Texte intégral
THOMAS SOTTO
Bonjour et bienvenue dans « Les 4V », Rima ABDUL-MALAK.
RIMA ABDUL-MALAK
Bonjour.
THOMAS SOTTO
Si la vie est un film, on peut dire que Cannes est son reflet. Quel regard portez-vous sur ce 76e Festival de Cannes qui laisse une place un peu plus grande aux femmes, à la diversité, à la jeunesse et qui semble aussi mettre sur le tapis les sujets qui fâchent, les sujets qui dérangent ?
RIMA ABDUL-MALAK
C’est vrai, ce Festival, il y a plus de femmes cette année : sept femmes.
THOMAS SOTTO
33% de réalisatrices, c’est un record mais c’est encore moins.
RIMA ABDUL-MALAK
Oui, mais c’est beaucoup mieux qu’avant. Donc, bien sûr qu’il y a encore des efforts mais c’est beaucoup mieux qu’avant. Plus de films de cinéastes africains, le retour des Américains. Parce qu’après deux ans et demi, trois ans impactés par la pandémie, ils nous manquaient un peu ; et voilà que les Américains sont de retour. Et bien sûr, Cannes, sans polémique ce n'est pas Cannes donc heureusement que c'est aussi toujours un festival qui est une caisse de résonance de toutes les questions qui agitent la société. Et c'est bien que ce soit aussi un lieu de débat, de friction, d'échanges, de positionnement.
THOMAS SOTTO
De controverse.
RIMA ABDUL-MALAK
De controverse.
THOMAS SOTTO
On a vu Johnny DEPP, star en majesté ; il est accusé de violences conjugales aux Etats-Unis. Ça a donné lieu à un procès retentissant là-bas. Ça vous a troublé qu'il soit Johnny DEPP ou pas ?
RIMA ABDUL-MALAK
Bien sûr que c'est troublant. Mais ce n’est pas à moi, ministre de la Culture, de choisir quel va être le film d'ouverture. Imaginez si je commence à faire ça, c'est la fin de la liberté de programmation et c'est la fin du festival de Cannes.
THOMAS SOTTO
Et quand on lutte contre les violences faites aux femmes comme veut le faire le Gouvernement depuis des années, ce n'est pas une image un peu gênante même s'il y a la présomption d'innocence et tout ça évidemment mais…
RIMA ABDUL-MALAK
C'est quand même un film réalisé par une femme - Maïwenn - qui choisit, elle, c'est son choix de femme, d'aller chercher Johnny DEPP pour ce rôle. Et en plus c’est un film sur une femme « Jeanne Du Barry » plutôt invisibilisée par l'histoire qu'elle veut remettre en lumière. Donc c'est beaucoup plus complexe que juste le sujet des violences sous l'angle de la vie de Johnny DEPP. Et puis moi, au fond, ce qui m'importe au-delà de ça, c'est de voir que dans le cinéma, il y a des films qui nous aident à changer de regard sur ces sujets. Même là, au Festival de Cannes, le film de Valérie DONZELLI, par exemple, sur l'emprise, sur les relations toxiques, c'est un film passionnant pour comprendre et changer les regards et changer les mentalités sur ce sujet.
THOMAS SOTTO
On en parlera puisque c’est l'invité de Julia et de Damien tout à l'heure avec Virginie EFIRA. Autre polémique, elle concerne Catherine CORSINI dont le film a été maintenu en compétition malgré de lourds soupçons sur le tournage concernant notamment les gestes déplacés de [membres] de l'équipe sur des jeunes comédiennes ; à tel point que le CNC a privé ce film de son aide. Ce film-là a-t-il sa place dans la sélection ?
RIMA ABDUL-MALAK
Là encore, il y a une totale liberté de programmation du programmateur du festival, Thierry FREMAUX. Moi, ce qui m'importe, c'est de voir comment, en tant que ministre, je peux agir ? Quels leviers je peux actionner pour lutter efficacement contre les violences, le harcèlement ?
THOMAS SOTTO
Mais il y a une façon simple : en ne déroulant pas le tapis rouge aux hommes et aux femmes qui agressent comme l’ont écrit plusieurs comédiens et comédiennes dans leurs plumes.
RIMA ABDUL-MALAK
Il y a une façon plus efficace qui est en amont de travailler et c'est comme ça qu'on a mis en place une conditionnalité des aides. Aujourd'hui, on ne peut pas avoir une aide du CNC s'il n'y a pas eu une formation de l'équipe sur le sujet des violences, sur la prévention des violences s’il n’y a pas un référent harcèlement, s’il n’y a pas un circuit de signalement qui est mis en place. Et ça, on l'a mis en place pour tous les secteurs de la culture. Ça c'est une manière efficace de lutter contre les violences sur les tournages.
THOMAS SOTTO
Les questions se multiplient aussi contre Gérard DEPARDIEU. Nos confrères de BFM ont diffusé hier soir un témoignage très fort d'une comédienne qui raconte comment elle a été violée. Y a-t-il aujourd'hui un problème DEPARDIEU dans le cinéma français ?
RIMA ABDUL-MALAK
Il y a un problème d'écoute de la parole des femmes qu'on doit écouter encore plus, qu'on doit prendre en compte. Cette parole qui se libère depuis le mouvement MeToo. C'est un mouvement très important qui est en train d'impacter toute la société. Après, je n’ai pas à me substituer à la Justice. Visiblement, la majorité des femmes qui ont témoigné n’ont pas porté plainte.
THOMAS SOTTO
Elle a porté plainte.
RIMA ABDUL-MALAK
Donc il va falloir que la Justice aussi se prononce. Mais encore une fois, moi je veux agir concrètement aux côtés de tous mes collègues du Gouvernement pour que ces violences ne se reproduisent plus.
THOMAS SOTTO
Et vous croyez ces femmes qui témoignent, qui viennent raconter ce qu'elles disent avoir vécu.
RIMA ABDUL-MALAK
Par principe, je crois toujours les femmes. Mais après, je n’ai pas à me substituer à la Justice.
THOMAS SOTTO
Il y a aussi la jeune comédienne Anna BIOLAY - fille de Chiara MASTROIANNI et de Benjamin BIOLAY - victime d'un harcèlement ignoble sur les réseaux sociaux depuis plusieurs jours, depuis qu'elle a monté les marches pour le film dans lequel elle joue. Comment on peut lutter contre ça ? Est-ce qu'on doit se résigner à accepter ce genre de lynchage, encore une fois, ultraviolent sur les réseaux sociaux ?
RIMA ABDUL-MALAK
Oui, c’est un lynchage absolument inacceptable sur les réseaux qui montre à quel point les réseaux sociaux sont devenus aussi une jungle de grande violence. Et donc aujourd'hui avec certaines réformes aussi et discuter au niveau européen comme le DSA, que mon collègue Jean-Noël BARROT va transposer en France. On a des actions pour responsabiliser plus les plateformes aussi par rapport à ce qui se passe sur leur réseau.
THOMAS SOTTO
Les plateformes dans les films ne sont pour l'instant pas acceptées dans le concours dans le Festival de Cannes. Est-ce qu'il faut le rouvrir cette compétition ou pas, à votre avis ?
RIMA ABDUL-MALAK
Si ces plateformes acceptent de sortir leurs films en salle, comme c'est le cas là pour le film de SCORSESE produit par APPLE, oui, mais il faut sortir les films en salle.
THOMAS SOTTO
Parlons des sujets plus réjouissants. Vous avez présenté un plan à 350 millions pour aider le cinéma français. En quoi il va consister ce plan ?
RIMA ABDUL-MALAK
Ce plan consiste à doubler les surfaces de tournage pour les studios. Parce qu’en France, on manque d'infrastructures de studios et de plus en plus de films et de séries se tournent en studio. Par exemple, à Marseille qui est la deuxième ville la plus filmée de France, il n’y avait pas d'infrastructures de studio ; il va y en avoir. Onze studios de tournage vont être soutenus par ce plan. Mais l'autre volet le plus important pour moi, c'est la formation, c'est de pouvoir doubler nos capacités de formation. Ce sont des secteurs, le cinéma, l'audiovisuel …
THOMAS SOTTO
Donc tous les métiers du cinéma.
RIMA ABDUL-MALAK
Qui recrutent beaucoup mais qui sont en tension, ce sont des métiers en tension. Oui, tous les métiers du son, de l'image. Dans le cinéma, dans l'audiovisuel, on va doubler nos capacités de formation ; passer de 5 000 à 10 000 personnes formées pour créer de l'emploi et renouveler les talents.
THOMAS SOTTO
A quelle échéance ?
RIMA ABDUL-MALAK
A échéance 2030.
THOMAS SOTTO
Donc cela vient assez vite. Autre actualité, Rima ABDUL-MALAK, elle concerne les biens spoliés. Le Sénat a examiné hier un projet de loi destiné à faciliter la restitution des biens culturels spoliés aux juifs par l'Allemagne nazie. Qu'est-ce que ce texte, s'il est voté, changera concrètement et donc quel calendrier ?
RIMA ABDUL-MALAK
Oui, j'ai été très émue de présenter ce texte. C'est mon premier projet de loi en tant que ministre depuis un an que j'ai été nommée. Et c'est un texte historique puisque, pour la première fois, le Parlement est amené à se prononcer sur une loi-cadre générale qui va faciliter les restitutions de tous les biens culturels qui ont été spoliés aux familles juives contre 1933 et 1940.
THOMAS SOTTO
Ça concerne combien de biens en France aujourd’hui encore ?
RIMA ABDUL-MALAK
On estime que c'est à peu près 100 000 oeuvres et objets d'art, qu’il a aussi 5 millions de livres. Evidemment, on n'arrivera pas à tout restituer, à retrouver toutes les familles, tous les ayants droit ; c'est un travail aussi d'enquête qui est très complexe.
THOMAS SOTTO
Mais aujourd'hui dans les musées français, il y en a combien ? Vous le savez ou pas ?
RIMA ABDUL-MALAK
C'est impossible de savoir ça. C’est justement ce qu'on est en train de faire aussi, c'est plus de recherche sur la provenance, l'origine des oeuvres. Ce sont des travaux de longue haleine que beaucoup de chercheurs, d'historiens, de généalogistes, font. Donc c'est à la fois permettre par la loi de sortir des collections publiques ces oeuvres plus facilement ; parce qu'aujourd'hui, ces oeuvres sont protégées par le principe d'inaliénabilité. Il faut une loi pour les sortir des collections et les rendre. Mais c'est en parallèle développer les formations, développer les recherches de provenance pour mieux détecter l'origine douteuse de ces œuvres quand elles sont douteuses.
THOMAS SOTTO
Il y aura restitution quand c'est possible et réparation financière pour les propriétaires ou les ayants droit ?
RIMA ABDUL-MALAK
Les réparations financières sont déjà prévues par une commission d'indemnisation des victimes des spoliations qui a été mise en place il y a déjà plusieurs années. Donc c'est évidemment possible aussi.
THOMAS SOTTO
La culture c'est aussi une question d'argent. La Première ministre a demandé à tous ses ministres de faire un effort de 5% sur les dépenses. Est-ce que le budget de la Culture sera touché l'année prochaine ? Il sera en baisse ?
RIMA ABDUL-MALAK
On est encore en discussion sur nos budgets. Le budget 2024 est loin d'être adopté. Donc nous sommes en discussion ; mais tous les ministres ont eu à proposer effectivement des propositions d’économie. Mais moi, j'avais déjà eu un budget en hausse de 7% entre 2022 et 2023.
THOMAS SOTTO
Vous allez devoir baisser encore plus ou pas ?
RIMA ABDUL-MALAK
Non, non, pour l'instant, on est encore en discussion. Il y a évidemment l'inflation, il y a des nouveaux projets et il y a des endroits où on peut faire des économies et donc tous les ministres sont amenés à le faire.
THOMAS SOTTO
L'argent sert aussi à distribuer des subventions pour aider la Culture à vivre, à s'épanouir. En région Auvergne Rhône-Alpes, Laurent WAUQUIEZ, critiqué pour avoir notamment retiré une subvention à un directeur de théâtre qui l'avait critiqué. C'est bien fait pour lui ? On ne mord pas la main qui nous nourrit ? Ou ce n’est pas acceptable ce qui s'est passé là-bas ?
RIMA ABDUL-MALAK
Non, la France est un pays de liberté d'expression et de création. C’est un principe intangible de notre démocratie et de notre modèle culturel.
THOMAS SOTTO
Et de liberté d’attribution des subventions.
RIMA ABDUL-MALAK
Bien sûr qu'une collectivité a toute liberté d'attribuer ou pas des subventions ; Mais il se trouve que ça se passe dans un cadre de partenariat entre l'Etat, les collectivités ; on signe des conventions, donne une visibilité sur 3 ans, on discute, on échange. Là, il y a d'abord une brutalité dans la méthode c’est-à-dire une décision unilatérale de retirer une subvention sans en discuter avec les partenaires et sur des critères qui ne sont pas clairs. Ce théâtre en particulier, c'est le théâtre jeune public de Lyon, c'est-à-dire un théâtre qui touche des enfants, des élèves, des scolaires qui viennent voir peut-être pour la première fois des spectacles. Pourquoi viser ce théâtre-là ? Les propos d'un directeur ne doivent pas entrer en compte dans l'attribution des subventions.
THOMAS SOTTO
Les choses sont claires. Ce n’est pas non plus la franche camaraderie dans le monde de l'audiovisuel en ce moment. L'Association des chaînes privées a écrit Elisabeth BORNE pour dénoncer ce qu'elle considère être la position favorable de France Télévisions. Elles disent notamment que France 2, où nous sommes ce matin, développe une programmation étonnamment commerciale. Est-ce qu'elles ont raison, ces chaînes privées, de déplorer une forme de concurrence déloyale ?
RIMA ABDUL-MALAK
Alors, ce n'est ni à la Première ministre ni à moi de faire l'évaluation de la régulation du secteur de l'audiovisuel ; c'est à l'Arcom qui est le régulateur indépendant, autorité indépendante, et qui publie régulièrement des rapports qui évaluent les grilles de programmes de toutes les chaînes.
THOMAS SOTTO
Mais est-ce que vous trouvez vous que les chaînes des télés publiques remplissent correctement leur rôle aujourd’hui ?
RIMA ABDUL-MALAK
Quand on regarde les chiffres de l'Arcom, on a bien la vision claire que les missions du service public sont remplies, les missions sont remplies.
THOMAS SOTTO
C’est tout ?
RIMA ABDUL-MALAK
En matière d'information, en matière de création, en matière de documentaires ; les missions sont remplies.
THOMAS SOTTO
Les missions sont remplies mais avec quel argent ? Ça, on ne le sait pas trop. La redevance a été supprimée il y a quelques mois maintenant.
RIMA ABDUL-MALAK
Mais remplacée par un système qui a permis de compenser, à l'euro près, le même budget.
THOMAS SOTTO
Mais qui dépend d’un vote politique à chaque fois. Est-ce qu'il va y avoir un système de financement pérenne ?
RIMA ABDUL-MALAK
Mais c'est déjà avant. La redevance dépendait aussi d’un vote politique. D'ailleurs, elle avait été baissée d’un euro, il y avait toujours eu des débats autour de la redevance au sein du Parlement et ça dépendra toujours d’un vote politique.
THOMAS SOTTO
Donc il n’y aura pas un système indépendant de financement pérenne intouchable qui permet de garantir l'indépendance des services publics ?
RIMA ABDUL-MALAK
La vérité c'est que rien n'est totalement intouchable. Tout dépendra toujours du Parlement.
THOMAS SOTTO
Oui mais on peut toujours au moins protéger.
RIMA ABDUL-MALAK
Aujourd'hui, nous avons mis en place un système qui est une fraction de la TVA déjà collectée et fléchée vers le financement de l'audiovisuel public. A titre personnel, moi, je considère que c'est un bon équilibre et que ce serait bien de pouvoir le prolonger mais il y aura encore un débat au parlement là-dessus.
THOMAS SOTTO
Et le retour de la pub après 20h, c'est un sujet sur le service public ?
RIMA ABDUL-MALAK
Non, je pense qu'il ne faut pas ouvrir ce sujet. Je pense qu’il y a un équilibre aujourd'hui qu'il faut préserver entre là-dessus. Les chaînes privées ont raison de s'en inquiéter. Il y a un équilibre à trouver. Aujourd'hui, il y a en plus une concurrence telle avec les plateformes et les GAFAM que ce n'est pas le moment de rouvrir ce sujet.
THOMAS SOTTO
Et est-ce que la fusion, ce sera ma dernière question, entre France Télévisions et Radio France figure sur votre agenda ?
RIMA ABDUL-MALAK
Non.
THOMAS SOTTO
Non ? Voilà qui est clair, vous n’y êtes pas favorable ?
RIMA ABDUL-MALAK
Non, je pense qu'aujourd'hui, la priorité n'est pas celle-ci, n'est pas de se lancer dans 10 - 12 ans de réorganisation de l'audiovisuel public. Je pense que la priorité est de répondre à des défis majeurs. Le premier d'entre eux c'est la lutte contre la désinformation ; c'est comment véritablement informer les Français, qui est une information fiable, sourcée, indépendante, pluraliste et lutter contre l'effet contre les fake news ? Comment faire pour que les chaînes de l'audiovisuel public se groupent encore plus - Les Radio France et France Télévisions - pour lutter par exemple contre ça ? Ça, c'est important. Est-ce que ça doit passer par un changement d'organisation ? Pas nécessairement.
THOMAS SOTTO
Pas nécessairement. Merci Rima ABDUL-MALAK d'être venue ce matin. RIMA ABDUL-MALAK
Merci.
THOMAS SOTTO
Merci à vous.
Source : Service d’information du Gouvernement, le 25 mai 2023