, dans le domaine du numérique notamment. Il en est un que l'on cite souvent – ce fut le cas notamment pendant les débats budgétaires –, le web scraping. Sur ce sujet, je proposerai à un groupe de travail incluant les parlementaires d'analyser les résultats issus de l'expérimentation avant de statuer sur une éventuelle généralisation.

Nombre d'efforts et de progrès ont été réalisés grâce aux outils numériques à la suite de la réforme de 2018. Dans un certain nombre de cas, nous avons procédé par expérimentation ; il nous faut maintenant poser la question de savoir lesquels de ces outils nous décidons de généraliser ; je sais, monsieur le sénateur Rambaud, que vous serez au rendez-vous pour y travailler avec nous.

Mme le président. La parole est à M. Victorin Lurel.

M. Victorin Lurel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite, au nom de mon groupe, remercier la commission des finances, son président, Claude Raynal, et son rapporteur général, Jean-François Husson, ainsi que les membres de cette mission d'information relative à la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, pour le travail technique d'évaluation qui a été conduit.

Ma conviction est que les préconisations qui sont émises dans ce rapport peuvent utilement aider les législateurs que nous sommes à faire évoluer la portée et l'efficacité des dispositifs de lutte contre la fraude.

En la matière, il me semble que la prudence ne doit pas entraver l'ambition, car, au-delà des milliards d'euros de recettes récupérées par l'État, la lutte efficace contre l'évasion et la fraude fiscales constitue un enjeu fondamental de justice sociale autant qu'un défi administratif et financier, recouvrant, de fait, des enjeux éthiques, politiques et démocratiques.

Je souscris sans réserve à l'ensemble des recommandations faites dans ce rapport, et singulièrement à celles qui sont relatives aux moyens techniques et budgétaires nécessaires pour mieux chiffrer et mieux appréhender l'ampleur de la fraude.

Au-delà de la complexité des montages et des schémas de dissimulation, il reste incompréhensible qu'en 2023 nos services ne parviennent toujours pas à savoir si le contrôle fiscal réussit à recouvrer 1 %, 10 %, 20 %, ou davantage, des montants fraudés.

Il est vrai, depuis vingt ans, la DGFiP est l'administration qui connaît les plus importantes baisses d'effectifs.

Je l'affirme donc : bien que relativement efficaces – nonobstant leurs ambiguïtés idéologiques et philosophiques, évoquées par l'un de mes collègues –, ni le data mining ni les nouveaux outils de ciblage ne remplaceront parfaitement, à mes yeux, le travail d'un enquêteur.

Je souhaite aussi profiter de cette tribune pour formuler un point d'alerte à l'adresse de notre assemblée. Au travers des évolutions législatives récentes en matière de contrôle fiscal, je crains en effet que nous n'encouragions une dérive de la philosophie même du contrôle, dérive consistant à requalifier ou à réapprécier les comportements de fraude pénalement répréhensibles en tant que simples "erreurs" ou "optimisations" pouvant faire l'objet, parfois dans l'opacité, de transactions ou d'arrangements de gré à gré, ce qui modifierait la nature même de ce contrôle.

Je pense ici, naturellement, au recours aux conventions judiciaires d'intérêt public pour les personnes morales et aux comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité pour les personnes privées.

Certes, le développement d'une logique préventive est louable, mais faire primer l'absolution des fraudeurs me paraît une voie glissante, donc dangereuse.

C'est la raison pour laquelle je reste particulièrement réservé quant à l'usage croissant des CJIP, qui permettent aux grandes entreprises d'échapper à une condamnation pénale. Initialement réservées aux faits de corruption, les CJIP ont été étendues en 2018 aux faits de fraude fiscale et de blanchiment de fraude fiscale, sans par ailleurs, et contrairement à ce qui se passe dans le cas des CRPC, que les condamnations soient inscrites au casier judiciaire.

Si je reconnais volontiers qu'un tel dispositif permet d'enregistrer des rentrées directes de recettes fiscales et d'éviter de longues procédures judiciaires, je dois avouer que la relative impunité pénale accordée à ces entreprises fraudeuses continue de me poser problème.

Dès lors que les justifications apportées à l'utilisation de la CJIP découlent, pour la plupart, du manque de moyens des différentes institutions concernées, je crois de bonne politique de renforcer les moyens humains et matériels de la justice et des services fiscaux et de simplifier les procédures.

En conclusion, je souhaite une nouvelle fois remercier notre président et notre rapporteur général pour la richesse des conclusions de cette mission ; je souhaite ardemment qu'elles inspirent le Gouvernement dans l'effort d'amélioration de notre arsenal législatif et qu'elles nourrissent les propositions de la Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Éric Bocquet applaudit également.)

Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur Lurel, l'enjeu de la réforme de 2018, il faut le rappeler, c'est précisément que davantage de dossiers soient transmis à la justice. J'ai entendu, dans votre intervention, s'exprimer la crainte que certains dossiers de fraude n'échappent à l'examen de la justice, alors que celui-ci serait justifié.

Je le répète, le fait d'avoir fait sauter le verrou de Bercy vise précisément à transmettre davantage de dossiers à la justice en nous rendant capables, notamment, de distinguer les fraudes d'un montant important, les fraudes "à enjeux", d'erreurs qui ne relèveraient pas de la fraude, et ce pour mieux sanctionner les premières. Mais je suis d'accord avec vous : l'enquête se doit d'être toujours véritablement exhaustive.

Je veux revenir sur les outils dont nous avons déjà parlé à plusieurs reprises, sur l'initiative du sénateur Bocquet notamment, et en particulier sur les conventions judiciaires d'intérêt public : ces conventions sont largement négociées par le PNF, puis homologuées et validées par le juge. Ces outils, qui permettent de recouvrer des créances fiscales de manière beaucoup plus rapide, mais surtout de manière certaine – nous retrouvons le débat que nous avions plus tôt –, sont donc bel et bien examinés et validés, in fine, par l'autorité judiciaire.

Mme le président. La parole est à M. Michel Canévet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Michel Canévet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe Union Centriste est particulièrement heureux du travail qui a été réalisé par la commission des finances autour du président Claude Raynal et du rapporteur général Jean-François Husson concernant la lutte contre l'évasion et la fraude fiscales, car ces sujets le préoccupent tout spécialement. Des amendements ont notamment été déposés en la matière, au fil des sessions et des textes, par notre collègue Nathalie Goulet, dont la persévérance n'est plus à démontrer ; mon collègue Alain Duffourg y est également très attentif, et notre groupe est particulièrement attaché à la mise en œuvre des valeurs d'équité et de transparence.

Le montant de la fraude fiscale a récemment été évalué par l'Insee, en décembre dernier, à 80 milliards d'euros environ, dont un quart correspondrait à la seule fraude à la TVA. Je ne reviendrai pas sur ce dernier point, notre collègue Sylvie Vermeillet l'ayant largement évoqué. Je veux simplement vous rendre attentifs, mes chers collègues, au développement considérable, dans notre pays, du commerce en ligne et du commerce à distance ; il faut redoubler de vigilance à cet égard. La commission des finances s'est rendue en particulier à Roissy, pour voir comment travaillent les douaniers : elle a pu constater qu'il leur fallait des moyens tant humains que techniques pour mieux appréhender la nature des colis, éviter la fraude et, in fine, l'évasion fiscale.

Dans un contexte où les préoccupations budgétaires sont fortes, il importe que nous trouvions et mobilisions tous les outils permettant de renflouer les finances publiques, parmi lesquels, précisément, un effort accru de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, tout en évitant, autant que possible, de recourir à l'endettement.

La commission des finances a présenté, dans son rapport, une vingtaine de recommandations, qui ont été largement commentées par les orateurs précédents.

J'évoquerai, outre la question de la fraude à la TVA, celle des montages financiers complexes, qui doit retenir toute notre attention. Notre collègue Éric Bocquet l'a très savamment abordée ; son traitement requiert une coopération accrue avec les autorités douanières et financières des pays tiers, notamment européens, l'objectif étant de lutter efficacement contre l'évasion fiscale et de faire revenir tout le monde dans le droit chemin.

Il est un autre sujet auquel nous devons être attentifs, monsieur le ministre : celui de la connaissance de l'identité des bénéficiaires effectifs des sociétés. Un registre a été mis en place en 2017, il est rendu public depuis 2021. Je déplore, car c'est anormal, qu'à la faveur de la dématérialisation des formalités légales nous n'ayons plus accès, dorénavant, à ce registre des bénéficiaires effectifs des sociétés. Il paraîtrait logique que ce registre soit de nouveau consultable par chacun auprès de l'Institut national de la propriété industrielle (Inpi).

J'ajoute – cette question figure dans le rapport – que la renégociation des conventions de coopération internationale doit pouvoir se faire ; en la matière, aucun tabou n'est de mise. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur Canévet, je veux revenir sur l'un des sujets que vous avez abordés, celui du commerce en ligne. Cela fait maintenant plusieurs années que ce secteur est en plein essor ; son chiffre d'affaires annuel a récemment dépassé les 130 milliards d'euros. On mesure l'enjeu essentiel qu'il y a à garantir notre capacité de recouvrer les montants dus, notamment en matière de TVA.

Des législations ont d'ores et déjà été adoptées, je pense évidemment au paquet TVA sur le commerce électronique, mis en œuvre à compter de juillet 2021. La véritable innovation est que les plateformes sont rendues redevables de la TVA pour certaines activités de vente à distance. Il s'agit bel et bien d'un outil utile. Pour preuve, un chiffre : entre juillet et décembre 2021, dans les premiers mois de la mise en œuvre de ce paquet TVA sur le commerce électronique, nous avons recouvré 700 millions d'euros via le guichet unique permettant aux plateformes de verser de manière simple la TVA qu'elles doivent à l'État.

Il faut évidemment continuer et aller plus loin ; des discussions et des négociations sont en cours au niveau européen pour garantir le bon encadrement fiscal de ces plateformes.

Mme le président. La parole est à M. Michel Canévet, pour la réplique.

M. Michel Canévet. Je vous remercie, monsieur le ministre, pour ces explications sur le commerce en ligne. C'est très important ! Le groupe Union Centriste est bien sûr particulièrement attaché aux efforts réalisés en ce domaine. Nous voyons bien que, pour ce qui concerne la lutte contre la fraude fiscale, les résultats s'améliorent : nous réussissons à recouvrer davantage. Mais il faut intensifier ces efforts, en particulier, comme je l'ai dit, par des moyens humains obtenus par redéploiement au profit des missions de contrôle.

Dialoguant avec le service interrégional qui s'occupe du contrôle en Bretagne, j'ai pu constater qu'il travaillait de manière particulièrement efficace. Il faut continuer sur cette voie en dotant les services concernés des outils nécessaires à une meilleure appréhension des risques de fraude – je pense notamment au data mining.

Mme le président. La parole est à M. Stéphane Le Rudulier. (Mme Laure Darcos applaudit.)

M. Stéphane Le Rudulier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le thème de la lutte contre la fraude fiscale revient régulièrement dans le débat national, et pour cause : frauder, comme cela a été largement rappelé, c'est en quelque sorte refuser d'apporter sa contribution au financement des politiques publiques et à la solidarité nationale ; il y va du consentement à l'impôt.

On peut légitimement s'interroger sur le montant du manque à gagner pour l'État. Plusieurs estimations ont été faites ; on évoque souvent le chiffre, qui tourne en boucle, de 100 milliards d'euros de fraude fiscale. Ce chiffre a notamment été régulièrement avancé par le syndicat Solidaires finances publiques, étant entendu que le recouvrement d'un pareil montant permettrait sans nul doute de diminuer considérablement notre déficit structurel.

Seulement voilà, personne n'est en réalité capable de mesurer précisément le montant de la fraude fiscale, et ce chiffre est fortement sujet à caution. Ces 100 milliards d'euros allégués, en effet, ne concernent pas exclusivement la fraude fiscale au sens juridique du terme, mais correspondent à une extrapolation opérée à partir de l'ensemble des manquements fiscaux : ils incluent non seulement l'évasion fiscale et l'optimisation fiscale abusive, mais aussi les erreurs et les divergences d'appréciation entre l'administration fiscale et le contribuable.

D'autres évaluations, comme celle du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO), nous indiquent qu'on serait plus vraisemblablement en réalité autour de 30 milliards à 40 milliards d'euros de "vraie" fraude fiscale au sens juridique du terme, ce qui est déjà considérable étant donné que les services fiscaux ne détectent qu'entre 5 % et 10 % de ces affaires.

Étonnamment, et malgré l'arsenal législatif et technologique renforcé ces dernières années – je pense au desserrement du verrou de Bercy ou à l'instauration, en 2024, de la facture électronique, qui contribuera sans doute largement à l'amoindrissement de la fraude à la TVA –, les résultats annuels sur les droits et pénalités mis en recouvrement et encaissés franchissent péniblement la barre des 10 milliards d'euros en 2021, preuve de l'efficacité toute relative de la seule coercition.

La France est le pays de l'OCDE où les prélèvements obligatoires sont les plus élevés. C'est un élément essentiel et peut-être trop souvent minoré lors de nos débats dans l'explication de la fraude fiscale. Si l'on se réfère à la courbe de Laffer, un accroissement des taux d'imposition se traduit au-delà d'un certain seuil par un amoindrissement des recettes fiscales. En clair, trop d'impôt tue l'impôt !

Un pays attractif et dynamique économiquement retient ses talents et ne les fait pas fuir ! Faire revenir des exilés politiques dans un pays d'origine suppose de garantir un changement de cadre politique garant de leur sécurité. Il en va de même pour l'exil fiscal : sans changement de cadre fiscal, il n'y a pas de retour possible.

Dans une économie mondialisée, dans un monde interconnecté, maintenir des prélèvements obligatoires records en se révoltant – à juste titre – contre la fraude et surtout l'évasion fiscale se révèle être une utopie dangereuse.

Aux États-Unis, en 2004 et 2005, sous l'administration Bush, années où les mesures de réduction d'impôt sont entrées en vigueur, les recettes fiscales du gouvernement ont augmenté de 8 % et de 9 %. La hausse s'est poursuivie en 2006, avec une augmentation de 10 % au premier semestre, alors que la croissance de l'économie a été de 3,9 % par an.

Au Royaume-Uni, la tranche marginale de l'impôt sur le revenu passa sous Margaret Thatcher de 83 % à 60 %, puis à 40 %, ce qui entraîna simultanément une hausse des recettes fiscales de plus de 1 milliard de livres sterling entre 1985 et 1986.

Si nous voulons faire reculer la fraude fiscale et augmenter les recettes fiscales, alors il faudra baisser les impôts, bien que cela paraisse intuitivement paradoxal ! Car, nous aurons beau débattre de tous les moyens normatifs, de tous les carcans, de toutes les armes possibles, la seule et meilleure façon de réduire la fraude fiscale consiste avant tout à baisser massivement les impôts et les charges, il n'y en a pas d'autre !

Encore une fois, la fraude fiscale est évidemment et bien sûr condamnable, parce qu'elle est le refus d'obéissance à une loi démocratique de la République. Elle doit être le combat de chaque instant et nous ne pouvons en aucun cas la défendre ici. Mais force est de constater que fraude fiscale résulte essentiellement, voire exclusivement, de l'asphyxie fiscale. Pour sept Français sur dix, le poids de la fiscalité est excessif.

Pour conclure j'aimerais citer Winston Churchill, qui disait ceci : "Une nation qui essaie de prospérer par l'impôt est comme un homme dans un seau qui essaie de se soulever par la poignée." C'est peine perdue, alors changeons de logiciel et osons la liberté !

Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur Le Rudulier, je vous rejoins à propos de la nécessité d'alléger la pression fiscale qui pèse sur les particuliers et les entreprises. C'est la politique que nous menons depuis 2017. Nous sommes d'ailleurs parfois critiqués dans le débat, notamment en ce qui concerne la suppression de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et l'instauration de la flat tax.

Pour autant, les résultats de cette politique ont été visibles immédiatement, avec un nombre de retours en France de personnes assujetties à l'impôt sur la fortune immobilière (IFI) désormais supérieur au nombre des départs. C'est une première. Ce phénomène ne s'est pas démenti depuis. L'enjeu est donc bien réel.

Nous devons également garantir l'attractivité de notre pays au niveau des entreprises. Voilà pourquoi nous avons tenu, y compris lors de la dernière lecture du projet de loi de finances, à réintroduire la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), qui avait été rejetée par le Sénat. Il est en effet important de suivre la même logique que pour les particuliers en ce qui concerne les entreprises et le secteur industriel.

M. Michel Canévet. Et pour les finances publiques ?

M. Gabriel Attal, ministre délégué. Pour les finances publiques, c'est aussi plus de recettes à la fin : si vous baissez les impôts, mais que plus de contribuables y sont assujettis, en volume, vous percevez davantage. C'est ce que nous avons constaté pour entreprises : nous collectons plus de recettes au titre de l'impôt sur les sociétés depuis que le taux est à 25 % qu'à l'époque où il était à 33 %, car la baisse de l'impôt a permis le développement de l'économie.

En revanche, je ne pense pas – mais telle n'était pas votre intention, je crois – que l'on puisse "excuser" la fraude au motif qu'il y aurait trop impôts. Heureusement, le Conseil constitutionnel veille : lorsqu'un impôt est considéré comme confiscatoire, il est aussitôt censuré. Quoi qu'il en soit, je suis d'accord avec vous : il est nécessaire de diminuer la pression fiscale dans notre pays. Nous continuons à travailler en ce sens, car la France reste le deuxième pays en matière de pression fiscale. C'est la raison pour laquelle je me suis opposé avec Bruno Le Maire à des propositions de création d'impôts même temporaires. Dès lors que l'état des finances publiques le permettra, nous poursuivrons cette politique de baisse de la pression fiscale.

Conclusion du débat

Mme le président. En conclusion du débat, la parole est à M. le ministre délégué.

M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. J'ai déjà apporté beaucoup de réponses dans ce débat. Il existe une constance sénatoriale et, me semble-t-il, transpartisane sur le sujet de la lutte contre la fraude fiscale, comme en témoigne le rapport de la mission d'information. Celui-ci, d'une très grande qualité, s'inscrit dans la logique et dans la politique qui est la nôtre.

Nous tâcherons d'en suivre les préconisations, au-delà des mesures censurées par le Conseil constitutionnel dans le cadre du projet de loi de finances. Je le redis, mon intention est de construire dans les prochains mois avec les parlementaires une feuille de route pour lutter contre les fraudes fiscale, sociale et douanière. Je proposerai aux présidents des groupes des deux chambres de désigner un représentant pour travailler avec le Gouvernement, dans la logique des dialogues de Bercy. Je constate que M. le rapporteur général s'en réjouit d'ores et déjà… (Sourires.)

Je vous remercie de nouveau pour votre participation à ce débat et je me tiens à votre disposition pour travailler avec vous sur ces sujets.

Mme le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat a été de bonne tenue. J'en remercie évidemment chacun d'entre vous, même si nos discussions ont quelque peu dérapé à la toute fin sur la question de la baisse de l'impôt (Sourires.), mais c'est marginal par rapport à l'ensemble des interventions.

Sans prétendre faire une synthèse de tout ce qui a été dit, chacun faisant son miel de ce qu'il a pu entendre, je soulignerai l'intérêt de cette mission voulue par la commission des finances. Je remercie également certains de nos collègues non-membres de la commission des finances d'avoir participé à ce débat et d'avoir donné leur avis sur les sujets qui ressortaient de nos échanges.

Le premier axe, rappelé par plusieurs intervenants, c'est le sujet de l'évaluation de la fraude fiscale et des "zones de risque" dans ce domaine. C'est un exercice délicat, qui ne sera d'une certaine manière jamais totalement abouti, car les techniques de fraude évoluent au fur et à mesure. Néanmoins, en termes d'équité fiscale, il est indispensable de connaître l'ampleur des sommes qui sont soustraites à l'impôt pour avoir une approche la plus fine possible.

Le Gouvernement doit mettre des moyens pour réaliser davantage d'études sur le sujet. Pour sa part, la commission des finances s'est engagée depuis plusieurs années sur le sujet de la lutte contre la fraude à la TVA, avec des mesures concrètes qui ont été adoptées, notamment sur la responsabilité solidaire des plateformes en ligne pour le paiement de la TVA. Au départ, il n'a pas été évident de convaincre sur ce point, mais cela a produit ses effets. Il faut aller encore plus loin dans ce domaine en développant les partages d'informations entre les administrations publiques en matière de déclaration de TVA.

Un deuxième axe, qui a été mis en lumière par les travaux de la mission d'information et pour lequel nous attendons une implication du Gouvernement, car tout ne dépend pas du législateur, est l'approfondissement et la fluidification de la coopération entre l'administration fiscale et l'autorité judiciaire. Elle est bien meilleure aujourd'hui qu'elle n'a été dans le passé, mais il reste encore des progrès à accomplir.

Depuis la réforme du verrou de Bercy, davantage de dossiers de fraude fiscale sont traités par la justice. Or la question de la fraude fiscale n'est pas le sujet central pour notre justice : il faut donc une impulsion, mais aussi une formation des magistrats et des moyens dédiés pour que ce sujet, très technique, prenne toute sa place.

Par ailleurs, certains critiquent les instruments de justice négociée comme les conventions judiciaires d'intérêt public et les comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité, mais il me semble qu'il faut surtout déployer tous les moyens possibles pour permettre de faire revenir dans les caisses de l'État les sommes qui lui sont dues, sans oublier bien sûr la responsabilité pénale des fraudeurs lorsqu'elle est avérée.

Un troisième axe me semble résider dans les enjeux de coopération européenne et internationale. Ils sont évidemment très importants. La fraude peut démarrer par les logiciels de caisse non certifiés chez des petits commerçants, mais la plus difficile à combattre est celle qui implique des mouvements transfrontaliers et des intermédiaires financiers spécialisés dans ce type de montages, quand ce ne sont pas des États eux-mêmes qui se spécialisent dans ce domaine.

Il existe des circuits extraordinairement sophistiqués pour éluder l'impôt par le biais de montages offshore. Nous avons vu le sujet particulièrement complexe et, me semble-t-il, non résolu des CumEx Files. Un important effort doit être réalisé pour lutter contre ces montages et faire "rentrer dans le rang" les États qui ne coopèrent pas en matière d'échange d'informations fiscales.

Enfin, nous devons tous être attentifs à la conciliation entre respect des libertés individuelles et lutte contre la fraude, sans tomber dans l'excès de protection des fraudeurs. Les libertés individuelles ne sauraient être brandies pour échapper au contrôle fiscal.

L'accès à des données "librement accessibles" sur les réseaux sociaux, et non plus seulement à celles qui sont "publiquement accessibles" au sens de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, permettrait des avancées concrètes.

Soyez sûr, monsieur le ministre, que la commission des finances du Sénat restera mobilisée sur ce sujet important, tant ces questions de fraude ou d'évasion fiscale sont insupportables pour nos concitoyens, comme tous les intervenants l'ont souligné à juste titre.

J'espère que le Gouvernement saura entendre les propositions du Sénat et trouver les moyens d'aller toujours plus loin sur ce sujet. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE. – M. le rapporteur général applaudit également.)

Mme le président. Nous en avons terminé avec le débat sur la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.


Source http://www.senat.fr, le 23 janvier 2023