Interview de M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la justice, à RTL le 3 mai 2023, concernant le projet de loi sur la justice et les prisons.

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Média : RTL

Texte intégral

YVES CALVI
Bonjour Eric DUPOND-MORETTI.

ERIC DUPOND-MORETTI
Bonjour Monsieur CALVI.

YVES CALVI
Bienvenue sur RTL, Monsieur le Garde des sceaux. Vous présentez ce matin votre projet de loi pour une justice plus rapide en Conseil des ministres, elle est accompagnée d’un budget exceptionnellement haut. Autant dire que tous les Français sont concernés, en particulier dans ce qu’on appelle la justice du quotidien, celle qui nous concerne tous, nous allons détailler tout cela dans un instant, mais tout d’abord, l’actualité la plus récente, s’il vous plaît, celle des manifestations et des violences, 540 interpellations avec des violences et des casseurs parfois venus de l’étranger. Faut-il une nouvelle loi anti-casseurs, comme le réclame notamment le ministre de l’Intérieur, Gérald DARMANIN ?

ERIC DUPOND-MORETTI
En tous les cas, on y réfléchit, et je rencontre vendredi le ministre de l’Intérieur, on va travailler ensemble.

YVES CALVI
Vous avez écrit récemment aux procureurs pour leur demander davantage de fermeté. Est-ce que cette fermeté a été appliquée ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Vous avez vu que ce cocktail Molotov, lancé parmi les policiers, je pense d’ailleurs à lui, je pense à sa famille, je pense à ses collègues, la qualification qui a été donnée par le procureur de la République de Paris, c’est une qualification de tentative de meurtre, 30 ans de réclusion criminelle, c’est le maximum de la peine encourue. Donc oui, bien sûr, il faut une vraie fermeté, parce qu’il y a les manifestants qui manifestent, et c’est une liberté que la Constitution leur reconnaît, et puis, il y a les casseurs, et ceux-là, il ne faut pas leur faire de cadeau, parce qu’ils viennent là pour détruire, pour démolir, pour casser du flic, pour tuer.

YVES CALVI
Ma question, c’est : est-ce que nous avons un arsenal législatif qui nous permet aujourd’hui de condamner des gens qui veulent tuer des flics, parce qu’en fait, c’est le propos in fine, et est-ce qu’on a besoin absolument d’une nouvelle loi en la matière ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Il faut qu’on y réfléchisse, mais en ce qui me concerne, à deux reprises, notamment, sur le terrain législatif, j’ai pris des dispositions, elles ont été votées d’ailleurs, pour que la réponse pénale soit plus ferme, chaque fois que l’on s’en prend à un policier, parce que s’en prendre à un policier ou à un gendarme, c’est s’en prendre à la République et à la démocratie. C’est un mot en ce moment qui est dévoyé, utilisé, dans n'importe quelles conditions, il faut remettre les pendules à l'heure.

YVES CALVI
Venons-en à cette loi que vous présentez au Conseil des ministres ce matin, d'abord, le nerf de la guerre, l'argent, vous annoncez un budget historique, expliquez-nous, ce sera donc plus de 7,5 milliards d'euros sur ce seul quinquennat, ça change tout ?

ERIC DUPOND-MORETTI
7,5 milliards d’euros d’investissements supplémentaires. Et si vous me permettez deux comparaisons, comparaison ne vaut pas raison, mais tout de même que nos auditeurs sachent de quoi l'on parle, sous François HOLLANDE, c'est 2,1 milliards d'euros, sous le quinquennat… durant le quinquennat du président SARKOZY, c’est 2 milliards d’euros. Depuis que le président de la République a été élu, premier quinquennat, plus de 40% d’augmentation du budget, 40%. Et nous arrivons en 2027 à une augmentation du budget de plus de 60%.

YVES CALVI
C’est historique ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Ah, mais c’est absolument historique. On ne va pas se payer de mots, on ne va pas les galvauder, oui, bien sûr, et des réformes, il y en a eu, mais on envisageait les réformes, et les moyens, on les envisageait après, de sorte que les réformes n’étaient jamais mises en place. Ici, nous gravons dans le marbre les moyens, et ensuite, naturellement, il y a les réformes qui vont permettre des embauches massives, de magistrats, 1.500, de greffiers, 1.500, de contractuels que nous allons cédéiser, intentionnaliser, pérenniser, ce sont des jeunes diplômés qui vont venir aider les magistrats, qui vont recevoir une formation, qui vont prêter serment, il y a aussi le programme immobilier pénitentiaire et les embauches d'agents pénitentiaires.

YVES CALVI
Alors, les chiffres que vous nous citez sont impressionnants, mais est-ce que ça suffira quand on voit les piles de dossiers dans nos tribunaux, on est parfois effrayé ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Alors, d'abord, ces chiffres ne sont pas des chiffres… je ne me suis pas réveillé un matin en me disant : tiens, 1.500 magistrats, bon, ce sont les chiffres qui résultent des consultations très larges qui ont été conduites durant les états-généraux. Tous les professionnels ont été consultés, mais sur la…

YVES CALVI
Et pardonnez-moi, et ils vous disent dans leur analyse que les chiffres que vous nous citez ce matin sont ceux qui doivent permettre justement cette amélioration que l'on attend tous ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Oui, d’abord, je dois vous dire que nous avons déjà embauché sous le quinquennat précédent, 700 magistrats, 850 greffiers, 2.000 contractuels, et les énergies conjuguées de nos magistrats, de nos greffiers et de ces contractuels ont permis pour la première fois dans l'histoire de la justice de notre pays une réduction des stocks qui étaient en attente, les dossiers qui n’étaient pas traités en matière familiale, de plus de 30%. Et donc, c'est la raison pour laquelle on va pérenniser cette équipe autour du magistrat constitué de contractuels, qui vont avoir un nouveau statut, on va les appeler les attachés de justice pour que, justement, ils aident les magistrats au quotidien, pour que l'on aille plus vite, que la justice soit plus proche, et qu'elle soit plus efficace, et que l'on diminue drastiquement les stocks.

YVES CALVI
Seront-ils suffisamment formés, et comment éviter des recrutements au rabais, il va falloir former tout ce petit monde ?

ERIC DUPOND-MORETTI
D'abord, ce sont déjà des gens qui sont surdiplômés, les contractuels qui vont arriver…

YVES CALVI
Surdiplômés ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Les juristes assistants, bien sûr, c'est master 1, master 2, et pour ne rien vous cacher, nous en avons déjà embauché 300 qui ont déjà…, depuis le mois de juillet, qui sont dispatchés, si vous me permettez ce verbe, dans différentes juridictions. Et nous allons en embaucher d'autres. Ils vont recevoir la formation idoine, ce sont déjà des juristes. On ne part pas de rien.

YVES CALVI
Est-ce qu'on vise bien, c'est le terme que j'employais, il y a quelques instants, ce que l'on appelle la justice du quotidien, c'est-à-dire, celle qui concerne tous les Français ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Mais bien sûr, mais bien sûr. Les réformes que je vais présenter, il y a évidemment la présentation ce matin devant le Conseil des ministres des textes de lois qui sont prêts, mais il y a aussi du réglementaire, je veux que l'on aille vers une justice de l'amiable et de la médiation, très rapidement, je suis allé expertiser ce qui se fait aux Pays-Bas, ce qui se fait en Allemagne, ce qui se fait au Canada. Et nous avons une habitude de la médiation, de la transaction qui fait que, aux Pays-Bas, par exemple, il y a deux fois plus de contentieux civils, je parle, là, du civil, qui est réglé en deux fois moins de temps. Mon objectif, c'est que nous ayons une réduction des délais de jugement. On va diviser par deux ces délais, parce que ce que disent les Français…

YVES CALVI
Pardonnez-moi, là, on parle du divorce ou de litiges entre voisins, enfin, de ce qui fait la vie quotidienne des Français je vous ai bien compris ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Oui, bien sûr, ce qui fait la vie quotidienne des Français, c’est la question que vous me posiez. Il faut quand même que l’on se souvienne aujourd'hui, aujourd'hui, une procédure, en moyenne, ça dure 2 ans, il faut qu'on se souvienne que, parfois, dans des contentieux de l'intime, par exemple, le divorce, les affaires familiales, le justiciable ne voit pas le juge, mais comment on peut aimer une justice qui n'a pas de visage, et justement, la médiation, la transaction, l'amiable ça sert à ça ; nous allons le mettre en place.

YVES CALVI
Donc ça ne sera pas une justice expéditive ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Ça n'est certainement pas une justice au rabais, encore moins expéditive, elle est incarnée, et elle permet, pardon, aux Français de participer à la décision de justice à laquelle ils seront soumis en termes d'acceptabilité. Monsieur CALVI, si vous avez participé à la décision de justice qui vous concerne, vous l’acceptez davantage.

YVES CALVI
Eric DUPOND-MORETTI, parlons de nos prisons, nouveau record en avril, on n'avait jamais eu autant de détenus en France, 73.000, les places de prison vont-elles suivre ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Oui, Monsieur CALVI, il y avait une première tranche qui consistait à construire des prisons, 7.000 places, premier quinquennat, quelques retards, c'est vrai, qui sont dus à la difficulté d'obtenir les terrains, et je voudrais vous dire que ceux qui crient le plus à la sécurité sont ceux qui ont le moins envie d'ouvrir, si j'ose dire, une place pour une prison à venir.

YVES CALVI
On vous a refusé des terrains, c'est ça ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Ah oui, bien sûr, et puis, pas qu’un peu, et j'y ai passé beaucoup de temps, ça, c'est la première chose. La deuxième, c'est la Covid, qui a retardé évidemment le cours des choses, et les auditeurs qui sont en train de construire une maison individuelle savent à quel point ça a retardé les choses, ensuite, pénurie de matériaux, la guerre en Ukraine, mais pour autant, on est en train de rattraper tout ça, et en 2024, nous aurons sorti de terre la moitié, la moitié des établissements pénitentiaires, j'en inaugure 10 cette année, et en 2024, nous serons au rendez-vous.

YVES CALVI
Soyons concrets, ça fait combien de places, à l’arrivée, nouvelles de prison ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Ça fera 15.000 places de prison nettes, ça a deux objectifs, ça en a trois, pardon : assurer la fermeté de la réponse pénale, assurer de meilleures conditions de détention, et je ne veux surtout pas les oublier, de meilleures conditions de travail pour nos agents pénitentiaires.

YVES CALVI
Vous espérez une majorité pour faire voter ces textes, parce qu'il va falloir que ça arrive à l'Assemblée ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Eh bien, je crois que vous pouvez constater…

YVES CALVI
Dans quel délai ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Je crois que vous pouvez constater que ce ne sont pas des textes de clivage, je pense que tout le monde devrait être d'accord, j'utilise un conditionnel de prudence, mais enfin, pour qu'on améliore la justice de notre pays, pour qu'on lui donne plus de moyens.

YVES CALVI
Quand espérez-vous l'examen ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Cet été.

YVES CALVI
Une dernière question, vous participez à un gouvernement extrêmement contesté par beaucoup de Français, ils sont descendus dans la rue pour s'exprimer depuis des mois, est-ce que vous avez envie de défendre votre équipe, celle avec qui vous travaillez, vous, qui avez fait un choix majeur, qui était de quitter votre profession, que vous aimez énormément, pour devenir ministre ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Totalement, et si vous me permettez de répondre dans le périmètre qui est le mien, on a un président de la République qui a donné à la justice des moyens qu'elle n'a jamais eus, son investissement, son implication, ainsi que celle de Jean CASTEX, d'Elisabeth BORNE, pour améliorer la justice, pardon de vous dire que ça n'est pas rien, on pourra dire ce que l'on veut, on peut toujours mieux faire, mais la justice n'a jamais été aussi bien dotée que maintenant.

YVES CALVI
Merci beaucoup Eric DUPOND-MORETTI…

ERIC DUPOND-MORETTI
Vous me laissez 15 secondes, 10 secondes.

YVES CALVI
Oui.

ERIC DUPOND-MORETTI
On a lancé la semaine dernière une application " justice.fr ", si vous souhaitez savoir si vous êtes admissible au bénéfice de l'aide juridictionnelle, vous tapez, vous avez un simulateur, si vous souhaitez savoir ce que vous pourriez payer ou obtenir en termes de pension alimentaire, vous avez un simulateur, et vous avez 8.000 fiches qui vous permettent de mieux comprendre la justice, de savoir où se trouve le tribunal le plus proche de chez vous, et où se trouvent les points de justice que nous avons ouverts pour nos compatriotes les plus démunis : " justice.fr ".

YVES CALVI
Le message est passé. Merci Eric DUPOND-MORETTI. Vous annoncez donc un budget que vous qualifiez d'historique, de 11 milliards d'ici la fin du quinquennat, et des recrutements massifs ce matin sur RTL. Bonne journée, bon travail à vous, Monsieur le Ministre.

ERIC DUPOND-MORETTI
Bonne journée Monsieur CALVI.


Source : Service d’information du Gouvernement, le 4 mai 2023