Déclaration de Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique, sur le projet de loi relatif à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes, à l'Assemblée nationale le 13 mars 2023.

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Circonstance : Discussion le projet de loi relatif à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires

Texte intégral

Mme la présidente
L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes (nos 762, 917).

La parole est à Mme la ministre de la transition énergétique.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique
Après la promulgation, vendredi, de la loi relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, voici venu le temps de vous prononcer sur le deuxième pilier de la stratégie du Gouvernement en matière de transition énergétique, consacré à la relance de notre filière nucléaire. Ces deux textes ont pour point commun de répondre à une seule et même ambition : faire de la France le premier grand pays industriel à sortir de sa dépendance aux énergies fossiles, et avoir la main sur notre destin énergétique.
Cette ambition doit être notre seule boussole et guider notre action dans la période difficile que vivent nos concitoyens. Cette période est celle d’une crise énergétique, qui tire ses origines d’un conflit aux portes de l’Europe, et celle d’une crise climatique, qui a provoqué des mégafeux, des inondations, des sécheresses et des records de chaleur l’été dernier, et qui menace déjà l’été à venir.
Mettre fin à l’utilisation du gaz, du pétrole et du charbon : voilà le combat de notre siècle. C’est le seul combat qui vaille, tant pour des raisons climatiques et de concorde sociale, que pour des raisons d’indépendance économique, et donc politique. C’est le seul combat qui vaille pour convertir les énergies fossiles, qui représentent les deux tiers de notre mix énergétique, en énergies décarbonées.
Ce combat doit reposer sur la science et ne doit pas laisser la place aux croyances ni à l’idéologie dogmatique. Il ne doit laisser aucune place à ceux qui veulent nous entraîner dans l’opposition stérile entre énergies renouvelables et énergie nucléaire. Ce combat n’est ni de droite ni de gauche. Je le répète, il est le combat de notre temps – le temps de l’écologie. Oui, maîtriser nos émissions de gaz à effet de serre constitue le combat écologique de ce siècle.
Accélérer les énergies renouvelables, c’est être écologiste. Relancer notre filière nucléaire, c’est être écologiste. Car comment peut-on se dire écologiste en préférant les énergies fossiles aux énergies décarbonées ?

M. Guillaume Kasbarian, président de la commission des affaires économiques
Elle a raison !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Comment se dire écologiste lorsqu’on ne vote pas le texte accélérant le déploiement des énergies renouvelables, lorsqu’on répète ad nauseam que le nucléaire émet plus de carbone que l’éolien ou le photovoltaïque,…

M. Pierre Cazeneuve
Eh oui !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
…lorsqu’on vante le modèle allemand qui repose sur le charbon, lorsqu’on refuse les conclusions des experts du Giec – Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat – et du Haut Conseil pour le climat (HCC), lesquelles soulignent que le nucléaire est l’un de nos leviers pour lutter contre le réchauffement climatique ? (Mme Sophia Chikirou s’exclame.)
Or lorsqu’on parle d’énergie, la culture scientifique doit être entendue. Ainsi est-ce bien sur la science que s’appuie la stratégie énergétique du Président de la République, énoncée à Belfort. Celle-ci repose sur trois indissociables piliers, chers à la Première ministre, à la majorité et à moi-même.
Il s’agit d’abord de la réduction de la consommation d’énergie, ce qui passe par la sobriété et l’efficacité énergétiques.

Mme Julie Laernoes
Il n’y a pas eu de projet de loi sur cette question !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Si nous voulons atteindre la neutralité carbone, les experts de RTE – Réseau de transport d’électricité – nous le disent, nous devrons réduire de 40% notre consommation d’énergie d’ici à 2050.

M. Jean-Paul Lecoq
Et si on commençait par là ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Le plan de sobriété que j’ai présenté en octobre dernier constitue la première brique de cette trajectoire de long terme. Grâce à la mobilisation des grandes entreprises, des grandes collectivités et des grandes administrations, et plus largement des Françaises et des Français, ce plan a permis à notre pays de réduire de 10% sa consommation combinée de gaz et d’électricité cet hiver, ce qui équivaut à la production de sept réacteurs nucléaires.

M. Jean-Paul Lecoq
Et les prix ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Nous avons su faire en trois mois ce que notre pays, en dépit de certaines lois, n’a pas su faire en trente ans.
Par ailleurs, notre stratégie énergétique repose sur l’augmentation massive et durable de notre production d’énergie décarbonée. Dans ce domaine, je l’ai dit, nous n’avons pas le luxe du dogmatisme. Nous devons accélérer la production de toutes les énergies décarbonées disponibles, dès lors qu’elles sont compatibles avec notre indépendance énergétique et qu’elles contribuent à fournir à nos concitoyens une énergie abondante et abordable.
Notre stratégie implique donc de développer massivement les énergies renouvelables et de relancer l’énergie nucléaire. Sur ce point, assumons de l’affirmer sans détour, notre pays a un lien historique avec la technologie nucléaire, lien qui est le fruit d’une volonté politique forte et ambitieuse : celle du général de Gaulle et de ses successeurs.

Mme Julie Laernoes
On est en 2023 !

M. Sylvain Maillard
On peut aussi avoir de la mémoire !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
C’est bien dans cet héritage politique que s’inscrit le programme de relance nucléaire défendu par le Président de la République.

M. Sylvain Maillard
Vous n’aimez pas le général de Gaulle !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Des activistes comme Zion Lights, ancienne figure d’Extinction Rebellion, ou Greta Thunberg reconnaissent l’importance du nucléaire pour sortir des énergies fossiles. Et des personnalités politiques comme Alexandria Ocasio-Cortez vantent la filière française de recyclage nucléaire.

Mme Julie Laernoes
Il n’y a pas beaucoup d’arguments de fond !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Plus de 75% des Français se disent favorables à la relance du nucléaire – adhésion qui est plus forte encore chez les citoyens qui habitent à proximité des réacteurs.

Mme Sophia Chikirou
C’est parce qu’ils ne savent pas !

M. Stéphane Travert
Si, ils savent très bien !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Certains de nos partenaires européens affichent désormais une stratégie similaire à la nôtre. La Suède, les Pays-Bas, la République tchèque ou encore la Roumanie, pour ne citer que ces pays, ont manifesté le souhait de se doter de nouvelles capacités de production nucléaire, ou de prolonger l’utilisation de leurs capacités nucléaires existantes. J’ai d’ailleurs lancé, avec onze de mes homologues européens, une alliance européenne du nucléaire afin de renforcer nos coopérations et de conforter notre autonomie stratégique dans ce secteur. Cette alliance vise à insister sur l’importance du nucléaire pour la réalisation de nos objectifs climatiques et pour la sécurité énergétique de notre continent : c’est absolument stratégique étant donné que l’avenir du nucléaire se joue aussi au niveau européen.
Nous avons remporté une première bataille s’agissant de la taxonomie européenne et nous devons remporter la deuxième qui se joue cette semaine avec la proposition de règlement pour une industrie à zéro émission nette. Vous pouvez compter sur ma détermination pour défendre cette position auprès de mes homologues.

M. Pierre Cazeneuve
Très bien !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Avec ce projet de loi, que j’ai l’honneur de présenter, notre objectif est d’anticiper et d’être prêt si, après les concertations, les débats publics et les débats parlementaires qui s’imposent, nous décidions d’avancer dans l’application du nouveau programme nucléaire français.
Celui-ci s’inscrit dans la droite ligne de notre action depuis le début du premier quinquennat.

Mme Julie Laernoes
Ah bon ? Macron avait pourtant dit qu’il fallait réduire la part du nucléaire !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Dès 2018, nous avons commandé à EDF une étude sur un nouveau programme nucléaire. En 2019, nous avons commandé à RTE une étude sur notre futur énergétique. Nous avons mobilisé les filières de l’amont à l’aval avec le plan de relance et le plan France 2030. Nous avons mené une concertation sur notre mix énergétique. Nous avons lancé le débat public sur les nouveaux réacteurs, placé sous l’égide de la CNDP – Commission nationale du débat public. Sans parler du Conseil de politique nucléaire, que préside le chef de l’État. Tout est fait avec ordre et dans l’ordre…

Mme Aurélie Trouvé
Vous avez court-circuité la CNDP !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
…pour que la décision définitive que nous prenons soit la plus éclairée, la plus concertée et la mieux préparée possible.
J’ai entendu de nombreuses approximations lors de nos débats en commission des affaires économiques. Il est d’abord inexact et malhonnête de prétendre que le Gouvernement enjamberait le débat public avec ce projet de loi.

Mme Aurélie Trouvé
C’est la CNDP qui le dit !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Deux débats publics relatifs, d’une part, à la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) et, d’autre part, à la construction de nouveaux EPR2 – réacteurs pressurisés européens de deuxième génération –, se sont déroulés sous l’égide de la CNDP et sont désormais achevés.

Mme Aurélie Trouvé
Ce n’est pas vrai !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
J’avais d’ailleurs personnellement convié chacun des membres de la commission des affaires économiques et de celle du développement durable et de l’aménagement du territoire à la conclusion de la concertation sur le mix énergétique lors d’un forum qui a réuni 200 jeunes de tout le pays tirés au sort. Mesdames et messieurs les députés de l’opposition, alors que vous ne cessez de réclamer davantage de débat public, je note que pas un seul d’entre vous ne nous a fait l’honneur de sa présence, excepté ceux de la majorité, notamment M. le président Kasbarian.

Mme Sandra Regol
N’importe quoi !

M. Sylvain Maillard
Excellent président !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Des questions ont été posées par les participants de ces débats sur la technologie nucléaire la plus pertinente, sur les coûts du programme, sur la gestion des déchets et sur la disponibilité des compétences. Nous devons leur apporter des réponses, et nous y travaillons : c’est notre responsabilité. C’est pourquoi j’ai lancé une revue du nouveau programme nucléaire, qui nous permettra, d’ici à la fin de l’été, de connaître les coûts actualisés, et de disposer d’une évaluation des choix technologiques, d’un état des lieux industriel de la filière et d’un bilan sur les besoins en compétences.

Mme Julie Laernoes
Une revue des contrats avec la Russie également ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Il n’en demeure pas moins que nous assumons de défendre un projet de relance du nucléaire, car la raison d’être d’un débat public est justement de débattre d’un projet clairement identifié.
Au-delà de son caractère technique, ce texte reflète aussi notre ambition politique pour la filière du nucléaire : en l’occurrence celle d’une grande aventure scientifique, industrielle et humaine, qui rassemblera des hommes et des femmes, des industries et des savoir-faire au service d’un projet national stratégique. C’est un projet pour renouer avec l’esprit de la France des bâtisseurs, un projet pour la fierté de notre pays.
Je puis d’ailleurs témoigner que c’était bien de la fierté que j’ai vue dans les yeux des salariés de Framatome au Creusot et des jeunes qui y suivent une formation grâce aux bourses d’étude lancées par le plan France relance lorsque j’ai annoncé la relocalisation d’un atelier industriel pour la fabrication de pièces critiques des futurs réacteurs.
Avec ce projet de loi, ce n’est ni plus ni moins que le fil de la plus grande aventure industrielle française depuis les années 1970 que nous renouons. Ce texte est une brique technique au service d’une ambition politique assumée.
L’adoption de plus de 170 amendements en commission a permis d’améliorer la rédaction du texte, tout en maintenant son objectif d’améliorer l’efficacité des procédures. Je tiens à remercier Mme la rapporteure Maud Bregeon, Mme la rapporteure pour avis Christine Decodts, ainsi que M. le président de la commission des affaires économiques Guillaume Kasbarian et M. le président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire Jean-Marc Zulesi pour leur travail précieux sur ce texte.
Ce travail en commission a permis de retirer du texte tous les objectifs programmatiques qui n’y ont pas leur place. À cet égard, la position du Gouvernement est très claire : ni plancher, ni plafond. Nous devons envoyer un signal à notre filière, qui a trop longtemps souffert de recevoir des injonctions contradictoires, sachant que ces objectifs programmatiques seront discutés dans les prochains mois, dans le cadre de l’examen de la première loi de programmation sur l’énergie et le climat (LPEC).
Ce texte renforcera également la sûreté. Je tiens à être très claire et très ferme sur ce point : l’accélération de la production d’énergie nucléaire ne se fera pas au détriment de la sûreté de nos installations présentes et futures.

Mme Julie Laernoes
Vous retirez donc vos amendements ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Contrairement à ce qu’on peut entendre, le projet de loi ne touche pas à une seule virgule de nos procédures de sûreté nucléaire.

M. Jean-Paul Lecoq
C’est vous qui créez le doute !

M. Bruno Millienne
Vous ne voulez pas écouter l’orateur ?

Mme Julie Laernoes
L’oratrice !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Alors que la charge de travail est appelée à croître, il est proposé d’élargir les missions de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) – qui peut être contre ? – et de réunir, comme elles le sont au Canada ou aux États-Unis, ses compétences et celles de l’IRSN – Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire – sous le statut protecteur d’autorité administrative indépendante. Voilà la réalité de ce projet de loi ! De cette manière, l’ASN deviendrait la deuxième autorité de sûreté au monde en termes de moyens humains et financiers, et ce avec une crédibilité scientifique que je souhaite intacte.

Mme Julie Laernoes
Tout le monde y est opposé !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
À cet égard, je considère comme parfaitement légitime la volonté de renforcer le contrôle du Parlement et de l’Opecst – Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques – sur le Gouvernement dans la conduite de la réforme. Je donnerai donc un avis favorable aux amendements déposés en ce sens par le groupe Démocrate (MODEM et indépendants) et par M. le député Fugit.
Le projet de loi devra également garantir la ligne rouge que j’ai fixée en matière de transparence de notre système de sûreté, grâce à un amendement du groupe Renaissance que présentera la rapporteure, et renforcer l’attractivité des métiers. Le Gouvernement était d’ailleurs favorable à un amendement relatif au recrutement des personnels de recherche, mais il a malheureusement été déclaré irrecevable.
Ainsi ce texte est-il le deuxième texte énergétique à être soumis au Parlement en trois mois, ce qui témoigne de la détermination du Gouvernement et de la majorité de construire ensemble l’avenir énergétique de notre pays ; de notre détermination à mettre fin à notre dépendance aux énergies fossiles vis-à-vis de puissances étrangères parfois hostiles, grâce à la production d’énergies décarbonées sur notre territoire ; de notre détermination à répondre aux enjeux de pouvoir d’achat des Français et de compétitivité des entreprises ;…

Mme Julie Laernoes
Ce sont nos impôts qui paieront le nucléaire !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
…et enfin de notre détermination, toujours avec la majorité, à faire de la France un grand pays énergétique, souverain dans les technologies qu’il emploie et capable de les exporter. Car la France, j’en ai la conviction profonde, est une grande nation nucléaire. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem.)


source https://www.assemblee-nationale.fr, le 15 mars 2023