Entretien de Mme Laurence Boone, secrétaire d'État chargée de l'Europe, à France Info le 5 juin 2023, sur la transition énergétique au sein de l'Union européenne, les fonds européens, le contrôle des investissements étrangers et la protection des données.

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Média : France Info

Texte intégral

Q - Bonsoir, Laurence Boone.

R - Bonsoir.

Q - Vous êtes secrétaire d'État en charge de l'Europe auprès de la ministre des affaires étrangères. Demain, vous serez à Bruxelles pour parler souveraineté et sécurité économique. On va y revenir dans le détail. Nous sommes vraiment au cœur du sujet : le rapport publié récemment par l'économiste Jean Pisani-Ferry sur l'impact économique de la transition énergétique chiffre à 66 milliards d'euros par an sur la décennie les sommes qu'il va falloir mettre sur la table pour assurer cette transition. Est-ce que la France peut assumer cela toute seule ? Est-ce qu'elle a besoin d'alliés, en l'occurrence de l'Europe ?

R - C'est tout l'objectif de l'Europe, et c'est l'objectif de l'Europe depuis, depuis assez longtemps. Donc ça veut dire quoi ? Vous savez qu'avec le plan de relance, après la pandémie, l'Europe a mis 750 milliards sur la table, dont 250 milliards - un tiers - sont dédiés à la transition énergétique. Quand la France met un plan de relance de 100 milliards, 40 milliards viennent de l'Europe, précisément pour cette transition énergétique et numérique. Donc en pratique, c'est quoi ? En pratique, c'est l'usine ACC inaugurée par Bruno Le Maire et Agnès Pannier-Runacher...

Q - De batteries électriques, dans le nord de la France.

R - Voilà, la semaine dernière. C'est aussi, aujourd'hui même, l'usine STMicroelectronics à Crolles, près de Grenoble ; c'est un investissement de 3 milliards. Donc oui, la France, avec l'Europe, a de quoi mettre sur la table les investissements nécessaires. Est-ce qu'on fait assez ? La réponse est non. Nous, la France, nous poussons beaucoup pour que l'Europe fasse beaucoup plus. Et vous avez entendu parler du fonds de souveraineté. Il a été demandé par le Président dès décembre, il avait été annoncé par Ursula von der Leyen en septembre. Nous, on dit : "voilà, il reste 70 à 100 milliards d'euros dans un fonds européen qui s'appelle REPowerEU, qui arrive à extinction. On veut que cet argent-là continue d'aller dans la transition".

Q - Cela dit, Laurence Boone, chaque pays n'est pas logé à la même enseigne, parce que chaque pays, on voit notamment l'Allemagne, débourse beaucoup, plus que d'autres d'ailleurs. La France a moins de moyens. Est-ce que ça ne crée pas finalement des distorsions de concurrence au sein même de l'Europe, entre les pays qui ont peut-être moins besoin de l'Europe et d'autres qui en ont réellement besoin ?

R - Alors, je vous arrête : tout le monde a besoin de l'Europe. Regardez l'Allemagne, c'est 80 millions de personnes, nous c'est 66 ; qu'est-ce qu'on pèse face à la Chine, à l'Inde et aux Etats-Unis ? En revanche, en Européens, on est 440 millions. Et là, on peut commencer à parler sur un pied d'égalité. Ça, c'est la première chose. La deuxième chose, c'est : est-ce qu'il y a un risque d'inégalités ou de fragmentation ? Mais oui, bien sûr que oui. C'est d'ailleurs pour ça que nous avons demandé le fonds de souveraineté. Mais c'est aussi pour ça que nous avons demandé, que je pousse - et ce sera aussi l'occasion demain - pour plus de flexibilité dans l'utilisation des fonds. Puisque des fonds, il y en a, il y en a beaucoup, mais les acteurs de terrain, ce que je vois, les régions, les entreprises, les entrepreneurs...

Q - Ils n'ont pas forcément l'argent nécessaire, dont ils veulent ?

R - Mais ils sont complètement emmêlés dans la bureaucratie bruxelloise, comme une mouche dans une toile d'araignée.

Q - Mais ça, ce n'est pas nouveau !

R - Mais, alors, deux choses : la première, c'est qu'on a poussé Bruxelles à simplifier ses procédures, à passer de procédure des années 90 à des procédures qui soient modernes, agiles, flexibles. La deuxième chose, c'est qu'avec mon arrivée, on a mis en place dans l'administration européenne française, le secrétariat général des affaires européennes, une cellule dédiée à l'utilisation des fonds par les régions, par les collectivités.

Q - Donc ça veut dire que ça sera plus efficace ? Vous visez l'efficacité ? Ce qui n'était pas le cas jusqu'à présent...

R - Oui, on veut aider tous les acteurs de terrain à pouvoir utiliser ces fonds. C'est d'ailleurs ce qui va être annoncé, je vous le dis à vous, en avant-première, jeudi soir, à Marseille, par Renaud Muselier et le Gouvernement.

Q - Qu'est ce qui va être annoncé, précisément ?

R - La flexibilité des fonds, et de pouvoir les utiliser plus longtemps dans le temps, ce qui n'était pas possible avant et ce que les régions nous demandaient.

Q - Alors justement, Laurence Boone, secrétaire d'État en charge de l'Europe auprès de la ministre des affaires étrangères, quand vous vous rendez à Bruxelles, quels sont les arguments utilisés par la ministre française pour défendre ses intérêts ? Finalement, vous êtes là pour ça, quelque part.

R - Je suis là pour que...

Q - Défendre les intérêts de la France, bien sûr.

R - Absolument, je suis là aussi pour que l'Europe avance plus et fasse plus, pour que nous puissions en bénéficier plus. Donc là, je vous l'ai dit, il y a le fond de souveraineté, c'est une idée de la France, nous demandons maintenant que les fonds arrivent dans ce fonds de souveraineté pour qu'ils puissent être utilisés. Je le répète, c'est 70 à 100 milliards qui sont bientôt disponibles. Ensuite, on parle aussi beaucoup de sécurité économique, et ça, c'est quelque chose...

Q - C'est quoi, la sécurité économique ? C'est la souveraineté, c'est le protectionnisme, c'est quoi ?

R - C'est la souveraineté. C'est que les États-Unis ne nous disent pas ce qu'on doit faire comme relations commerciales, en nous empêchant d'exporter des puces ou des semi-conducteurs. C'est aussi que face à la Chine, on puisse dire : "vous faites des subventions énormes, et ça ne passera plus sinon...". Très, très concrètement, qu'est-ce qu'on fait, par exemple, face à la Chine ? Dès le premier juillet de cette année, on va pouvoir utiliser des outils antisubventions, antidumping, sur tous les véhicules électriques qui sont sur-subventionnés par la Chine. On mettra des quotas ou on mettra des tarifs pour rééquilibrer les relations de concurrence. Après, ce n'est pas que ça. C'est : est-ce que c'est aux Américains de nous dire ce qu'on doit exporter ou où on peut investir ? Pas du tout.

Q - C'est ce qu'ils font, jusqu'à présent ?

R - C'est à l'Europe... Ils pourraient être tentés de nous empêcher d'exporter ci ou ça ou d'investir en Chine.

Q - Bah, ils pourraient être tentés... Franchement, ils le font, si vous l'évoquez, Laurence Boone.

R - Non, ils ne le font pas. Ils sont tentés, je vous le dis. Mais c'est pour ça que nous, nous construisons cette doctrine de sécurité économique avec Roland Lescure, avec Olivier Becht. On a mis en place un groupe de travail qui va faire des propositions pour qu'on puisse décider quels investissements on veut faire à l'étranger, quels investissements on veut chez nous, en Europe comme en France, et quel type de contrôle aux exportations on veut mettre pour garder aussi ce lead technologique, et puis pour ne pas ouvrir nos infrastructures critiques à n'importe qui.

Q - Donc contrôler encore plus les investissements étrangers, en France et en Europe ? Contrôler, contrôler, contrôler ?

R - Mais oui, parce que vous savez, maintenant quand on parle de cyber, quand on parle de protection des données... Je vais vous donner un exemple très concret : vous êtes dans un aéroport, vous passez la sécurité ; vos données sur la sécurité, quand vous passez là, et que ça fait bip parce que vous avez gardé vos clés dans votre poche, vous voulez qu'elles restent où ? Vous voulez qu'elles restent en France, vous voulez qu'elles restent en Europe. Vous ne voulez pas qu'elles soient absorbées par la Chine, par exemple. C'est exactement de ça dont il s'agit.

Q - Alors Twitter, Elon Musk, le patron de Twitter, va sortir... on sait qu'il sortait du code de bonne conduite européenne pour la transmission vraie de l'information. La vice-présidente de la Commission européenne dit, tout à l'heure, qu'elle déplorait, en tout cas, qu'Elon Musk choisisse la confrontation. Dont acte. Pour l'instant, ce sont des mots, on ne va pas plus loin ?

R - D'abord, je déplore. Je ne crois pas qu'il veuille se couper du reste de l'Europe. Le ministre Jean-Noël Barrot a été très clair là-dessus, il faut jouer avec les règles européennes. Donc, c'est absolument ce qu'on va lui redemander, un dialogue va s'engager. Le marché européen pour Twitter, c'est quand même quelque chose d'énorme. On sait maintenant que c'est dangereux, que les enfants peuvent suivre des... n'importe quoi, qu'on sait qu'il y a beaucoup de mésinformation, de désinformation. Vous savez, j'étais en Europe de l'Est : dans tous les pays d'Europe de l'Est, il y a de l'ingérence russe via les réseaux sociaux. On ne veut pas vendre notre démocratie à la Russie.

Q - Merci beaucoup, Laurence Boone, secrétaire d'État chargée de l'Europe, invitée de l'Eco, ce soir, sur France Info.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 juin 2023