Interview de M. François Braun, ministre de la santé et de la prévention, à France Inter le 27 février 2023, sur les négociations entre les syndicats de médecin et l'assurance maladie sur les propositions de l'assurance maladie sur les revalorisations des consultations.

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Média : France Inter

Texte intégral

JEROME CADET
Le premier invité est le ministre de la Santé et de la Prévention. Bonjour François BRAUN.

FRANÇOIS BRAUN
Bonjour monsieur CADET.

JEROME CADET
Merci d’être avec nous ce matin pour réagir à l’échec annoncé des négociations entre les syndicats de médecin et l’assurance maladie. Hier, les deux principaux syndicats de médecins libéraux - l’un chez les généralistes, l’autre chez les spécialistes – ont rejeté les dernières propositions de l’assurance maladie sur les revalorisations des consultations, un milliard et demi de revalorisation mais à condition d’augmenter leurs activités. C’est donc, non. Les autres syndicats ont jusqu’à demain soir pour faire connaître leur position mais il y a très peu de chances qu’ils signent donc, un accord est, ce matin, très improbable. Comment est-ce que vous réagissez à cet échec, François BRAUN ?

FRANÇOIS BRAUN
Tout d’abord, ce que je veux dire c’est que dans ce dossier qui peut être un peu compliqué parfois, dans ce dossier, le Gouvernement, l’Etat est du côté des Français. Vous l’avez dit, un milliard et demi sur la table ; c’est plus qu’on n’a jamais fait dans une convention médicale.
Nous faisons un pas important vers les Français par cet investissement. Ce que j’ai demandé et ce que je demande encore aux médecins, c’est de faire aussi un pas vers les Français. Alors, bien sûr, pour l’instant, il y a cette volonté de ne pas nous suivre dans ce qui est pourtant indispensable pour améliorer la qualité des soins. Vous savez ces Français qui n’arrivent pas à trouver des médecins traitants, qui n’arrivent pas à avoir de consultations, cette convention, elle est faite pour eux, elle est faite pour améliorer la situation. Et je n’arrive pas à comprendre pourquoi les médecins libéraux ont une position aussi fermée.

JEROME CADET
Non, mais c'est terminé là, François BRAUN. Les autres syndicats vont dire non aussi. Il n’y aura pas d'accord d'ici demain soir. Parlons clair.

FRANÇOIS BRAUN
Il n'y aura pas d'accord d'ici demain soir. C'est à peu près certain ; vous avez raison. Même si je veux toujours croire au bon sens, je veux toujours croire au fait que nous voulons collectivement améliorer la situation. Force est de constater que sur cette convention qui, il faut quand même le rappeler, valorise déjà tous les médecins. On parle de contraintes, j'entends dire n'importe quoi. Il y a d'abord une valorisation de l'ensemble des médecins.

JEROME CADET
De 25 euros à 26,50 euros la consultation.

FRANÇOIS BRAUN
Oui, plus une augmentation de ce qu'on appelle « le forfait médecin traitant », plus une consultation à 60 euros pour les patients chroniques. Bref, c'est cette valorisation de base pour tous les médecins, c'est à peu près, j’ai eu l'occasion de le dire, 7 000 euros de plus par mois, plus le médecin traitant 2 000 de plus. Donc, on a quand même quelque chose de conséquent.
Ensuite, on reconnaît les médecins qui travaillent déjà beaucoup. Cela, il n’y a aucune contrainte supplémentaire. Et eux vont atterrir à ces 20 000 euros de plus par an. Pour les autres, oui, je demande un effort supplémentaire parce que les Français ont besoin d'avoir plus de médecins disponibles.

JEROME CADET
C'est ce contrat d'engagement territorial que vous proposez pour avoir une consultation à 30 euros. Il faut que le médecin traitant suive au moins 1 200 patients, employer un assistant médical, participer aux gardes de nuit, travailler dans un désert médical ou encore le samedi matin.

FRANÇOIS BRAUN
Ce n’est pas tout ça. Excusez-moi, monsieur CADET, ce n'est pas tout ça, c'est ou… ou… ou… Il faut qu'il coche deux cases. Et quand on dit faire des gardes, c'est faire une garde par mois. Donc arrêtons de dire que c'est une pression intolérable.

JEROME CADET
En tout cas, c'est travailler plus et les médecins disent « on est déjà à plus de 55 heures en moyenne, on ne peut pas donner plus. C'est-ce que…

FRANÇOIS BRAUN
Ce n’est pas travailler plus. Ceux qui travaillent déjà beaucoup, on ne leur demande rien de plus, ils rentreront dans le créneau. Ceux, effectivement, qui travaillent moins.

JEROME CADET
Pour le contrat d'engagement territorial et pour la consultation à 30 euros, si.

FRANÇOIS BRAUN
Oui, c'est travailler différemment. C'est travailler en exercice coordonné, c'est travailler avec d'autres professionnels de santé parce que ça leur permet d'avoir plus de clientèle. L'exercice du médecin isolé, il doit devenir une exception. D'ailleurs, les jeunes médecins qui veulent s'installer, ils veulent travailler avec d'autres professionnels. C'est vers ça que va cette convention. On passe à côté d'une occasion d'améliorer nos conditions, d'améliorer la prise en charge de nos concitoyens. Et en ça, je trouve que les syndicats de médecins ne sont pas responsables.

JEROME CADET
La présidente du syndicat MG France, donc qui a dit non hier - c'est le plus important syndicat de généralistes en France - Agnès GIANNOTTI explique que tous ses délégués régionaux ont voté contre, à l'unanimité. Et elle dit « c'est rarissime. » Qu'est-ce que vous avez manqué dans ce dialogue, François BRAUN ?

FRANÇOIS BRAUN
Ce qui est rarissime, c'est aussi les un milliard et demi qu'on met sur la table. Donc, on est dans une situation où pour améliorer l'état de santé et pour améliorer la couverture médicale de nos concitoyens, nous faisons un effort important. Je constate, je suis vraiment désolé de constater que les syndicats de médecins ne font pas le même effort.

JEROME CADET
Vous n’irez pas au-delà de ce milliard et demi ?

FRANÇOIS BRAUN
C'est déjà énorme, je vous l'ai dit, c'est à peu près la moitié en plus que ce qu'on a donné à chaque convention. Et je veux juste rappeler un petit chiffre parce que c'est des choses, on revient sur ce 25 euros, ce 26,50 euros, ce n'est pas du tout la valeur de la consultation. Un médecin a plus de 20% de son revenu qui est fait de forfaits payés par l'assurance maladie, je le rappelle, payé par l'argent des Français ; ce qui fait une consultation de base aujourd'hui à 36,50 euros et rajoute 1,50 euro. On pourrait considérer que c'est ridicule, c'est plus que ce qu'on n'a jamais fait dans les conventions précédentes. Donc, arrêtons de dire que l'Etat ne fait rien ; arrêtons de dire que le Gouvernement, j'ai entendu dire, qu'il méprisait les médecins ; c'est insupportable d'entendre ça. Vous savez, moi, je suis petit-fils, fils, neveu de médecins généralistes ; osé prétendre que je méprise les médecins généralistes, c'est inacceptable.

JEROME CADET
Qu'est-ce qui va se passer maintenant, François BRAUN ?

FRANÇOIS BRAUN
Il va se passer un règlement arbitral. En tout cas, c'est comme ça que ça s'appelle. C'est-à-dire qu'au début des négociations, un arbitre, en l'occurrence c'est une femme, a été désignée par toutes les parties prenantes. C'est elle, maintenant, qui a trois mois pour proposer un texte. Elle me proposera un texte et je verrai si je valide ou pas ce texte. Et ce texte s'imposera à tout le monde pendant au moins deux ans. Ce qu'on va surtout… On va perdre du temps pour réformer, pour rénover notre organisation du système de santé et c'est ça qui n'est pas acceptable.

JEROME CADET
Il y a une possibilité aujourd'hui, François BRAUN, pour les médecins qui souhaitent être mieux rémunérés, c'est se déconventionner, sortir de l'accord avec l'assurance maladie, pratiquer des consultations sans remboursement à des tarifs libres que seuls les plus aisés des Français pourront se payer. Un syndicat de médecins organise même dans quelques jours des Assises du déconventionnement. Est-ce que vous craignez un tel mouvement ?

FRANÇOIS BRAUN
Je ne crains pas un tel mouvement. Mais ce que je constate, c'est que l'état d'esprit qu'il y a dans ces syndicats, c'est sortir du modèle de convention avec la Sécurité sociale, c'est-à-dire pénaliser encore plus les Français, vous l'avez très bien dit. Créer une médecine à deux vitesses. Seuls les riches pourront se soigner. Ce n'est pas ça l'esprit de la Sécurité sociale. Ce n'est pas ça l'esprit de de la Résistance qui a créé la Sécurité sociale. Ce n'est pas ça que le Gouvernement peut porter. Ce n'est sûrement pas ça que je porterai.

JEROME CADET
Qu’est-ce que vous dites aux médecins qui seraient tentés de se déconventionner ? Parce que c'est, pour eux, le seul moyen d'avoir cette rémunération qu'ils estiment juste.

FRANÇOIS BRAUN
Vous savez, la rémunération moyenne d'un médecin généraliste, c'est 90 000 euros par an. On peut considérer que c'est une rémunération juste, quand même. Surtout quand avec cette convention, on va rajouter 20 000 euros de plus par an.
Alors, je ne sais pas ce que c'est qu'une rémunération juste. J'entends, là encore, des bêtises en permanence sur le sujet où on dit que les médecins généralistes sont moins bien payés en France qu'en Suisse, par exemple. Vous savez, il y a une très belle étude de l'OCDE qui montre qu’en France, le médecin généraliste, son revenu, c'est trois fois le revenu moyen d'un citoyen français. Eh bien, en Suisse, c'est trois fois le revenu moyen d'un citoyen suisse. Donc arrêtons de dire n'importe quoi.

JEROME CADET
C’est 3,3 au Royaume-Uni et 4,4 en Allemagne.

FRANÇOIS BRAUN
Exactement.

JEROME CADET
Donc, les médecins sont mieux payés au Royaume-Uni et en Allemagne qu’en France.

FRANÇOIS BRAUN
Oui, un peu.
Mais réunissons-nous plutôt tous autour de la table pour améliorer la prise en charge de nos concitoyens et l'état de santé des Français.

JEROME CADET
Alors, cette rupture, François BRAUN, elle va avoir des conséquences pour les Français ? Six millions de Français sans médecins traitants dont 600 000 atteints d'une maladie chronique. La solution que vous avanciez, c'était notamment le contrat d'engagement territorial. Il tombe à l'eau. Qu'est-ce qui va se passer pour eux ?

FRANÇOIS BRAUN
Il y a d'autres solutions que nous avons préparées, bien sûr, pour ces Français en maladie chronique qui n'ont pas de médecin traitant. J'aurai l'occasion de les annoncer la semaine prochaine, mais nous avons mis en place un dispositif avec la caisse d'assurance maladie. Et vous savez, j'entends les syndicats, mais j'entends aussi les médecins sur le terrain parce que je me déplace beaucoup auprès de médecins, auprès de ces fameuses CPTS qui sont des organisations de groupes de professionnels de santé ; il y en a qui ont déjà dit qu'ils étaient d'accord pour travailler là-dessus avec nous. Donc, là aussi, moi, je veux travailler avec les gens qui sont sur le terrain. Je veux aider ceux qui travaillent déjà beaucoup. Et je veux, effectivement, demander un petit effort aux autres.

JEROME CADET
Mais là, les médecins vous disent « on ne peut pas travailler plus. » Quel médecin allez-vous trouver pour prendre en charge ces six millions de Français qui n'ont pas de médecins traitants ?

FRANÇOIS BRAUN
Eh bien, il y a des médecins qui acceptent de travailler déjà un petit peu plus. Vous savez, dans cette convention, quand on leur demande de prendre plus de patients, dans la convention, c'est prendre 40 patients de plus par an. Donc soyons raisonnables, c'est tout à fait faisable.

JEROME CADET
L’objectif annoncé par Emmanuel MACRON de prendre en charge les 600 000 Français atteints d'une maladie chronique, de leur proposer une équipe traitante avant la fin de l'année ; il reste valide cet objectif et cette promesse ?

FRANÇOIS BRAUN
Bien sûr. Vous savez, ce n'est pas parce que les représentants des médecins libéraux refusent de signer cette convention que je vais arrêter de réformer le système de santé. Nous allons continuer, je vais suivre ce à quoi je me suis engagé.

JEROME CADET
François BRAUN, rupture donc entre le Gouvernement et les médecins. Est-ce que vous le prenez comme un échec personnel ? Est-ce que ça remet en cause votre volonté de poursuivre à votre poste ?

FRANÇOIS BRAUN
Absolument pas. Mais je pense que vous vous en doutiez ; vous savez, j'ai la tête dure. Comme je vous le disais, je connais bien le système de santé que ce soit du côté de l'hôpital, que ce soit du côté de la médecine libérale. Je sais comment l'améliorer, je sais comment mieux répondre aux besoins de santé des Français. Et je vais continuer dans cette voie qui m'a été confiée par le Président de la République et la Première ministre.

JEROME CADET
Même si le fil, le lien est rompu avec les médecins, manifestement ?

FRANÇOIS BRAUN
Le lien n'est pas rompu. Nous discutons de façon virile mais correcte, pour faire une référence au match de rugby d’hier.

JEROME CADET
Merci à vous François BRAUN, invité de France Inter ce matin, ministre de la Santé et de la Prévention. Bonne journée à vous.

FRANÇOIS BRAUN
Bonne journée.


Source : Service d’information du Gouvernement, le 1er mars 2023