Déclaration de M. Clément Beaune, ministre chargé des transports, sur les voitures de transport avec chauffeur, à l'Assemblée nationale le 25 mai 2023.

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Circonstance : Audition à l'Assemblée nationale devant la Commission d'enquête relative aux révélations des Uber files

Texte intégral

M. le président Benjamin Haddad. Nous avons l'honneur d'accueillir M. Clément Beaune, ministre délégué auprès du ministre de la Transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé des Transports.

Monsieur le ministre, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de vous être rendu disponible pour répondre à nos questions.

Le 10 juillet 2022, plusieurs membres du consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ) ont publié ce qu'il est désormais convenu d'appeler les Uber files, en s'appuyant sur 124 000 documents internes à l'entreprise américaine, datés de 2013 à 2017. Cette enquête dénonce un lobbying agressif de la société Uber pour implanter en France – et dans de nombreux autres pays – des véhicules de transport avec chauffeur (VTC) et pour concurrencer ainsi les taxis dans le transport public particulier de personnes (T3P), secteur qui leur était jusqu'alors réservé.

Notre commission d'enquête a pour objet, d'une part, d'identifier l'ensemble des actions de lobbying menées par Uber pour s'établir en France et le rôle des décideurs publics de l'époque. Elle formulera ensuite des recommandations pour mieux encadrer les relations entre décideurs publics et représentants d'intérêts. Elle a, d'autre part, pour ambition d'évaluer les conséquences économiques, sociales et environnementales de l'ubérisation – c'est-à-dire du développement du modèle Uber – dans notre pays et les réponses apportées ou à apporter par les décideurs publics.M. le président Benjamin Haddad. Nous avons l'honneur d'accueillir M. Clément Beaune, ministre délégué auprès du ministre de la Transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé des Transports.

Monsieur le ministre, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de vous être rendu disponible pour répondre à nos questions.

Le 10 juillet 2022, plusieurs membres du consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ) ont publié ce qu'il est désormais convenu d'appeler les Uber files, en s'appuyant sur 124 000 documents internes à l'entreprise américaine, datés de 2013 à 2017. Cette enquête dénonce un lobbying agressif de la société Uber pour implanter en France – et dans de nombreux autres pays – des véhicules de transport avec chauffeur (VTC) et pour concurrencer ainsi les taxis dans le transport public particulier de personnes (T3P), secteur qui leur était jusqu'alors réservé.

Notre commission d'enquête a pour objet, d'une part, d'identifier l'ensemble des actions de lobbying menées par Uber pour s'établir en France et le rôle des décideurs publics de l'époque. Elle formulera ensuite des recommandations pour mieux encadrer les relations entre décideurs publics et représentants d'intérêts. Elle a, d'autre part, pour ambition d'évaluer les conséquences économiques, sociales et environnementales de l'ubérisation – c'est-à-dire du développement du modèle Uber – dans notre pays et les réponses apportées ou à apporter par les décideurs publics.

Nous avons été largement interpellés quant à l'évolution de la réglementation et de la concurrence entre les taxis et les VTC, depuis l'émergence en France des plateformes numériques telles qu'Uber en 2013.

Malgré le lobbying d'Uber vis-à-vis des décideurs publics de l'époque – et de tous bords – pour imposer son modèle, la réglementation a systématiquement évolué pour permettre une coexistence pacifiée entre les taxis et les VTC et pour encadrer ces nouvelles pratiques, d'abord avec la "loi Thévenoud", puis avec la "loi Grandguillaume".

Près de dix ans plus tard, quel bilan faites-vous de l'évolution de la concurrence entre les différents acteurs et de l'application, en France, de la réglementation en vigueur dans le transport public particulier de personnes ?

Au cours des auditions que nous avons menées dans le cadre de cette commission d'enquête, nombre d'intervenants nous ont dit que l'offre était insuffisante, à Paris et dans toute la France, par rapport à ce qu'elle était dans d'autres villes et pays comparables, avant l'arrivée des nouveaux acteurs et avant l'évolution de la réglementation. En 2023, quel regard portez-vous sur l'offre du T3P à Paris et en France en la comparant à ce qu'elle est ailleurs, en Europe et en Amérique du Nord ?

Notre commission d'enquête a également constaté un manque de données pour comprendre l'évolution du marché de la maraude, réservé aux taxis, et celui de la réservation préalable, sur lequel taxis et VTC sont en concurrence. Comment expliquez-vous cette situation ? Disposez-vous de données suffisantes pour exercer votre autorité ?

Sur le plan environnemental, le ministère des Transports a fait de la décarbonation une priorité ; quel est l'effet du développement des VTC et des livraisons sur les émissions polluantes des transports ?

Sur le plan social, le ministre des Transports assure avec celui du Travail – que nous venons d'entendre – la tutelle de l'Autorité des relations sociales des plateformes d'emploi (Arpe), qui a été créée en avril 2021 pour réguler les relations sociales entre les plateformes de mobilité et les travailleurs. Comment le ministère des Transports assure-t-il cette tutelle ? Quel bilan tirez-vous des premiers accords conclus au sein de l'Arpe ?

Enfin, le projet de directive européenne relative à l'amélioration des conditions de travail avec les plateformes vous paraît-il de nature à renforcer une concurrence saine et non faussée entre taxis et VTC ? Quelles seraient, selon vous, les conséquences sur le secteur du T3P de l'instauration d'une présomption de salariat telle qu'elle est souhaitée par le Parlement européen ? Pouvez-vous nous expliquer la position de la France sur cette directive européenne ?

Nous aurons, bien sûr, d'autres questions à vous poser au cours de notre discussion.

Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu'elle est retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale.

Avant de vous laisser la parole, je vous rappelle, monsieur le ministre, que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : "Je le jure".

(M. Beaune prête serment.)

M. Clément Beaune, ministre délégué auprès du ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, chargé des Transports. Je suis ministre délégué chargé des Transports depuis un peu moins d'un an ; je ne saurais donc m'exprimer sur l'ensemble des épisodes antérieurs.

Depuis 2014, deux lois successives et une ordonnance ont permis de bâtir un cadre pour réguler l'émergence des véhicules avec chauffeur, les VTC, et pour organiser les relations avec la profession de chauffeur de taxi. Je m'inscris dans une relative continuité car je pense que, par petites touches, un équilibre a été trouvé. C'est maintenant essentiellement sur le plan social que nous devons faire des progrès.

Le développement des VTC ne concerne pas que la France : c'est une tendance européenne et mondiale, qui est liée au développement des applications numériques, depuis le milieu des années 2010. Quel est l'impact de ce nouveau secteur d'activité ? Sur le volet de l'emploi – selon nos services et ceux du ministère du Travail –, environ 40 000 chauffeurs de VTC dits "actifs", sur approximativement 100 000 cartes délivrées fin 2022, ont une activité régulière, dont ils tirent des revenus principaux ou complémentaires.

Je le dis très clairement : le développement des VTC est bénéfique. Il a renforcé l'offre et n'a pas eu d'effet – en tout cas rien ne le démontre – de substitution ou d'éviction des taxis. Ainsi, depuis 2014-2015 et l'arrivée de ce nouveau service, le nombre de chauffeurs de taxi a augmenté, pour atteindre 60 000. En 2023, si l'on cumule les VTC et les taxis, on observe un quasi-doublement de l'offre de T3P, c'est-à-dire de transport public particulier de personnes. De même, pour faire le lien avec la question de l'environnement, rien n'indique que cela se soit fait au détriment – là aussi par effet d'éviction – des transports publics collectifs, que nous devons développer en priorité. Dans nos villes, les VTC ont donc apporté une solution de transport complémentaire. Si nous comparons, comme vous m'y avez invité, notre capitale et les autres grandes agglomérations européennes et mondiales, on note que l'offre de VTC ou équivalents est quatre fois supérieure à Londres et à New York, deux autres grandes métropoles touristiques internationales. Le nombre d'autorisations de stationnement de taxis – selon la formule consacrée – est, en effet, plus faible à Paris que dans les autres grandes capitales internationales. Les VTC ont donc apporté un complément, que je crois utile, au dispositif de transport.

Pour ce qui est de la régulation, et sans revenir sur les grandes étapes déjà franchies par la "loi Thévenoud", la "loi Grandguillaume", les ordonnances que vous avez autorisées et la loi d'orientation des mobilités (LOM), nous devrons renforcer notre action dans deux domaines. Le premier est celui de la lutte contre la fraude, qui relève de mes services et de ceux du ministère de l'Intérieur. Des commissions locales et départementales de T3P prononcent un certain nombre de sanctions – soyons honnête, quelques dizaines par an. Ce petit nombre pourrait s'expliquer par la rareté des dérives. Il peut également signifier que les procédures de sanction doivent être mieux connues, mieux appliquées ou améliorées. Je suis prêt à réfléchir à la manière d'y remédier, notamment à partir des travaux de votre commission. La préfecture de police devra sans doute intervenir dans le périmètre de Paris et de la petite couronne. Le préfet de police, Laurent Nuñez, est déterminé à augmenter les effectifs de ceux que l'on appelle familièrement les Boers, pour leur permettre de remplir encore plus efficacement leur mission : contrôler le respect des obligations légales et réglementaires comme la mise à disposition d'un terminal de paiement électronique, l'absence totale de discrimination ou le respect des compteurs, etc. Nous renforcerons encore davantage notre action dans les semaines et les mois qui viennent, en particulier à l'occasion des Jeux olympiques et paralympiques, que Paris accueillera l'année prochaine.

S'agissant des droits sociaux, des mesures ont été prises au niveau national et européen. En France, nous avons progressivement défini un cadre ad hoc autour des négociations pour garantir le respect des droits sociaux, notamment celui des cotisations sociales en matière d'accidents du travail, depuis la loi de 2016.

Nous avons également créé l'Arpe, l'Autorité des relations sociales des plateformes d'emploi. Il s'agit d'un établissement public, sous la cotutelle de mon ministère, au sein duquel des accords ont déjà abouti. Olivier Dussopt et moi-même nous sommes rendus au siège, avec les représentants des plateformes et des chauffeurs, pour consacrer l'accord conclu sur une rémunération minimale de 7,65 euros par course. Nous l'avons dit, il ne s'agit que d'une première étape, même si elle est importante. Je pense que le cadre social commence à produire ses effets. Le taux de participation à ce qui est l'équivalent des élections professionnelles est faible, c'est vrai, mais il n'est pas pire que ceux que l'on constate dans les petites structures et qui dépassent rarement les 5 %. Il s'agissait, en outre, d'un premier scrutin, qui s'est tenu dans un secteur d'activité relativement nouveau et très fragmenté. Ce taux est appelé à progresser à mesure que ces élections gagneront en notoriété et le secteur en maturité. C'est donc une étape, qui a permis des avancées sociales. Un accord de méthode a également été signé en début d'année, qui a permis d'engager des discussions complémentaires – la presse s'en est fait l'écho ces derniers jours –, à l'instar de celles qui sont en cours concernant les revenus minimaux, pour dépasser l'accord de janvier 2023.

Il a été engagé au niveau européen un débat important qui relève davantage du ministère du Travail que de celui des Transports. La France est à l'origine de la proposition de directive européenne. J'ai rencontré pour la première fois M. Schmit, le commissaire à l'emploi, peu après mon entrée en fonction comme secrétaire d'État aux Affaires européennes, en septembre 2020, c'est-à-dire bien avant que la France n'en fasse un élément important de sa présidence de l'Union européenne. Nous avons demandé qu'un texte juridique permette de réguler le marché européen et ne se contente pas de formuler des recommandations ou de donner des lignes directrices. Nous l'avons fait pour offrir des garanties sociales importantes aux pays européens car ils sont tous confrontés au même défi. L'absence de socle commun laisse perdurer la coexistence de règles différentes, plus ou moins protectrices, et les actions en justice ne suffisent pas pour garantir un cadre social lisible et protecteur.

La Commission européenne a ensuite mené des consultations, puis proposé un texte qui repose sur une présomption de salariat. La solution préconisée était de garder la même logique qu'au niveau national, c'est-à-dire de définir un cadre ad hoc et de ne pas plaquer à 100 % le modèle du salariat sur une activité nouvelle et très diversifiée. On parle beaucoup des chauffeurs et des livreurs mais il existe de nombreuses autres activités, dans l'informatique ou l'événementiel par exemple, qui ne sont pas forcément mal rémunérées ou peu qualifiées. Les plateformes sont très diversifiées en France et en Europe et nous avons toujours pensé qu'il était préférable de définir un cadre social ad hoc, pour protéger les vrais indépendants et sanctionner les employeurs de faux indépendants. Lorsque l'on interroge ceux qui recourent à des plateformes, beaucoup disent vouloir garder leur indépendance et leur autonomie mais demandent des droits sociaux renforcés. C'est cette troisième voie qu'a défendue la France mais ce n'est pas celle qu'a retenue la Commission européenne. Le débat se poursuit. Je ne suis plus en charge de la négociation aujourd'hui mais je crois qu'il faut poursuivre deux objectifs : différencier et clarifier. En effet, les critères, les modes de fonctionnement ou les niveaux de rémunération des activités de plateforme ne sont pas tous les mêmes. D'autre part, si des critères de présomption ou d'inversion de la présomption de salariat restent obscurs, nous ne protégerons ni les acteurs économiques ni les travailleurs requalifiés en salariés.

Je souhaiterais terminer mon propos en abordant la question de l'accessibilité, qui relève directement de ma responsabilité – et de celle du ministre des Solidarités, de l'Autonomie et des Personnes handicapées. La transformation du secteur des T3P, notamment en prévision des prochains Jeux olympiques et paralympiques, est un véritable défi. Nous avons ainsi voulu renforcer le dispositif de passage à 1 000 taxis accessibles aux personnes à mobilité réduite (PMR) sur le périmètre des taxis parisiens d'ici à 2024. La loi relative aux Jeux olympiques et paralympiques, que le Parlement a très récemment adoptée, permettra de délivrer des autorisations de stationnement supplémentaires, à condition que des travaux d'amélioration de l'accessibilité soient effectués sur les véhicules.

M. le président Benjamin Haddad. Pourriez-vous détailler les mesures que vous avez prises pour lutter contre la fraude ? Des plateformes, en particulier des plateformes de livraison, ont été condamnées en justice à plusieurs reprises pour travail dissimulé, voire pour avoir sous-loué des comptes à des sans-papiers. Le cadre actuel et les dispositions prises
sont-ils suffisants ?

M. Clément Beaune, ministre. Des sanctions administratives et judiciaires sont prononcées chaque année à l'encontre des taxis ou des VTC. J'ai évoqué tout à l'heure le dispositif des commissions locales de T3P, présidées par les préfets de département. Ce sont les services préfectoraux qui sont chargés d'organiser autant de commissions disciplinaires que nécessaire, en fonction des faits qui leur sont transmis ou qu'ils identifient.

Par exemple, dans le périmètre de la préfecture de police, qui supervise environ 40 % des taxis en France, seize commissions disciplinaires (taxis, VTC et autres véhicules à moteur) ont eu lieu en 2021. Quatre-vingt-cinq professionnels ont été sanctionnés à l'issue de procédures contradictoires et se sont vu retirer leurs cartes professionnelles. On parle donc de quelques dizaines de cas. Faut-il changer ce dispositif ? Je ne crois pas : il faut au contraire le stabiliser et faire en sorte que les procédures soient plus nombreuses, pour signifier à ceux qui seraient tentés de frauder que ces commissions existent et que des sanctions sont appliquées.

L'unité de contrôle des transports de personnes au sein de la Direction de l'Ordre Public et de la Circulation (DPOC) de la préfecture de police, autrement dit les Boers, est déterminée à mener davantage d'opérations de contrôle, dites coup de poing, auprès des taxis et des VTC. Il s'agit de vérifier que les règles sont bien appliquées et, à défaut, de sanctionner les éventuels manquements, comme l'absence de terminal de paiement électronique ou, pour le VTC, la pratique de la maraude, réservée aux taxis.

S'agissant de l'équilibre entre taxis et VTC, faut-il faire évoluer le cadre réglementaire, qui s'est construit par étapes, grâce notamment aux "lois Thévenoud" et "Grandguillaume" ainsi qu'à la LOM ? Je ne le crois pas. Les représentants professionnels des taxis et des VTC, que je reçois régulièrement, me donnent l'impression que, si tout n'est pas parfait, le cadre général est bien en place. Il ne faudrait pas rallumer un conflit désormais apaisé, d'autant plus que certains chauffeurs mènent les deux activités, puisque cela est possible sous certaines conditions. Quelques droits et devoirs sont, en revanche, différents. Ainsi, si les chauffeurs de taxi peuvent être hélés et faire de la maraude, ils doivent aussi supporter des contraintes plus importantes en matière d'examen professionnel ou, historiquement, d'achat de licence. A contrario, si les VTC sont soumis à des obligations initiales moindres, ils ne peuvent pas marauder. Ces règles sont-elles toujours respectées ? Sans doute pas, si l'on en croit les fédérations professionnelles. C'est donc davantage sur l'application des règles que sur leur évolution – ou alors à la marge – que nous devons nous concentrer.

D'autre part, des chartes d'engagements complémentaires signées par certains acteurs, notamment par les plateformes de chauffeurs VTC et de livreurs en mars 2022, ont également porté leurs fruits. Ainsi, la vérification des critères de dépôt des documents par ces plateformes a conduit, au cours de l'automne et de l'hiver derniers, à des centaines, voire des milliers de déconnexions de comptes. Il est important que les plateformes vérifient mieux le respect des règles et qu'elles renforcent les contrôles.

Enfin, mon prédécesseur, Jean-Baptiste Djebbari, et Élisabeth Moreno, l'ancienne ministre déléguée chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes, avaient signé avec les plateformes de VTC une charte d'engagement relative à la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Cette charte prévoyait notamment de définir des boutons d'alerte. Cette mesure doit être mieux appliquée et renforcée et je souhaite l'étendre aux taxis. J'ai réuni un comité de lutte contre les violences sexuelles et sexistes il y a quelques jours : cet engagement a été confirmé par les plateformes de VTC et par les organisations représentatives des taxis.

M. le président Benjamin Haddad. Les interrogations que nous avons quant à l'équilibre à trouver entre taxis et VTC ou entre innovation et protection ne sont pas propres à la France. Existe-t-il des exemples ou des contre-exemples que nous pourrions suivre et quelle comparaison peut-on faire entre la France et ses principaux partenaires ?

M. Clément Beaune, ministre. À ma connaissance, les éléments de comparaison sont un peu fragiles car la tendance est récente et les situations sont bien différentes d'un pays à l'autre. Ce que l'on constate, c'est que les VTC – ou leurs équivalents à l'étranger – se sont développés dans toutes les grandes capitales européennes, depuis le milieu des années 2000, en même temps que la technologie, les applications et les plateformes de mise en relation. Il y a quelques mois, une plateforme de chauffeurs de VTC bien connue indiquait que la France, en particulier Paris, était son deuxième marché urbain mondial et le premier hors des États-Unis. Cela signifie qu'il y avait sans doute une place à prendre pour compléter une offre de transport au sein de laquelle, je le redis, il n'y a pas eu de baisse – au contraire – du nombre de licences de taxi. Il reste même sans doute de la place pour offrir encore plus de T3P au cours des prochaines années, que ce soit des taxis ou des VTC. Tous les pays européens ont cherché à réguler, soit par des lois et des règlements, soit par des décisions de justice, notamment dans le domaine social. Ces décisions ont parfois abouti à la reconnaissance de cas de salariat, comme en Espagne et au Royaume-Uni, sans que cela ait un effet généralisateur. Peu de pays, pour en avoir été le témoin, ont prôné une régulation européenne. Je le dis sans arrogance française : ce sont des élus de notre pays au Parlement européen et notre gouvernement au sein du Conseil de l'Union européenne qui ont défendu l'idée d'un cadre commun. On peut ensuite discuter pour décider s'il faut une présomption générale de salariat, une présomption de salariat assortie de critères – comme cela semble s'esquisser au Conseil – ou s'il faut un cadre de régulation ad hoc, comme celui que nous avons commencé à bâtir à l'échelon national. Le modèle que nous avons développé, par étapes – loi de 2016, ordonnance de 2021, création de l'Arpe et du dialogue social –, est unique. Il doit être préservé voire renforcé.

Mme Danielle Simonnet, rapporteure. Vous dites que c'est la France qui a souhaité un texte et qui, d'une certaine façon, a impulsé le travail de l'Union européenne pour réguler les relations entre les plateformes et les travailleurs.

La France ne défendait-elle pas plutôt une ligne directrice respectueuse des règles de la concurrence, plutôt que l'article 153 du TFUE (Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne), relatif aux droits des travailleurs ? Elle voulait, en effet, donner le droit aux indépendants de bénéficier d'un dialogue social, sans pour autant risquer d'être accusée de déroger aux règles de la concurrence. Sa volonté était, par le biais du dialogue social, d'éviter toute requalification en salariat, tout en reconnaissant l'existence de relations commerciales. En ce qui vous concerne, alors que vous étiez secrétaire d'État chargé des Affaires européennes, vous avez assumé un désaccord avec la proposition de la Commission européenne, le 15 décembre 2021, à Strasbourg, juste avant la présidence française de l'Union européenne. Or la feuille de route de la Commission européenne sur une directive concernant ces relations est bien antérieure à la PFUE (présidence française de l'Union européenne), puisque c'est Mme Ursula von der Leyen qui en a engagé les travaux.

Dans son étude d'impact, la Commission européenne a montré que sur 28 millions de travailleurs de plateforme, au moins 5 millions – surtout des livreurs de repas et des chauffeurs de VTC – seraient requalifiés en salariés, selon les termes du projet de directive de présomption de salariat. Vous avez dit, tout à l'heure, qu'il faut protéger les vrais indépendants et sanctionner le recours aux faux indépendants. Êtes-vous favorable, maintenant que vous êtes ministre des Transports, à la requalification en salariés de l'ensemble des chauffeurs de VTC, puisque toutes les décisions de justice attestent qu'ils sont dans une relation de subordination et que dans son étude d'impact, la Commission européenne dit qu'il faudrait les requalifier en salariés ? Ou bien êtes-vous toujours en désaccord avec la Commission, comme vous l'étiez le 15 décembre 2021, à Strasbourg ?

Vous vantez, comme M. Dussopt, la volonté de la France d'instaurer un dialogue social. Avez-vous, au nom de ce dialogue social, convoqué une réunion de l'Arpe pour qu'il y ait un débat, assorti d'un vote, au sein de cet établissement, sur la position que la France devrait défendre au sujet de ce projet de directive de préférence irréfragable de salariat ? Sachez que j'ai demandé à votre homologue ministre du Travail s'il avait consulté les organisations et confédérations syndicales, auxquelles j'ai écrit. Toutes m'ont répondu ne pas avoir été sollicitées par le Gouvernement.

En tant que ministre, que pensez-vous de la demande que je soutiens, avec La France insoumise et tous les groupes qui composent la Nupes, qu'il y ait un débat suivi d'un vote à l'Assemblée nationale, au nom de l'article 50-1 de la Constitution, concernant ce projet de directive européenne, afin que l'on sache ce que la France défend ?

M. Clément Beaune, ministre. Je ne suis pas sûr d'avoir tout compris mais je vais essayer de répondre aussi précisément que possible.

En ce qui concerne le volet européen : je n'ai pas dit que c'était au moment de la présidence française de l'Union européenne, qui a démarré le 1er janvier 2022, que le débat avait été engagé autour d'un projet de directive, puisqu'il avait déjà été déposé à ce moment-là. J'ai dit que, bien avant cette présidence française, mais dans sa perspective, la France avait défendu l'idée d'un texte législatif européen à valeur contraignante – directive ou règlement, je crois que nous n'avions pas formulé de préférence – sur la régulation des plateformes, plutôt que de simples recommandations, lignes directrices ou autres indications. Je ne sais pas si vous avez eu l'occasion d'entendre M. Nicolas Schmit, le commissaire à l'emploi, et de lui poser cette question précise, mais je crois qu'il ne démentirait pas l'engagement de la France pour demander un texte européen sur le volet social.

Pour ce qui est du contenu de ce texte, ce n'est pas un scoop et je l'assume parfaitement : je ne suis plus en charge de cette négociation mais j'ai été partie prenante des épisodes précédents, en tant que secrétaire d'État chargé des Affaires européennes. Nous avons défendu l'idée qu'il fallait un texte européen commun mais que la présomption généralisée de salariat n'était pas la voie la plus protectrice. Je ne l'ai jamais caché. Un cadre social ad hoc me semble la meilleure voie pour avancer, conformément à ce que nous défendions en France. C'est assez cohérent, vous en conviendrez.

Faut-il différencier par type de profession, puisque les situations diffèrent selon que l'on est livreur, chauffeur de VTC ou que l'on travaille pour d'autres genres de plateforme ? Cela ne me choquerait pas. La justice a d'ailleurs eu à connaître de cas de personnes travaillant pour une grande plateforme bien connue, pour lesquelles elle a constaté que, dans le droit français, les critères du salariat étaient de facto réunis. Faut-il, par exemple, prévoir des règles plus protectrices pour les chauffeurs de VTC ou pour les livreurs qui sont, en général, compte tenu de la taille des plateformes et du développement du secteur, des acteurs très réguliers, voire totalement stables ? Je n'y serais pas opposé pas non plus. Nous discutons les règles européennes et nous défendons cette approche différenciée et ad hoc. Si la directive est adoptée, ce que je souhaite et ce que le Gouvernement défend, nous appliquerons, comme il se doit et quelles qu'elles soient, les règles européennes.

Concernant l'Arpe, je n'ai peut-être pas exactement compris quelle était votre idée. Si le Parlement souhaite adopter une loi pour transposer la directive ou prendre des mesures supplémentaires pour réguler encore davantage, l'Arpe n'est pas concernée. Ses missions sont ciblées, limitées et destinées à permettre le dialogue social entre les représentants des employeurs et, désormais, les représentants élus des travailleurs des plateformes. Ce n'est pas à l'Arpe de se substituer à une négociation européenne, menée par le Parlement européen et le Conseil, ni au travail parlementaire. Si le Parlement souhaite consulter pour nourrir ses travaux, c'est à lui de le décider.

Je n'ai plus la charge directe de ce dossier ; vous permettrez donc que je ne préjuge pas de la position du Gouvernement pour ce qui est du recours à l'article 50-1 de la Constitution. Je crois que vous aurez l'occasion d'interroger la Première ministre à ce sujet.

Mme Danielle Simonnet, rapporteure. Je ne critique pas la cohérence de votre ligne, bien au contraire ! Mais elle correspond totalement à celle qu'Uber a présentée dans son Better Deal et dans les diverses tribunes transmises à la presse, notamment celle datée du 16 février 2021, c'est-à-dire avant la création de l'Arpe. Elle repose sur l'instauration d'un dialogue social pour donner de nouveaux droits sociaux aux travailleurs de plateforme – d'ailleurs, qui pourrait s'opposer au dialogue et aux droits sociaux ? –  mais cette stratégie vise à soustraire l'entreprise à toute requalification de ses travailleurs indépendants en salariés et à limiter son activité à la mise en relation de ces travailleurs indépendants avec des clients. La position de la France, que vous avez rappelée, comme M. Dussopt, revient à défendre celle de la plateforme Uber. Je trouve hallucinant que vous puissiez vous réclamer du dialogue social quand ce dialogue, au sein de l'Arpe, peut aborder toutes les questions – tarifs et autres droits sociaux – à l'exception de celle, fondamentale, du statut.

Monsieur le ministre des Transports, que pouvez-vous dire du fait que, soyons francs, les "lois Thévenoud" et "Grandguillaume" ne sont pas, aujourd'hui, pleinement appliquées ? Ces deux textes sont, en effet, censés interdire la maraude électronique, imposer un retour au garage ou encore instaurer une politique des données et de remontée d'informations de la part des plateformes. Estimez-vous que ces lois sont appliquées comme elles le devraient ?

La précarisation et la paupérisation de ce secteur, y compris parmi les taxis, ont engendré une recrudescence des pratiques illégales, comme le racolage et les arnaques autour des gares et des aéroports. Vous conviendrez que les lois sont faites pour être appliquées. Il est donc urgent d'augmenter les effectifs des Boers, en Île-de-France et dans les grandes métropoles. Vous avez dit vouloir renforcer les moyens de contrôle : comment le Gouvernement entend-il s'y prendre pour le faire ?

Vous avez évoqué les commissions locales de T3P ; un observatoire national de ces transports publics particuliers de personnes devait également être déployé dans tous les départements. Est-ce le cas et dispose-t-il de toutes les données, par département ? Vous nous avez, en effet, fourni des chiffres, mais à l'échelle nationale. Cet observatoire national a-t-il publié des rapports depuis 2018 qui permettraient d'évaluer l'évolution du nombre de taxis et de VTC et celle de la demande ?

Vous avez fait référence aux Jeux olympiques et à l'augmentation des licences, notamment pour transporter les personnes à mobilité réduite. Lors de l'apparition des premières plateformes et des mobilisations qu'elle a suscitées, l'un des arguments brandis par les défenseurs de ces plateformes était la disruption : il s'agissait de mettre à mal le monopole des taxis et de quelques entreprises puissantes. Le président de cette commission a d'ailleurs rappelé, lors de l'audition du dirigeant de la G7, les profits engrangés par son entreprise. Dès lors, pourquoi avoir accordé 500 licences aux grandes sociétés de taxis – donc à la G7 – et seulement 150 aux locataires gérants, futurs artisans ? Alors qu'Emmanuel Macron et ses proches défendaient à l'époque l'ubérisation pour créer une concurrence saine dans le secteur des taxis, la puissance des grandes entreprises a été renforcée, au détriment des artisans.

M. Clément Beaune, ministre. Madame la rapporteure, je suis surpris que vous n'en soyez pas venue plutôt à cette idée, cette insinuation, que toute la politique menée serait celle d'Uber. Je n'ai pas suivi l'intégralité du dossier mais je ne crois pas que les "lois Thévenoud" et "Grandguillaume" ni même la directive soient ce à quoi cette entreprise aspirait. Vous aurez du mal à le démontrer, me semble-t-il. Je ne pense qu'une régulation européenne, que peu de pays souhaitaient – y compris parmi ceux dont les gouvernements associent des partis de gauche ou d'extrême gauche – et que la Commission ne désirait pas davantage soit ce que voulait Uber. Sans l'action de la France, il n'y aurait pas de débat sur la directive – mais on peut en discuter le contenu. C'est la France qui l'a défendue, je le maintiens.

J'assume parfaitement que notre volonté ne soit pas d'interdire ni d'empêcher les grandes plateformes, quelle que soit d'ailleurs leur nationalité, mais de renforcer les exigences. Personne n'a le monopole du social et on peut débattre de la façon la plus efficace de protéger les droits de travailleurs. Faut-il des obligations supplémentaires pour les livreurs et les chauffeurs de VTC ? Je le crois. D'ailleurs, la justice a commencé à en exiger dans plusieurs cas. Que le Parlement s'empare de cette question ne me choque pas mais n'introduisons pas de soupçons là où il n'y a pas lieu de le faire. Ainsi, ce n'est pas l'Arpe qui définit les statuts ou vote la loi. Si le Parlement décidait – ce n'est pas la position que je défends – de voter le salariat généralisé, ce ne serait pas à l'Arpe d'être contre ou pour. L'Arpe est un établissement public qui a reçu pour mission d'organiser le dialogue social. Je vous ai expliqué les raisons pour lesquelles je crois que le modèle actuel porte ses fruits et permet de signer des accords ambitieux, comme en témoignent ceux en cours, qui ne sont pas franchement du goût des plateformes car ils devraient permettre d'augmenter la rémunération minimale des chauffeurs. Si l'on ne veut plus de l'Arpe et que l'on souhaite changer de modèle, c'est au Parlement national ou au Parlement européen d'en décider. Ce n'est pas à l'établissement public de choisir ses missions et ses spécialités. Ce serait une drôle de conception des choses.

Les "lois Thévenoud" et "Grandguillaume" sont-elles bien appliquées ? Oui elles sont bien appliquées. Les services de mon ministère et, le cas échéant, ceux du ministère de l'Intérieur, sous l'autorité du préfet de police, les font respecter. Est-ce que cela signifie qu'il n'y a aucun abus ou que 100 % des manquements aux règles sont identifiés et sanctionnés ? Sans doute pas. Doit-on renforcer les effectifs de Boers ? Ce n'est pas moi qui en décide mais je crois pouvoir dire que le préfet de police en a fait une priorité. Cela vaut d'ailleurs pour les VTC comme pour les taxis, puisque ces deux professions sont soumises aux mêmes règles, à quelques différences près. J'ai réuni à plusieurs reprises les représentants professionnels des taxis et des VTC. Les chauffeurs de taxis réclament un meilleur contrôle des règles relatives à la maraude, qui est leur prérogative, et une aggravation des sanctions en cas d'infractions. Si l'on veut que la loi soit mieux respectée et que les sanctions soient exemplaires, il faut des contrôles, ce qui suppose que les effectifs des Boers soient en nombre suffisant.

Quant aux autorisations de stationnement, le débat est très intéressant. Nous avons créé une aide à l'acquisition et à la transformation de véhicules pour qu'ils puissent transporter des personnes à mobilité réduite (PMR). Cette aide est réservée, par décret, aux taxis. J'ai constaté, en arrivant au ministère des Transports, que nous avions fixé un objectif de 1 000 taxis équipés pour les PMR, c'est-à-dire cinq fois plus qu'aujourd'hui, à Paris et en région parisienne, mais que nous étions très loin de l'avoir atteint. J'ai proposé, avec la ministre des Sports et des Jeux olympiques et paralympiques, que l'on puisse octroyer, spécifiquement pour ce qui est de l'accessibilité, des licences supplémentaires à des personnes morales, parce que ce sont surtout les entreprises qui ont les moyens de commander rapidement et massivement des véhicules accessibles aux personnes à mobilité réduite. Mais comme je ne souhaite pas que les artisans taxis soient exclus de ce dispositif, seules 500 licences sont accordées aux entreprises, sur la base de la "loi olympique", qui a été votée par le Parlement. Je n'ai pas caché ce point devant le Sénat mais je n'ai pas eu l'occasion de l'évoquer devant l'Assemblée nationale. C'est en effet Mme Amélie Oudéa-Castéra qui s'en est chargée. La gauche sénatoriale a été, je crois, convaincue.

À vous entendre, madame la rapporteure, nous aurions beaucoup d'amis. Nous suivrions les recommandations d'Uber tout en favorisant les intérêts de la G7, deux entreprises qui, vous l'avez dit vous-même, défendent pourtant des positions antagonistes. En réalité, nous essayons de privilégier l'intérêt général, en favorisant la concurrence – je l'assume, car il était important de développer l'offre de VTC, dans un cadre législatif et réglementaire – et en fixant comme priorités la décarbonation et l'accessibilité, grâce aux taxis. Car les uns ne sont pas les ennemis des autres.

M. Philippe Schreck (RN). En début d'audition, vous avez parlé de "développement bénéfique". Vous évoquiez, je pense, la satisfaction de l'offre. Mais quel en est le coût social ? Ce que l'on appelle la plateformisation, ou l'ubérisation, c'est, en droit du travail, la généralisation de toutes les mauvaises pratiques. Permettez-moi d'en citer
quelques-unes, sans être exhaustif. Je commencerai par celui du travail dissimulé généralisé, car l'on peut considérer qu'en l'état de la jurisprudence, notamment celle de la chambre sociale de la Cour de cassation, toutes les plateformes connaissent le lien de subordination qu'elles imposent et tombent sous le coup du travail dissimulé, tel qu'il est prévu par l'article L. 8223-1 du code du travail. C'est ensuite l'emploi de salariés en situation irrégulière. Votre prédécesseur a reconnu ce matin l'impuissance des pouvoirs publics, en particulier pour mettre fin à la pratique des faux comptes. C'est également le contournement des règles du travail dominical, du travail de nuit et du repos compensateur. Or la sécurité au travail fait peser une obligation de résultat sur les employeurs. Je citerai encore le défaut de paiement des cotisations sociales ou l'absence de terminaux de paiement dans de nombreux véhicules. Les travailleurs sont forcément et durablement victimes de ces mauvaises pratiques.

Pensez-vous qu'en matière d'acquis sociaux, de protection des travailleurs ou de respect du code du travail, on puisse employer les termes de "développement bénéfique" ?

Ce statut ad hoc – ou cette troisième voie – que l'on voit se dessiner et qui est souhaité par beaucoup de plateformes, n'est-il pas, à terme, l'institutionnalisation de ces mauvaises pratiques, qui ont été mises au jour par des décennies de contentieux et de luttes syndicales ?

M. Frédéric Zgainski (Dem). Depuis l'émergence du métier de chauffeur de VTC, les chiffres de l'Insee montrent clairement une progression de l'activité de transport public de personnes. Pérenniser ce développement, économiquement et socialement, est désormais une nécessité. Nous avons, par exemple, entendu les représentants de plateformes plus coopératives. Que pensez-vous de ce nouveau modèle coopératif ?

Puisque nous siégeons dans une commission d'enquête, quelles idées pourriez-vous nous transmettre à cet égard ?

Mme Béatrice Roullaud (RN). Vous avez dit, tout à l'heure, préférer un cadre social ad hoc – ce sont vos termes – après avoir déclaré que la France était à l'initiative de la directive européenne. Vous avez également rappelé que vos objectifs étaient la différenciation d'une part et la clarté de l'autre. Cette préférence et ses objectifs ne sont-ils pas un peu contradictoires ? Surtout, qu'entendez-vous exactement par cadre ad hoc ? S'agit-il uniquement de dialogue social, de conventions au cas par cas, donc de jurisprudence, ou peut-on envisager une traduction législative – au moins sur certains points – de ce nouveau cadre, de cette ouverture entre le statut de salarié et celui d'indépendant, de cette troisième voie ?

M. Clément Beaune, ministre. Monsieur Schreck, si j'ai parlé de bénéfice, c'est parce que l'offre s'est développée. Je crois d'ailleurs que de nombreux chauffeurs de VTC, parmi les 40 000 actifs, n'avaient pas de travail avant l'apparition des plateformes. Soyons clairs : l'ubérisation n'est ni mon rêve ni mon projet mais faut-il interdire les plateformes ou les réguler ? Aucun pays européen n'a proposé de les interdire, ni à l'intérieur de ses frontières ni au niveau de l'Union européenne.

Que se passerait-il si l'on décidait d'interdire les plateformes, par règlement ou par la loi, comme on le fait dans certains secteurs d'activité ? Je crois que c'est ce qu'on appelle la prohibition et que nous aurions à déplorer une recrudescence du travail dissimulé, parce que l'outil technique des applications est simple à développer. C'est une question difficile et aucun pays n'a encore trouvé la réponse parfaite. Des positions politiques s'opposent mais tous les pays essaient de réguler, notamment en Europe, et d'instaurer un cadre social qui s'applique. Il y a des débats, sincères, sur la présomption de salariat, la présomption générale de salariat, sur l'instauration de critères pour appliquer ou non cette présomption, pour la différencier selon tel ou tel secteur.

Pour ce qui est de la fraude fiscale, il faut évidemment la combattre, mais elle n'est pas propre à cette activité. D'ailleurs, la fraude était-elle inconnue dans les T3P avant l'arrivée des VTC ? Est-ce que tous les taxis étaient équipés de terminaux électroniques, qui permettaient de s'assurer que les usagers étaient bien servis et que tous les frais financiers étaient retracés ? Je n'en suis pas certain. Est-ce que l'arrivée des VTC a permis au législateur d'appliquer de nouvelles règles qui bénéficient à tous ? Oui, je le crois. Est-ce que le service est meilleur ? Oui, je le crois. Est-ce que la régulation est renforcée ? Oui, je le crois. Est-ce qu'il faut aller plus loin ? Oui, je le crois aussi.

Le travail au noir, le travail dissimulé ne sont pas propres à ce secteur-là. On sait qu'ils existent aussi dans des domaines bien plus traditionnels et que nous n'avons pas interdits, comme le bâtiment et les travaux publics. Il faut combattre ces maux grâce à des moyens renforcés, grâce à l'inspection du travail et à des sanctions exemplaires.

Il faut organiser, réguler et nous n'avons, sans doute, accompli que la moitié de ce travail, au niveau national et européen. C'est en ce sens que j'ai parlé de développement bénéfique, qu'il faut, bien sûr, accompagner d'une meilleure protection sociale.

Madame Roullaud, quand j'ai parlé de clarté, je voulais simplement dire que ceux qui sont concernés par les règles, c'est-à-dire les plateformes, comme acteurs économiques et, surtout, les livreurs, chauffeurs et autres travailleurs, comme bénéficiaires de cette protection, devaient comprendre comment elles s'appliquent. Si la directive est peu compréhensible, parce que les critères sont trop nombreux ou parce qu'ils vont être appliqués différemment d'un pays à l'autre, nous n'aurons pas une protection satisfaisante. Et il faudra remettre l'ouvrage sur le métier. Quant à la différenciation, je la défends et je redis qu'il faut, sans doute, des règles plus protectrices pour les livreurs et les chauffeurs de VTC que pour d'autres professionnels, qui travaillent avec des centaines, voire des milliers de plateformes très différentes. Un chauffeur Uber ou un livreur Deliveroo doivent, à l'évidence, bénéficier d'une protection renforcée.

Madame la députée, cadre ad hoc ne veut pas dire cadre mou ! Cela ne veut pas dire des chartes et des discussions au coin du feu. D'ailleurs – et je le dis à l'Assemblée nationale –, tout cela résulte de lois : celle de 2016, qui a créé la cotisation en matière d'accidents du travail ; une ordonnance et une loi, voulues par Élisabeth Borne lorsqu'elle était ministre du Travail, qui ont permis d'organiser le dialogue social ; la loi de financement de la sécurité sociale qui, depuis 2023, a prévu une protection sociale complémentaire. Ce dialogue social ne naît pas spontanément. La création de l'Arpe, c'est le législateur qui l'a voulue et le Gouvernement qui l'a installée. Un cadre social ad hoc ne veut pas dire que les dispositions sont légères, contournables, à la carte ou à la demande.

Je précise aussi que parmi les acteurs européens qui ont défendu l'idée de règles ad hoc figurait la confédération européenne des syndicats, présidée par le secrétaire général de la CFDT ; elle ne demandait pas, à ma connaissance, une présomption générale de salariat. Je ne pense pas que l'on puisse reprocher aux syndicats membres de cette confédération – même s'il y avait des débats entre eux – de ne pas se préoccuper de la protection des chauffeurs, des livreurs et des autres travailleurs de plateformes.

Enfin, monsieur Zgainski, selon les indications du Directeur général du Travail, il y a sans doute, en général, plus de 100 000 travailleurs de plateforme actifs. Les plateformes, c'est-à-dire ces applications qui permettent – pour simplifier – de mettre des personnes en relation, concernent beaucoup d'activités différentes. Lorsque vous êtes un prestataire informatique très qualifié, vous n'avez pas tout à fait les mêmes enjeux de rémunération, à garantir et à augmenter, ni de droits sociaux à sécuriser qu'un livreur ou qu'un chauffeur de VTC qui, eux, ont besoin d'une protection renforcée. Je le répète, je pense que nous n'avons pas tout à fait fini de bâtir le cadre législatif et réglementaire européen que nous devons appliquer. Je comprends que c'est l'un des objets du travail de votre commission, que j'espère avoir contribué à éclairer.

M. le président Benjamin Haddad. Monsieur le ministre, je vous remercie pour votre disponibilité et pour vos réponses précises aux questions de notre commission d'enquête.


Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 7 juin 2023

Nous avons été largement interpellés quant à l'évolution de la réglementation et de la concurrence entre les taxis et les VTC, depuis l'émergence en France des plateformes numériques telles qu'Uber en 2013.

Malgré le lobbying d'Uber vis-à-vis des décideurs publics de l'époque – et de tous bords – pour imposer son modèle, la réglementation a systématiquement évolué pour permettre une coexistence pacifiée entre les taxis et les VTC et pour encadrer ces nouvelles pratiques, d'abord avec la "loi Thévenoud", puis avec la "loi Grandguillaume".

Près de dix ans plus tard, quel bilan faites-vous de l'évolution de la concurrence entre les différents acteurs et de l'application, en France, de la réglementation en vigueur dans le transport public particulier de personnes ?

Au cours des auditions que nous avons menées dans le cadre de cette commission d'enquête, nombre d'intervenants nous ont dit que l'offre était insuffisante, à Paris et dans toute la France, par rapport à ce qu'elle était dans d'autres villes et pays comparables, avant l'arrivée des nouveaux acteurs et avant l'évolution de la réglementation. En 2023, quel regard portez-vous sur l'offre du T3P à Paris et en France en la comparant à ce qu'elle est ailleurs, en Europe et en Amérique du Nord ?

Notre commission d'enquête a également constaté un manque de données pour comprendre l'évolution du marché de la maraude, réservé aux taxis, et celui de la réservation préalable, sur lequel taxis et VTC sont en concurrence. Comment expliquez-vous cette situation ? Disposez-vous de données suffisantes pour exercer votre autorité ?

Sur le plan environnemental, le ministère des Transports a fait de la décarbonation une priorité ; quel est l'effet du développement des VTC et des livraisons sur les émissions polluantes des transports ?

Sur le plan social, le ministre des Transports assure avec celui du Travail – que nous venons d'entendre – la tutelle de l'Autorité des relations sociales des plateformes d'emploi (Arpe), qui a été créée en avril 2021 pour réguler les relations sociales entre les plateformes de mobilité et les travailleurs. Comment le ministère des Transports assure-t-il cette tutelle ? Quel bilan tirez-vous des premiers accords conclus au sein de l'Arpe ?

Enfin, le projet de directive européenne relative à l'amélioration des conditions de travail avec les plateformes vous paraît-il de nature à renforcer une concurrence saine et non faussée entre taxis et VTC ? Quelles seraient, selon vous, les conséquences sur le secteur du T3P de l'instauration d'une présomption de salariat telle qu'elle est souhaitée par le Parlement européen ? Pouvez-vous nous expliquer la position de la France sur cette directive européenne ?

Nous aurons, bien sûr, d'autres questions à vous poser au cours de notre discussion.

Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu'elle est retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale.

Avant de vous laisser la parole, je vous rappelle, monsieur le ministre, que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : "Je le jure".

(M. Beaune prête serment.)

M. Clément Beaune, ministre délégué auprès du ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, chargé des Transports. Je suis ministre délégué chargé des Transports depuis un peu moins d'un an ; je ne saurais donc m'exprimer sur l'ensemble des épisodes antérieurs.

Depuis 2014, deux lois successives et une ordonnance ont permis de bâtir un cadre pour réguler l'émergence des véhicules avec chauffeur, les VTC, et pour organiser les relations avec la profession de chauffeur de taxi. Je m'inscris dans une relative continuité car je pense que, par petites touches, un équilibre a été trouvé. C'est maintenant essentiellement sur le plan social que nous devons faire des progrès.

Le développement des VTC ne concerne pas que la France : c'est une tendance européenne et mondiale, qui est liée au développement des applications numériques, depuis le milieu des années 2010. Quel est l'impact de ce nouveau secteur d'activité ? Sur le volet de l'emploi – selon nos services et ceux du ministère du Travail –, environ 40 000 chauffeurs de VTC dits "actifs", sur approximativement 100 000 cartes délivrées fin 2022, ont une activité régulière, dont ils tirent des revenus principaux ou complémentaires.

Je le dis très clairement : le développement des VTC est bénéfique. Il a renforcé l'offre et n'a pas eu d'effet – en tout cas rien ne le démontre – de substitution ou d'éviction des taxis. Ainsi, depuis 2014-2015 et l'arrivée de ce nouveau service, le nombre de chauffeurs de taxi a augmenté, pour atteindre 60 000. En 2023, si l'on cumule les VTC et les taxis, on observe un quasi-doublement de l'offre de T3P, c'est-à-dire de transport public particulier de personnes. De même, pour faire le lien avec la question de l'environnement, rien n'indique que cela se soit fait au détriment – là aussi par effet d'éviction – des transports publics collectifs, que nous devons développer en priorité. Dans nos villes, les VTC ont donc apporté une solution de transport complémentaire. Si nous comparons, comme vous m'y avez invité, notre capitale et les autres grandes agglomérations européennes et mondiales, on note que l'offre de VTC ou équivalents est quatre fois supérieure à Londres et à New York, deux autres grandes métropoles touristiques internationales. Le nombre d'autorisations de stationnement de taxis – selon la formule consacrée – est, en effet, plus faible à Paris que dans les autres grandes capitales internationales. Les VTC ont donc apporté un complément, que je crois utile, au dispositif de transport.

Pour ce qui est de la régulation, et sans revenir sur les grandes étapes déjà franchies par la "loi Thévenoud", la "loi Grandguillaume", les ordonnances que vous avez autorisées et la loi d'orientation des mobilités (LOM), nous devrons renforcer notre action dans deux domaines. Le premier est celui de la lutte contre la fraude, qui relève de mes services et de ceux du ministère de l'Intérieur. Des commissions locales et départementales de T3P prononcent un certain nombre de sanctions – soyons honnête, quelques dizaines par an. Ce petit nombre pourrait s'expliquer par la rareté des dérives. Il peut également signifier que les procédures de sanction doivent être mieux connues, mieux appliquées ou améliorées. Je suis prêt à réfléchir à la manière d'y remédier, notamment à partir des travaux de votre commission. La préfecture de police devra sans doute intervenir dans le périmètre de Paris et de la petite couronne. Le préfet de police, Laurent Nuñez, est déterminé à augmenter les effectifs de ceux que l'on appelle familièrement les Boers, pour leur permettre de remplir encore plus efficacement leur mission : contrôler le respect des obligations légales et réglementaires comme la mise à disposition d'un terminal de paiement électronique, l'absence totale de discrimination ou le respect des compteurs, etc. Nous renforcerons encore davantage notre action dans les semaines et les mois qui viennent, en particulier à l'occasion des Jeux olympiques et paralympiques, que Paris accueillera l'année prochaine.

S'agissant des droits sociaux, des mesures ont été prises au niveau national et européen. En France, nous avons progressivement défini un cadre ad hoc autour des négociations pour garantir le respect des droits sociaux, notamment celui des cotisations sociales en matière d'accidents du travail, depuis la loi de 2016.

Nous avons également créé l'Arpe, l'Autorité des relations sociales des plateformes d'emploi. Il s'agit d'un établissement public, sous la cotutelle de mon ministère, au sein duquel des accords ont déjà abouti. Olivier Dussopt et moi-même nous sommes rendus au siège, avec les représentants des plateformes et des chauffeurs, pour consacrer l'accord conclu sur une rémunération minimale de 7,65 euros par course. Nous l'avons dit, il ne s'agit que d'une première étape, même si elle est importante. Je pense que le cadre social commence à produire ses effets. Le taux de participation à ce qui est l'équivalent des élections professionnelles est faible, c'est vrai, mais il n'est pas pire que ceux que l'on constate dans les petites structures et qui dépassent rarement les 5 %. Il s'agissait, en outre, d'un premier scrutin, qui s'est tenu dans un secteur d'activité relativement nouveau et très fragmenté. Ce taux est appelé à progresser à mesure que ces élections gagneront en notoriété et le secteur en maturité. C'est donc une étape, qui a permis des avancées sociales. Un accord de méthode a également été signé en début d'année, qui a permis d'engager des discussions complémentaires – la presse s'en est fait l'écho ces derniers jours –, à l'instar de celles qui sont en cours concernant les revenus minimaux, pour dépasser l'accord de janvier 2023.

Il a été engagé au niveau européen un débat important qui relève davantage du ministère du Travail que de celui des Transports. La France est à l'origine de la proposition de directive européenne. J'ai rencontré pour la première fois M. Schmit, le commissaire à l'emploi, peu après mon entrée en fonction comme secrétaire d'État aux Affaires européennes, en septembre 2020, c'est-à-dire bien avant que la France n'en fasse un élément important de sa présidence de l'Union européenne. Nous avons demandé qu'un texte juridique permette de réguler le marché européen et ne se contente pas de formuler des recommandations ou de donner des lignes directrices. Nous l'avons fait pour offrir des garanties sociales importantes aux pays européens car ils sont tous confrontés au même défi. L'absence de socle commun laisse perdurer la coexistence de règles différentes, plus ou moins protectrices, et les actions en justice ne suffisent pas pour garantir un cadre social lisible et protecteur.

La Commission européenne a ensuite mené des consultations, puis proposé un texte qui repose sur une présomption de salariat. La solution préconisée était de garder la même logique qu'au niveau national, c'est-à-dire de définir un cadre ad hoc et de ne pas plaquer à 100 % le modèle du salariat sur une activité nouvelle et très diversifiée. On parle beaucoup des chauffeurs et des livreurs mais il existe de nombreuses autres activités, dans l'informatique ou l'événementiel par exemple, qui ne sont pas forcément mal rémunérées ou peu qualifiées. Les plateformes sont très diversifiées en France et en Europe et nous avons toujours pensé qu'il était préférable de définir un cadre social ad hoc, pour protéger les vrais indépendants et sanctionner les employeurs de faux indépendants. Lorsque l'on interroge ceux qui recourent à des plateformes, beaucoup disent vouloir garder leur indépendance et leur autonomie mais demandent des droits sociaux renforcés. C'est cette troisième voie qu'a défendue la France mais ce n'est pas celle qu'a retenue la Commission européenne. Le débat se poursuit. Je ne suis plus en charge de la négociation aujourd'hui mais je crois qu'il faut poursuivre deux objectifs : différencier et clarifier. En effet, les critères, les modes de fonctionnement ou les niveaux de rémunération des activités de plateforme ne sont pas tous les mêmes. D'autre part, si des critères de présomption ou d'inversion de la présomption de salariat restent obscurs, nous ne protégerons ni les acteurs économiques ni les travailleurs requalifiés en salariés.

Je souhaiterais terminer mon propos en abordant la question de l'accessibilité, qui relève directement de ma responsabilité – et de celle du ministre des Solidarités, de l'Autonomie et des Personnes handicapées. La transformation du secteur des T3P, notamment en prévision des prochains Jeux olympiques et paralympiques, est un véritable défi. Nous avons ainsi voulu renforcer le dispositif de passage à 1 000 taxis accessibles aux personnes à mobilité réduite (PMR) sur le périmètre des taxis parisiens d'ici à 2024. La loi relative aux Jeux olympiques et paralympiques, que le Parlement a très récemment adoptée, permettra de délivrer des autorisations de stationnement supplémentaires, à condition que des travaux d'amélioration de l'accessibilité soient effectués sur les véhicules.

M. le président Benjamin Haddad. Pourriez-vous détailler les mesures que vous avez prises pour lutter contre la fraude ? Des plateformes, en particulier des plateformes de livraison, ont été condamnées en justice à plusieurs reprises pour travail dissimulé, voire pour avoir sous-loué des comptes à des sans-papiers. Le cadre actuel et les dispositions prises sont-ils suffisants ?

M. Clément Beaune, ministre. Des sanctions administratives et judiciaires sont prononcées chaque année à l'encontre des taxis ou des VTC. J'ai évoqué tout à l'heure le dispositif des commissions locales de T3P, présidées par les préfets de département. Ce sont les services préfectoraux qui sont chargés d'organiser autant de commissions disciplinaires que nécessaire, en fonction des faits qui leur sont transmis ou qu'ils identifient.

Par exemple, dans le périmètre de la préfecture de police, qui supervise environ 40 % des taxis en France, seize commissions disciplinaires (taxis, VTC et autres véhicules à moteur) ont eu lieu en 2021. Quatre-vingt-cinq professionnels ont été sanctionnés à l'issue de procédures contradictoires et se sont vu retirer leurs cartes professionnelles. On parle donc de quelques dizaines de cas. Faut-il changer ce dispositif ? Je ne crois pas : il faut au contraire le stabiliser et faire en sorte que les procédures soient plus nombreuses, pour signifier à ceux qui seraient tentés de frauder que ces commissions existent et que des sanctions sont appliquées.

L'unité de contrôle des transports de personnes au sein de la Direction de l'Ordre Public et de la Circulation (DPOC) de la préfecture de police, autrement dit les Boers, est déterminée à mener davantage d'opérations de contrôle, dites coup de poing, auprès des taxis et des VTC. Il s'agit de vérifier que les règles sont bien appliquées et, à défaut, de sanctionner les éventuels manquements, comme l'absence de terminal de paiement électronique ou, pour le VTC, la pratique de la maraude, réservée aux taxis.

S'agissant de l'équilibre entre taxis et VTC, faut-il faire évoluer le cadre réglementaire, qui s'est construit par étapes, grâce notamment aux "lois Thévenoud" et "Grandguillaume" ainsi qu'à la LOM ? Je ne le crois pas. Les représentants professionnels des taxis et des VTC, que je reçois régulièrement, me donnent l'impression que, si tout n'est pas parfait, le cadre général est bien en place. Il ne faudrait pas rallumer un conflit désormais apaisé, d'autant plus que certains chauffeurs mènent les deux activités, puisque cela est possible sous certaines conditions. Quelques droits et devoirs sont, en revanche, différents. Ainsi, si les chauffeurs de taxi peuvent être hélés et faire de la maraude, ils doivent aussi supporter des contraintes plus importantes en matière d'examen professionnel ou, historiquement, d'achat de licence. A contrario, si les VTC sont soumis à des obligations initiales moindres, ils ne peuvent pas marauder. Ces règles sont-elles toujours respectées ? Sans doute pas, si l'on en croit les fédérations professionnelles. C'est donc davantage sur l'application des règles que sur leur évolution – ou alors à la marge – que nous devons nous concentrer.

D'autre part, des chartes d'engagements complémentaires signées par certains acteurs, notamment par les plateformes de chauffeurs VTC et de livreurs en mars 2022, ont également porté leurs fruits. Ainsi, la vérification des critères de dépôt des documents par ces plateformes a conduit, au cours de l'automne et de l'hiver derniers, à des centaines, voire des milliers de déconnexions de comptes. Il est important que les plateformes vérifient mieux le respect des règles et qu'elles renforcent les contrôles.

Enfin, mon prédécesseur, Jean-Baptiste Djebbari, et Élisabeth Moreno, l'ancienne ministre déléguée chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes, avaient signé avec les plateformes de VTC une charte d'engagement relative à la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Cette charte prévoyait notamment de définir des boutons d'alerte. Cette mesure doit être mieux appliquée et renforcée et je souhaite l'étendre aux taxis. J'ai réuni un comité de lutte contre les violences sexuelles et sexistes il y a quelques jours : cet engagement a été confirmé par les plateformes de VTC et par les organisations représentatives des taxis.

M. le président Benjamin Haddad. Les interrogations que nous avons quant à l'équilibre à trouver entre taxis et VTC ou entre innovation et protection ne sont pas propres à la France. Existe-t-il des exemples ou des contre-exemples que nous pourrions suivre et quelle comparaison peut-on faire entre la France et ses principaux partenaires ?

M. Clément Beaune, ministre. À ma connaissance, les éléments de comparaison sont un peu fragiles car la tendance est récente et les situations sont bien différentes d'un pays à l'autre. Ce que l'on constate, c'est que les VTC – ou leurs équivalents à l'étranger – se sont développés dans toutes les grandes capitales européennes, depuis le milieu des années 2000, en même temps que la technologie, les applications et les plateformes de mise en relation. Il y a quelques mois, une plateforme de chauffeurs de VTC bien connue indiquait que la France, en particulier Paris, était son deuxième marché urbain mondial et le premier hors des États-Unis. Cela signifie qu'il y avait sans doute une place à prendre pour compléter une offre de transport au sein de laquelle, je le redis, il n'y a pas eu de baisse – au contraire – du nombre de licences de taxi. Il reste même sans doute de la place pour offrir encore plus de T3P au cours des prochaines années, que ce soit des taxis ou des VTC. Tous les pays européens ont cherché à réguler, soit par des lois et des règlements, soit par des décisions de justice, notamment dans le domaine social. Ces décisions ont parfois abouti à la reconnaissance de cas de salariat, comme en Espagne et au Royaume-Uni, sans que cela ait un effet généralisateur. Peu de pays, pour en avoir été le témoin, ont prôné une régulation européenne. Je le dis sans arrogance française : ce sont des élus de notre pays au Parlement européen et notre gouvernement au sein du Conseil de l'Union européenne qui ont défendu l'idée d'un cadre commun. On peut ensuite discuter pour décider s'il faut une présomption générale de salariat, une présomption de salariat assortie de critères – comme cela semble s'esquisser au Conseil – ou s'il faut un cadre de régulation ad hoc, comme celui que nous avons commencé à bâtir à l'échelon national. Le modèle que nous avons développé, par étapes – loi de 2016, ordonnance de 2021, création de l'Arpe et du dialogue social –, est unique. Il doit être préservé voire renforcé.

Mme Danielle Simonnet, rapporteure. Vous dites que c'est la France qui a souhaité un texte et qui, d'une certaine façon, a impulsé le travail de l'Union européenne pour réguler les relations entre les plateformes et les travailleurs.

La France ne défendait-elle pas plutôt une ligne directrice respectueuse des règles de la concurrence, plutôt que l'article 153 du TFUE (Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne), relatif aux droits des travailleurs ? Elle voulait, en effet, donner le droit aux indépendants de bénéficier d'un dialogue social, sans pour autant risquer d'être accusée de déroger aux règles de la concurrence. Sa volonté était, par le biais du dialogue social, d'éviter toute requalification en salariat, tout en reconnaissant l'existence de relations commerciales. En ce qui vous concerne, alors que vous étiez secrétaire d'État chargé des Affaires européennes, vous avez assumé un désaccord avec la proposition de la Commission européenne, le 15 décembre 2021, à Strasbourg, juste avant la présidence française de l'Union européenne. Or la feuille de route de la Commission européenne sur une directive concernant ces relations est bien antérieure à la PFUE (présidence française de l'Union européenne), puisque c'est Mme Ursula von der Leyen qui en a engagé les travaux.

Dans son étude d'impact, la Commission européenne a montré que sur 28 millions de travailleurs de plateforme, au moins 5 millions – surtout des livreurs de repas et des chauffeurs de VTC – seraient requalifiés en salariés, selon les termes du projet de directive de présomption de salariat. Vous avez dit, tout à l'heure, qu'il faut protéger les vrais indépendants et sanctionner le recours aux faux indépendants. Êtes-vous favorable, maintenant que vous êtes ministre des Transports, à la requalification en salariés de l'ensemble des chauffeurs de VTC, puisque toutes les décisions de justice attestent qu'ils sont dans une relation de subordination et que dans son étude d'impact, la Commission européenne dit qu'il faudrait les requalifier en salariés ? Ou bien êtes-vous toujours en désaccord avec la Commission, comme vous l'étiez le 15 décembre 2021, à Strasbourg ?

Vous vantez, comme M. Dussopt, la volonté de la France d'instaurer un dialogue social. Avez-vous, au nom de ce dialogue social, convoqué une réunion de l'Arpe pour qu'il y ait un débat, assorti d'un vote, au sein de cet établissement, sur la position que la France devrait défendre au sujet de ce projet de directive de préférence irréfragable de salariat ? Sachez que j'ai demandé à votre homologue ministre du Travail s'il avait consulté les organisations et confédérations syndicales, auxquelles j'ai écrit. Toutes m'ont répondu ne pas avoir été sollicitées par le Gouvernement.

En tant que ministre, que pensez-vous de la demande que je soutiens, avec La France insoumise et tous les groupes qui composent la Nupes, qu'il y ait un débat suivi d'un vote à l'Assemblée nationale, au nom de l'article 50-1 de la Constitution, concernant ce projet de directive européenne, afin que l'on sache ce que la France défend ?

M. Clément Beaune, ministre. Je ne suis pas sûr d'avoir tout compris mais je vais essayer de répondre aussi précisément que possible.

En ce qui concerne le volet européen : je n'ai pas dit que c'était au moment de la présidence française de l'Union européenne, qui a démarré le 1er janvier 2022, que le débat avait été engagé autour d'un projet de directive, puisqu'il avait déjà été déposé à ce moment-là. J'ai dit que, bien avant cette présidence française, mais dans sa perspective, la France avait défendu l'idée d'un texte législatif européen à valeur contraignante – directive ou règlement, je crois que nous n'avions pas formulé de préférence – sur la régulation des plateformes, plutôt que de simples recommandations, lignes directrices ou autres indications. Je ne sais pas si vous avez eu l'occasion d'entendre M. Nicolas Schmit, le commissaire à l'emploi, et de lui poser cette question précise, mais je crois qu'il ne démentirait pas l'engagement de la France pour demander un texte européen sur le volet social.

Pour ce qui est du contenu de ce texte, ce n'est pas un scoop et je l'assume parfaitement : je ne suis plus en charge de cette négociation mais j'ai été partie prenante des épisodes précédents, en tant que secrétaire d'État chargé des Affaires européennes. Nous avons défendu l'idée qu'il fallait un texte européen commun mais que la présomption généralisée de salariat n'était pas la voie la plus protectrice. Je ne l'ai jamais caché. Un cadre social ad hoc me semble la meilleure voie pour avancer, conformément à ce que nous défendions en France. C'est assez cohérent, vous en conviendrez.

Faut-il différencier par type de profession, puisque les situations diffèrent selon que l'on est livreur, chauffeur de VTC ou que l'on travaille pour d'autres genres de plateforme ? Cela ne me choquerait pas. La justice a d'ailleurs eu à connaître de cas de personnes travaillant pour une grande plateforme bien connue, pour lesquelles elle a constaté que, dans le droit français, les critères du salariat étaient de facto réunis. Faut-il, par exemple, prévoir des règles plus protectrices pour les chauffeurs de VTC ou pour les livreurs qui sont, en général, compte tenu de la taille des plateformes et du développement du secteur, des acteurs très réguliers, voire totalement stables ? Je n'y serais pas opposé pas non plus. Nous discutons les règles européennes et nous défendons cette approche différenciée et ad hoc. Si la directive est adoptée, ce que je souhaite et ce que le Gouvernement défend, nous appliquerons, comme il se doit et quelles qu'elles soient, les règles européennes.

Concernant l'Arpe, je n'ai peut-être pas exactement compris quelle était votre idée. Si le Parlement souhaite adopter une loi pour transposer la directive ou prendre des mesures supplémentaires pour réguler encore davantage, l'Arpe n'est pas concernée. Ses missions sont ciblées, limitées et destinées à permettre le dialogue social entre les représentants des employeurs et, désormais, les représentants élus des travailleurs des plateformes. Ce n'est pas à l'Arpe de se substituer à une négociation européenne, menée par le Parlement européen et le Conseil, ni au travail parlementaire. Si le Parlement souhaite consulter pour nourrir ses travaux, c'est à lui de le décider.

Je n'ai plus la charge directe de ce dossier ; vous permettrez donc que je ne préjuge pas de la position du Gouvernement pour ce qui est du recours à l'article 50-1 de la Constitution. Je crois que vous aurez l'occasion d'interroger la Première ministre à ce sujet.

Mme Danielle Simonnet, rapporteure. Je ne critique pas la cohérence de votre ligne, bien au contraire ! Mais elle correspond totalement à celle qu'Uber a présentée dans son Better Deal et dans les diverses tribunes transmises à la presse, notamment celle datée du 16 février 2021, c'est-à-dire avant la création de l'Arpe. Elle repose sur l'instauration d'un dialogue social pour donner de nouveaux droits sociaux aux travailleurs de plateforme – d'ailleurs, qui pourrait s'opposer au dialogue et aux droits sociaux ? –  mais cette stratégie vise à soustraire l'entreprise à toute requalification de ses travailleurs indépendants en salariés et à limiter son activité à la mise en relation de ces travailleurs indépendants avec des clients. La position de la France, que vous avez rappelée, comme M. Dussopt, revient à défendre celle de la plateforme Uber. Je trouve hallucinant que vous puissiez vous réclamer du dialogue social quand ce dialogue, au sein de l'Arpe, peut aborder toutes les questions – tarifs et autres droits sociaux – à l'exception de celle, fondamentale, du statut.

Monsieur le ministre des Transports, que pouvez-vous dire du fait que, soyons francs, les "lois Thévenoud" et "Grandguillaume" ne sont pas, aujourd'hui, pleinement appliquées ? Ces deux textes sont, en effet, censés interdire la maraude électronique, imposer un retour au garage ou encore instaurer une politique des données et de remontée d'informations de la part des plateformes. Estimez-vous que ces lois sont appliquées comme elles le devraient ?

La précarisation et la paupérisation de ce secteur, y compris parmi les taxis, ont engendré une recrudescence des pratiques illégales, comme le racolage et les arnaques autour des gares et des aéroports. Vous conviendrez que les lois sont faites pour être appliquées. Il est donc urgent d'augmenter les effectifs des Boers, en Île-de-France et dans les grandes métropoles. Vous avez dit vouloir renforcer les moyens de contrôle : comment le Gouvernement entend-il s'y prendre pour le faire ?

Vous avez évoqué les commissions locales de T3P ; un observatoire national de ces transports publics particuliers de personnes devait également être déployé dans tous les départements. Est-ce le cas et dispose-t-il de toutes les données, par département ? Vous nous avez, en effet, fourni des chiffres, mais à l'échelle nationale. Cet observatoire national a-t-il publié des rapports depuis 2018 qui permettraient d'évaluer l'évolution du nombre de taxis et de VTC et celle de la demande ?

Vous avez fait référence aux Jeux olympiques et à l'augmentation des licences, notamment pour transporter les personnes à mobilité réduite. Lors de l'apparition des premières plateformes et des mobilisations qu'elle a suscitées, l'un des arguments brandis par les défenseurs de ces plateformes était la disruption : il s'agissait de mettre à mal le monopole des taxis et de quelques entreprises puissantes. Le président de cette commission a d'ailleurs rappelé, lors de l'audition du dirigeant de la G7, les profits engrangés par son entreprise. Dès lors, pourquoi avoir accordé 500 licences aux grandes sociétés de taxis – donc à la G7 – et seulement 150 aux locataires gérants, futurs artisans ? Alors qu'Emmanuel Macron et ses proches défendaient à l'époque l'ubérisation pour créer une concurrence saine dans le secteur des taxis, la puissance des grandes entreprises a été renforcée, au détriment des artisans.

M. Clément Beaune, ministre. Madame la rapporteure, je suis surpris que vous n'en soyez pas venue plutôt à cette idée, cette insinuation, que toute la politique menée serait celle d'Uber. Je n'ai pas suivi l'intégralité du dossier mais je ne crois pas que les "lois Thévenoud" et "Grandguillaume" ni même la directive soient ce à quoi cette entreprise aspirait. Vous aurez du mal à le démontrer, me semble-t-il. Je ne pense qu'une régulation européenne, que peu de pays souhaitaient – y compris parmi ceux dont les gouvernements associent des partis de gauche ou d'extrême gauche – et que la Commission ne désirait pas davantage soit ce que voulait Uber. Sans l'action de la France, il n'y aurait pas de débat sur la directive – mais on peut en discuter le contenu. C'est la France qui l'a défendue, je le maintiens.

J'assume parfaitement que notre volonté ne soit pas d'interdire ni d'empêcher les grandes plateformes, quelle que soit d'ailleurs leur nationalité, mais de renforcer les exigences. Personne n'a le monopole du social et on peut débattre de la façon la plus efficace de protéger les droits de travailleurs. Faut-il des obligations supplémentaires pour les livreurs et les chauffeurs de VTC ? Je le crois. D'ailleurs, la justice a commencé à en exiger dans plusieurs cas. Que le Parlement s'empare de cette question ne me choque pas mais n'introduisons pas de soupçons là où il n'y a pas lieu de le faire. Ainsi, ce n'est pas l'Arpe qui définit les statuts ou vote la loi. Si le Parlement décidait – ce n'est pas la position que je défends – de voter le salariat généralisé, ce ne serait pas à l'Arpe d'être contre ou pour. L'Arpe est un établissement public qui a reçu pour mission d'organiser le dialogue social. Je vous ai expliqué les raisons pour lesquelles je crois que le modèle actuel porte ses fruits et permet de signer des accords ambitieux, comme en témoignent ceux en cours, qui ne sont pas franchement du goût des plateformes car ils devraient permettre d'augmenter la rémunération minimale des chauffeurs. Si l'on ne veut plus de l'Arpe et que l'on souhaite changer de modèle, c'est au Parlement national ou au Parlement européen d'en décider. Ce n'est pas à l'établissement public de choisir ses missions et ses spécialités. Ce serait une drôle de conception des choses.

Les "lois Thévenoud" et "Grandguillaume" sont-elles bien appliquées ? Oui elles sont bien appliquées. Les services de mon ministère et, le cas échéant, ceux du ministère de l'Intérieur, sous l'autorité du préfet de police, les font respecter. Est-ce que cela signifie qu'il n'y a aucun abus ou que 100 % des manquements aux règles sont identifiés et sanctionnés ? Sans doute pas. Doit-on renforcer les effectifs de Boers ? Ce n'est pas moi qui en décide mais je crois pouvoir dire que le préfet de police en a fait une priorité. Cela vaut d'ailleurs pour les VTC comme pour les taxis, puisque ces deux professions sont soumises aux mêmes règles, à quelques différences près. J'ai réuni à plusieurs reprises les représentants professionnels des taxis et des VTC. Les chauffeurs de taxis réclament un meilleur contrôle des règles relatives à la maraude, qui est leur prérogative, et une aggravation des sanctions en cas d'infractions. Si l'on veut que la loi soit mieux respectée et que les sanctions soient exemplaires, il faut des contrôles, ce qui suppose que les effectifs des Boers soient en nombre suffisant.

Quant aux autorisations de stationnement, le débat est très intéressant. Nous avons créé une aide à l'acquisition et à la transformation de véhicules pour qu'ils puissent transporter des personnes à mobilité réduite (PMR). Cette aide est réservée, par décret, aux taxis. J'ai constaté, en arrivant au ministère des Transports, que nous avions fixé un objectif de 1 000 taxis équipés pour les PMR, c'est-à-dire cinq fois plus qu'aujourd'hui, à Paris et en région parisienne, mais que nous étions très loin de l'avoir atteint. J'ai proposé, avec la ministre des Sports et des Jeux olympiques et paralympiques, que l'on puisse octroyer, spécifiquement pour ce qui est de l'accessibilité, des licences supplémentaires à des personnes morales, parce que ce sont surtout les entreprises qui ont les moyens de commander rapidement et massivement des véhicules accessibles aux personnes à mobilité réduite. Mais comme je ne souhaite pas que les artisans taxis soient exclus de ce dispositif, seules 500 licences sont accordées aux entreprises, sur la base de la "loi olympique", qui a été votée par le Parlement. Je n'ai pas caché ce point devant le Sénat mais je n'ai pas eu l'occasion de l'évoquer devant l'Assemblée nationale. C'est en effet Mme Amélie Oudéa-Castéra qui s'en est chargée. La gauche sénatoriale a été, je crois, convaincue.

À vous entendre, madame la rapporteure, nous aurions beaucoup d'amis. Nous suivrions les recommandations d'Uber tout en favorisant les intérêts de la G7, deux entreprises qui, vous l'avez dit vous-même, défendent pourtant des positions antagonistes. En réalité, nous essayons de privilégier l'intérêt général, en favorisant la concurrence – je l'assume, car il était important de développer l'offre de VTC, dans un cadre législatif et réglementaire – et en fixant comme priorités la décarbonation et l'accessibilité, grâce aux taxis. Car les uns ne sont pas les ennemis des autres.

M. Philippe Schreck (RN). En début d'audition, vous avez parlé de "développement bénéfique". Vous évoquiez, je pense, la satisfaction de l'offre. Mais quel en est le coût social ? Ce que l'on appelle la plateformisation, ou l'ubérisation, c'est, en droit du travail, la généralisation de toutes les mauvaises pratiques. Permettez-moi d'en citer
quelques-unes, sans être exhaustif. Je commencerai par celui du travail dissimulé généralisé, car l'on peut considérer qu'en l'état de la jurisprudence, notamment celle de la chambre sociale de la Cour de cassation, toutes les plateformes connaissent le lien de subordination qu'elles imposent et tombent sous le coup du travail dissimulé, tel qu'il est prévu par l'article L. 8223-1 du code du travail. C'est ensuite l'emploi de salariés en situation irrégulière. Votre prédécesseur a reconnu ce matin l'impuissance des pouvoirs publics, en particulier pour mettre fin à la pratique des faux comptes. C'est également le contournement des règles du travail dominical, du travail de nuit et du repos compensateur. Or la sécurité au travail fait peser une obligation de résultat sur les employeurs. Je citerai encore le défaut de paiement des cotisations sociales ou l'absence de terminaux de paiement dans de nombreux véhicules. Les travailleurs sont forcément et durablement victimes de ces mauvaises pratiques.

Pensez-vous qu'en matière d'acquis sociaux, de protection des travailleurs ou de respect du code du travail, on puisse employer les termes de "développement bénéfique" ?

Ce statut ad hoc – ou cette troisième voie – que l'on voit se dessiner et qui est souhaité par beaucoup de plateformes, n'est-il pas, à terme, l'institutionnalisation de ces mauvaises pratiques, qui ont été mises au jour par des décennies de contentieux et de luttes syndicales ?

M. Frédéric Zgainski (Dem). Depuis l'émergence du métier de chauffeur de VTC, les chiffres de l'Insee montrent clairement une progression de l'activité de transport public de personnes. Pérenniser ce développement, économiquement et socialement, est désormais une nécessité. Nous avons, par exemple, entendu les représentants de plateformes plus coopératives. Que pensez-vous de ce nouveau modèle coopératif ?

Puisque nous siégeons dans une commission d'enquête, quelles idées pourriez-vous nous transmettre à cet égard ?

Mme Béatrice Roullaud (RN). Vous avez dit, tout à l'heure, préférer un cadre social ad hoc – ce sont vos termes – après avoir déclaré que la France était à l'initiative de la directive européenne. Vous avez également rappelé que vos objectifs étaient la différenciation d'une part et la clarté de l'autre. Cette préférence et ses objectifs ne sont-ils pas un peu contradictoires ? Surtout, qu'entendez-vous exactement par cadre ad hoc ? S'agit-il uniquement de dialogue social, de conventions au cas par cas, donc de jurisprudence, ou peut-on envisager une traduction législative – au moins sur certains points – de ce nouveau cadre, de cette ouverture entre le statut de salarié et celui d'indépendant, de cette troisième voie ?

M. Clément Beaune, ministre. Monsieur Schreck, si j'ai parlé de bénéfice, c'est parce que l'offre s'est développée. Je crois d'ailleurs que de nombreux chauffeurs de VTC, parmi les 40 000 actifs, n'avaient pas de travail avant l'apparition des plateformes. Soyons clairs : l'ubérisation n'est ni mon rêve ni mon projet mais faut-il interdire les plateformes ou les réguler ? Aucun pays européen n'a proposé de les interdire, ni à l'intérieur de ses frontières ni au niveau de l'Union européenne.

Que se passerait-il si l'on décidait d'interdire les plateformes, par règlement ou par la loi, comme on le fait dans certains secteurs d'activité ? Je crois que c'est ce qu'on appelle la prohibition et que nous aurions à déplorer une recrudescence du travail dissimulé, parce que l'outil technique des applications est simple à développer. C'est une question difficile et aucun pays n'a encore trouvé la réponse parfaite. Des positions politiques s'opposent mais tous les pays essaient de réguler, notamment en Europe, et d'instaurer un cadre social qui s'applique. Il y a des débats, sincères, sur la présomption de salariat, la présomption générale de salariat, sur l'instauration de critères pour appliquer ou non cette présomption, pour la différencier selon tel ou tel secteur.

Pour ce qui est de la fraude fiscale, il faut évidemment la combattre, mais elle n'est pas propre à cette activité. D'ailleurs, la fraude était-elle inconnue dans les T3P avant l'arrivée des VTC ? Est-ce que tous les taxis étaient équipés de terminaux électroniques, qui permettaient de s'assurer que les usagers étaient bien servis et que tous les frais financiers étaient retracés ? Je n'en suis pas certain. Est-ce que l'arrivée des VTC a permis au législateur d'appliquer de nouvelles règles qui bénéficient à tous ? Oui, je le crois. Est-ce que le service est meilleur ? Oui, je le crois. Est-ce que la régulation est renforcée ? Oui, je le crois. Est-ce qu'il faut aller plus loin ? Oui, je le crois aussi.

Le travail au noir, le travail dissimulé ne sont pas propres à ce secteur-là. On sait qu'ils existent aussi dans des domaines bien plus traditionnels et que nous n'avons pas interdits, comme le bâtiment et les travaux publics. Il faut combattre ces maux grâce à des moyens renforcés, grâce à l'inspection du travail et à des sanctions exemplaires.

Il faut organiser, réguler et nous n'avons, sans doute, accompli que la moitié de ce travail, au niveau national et européen. C'est en ce sens que j'ai parlé de développement bénéfique, qu'il faut, bien sûr, accompagner d'une meilleure protection sociale.

Madame Roullaud, quand j'ai parlé de clarté, je voulais simplement dire que ceux qui sont concernés par les règles, c'est-à-dire les plateformes, comme acteurs économiques et, surtout, les livreurs, chauffeurs et autres travailleurs, comme bénéficiaires de cette protection, devaient comprendre comment elles s'appliquent. Si la directive est peu compréhensible, parce que les critères sont trop nombreux ou parce qu'ils vont être appliqués différemment d'un pays à l'autre, nous n'aurons pas une protection satisfaisante. Et il faudra remettre l'ouvrage sur le métier. Quant à la différenciation, je la défends et je redis qu'il faut, sans doute, des règles plus protectrices pour les livreurs et les chauffeurs de VTC que pour d'autres professionnels, qui travaillent avec des centaines, voire des milliers de plateformes très différentes. Un chauffeur Uber ou un livreur Deliveroo doivent, à l'évidence, bénéficier d'une protection renforcée.

Madame la députée, cadre ad hoc ne veut pas dire cadre mou ! Cela ne veut pas dire des chartes et des discussions au coin du feu. D'ailleurs – et je le dis à l'Assemblée nationale –, tout cela résulte de lois : celle de 2016, qui a créé la cotisation en matière d'accidents du travail ; une ordonnance et une loi, voulues par Élisabeth Borne lorsqu'elle était ministre du Travail, qui ont permis d'organiser le dialogue social ; la loi de financement de la sécurité sociale qui, depuis 2023, a prévu une protection sociale complémentaire. Ce dialogue social ne naît pas spontanément. La création de l'Arpe, c'est le législateur qui l'a voulue et le Gouvernement qui l'a installée. Un cadre social ad hoc ne veut pas dire que les dispositions sont légères, contournables, à la carte ou à la demande.

Je précise aussi que parmi les acteurs européens qui ont défendu l'idée de règles ad hoc figurait la confédération européenne des syndicats, présidée par le secrétaire général de la CFDT ; elle ne demandait pas, à ma connaissance, une présomption générale de salariat. Je ne pense pas que l'on puisse reprocher aux syndicats membres de cette confédération – même s'il y avait des débats entre eux – de ne pas se préoccuper de la protection des chauffeurs, des livreurs et des autres travailleurs de plateformes.

Enfin, monsieur Zgainski, selon les indications du Directeur général du Travail, il y a sans doute, en général, plus de 100 000 travailleurs de plateforme actifs. Les plateformes, c'est-à-dire ces applications qui permettent – pour simplifier – de mettre des personnes en relation, concernent beaucoup d'activités différentes. Lorsque vous êtes un prestataire informatique très qualifié, vous n'avez pas tout à fait les mêmes enjeux de rémunération, à garantir et à augmenter, ni de droits sociaux à sécuriser qu'un livreur ou qu'un chauffeur de VTC qui, eux, ont besoin d'une protection renforcée. Je le répète, je pense que nous n'avons pas tout à fait fini de bâtir le cadre législatif et réglementaire européen que nous devons appliquer. Je comprends que c'est l'un des objets du travail de votre commission, que j'espère avoir contribué à éclairer.

M. le président Benjamin Haddad. Monsieur le ministre, je vous remercie pour votre disponibilité et pour vos réponses précises aux questions de notre commission d'enquête.


Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 7 juin 2023