Texte intégral
M. le président. L'ordre du jour appelle le débat sur le bilan de l'application des lois (rapport d'information n° 636).
(…)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Franck Riester, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d'abord de saluer la qualité du travail présenté par Mme le président Gruny et les contributions des commissions permanentes, sur la base de nombreux échanges avec le secrétariat général du Gouvernement, dont je souhaite souligner l'engagement permanent pour piloter l'application des lois.
La Première ministre a rappelé dans la circulaire du 27 décembre 2022 les principes et les modalités de cet exercice, en soulignant qu'il s'agissait d'une triple exigence de démocratie, de sécurité juridique et de responsabilité politique.
L'adoption d'une nouvelle circulaire, près de quinze ans après la précédente, témoigne de la volonté du Gouvernement d'assurer une application des lois qui soit tout à la fois rapide et conforme à l'intention du législateur.
Au 31 mars 2023, hors mesures différées, le taux d'application des lois publiées entre octobre 2021 et le 30 septembre 2022 était de 74 %, soit une augmentation de quatorze points par rapport à l'année dernière. Cet effort ne s'est pas relâché, car, en tenant compte des derniers textes adoptés depuis la fin du mois de mars, ce taux atteint désormais 78 %. J'ajoute que, pour l'ensemble des lois adoptées au cours de la XVe législature, le taux d'application est de 92 %.
Comme vous l'avez indiqué, madame le président, ce taux n'inclut pas les arrêtés, qui relèvent d'une compétence ministérielle et qui sont en vérité trop nombreux pour faire l'objet d'un suivi centralisé. Le secrétariat général du Gouvernement appelle toutefois régulièrement l'attention des ministères sur ce point, et je prends l'engagement d'évoquer cette question lors du prochain comité interministériel de l'application des lois.
En outre, près des deux tiers des décrets d'application ont été pris dans le délai de six mois suivant la promulgation de la loi, conformément à l'objectif rappelé par la circulaire de la Première ministre.
On ne saurait toutefois se satisfaire totalement de ce résultat. Comme vous l'avez souligné dans votre rapport, l'application de certaines lois, y compris anciennes, reste en deçà des attentes. Les ministères concernés travaillent continuellement à améliorer leur taux d'application. La progression de la mise en œuvre de la loi d'août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets en témoigne : de 12 % au 31 mars 2022, le taux d'application de la loi s'élève désormais à 78 %.
Vous pointez par ailleurs, à juste titre, l'écart de neuf points entre le taux d'application des lois d'origine gouvernementale et celui des lois d'initiative parlementaire. Il faut toutefois y voir non pas le signe d'une mauvaise volonté de la part du Gouvernement, mais principalement la conséquence d'une moindre anticipation des textes d'application des lois d'origine parlementaire.
Lors du dernier comité interministériel sur l'application des lois, j'ai demandé aux directeurs de cabinet de l'ensemble des ministres de réduire cet écart, car cela est tout à fait essentiel au respect de l'initiative parlementaire.
S'agissant de la remise des rapports, les taux de transmission au Parlement ont progressé. Ainsi, 71 % des rapports d'application des lois ont été remis à ce jour. Il est certainement possible de progresser encore sur ce point. Pour ce qui concerne les autres rapports ponctuels demandés, le taux de remise est de 43 %.
Madame le président, je partage votre mécontentement sur l'absence de remise des rapports demandés par le Sénat, et m'engage à écrire dès demain matin aux ministres concernés.
Enfin, s'agissant du recours aux ordonnances, auquel le Sénat prête la plus grande attention, celui-ci s'est considérablement réduit sur la période récente. Ainsi, alors que 353 ordonnances avaient été prises au cours de la XVe législature, seulement vingt-trois ont été publiées depuis le début de cette législature et trente-quatre habilitations ont été demandées par le Gouvernement.
Enfin, je souhaiterais vous apporter des précisions sur certains points.
Concernant la procédure accélérée, son engagement sur les projets de loi est une tendance de long terme, qui vise surtout à permettre la convocation d'une commission mixte paritaire (CMP) dès la fin de la première lecture. Dans la pratique, son impact sur les délais prévus à l'article 45 de la Constitution est modéré et le Gouvernement s'efforce de le limiter au mieux.
S'agissant des dispositions relatives aux médicaments, le décret sur les préparations hospitalières spéciales est en cours de concertation, en vue d'une publication au second semestre 2023. Quant au comité économique des produits de santé, il prend bien en compte la localisation de la production dans la fixation du prix, en vue de sécuriser l'approvisionnement, selon l'amélioration du service médical rendu.
Voilà les éléments dont je souhaitais vous faire part en introduction de ce débat.
– Débat interactif –
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif. Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes maximum, y compris l'éventuelle réplique. Le Gouvernement dispose pour répondre d'une durée équivalente.
Je vais tout d'abord donner la parole aux représentants des commissions.
La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires économiques.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au regard de l'actualité, je consacrerai mon propos au secteur de l'énergie.
La loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets atteint, vingt mois après sa promulgation, un taux d'application de 58 %, qui apparaît assez modeste au regard des ambitions affichées par le Gouvernement.
De nombreuses dispositions sont encore manquantes dans les domaines du logement – je pense à la définition des classes de logements –, de l'agriculture – l'expérimentation du menu végétarien –, de la forêt – l'adaptation de la gestion forestière et la prévention du risque incendie – ou de l'énergie – l'utilisation de matériaux biosourcés.
Alors que la nécessité d'accélérer la décarbonation de l'économie est une priorité partagée sur l'ensemble de nos travées, d'où provient ce retard ? Heureusement, monsieur le ministre, que nous avons légiféré dans l'urgence…
Les débats en matière de politique énergétique révèlent l'absence de vision à long terme et la nécessité d'une véritable programmation. C'est la raison pour laquelle la loi Énergie-climat, modifiée par la loi Climat et résilience, a prévu qu'une loi quinquennale détermine les objectifs et les priorités d'action de la politique énergétique nationale. C'est un point majeur du compromis obtenu entre l'Assemblée nationale et le Sénat ! Cette loi devait être prise avant le 1er juillet prochain et prévaloir sur tous les documents programmatiques réglementaires, dont la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) et la stratégie nationale bas-carbone. C'est une obligation légale, inscrite dans le code de l'énergie !
Certes, la Première ministre a annoncé une loi sur le sujet. Toutefois, celle-ci sera présentée après la présentation de la PPE et de la stratégie nationale bas-carbone, ce qui est contraire aux objectifs et à la volonté du législateur.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous apporter des précisions sur la loi énergétique ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Franck Riester, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame la présidente Primas, comme je l'ai évoqué dans mon propos liminaire, je vous confirme que le ministère chargé de la mise en œuvre de la loi Énergie-climat est pleinement mobilisé sur cet objectif.
À la suite des échanges que nous avons eus ensemble, je rappelle que la loi du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables et le projet de loi relatif à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes ont été adoptés en priorité pour se caler avec la trajectoire énergétique actuelle. Pour autant, nous avons la volonté de conserver une vision globale. Je vous confirme donc aujourd'hui qu'un projet de loi de programmation Énergie-climat sera bien présenté à l'automne, comme l'a indiqué la Première ministre le 26 avril dernier lors de la présentation de la feuille de route du Gouvernement.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Tout à fait !
M. Franck Riester, ministre délégué. Cette loi doit remettre notre pays sur la bonne trajectoire énergétique en s'appuyant sur les textes précédemment votés.
Un grand chantier de concertation a été lancé le 23 mai par la ministre de la transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, avec les parlementaires, les élus locaux, les professionnels des secteurs concernés, les partenaires sociaux et la société civile, et doit aboutir à la fin du mois de juillet prochain. Il est structuré en groupes de travail pilotés par des élus et rassemblant les différentes parties prenantes autour de plusieurs thèmes de travail : sur les objectifs de la programmation, sur les moyens de les atteindre, et sur la déclinaison territoriale et opérationnelle de cette stratégie.
L'ambition du Gouvernement est de proposer une loi de programmation qui soit robuste, concrète et la plus consensuelle possible au vu de l'importance du sujet, ce qui implique d'associer les différents acteurs à son élaboration.
La mise en œuvre des choix énergétiques exige en effet de la stabilité, et donc du consensus sur les orientations retenues.
La programmation pluriannuelle de l'énergie et la stratégie nationale bas-carbone seront adoptées par décret dans l'année suivant l'adoption de la loi de programmation, afin que ces deux documents soient bien définis sur la base des objectifs fixés par le Parlement.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, le bilan de l'application des lois pour notre commission est plutôt positif, car l'essentiel des lois dont nous suivons l'application est désormais totalement applicable.
Toutefois, si l'ensemble des décrets prévus par la loi du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales ont bien été pris, la mise en œuvre de l'un d'entre eux pose problème. Il s'agit du décret n° 2022-787 du 6 mai 2022 relatif aux modalités de fonctionnement de la commission d'évaluation de l'aide publique au développement.
Plus de vingt mois après la promulgation de la loi, et malgré la publication de ce décret, cette commission, qui doit être composée d'un collège de parlementaires et d'un collège de personnalités qualifiées, n'a toujours pas été mise en place.
C'est un sujet que la commission suit attentivement, car il est tout de même question d'une modeste enveloppe de 13 milliards d'euros… Les corapporteurs ont d'ailleurs écrit à la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, il y a deux mois, pour connaître les perspectives de la mise en place de cette commission et les circonstances qui la bloquent encore. Aucune réponse ne nous est parvenue à ce jour. Mais vous allez certainement m'apporter des précisions !
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Franck Riester, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président Cambon, vous m'interrogez sur le retard pris pour la mise en place de la commission d'évaluation de l'aide publique au développement. Celui-ci s'explique, vous le savez, par un problème de gouvernance concernant la présidence de ladite commission.
La loi du 4 août 2021 a en effet placé cette commission auprès de la Cour des comptes afin qu'elle bénéficie de l'indépendance et de l'expertise de cette dernière en matière d'évaluation des politiques publiques. Elle n'a toutefois pas prévu la présidence de la commission par son Premier président, comme il est pourtant d'usage pour les autres institutions adossées à la juridiction financière – je pense par exemple au Conseil des prélèvements obligatoires.
Si un décret a bien été pris le 6 mai 2022 sur les modalités de fonctionnement de la commission, la question de sa présidence a fait l'objet de nouvelles discussions lors de l'examen de la loi de finances pour 2023, le Gouvernement ayant proposé de préciser ce point au travers d'un amendement adopté par le Sénat.
Cette disposition n'ayant toutefois pas été conservée par l'Assemblée nationale, elle ne figure plus dans le texte promulgué.
Après cette nouvelle période de discussion au Parlement et après concertation avec la Cour des comptes, les travaux ont pu reprendre au printemps sur la base de la gouvernance initialement prévue. Les huit personnalités qualifiées ont été identifiées et seront prochainement désignées par un décret de la Première ministre.
Par ailleurs, deux députés et deux sénateurs devront être désignés pour composer le collège des parlementaires.
Je peux également vous indiquer que la Cour des comptes a déjà lancé les travaux de préfiguration pour permettre une mise en place de cette instance dès l'ensemble des nominations effectuées.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères, pour la réplique.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Monsieur le ministre, je vous remercie de ce rappel. Je souhaite que cette commission soit mise en place très rapidement. Comme je l'ai indiqué, elle permettra un véritable contrôle parlementaire. Même si la délégation de sénateurs et de députés qui doit participer à cette commission est modeste, elle est tout de même essentielle.
Il s'agit d'une commission d'évaluation de crédits qui s'élèvent à 13 milliards d'euros chaque année. Je compte sur la diligence du Gouvernement pour que les différentes consultations entre la Cour des comptes, l'Assemblée nationale et le Sénat puissent permettre la mise en route du dispositif, au bénéfice d'un meilleur contrôle parlementaire.
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales.
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors de ma communication sur l'application des lois, j'ai indiqué que les neuf lois examinées par la commission des affaires sociales appelaient un total de 191 mesures réglementaires d'application.
Au 31 mars 2023, 116 mesures avaient été prises, soit un taux de 61 %. Mais je focaliserai mon propos sur le retard d'application dont souffre la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants – nous avons entendu la semaine dernière la secrétaire d'État Charlotte Caubel sur ce sujet. En effet, seulement 37 % des mesures réglementaires attendues ont été prises.
Nous entendons les raisons avancées : l'ampleur des mesures à prendre, l'entrée en vigueur de la loi en toute fin de législature et les délais de consultation des différentes instances. La secrétaire d'État a également pointé les défaillances de l'étude d'impact de cette loi. Certes, au Sénat, nous ne réfuterons pas que les études d'impact des projets de loi peuvent être elliptiques…
Toutefois, ces raisons ne justifient pas certaines situations absurdes. Je pense à un décret encadrant l'hébergement hôtelier des enfants protégés pendant le délai transitoire avant une interdiction complète, décret qui intervient alors que cette période transitoire est déjà écoulée aux deux tiers !
En commission, nous avons noté que le taux d'application de la loi devrait être porté à 75 % d'ici à l'été, car neuf des quinze mesures encore attendues sont bien avancées. Pouvez-vous nous dire ce qu'il en est des six dispositions restantes, pour lesquelles il n'est donc pas prévu de décret à court terme ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Franck Riester, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame la présidente Deroche, concernant l'application de la loi du 7 février 2022 relative à la protection de l'enfance que vous évoquez, la secrétaire d'État chargée de l'enfance, Mme Charlotte Caubel, s'est engagée devant votre commission la semaine dernière – vous l'avez dit – à publier 75 % des décrets d'application au mois de juin.
Le délai de publication des textes s'explique notamment par le champ décentralisé de cette politique, qui implique un temps de concertation technique avec les services départementaux et les acteurs associatifs, et un temps de concertation politique avec l'Assemblée des départements de France.
Par ailleurs, ces textes nécessitent la consultation obligatoire de plusieurs instances, comme le Conseil national d'évaluation des normes et le Conseil national de la protection de l'enfance.
L'ordonnance dont le délai d'habilitation a expiré portait sur l'extension et l'adaptation de certaines dispositions de la loi en outre-mer. Après réexamen par les services, cette habilitation n'a finalement pas été mise en œuvre. Cette situation ne soulève toutefois pas de difficultés de fond, car il n'y a pas de problématique particulièrement signalée en matière de mineurs non accompagnés (MNA) dans les territoires concernés.
Au-delà de ces cas d'espèce, je ne peux toutefois que regretter avec vous que des demandes d'habilitation ne soient pas utilisées dans le délai imparti.
Enfin, je peux vous indiquer que le sujet du rapport demandé sur l'inscription à l'assurance maladie de certains actes effectués par les infirmières puéricultrices dans les services de la protection maternelle et infantile (PMI) fera l'objet de discussions lors des Assises de la pédiatrie pour identifier les suites à donner à cette question.
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales, pour la réplique.
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Monsieur le ministre, nous avons une jurisprudence très claire sur les rapports : nous n'en demandons pas, car ils ne sont jamais rendus, à quelques exceptions près ! Nous simplifions ainsi la tâche du Gouvernement.
Nous avons créé une mission d'information et de suivi de l'application des lois sur la protection de l'enfance, confiée à Bernard Bonne. Nous avons déjà organisé une audition avec Mme la secrétaire d'État, ce qui était une bonne chose, mais nous suivrons ce dossier de près.
M. le président. La parole est à Mme la vice-présidente de la commission de l'aménagement du territoire.
Mme Marta de Cidrac, vice-présidente de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il me revient d'intervenir cet après-midi au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.
Dans le bilan d'application des lois que nous avons dressé au début du mois de mai, nous avons déploré le taux d'application trop faible de certains textes. C'est notamment le cas de la loi Reen du 15 novembre 2021, issue des travaux menés pour notre commission par Patrick Chaize, Guillaume Chevrollier et Jean-Michel Houllegatte.
À la fin du mois de mars, près de dix-huit mois après la promulgation du texte, seulement deux mesures sur les six prévues avaient été prises par le Gouvernement. Deux décrets doivent notamment préciser les modalités de mise en œuvre de l'écoconditionnalité de l'avantage fiscal accordé aux centres de données en matière d'électricité.
Alors que la France fait face à une crise énergétique et à une crise de l'eau sans précédent, qui vont s'aggraver dans les années à venir en raison du réchauffement climatique, aucun secteur ne peut être exonéré des efforts à mener pour la préservation de nos ressources énergétiques et naturelles. Nous appelons donc à la publication rapide de ces décrets, qui inciteront les centres de données à rationaliser leur consommation d'énergie et d'eau.
J'en viens à mon second point, qui concerne l'application encore incomplète de la loi du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités (LOM), qui a pourtant été publiée il y a plus de trois ans. Pour ne donner qu'un exemple, le cadre réglementaire de l'ouverture à la concurrence des réseaux de transport public urbain par autobus de la RATP demeure inachevé. L'un des décrets prévus aux termes de l'article 158 de la loi, relatif à la portabilité de certains droits des salariés en cas de changement d'employeur, est encore attendu.
Alors que nous approchons à grands pas de l'échéance de l'ouverture à la concurrence, fixée au 1er janvier 2025, la finalisation du cadre réglementaire doit constituer une priorité, tant pour le bon déroulement du processus que pour donner de la visibilité aux salariés quant aux conditions qui s'appliqueront en cas de changement d'employeur.
Comme vous pouvez le constater, monsieur le ministre, nous sommes toujours dans l'attente, mais peut-être nous rassurerez-vous par votre réponse.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Franck Riester, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame la sénatrice, l'article 158 de la loi d'orientation des mobilités est venu préciser le cadre social applicable à l'ouverture à la concurrence du réseau de bus de la RATP, afin de protéger les salariés transférés et de garantir la continuité du service public.
Le cadre social de l'ouverture à la concurrence du réseau de bus de la RATP repose sur quatre décrets, dont un reste à prendre, ainsi que sur deux arrêtés d'application desdits décrets.
Le décret relatif à la portabilité du régime spécial de la retraite de la RATP a fait l'objet de premières réunions techniques en fin d'année 2022 entre la RATP, la caisse de retraite des personnels de la RATP et les services ministériels.
Compte tenu de la réforme des retraites, les travaux reprendront après la publication des décrets mettant en œuvre la réforme pour les régimes spéciaux.
Par ailleurs, je tiens à vous informer que la mise en application de la LOM est effective à hauteur de 95 %.
En ce qui concerne la loi du 15 novembre 2021 visant à réduire l'empreinte environnementale du numérique en France, il s'agit de fixer par décret les modalités de mise en œuvre de l'écoconditionnalité de l'avantage fiscal attribué aux centres de données en matière d'électricité, plus spécifiquement, comme vous l'évoquiez, les indicateurs chiffrés que doivent respecter les centres de données en termes de consommation.
Les travaux interministériels sont en cours et une première version de décret a été élaborée. Toutefois, une analyse de la base légale est actuellement menée pour éviter un risque de contentieux sur les indicateurs techniques envisagés au regard de la doctrine fiscale. L'élaboration des mesures d'application pourra se poursuivre une fois ce sujet clarifié.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Monsieur le ministre, la commission des finances constate un taux de mise en application équivalent à celui de la session précédente, donc sans progrès ni détérioration, avec toutefois un point positif : davantage de mesures ont été publiées dans un délai de six mois.
Néanmoins, certaines dispositions ne sont pas mises en œuvre. Je voudrais donc vous interroger, monsieur le ministre, sur les trois points suivants.
Premièrement, l'article 9 de la loi de finances rectificative du 16 août 2022 prévoyait d'appliquer certaines mesures aux aéronefs et aérodromes concernant les tarifs d'accise sur l'électricité, les recettes provenant de la taxe sur le transport aérien ou encore la taxe sur les nuisances sonores aériennes. Ces mesures appelaient cinq arrêtés d'application. Pourquoi ces derniers n'ont-ils pas été pris, alors même que le Parlement avait été invité à adopter ce texte en session extraordinaire ? Ces arrêtés seront-ils publiés et quand ?
Deuxièmement, l'article 16 de la loi de finances initiale pour 2020 a introduit un nouvel article 1418 au sein du code général des impôts relatif aux obligations déclaratives des propriétaires de locaux d'habitation pour l'établissement de la taxe d'habitation sur les résidences secondaires et de la taxe annuelle sur les logements vacants, selon des modalités fixées par décret.
Avant même la parution du décret, l'administration fiscale a lancé l'ouverture de la procédure de déclaration en ligne le 23 janvier 2023, celle-ci devant être accomplie avant le 30 juin. Pouvez-vous nous confirmer que le décret d'application a finalement été pris courant avril ? N'est-il pas étrange de publier ce décret après avoir mis en place la procédure ?
Troisièmement, les articles 130, 131 et 134 de la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, la loi Pacte, prévoyaient l'adoption de textes réglementaires devant tirer les conséquences de la privatisation d'Aéroports de Paris (ADP). Dans la mesure où cette privatisation semble avoir été repoussée à une date indéterminée, ne serait-il pas pertinent d'abroger ces mesures, qui n'ont plus vocation à s'appliquer ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Franck Riester, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président Raynal, la loi de finances rectificative pour 2022 comprend en effet plusieurs dispositions relatives aux aéronefs et aérodromes appelant des mesures d'application.
En ce qui concerne le tarif réduit de l'accise sur l'électricité fournie aux aéronefs lors de leur stationnement dans les aérodromes, une demande de dérogation au titre de la directive 2003/96/CE a été adressée en avril 2022 à la Commission européenne. Cette dernière a demandé des compléments d'information, qui lui ont été adressés au cours de l'été, et la demande est en cours de traitement.
Pour ce qui est des règles de gestion des aérodromes, un arrêté a été pris le 27 décembre 2022 sur les déclarations de coût des exploitants. En ce qui concerne le solde de taxe sur les nuisances sonores aériennes à rembourser, les arrêtés sont en cours de rédaction.
Enfin, pour l'exonération de tarifs de l'aviation civile de la taxe sur les transports aériens de passagers pour les vols au départ de l'aéroport de Bâle-Mulhouse, un projet d'arrêté a été soumis à consultation le 24 mai dernier. Il sera très prochainement publié pour une entrée en vigueur du nouveau tarif le 1er juillet prochain.
En ce qui concerne l'article 16 de la loi de finances initiale pour 2020 portant suppression progressive de la taxe d'habitation sur les résidences principales, l'administration a ouvert dès le 23 janvier 2023 la procédure de déclaration en ligne, soit avant la publication du décret appelé par l'article 1418 du code général des impôts compte tenu du niveau de précision de la loi et dans un souci de célérité. Il s'agit en effet d'une mesure très attendue.
La publication du décret le 30 avril 2023, soit avant la date limite de l'obligation déclarative fixée au 30 juin 2023, est sans incidence sur la légalité du service de déclaration en ligne.
Enfin, concernant les dispositions de la loi Pacte, les conditions de marché ne sont plus réunies pour envisager la privatisation du groupe ADP. Compte tenu des incertitudes qui entourent la reprise du trafic aérien, il est aujourd'hui impossible d'établir un calendrier prévisionnel pour une éventuelle cession, laquelle est certes reportée, mais non abandonnée. Dans ces conditions, l'abrogation des mesures de la loi Pacte, dont l'entrée en vigueur est conditionnée à cette privatisation, n'est pas requise.
M. le président. La parole est à Mme le vice-président de la commission des lois.
Mme Catherine Di Folco, vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le ministre, je souhaite évoquer deux exemples précis qui illustrent, pour ce qui concerne les textes examinés par la commission des lois, les difficultés d'application qui peuvent apparaître malgré la prise effective de mesures par le pouvoir réglementaire.
Le premier concerne l'article 229 de la loi 3DS, qui prévoit les conditions dans lesquelles les chambres régionales des comptes participent à l'évaluation des politiques publiques territoriales.
Le décret du 8 décembre 2022 pris pour son application prévoit que "la chambre régionale des comptes peut, de sa propre initiative, procéder à l'évaluation d'une politique publique relevant des collectivités territoriales et organismes soumis à sa compétence de contrôle des comptes et de la gestion". Or cette capacité d'autosaisine me semble excéder très largement l'intention du législateur.
L'analyse des travaux parlementaires montre ainsi qu'il s'agissait de créer non pas une faculté d'autosaisine pour les chambres régionales des comptes, mais une compétence nouvelle d'évaluation des politiques publiques territoriales relevant de la saisine exclusive des collectivités territoriales.
En la matière, le pouvoir réglementaire a donc outrepassé l'intention du législateur. Le ministre de la cohésion des territoires a opposé une fin de non-recevoir à la question écrite de Françoise Gatel, rapporteur de ce texte, tendant à ce que le décret soit modifié pour respecter le souhait du législateur. Restez-vous également dans le déni, monsieur le ministre chargé des relations avec le Parlement ?
Le second exemple est relatif à l'article 3 de la loi relative aux "lanceurs d'alerte", pour lequel le pouvoir réglementaire n'a cette fois pas été au rendez-vous de l'ambition fixée par le législateur.
Cet article prévoit un système de réception et de traitement unique au sein des groupes de sociétés. Loin de traduire cette volonté de simplification, le décret du 3 octobre 2022 instaure un système "perdant-perdant", le lanceur d'alerte devant lui-même, de manière assez inexplicable, retirer son signalement pour le redéposer auprès de la filiale la plus appropriée pour le traiter.
La Commission européenne avait pourtant ouvert la porte à une véritable procédure commune, afin d'alléger les charges administratives pesant sur les entreprises et de simplifier le système. Le Parlement l'avait entendue ; malheureusement, le Gouvernement a préféré faire la sourde oreille. Comment expliquer pareille situation ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Franck Riester, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame la sénatrice, selon l'article 229 de la loi 3DS, les chambres régionales des comptes contribuent à l'évaluation des politiques publiques locales.
Le décret pris pour l'application de cette disposition prévoit que la chambre régionale des comptes peut, de sa propre initiative, procéder à l'évaluation d'une politique publique relevant des collectivités territoriales et organismes soumis à sa compétence de contrôle des comptes et de la gestion.
La rédaction de la loi 3DS est une reprise à l'identique de l'article du code des juridictions financières relatif à la Cour des comptes, selon lequel cette dernière contribue à l'évaluation des politiques publiques.
Sur le fondement de cette disposition législative de principe, la Cour peut réaliser sur sa propre initiative une évaluation de politique publique. Par conséquent, l'article de la loi 3DS permet aux chambres régionales des comptes, dans les conditions prévues par voie réglementaire, de procéder de la même façon à l'évaluation d'une politique publique au sein de son ressort territorial. Le Gouvernement considère ainsi que le décret pris est conforme aux termes de la loi.
En ce qui concerne l'article 3 de la loi du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d'alerte, le décret du 3 octobre 2022 pris pour son application distingue les phases de réception et de traitement des signalements.
Si, dans un groupe de sociétés, le principe est celui d'un traitement au niveau de l'entité concernée par la violation, la réception des signalements peut en revanche être mutualisée et se faire au sein de n'importe laquelle des entités, notamment la société mère, ou encore être gérée en externe par un tiers.
Le décret épuise l'ensemble des opportunités offertes par la directive 2019/1937, dite lanceurs d'alerte, qui ne permet pas de prévoir une externalisation ou une mutualisation spécifique des procédures de traitement des signalements dans les groupes de société.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Monsieur le ministre, je souhaite revenir une nouvelle fois sur le recours aux ordonnances pour transposer les directives européennes ou prendre des mesures d'application des règlements.
Vous le savez, le règlement du Sénat a chargé la commission des affaires européennes d'une mission de veille, afin d'identifier les surtranspositions et de s'assurer que le Gouvernement les justifie, tant elles peuvent nuire à la compétitivité de l'économie française.
Or, lorsque le Gouvernement choisit de recourir aux ordonnances pour transposer les règles européennes en droit national, il révèle rarement au Parlement ses intentions précises, en particulier si le texte européen comporte des options facultatives ou si l'habilitation demandée va au-delà des exigences de mise en conformité avec les textes européens.
Un exemple récent permet de mesurer l'ampleur de la difficulté. Je veux parler de la transposition de la directive dite CSRD sur les déclarations de performance extrafinancière des entreprises. Le Gouvernement a en effet sollicité une habilitation dans le projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans les domaines de l'économie, de la santé, du travail, des transports et de l'agriculture, dit Dadue.
Or la directive n'avait pas encore été adoptée et le délai d'habilitation sollicité était donc très long. En outre, l'élaboration du projet d'ordonnance n'avait même pas été lancée, ce qui ne permettait pas au Parlement de se prononcer en ayant connaissance des orientations du Gouvernement, qui n'étaient pas encore définies. Au surplus, le périmètre de l'habilitation était particulièrement large et excédait sans conteste celui de la directive.
Comme vous le savez, le Sénat a rejeté cette demande d'habilitation dans un premier temps, avant d'accepter finalement en commission mixte paritaire une version fortement resserrée du champ d'habilitation, au vu de la directive adoptée dans l'intervalle.
Monsieur le ministre, le Gouvernement peut-il nous assurer que pareille mésaventure ne se reproduira pas et qu'il intégrera dorénavant les mesures de transposition dans le projet de loi lui-même ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Franck Riester, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, en termes de vecteur, le recours aux ordonnances de l'article 38 de la Constitution représente 2,7 % des mesures de transposition des textes européens. Le Gouvernement veille à y recourir pour des mesures essentiellement techniques ; la ligne retenue est de privilégier un texte dédié, projet de loi ou proposition de loi, pour les directives les plus sensibles politiquement.
Le recours aux habilitations est encadré par le secrétariat général du Gouvernement et le secrétariat général des affaires européennes dans le cadre des réunions relatives aux travaux de transposition et de préparation des projets de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne.
J'ajoute que la nouvelle méthode voulue par la Première ministre prévoit un recours très modéré aux habilitations.
Il est par ailleurs régulièrement demandé aux services d'être en mesure de présenter aux rapporteurs les projets d'ordonnance envisagés lors de l'examen des demandes d'habilitation, afin d'éclairer au mieux leur décision sur cette demande. C'est ce qui a été fait pour le dernier projet de loi Dadue, notamment par la Chancellerie.
Je précise enfin que les efforts conjugués en faveur de l'adaptation rapide du droit national aux textes européens permettent à la France de présenter actuellement un déficit de transposition particulièrement faible de seulement 0,3 %.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission de la culture.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Monsieur le ministre, aux yeux de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication – vous me permettrez dès à présent d'ajouter le sport à cet intitulé –, le bilan de l'application des lois au 31 mars 2023 est contrasté.
Si l'applicabilité de certains textes s'avère satisfaisante – je pense notamment à la loi de programmation de la recherche –, les mesures réglementaires attendues pour d'autres textes peinent à voir le jour.
Il en va ainsi, monsieur le ministre, des décrets prévus par la loi créant la fonction de directrice ou de directeur d'école. Le ministre de l'éducation a récemment pris soin de préciser que leur publication avait été "retardée afin d'articuler leurs dispositions avec les nouvelles missions proposées aux professeurs des écoles dès la rentrée prochaine."
Pouvez-vous nous confirmer, monsieur le ministre, que l'horizon de publication de ces mesures demeure bel et bien compatible avec la prochaine rentrée scolaire ?
Il en va de même pour les mesures réglementaires prévues par la loi pour une école de la confiance. Je souhaiterais m'assurer en particulier de l'intention du Gouvernement de publier le décret prévu à l'article 30 du texte prévoyant notamment l'élaboration de conventions de coopération entre établissements médico-sociaux et établissements scolaires pour la scolarisation des élèves en situation de handicap.
La prise en charge du handicap à l'école est un sujet sur lequel la commission a beaucoup travaillé ces derniers mois. Cette mesure pourrait contribuer à faire avancer les choses significativement.
Pour ce qui concerne la loi visant à encadrer l'exploitation commerciale de l'image d'enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne, l'absence de publication de la seule mesure réglementaire du texte rend malheureusement celui-ci inopérant. Alors que s'annonce l'examen du projet de loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique, je souhaiterais savoir si la mise en œuvre de cette loi est encore d'actualité ou définitivement abandonnée.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Franck Riester, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président Lafon, concernant la loi du 21 décembre 2021 créant la fonction de directrice ou de directeur d'école, deux des six mesures attendues ont d'ores et déjà été appliquées.
Les textes restant à prendre sont en cours de finalisation. Ils ont été examinés au Comité social d'administration du ministère de l'éducation nationale du 16 mai dernier et débattus en Conseil supérieur de l'éducation lors de sa séance du 17 mai. Le Conseil d'État devrait en être saisi dès cette semaine.
La loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance présente, quant à elle, un taux d'application de 90 %, avec dix-huit mesures appliquées sur un total de vingt mesures actives. La publication des décrets d'application manquants relatifs au handicap interviendra à la suite du Conseil national du handicap, avant la fin de l'année 2023.
Concernant la loi du 19 octobre 2020 visant à encadrer l'exploitation commerciale de l'image d'enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne, l'étude de l'Observatoire de la parentalité et de l'éducation numérique, publiée fin février 2023, a permis de mieux appréhender les enjeux liés à cette exploitation et les besoins de régulation. Sur la base de ces résultats, le décret sera pris très rapidement.
M. le président. Dans le débat, la parole est désormais aux représentants des groupes, selon les mêmes règles que pour les représentants des commissions.
La parole est à M. Jean-Yves Roux.
M. Jean-Yves Roux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat qui nous anime aujourd'hui est un incontournable de la vie parlementaire et de l'évaluation du Sénat. Mais il prend cette année une tout autre saveur : celle de la valeur de la loi – projet et proposition de loi –, de la valeur du cheminement parlementaire et réglementaire, de la valeur de la démocratie représentative et de ses élus.
Mes chers collègues, vous me permettrez de saluer le travail réalisé par la présidente Pascale Gruny, qui dit beaucoup sur l'état de l'institution parlementaire et insiste clairement sur des leviers d'action qui nous concernent également. Trop de lois en procédure accélérée, trop vite, des lois pantagruéliques mal digérées, des communications empressées : les travers sont connus.
Je salue en parallèle l'intention qui préside à la circulaire du 27 décembre 2022, aux termes de laquelle "veiller à une rapide et complète application des lois répond à une exigence de démocratie, de sécurité juridique et de responsabilité politique".
Toutefois, mes chers collègues, comme l'énonçait si justement Pierre Mendès France : "La conception d'une démocratie purement formelle et périodique, si je puis dire, ne correspond pas forcément à une réalité vivante." C'est bien à celle-ci que je suis attaché. Les conditions d'application de la loi font beaucoup pour notre vitalité démocratique.
Tout d'abord, nous devons en prendre conscience, ce n'est pas seulement le temps nécessaire pour la publication des décrets qui pose problème. Nos concitoyens comme nos collectivités ont besoin de ces informations conjuguées et connues pour anticiper leurs actions.
Pascale Gruny a insisté sur la loi Climat et résilience ou la loi 3DS : certains de leurs articles, en suspens, sont des freins pour l'action locale. C'est ce qu'il se passe pour l'application du ZAN, le zéro artificialisation nette.
Autre point intéressant également nos collègues députés, celui de l'encadrement plus strict des réseaux d'influence au moment de la rédaction de ces textes. Leur consultation peut être utile, mais dans des conditions plus réglementées, limitées dans le temps, en toute transparence et sans préjudice pour la durée et la qualité de rédaction des textes réglementaires.
Mon dernier point s'adresse tant à nos collègues sénateurs qu'au Gouvernement. Nous pouvons anticiper, dès le début de la discussion parlementaire, les difficultés soulevées dans le cadre des textes réglementaires. La méthode porte un nom : l'expérimentation, qui peut s'insérer dans plusieurs cadres. Je pense aux expérimentations normatives locales, trop diluées dans les processus d'évaluation parlementaire. La méthode répond pourtant à un bel objectif, celui de renouveler notre démocratie et de s'éloigner du populisme, en trouvant des solutions acceptables.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Franck Riester, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, vous évoquez les difficultés rencontrées par les destinataires de nouvelles normes pour leur application, prenant l'exemple des dispositions relatives au ZAN.
Si je partage votre souci de stabilité et de lisibilité du droit, permettez-moi de souligner que, sur ce sujet, la Première ministre a pris des engagements devant le Congrès des maires et que le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, Christophe Béchu, a réagi dès l'été dernier face aux difficultés remontées par les collectivités territoriales en suspendant les textes d'application, afin de revoir le cadre juridique applicable. Ce travail se poursuit, aux niveaux législatif et réglementaire, sur la base de la proposition de loi sénatoriale, qui sera examinée par l'Assemblée nationale le 21 juin prochain.
Vous avez également évoqué le rôle des réseaux d'influence lors de la rédaction des textes d'application. S'il est essentiel de prévenir tout conflit d'intérêts, et a fortiori de sanctionner toute dérive en la matière, les administrations ont des échanges réguliers avec les parties prenantes, qu'elles soient chargées de réglementer, de contrôler et, le cas échéant, de sanctionner. On reprocherait à bon droit aux administrations d'être déconnectées de la réalité quotidienne et du terrain en l'absence de telles relations de travail.
Par ailleurs, préalablement à leur adoption, les mesures réglementaires sont soumises de manière presque systématique à l'avis d'organismes consultatifs.
Quant au recours à l'expérimentation avant une éventuelle généralisation, je souscris à vos propos sur l'intérêt d'une telle démarche, dans laquelle le Gouvernement s'est résolument engagé. Je citerai notamment, à titre d'exemple, le droit de dérogation du préfet expérimenté en 2018 et 2019 sur la base du décret du 29 décembre 2017, puis généralisé en 2020 et qui a fait l'objet d'un bilan positif par l'inspection générale de l'administration en 2022.
On peut également mentionner le dispositif France Expérimentation, piloté par la direction interministérielle de la transformation publique (DITP), qui permet de lever des blocages juridiques entravant la réalisation de projets innovants, grâce à la mise en place de dérogations, à titre expérimental.
Enfin, j'ajouterai que la Première ministre a insisté, le 17 mai 2023, auprès des cadres dirigeants de l'État, sur la pertinence d'expérimenter, "de prendre son risque" et a invité chacun "à se saisir de toutes ses capacités de dérogation et d'adaptation".
M. le président. Si je vois bien la passion qui anime ce débat, je demande toutefois que chacun respecte son temps de parole de deux minutes. (Sourires.)
La parole est à M. André Reichardt.
M. André Reichardt. Monsieur le ministre, je souhaite intervenir au sujet de la loi du 16 août 2022 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière de prévention de la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne, dont j'ai été le rapporteur.
Cette loi illustre, selon nous, des dysfonctionnements dont nous souhaiterions qu'ils ne se reproduisent plus à l'avenir.
J'avais critiqué à l'époque la méthode employée : le texte était visiblement une "fausse" proposition de loi, rédigée par les directions centrales des ministères concernés, déposée par les députés du groupe majoritaire, puis discutée au Parlement, sans étude d'impact ni avis du Conseil d'État.
Elle concernait un domaine qui n'était pas sans conséquence pour nos libertés publiques, puisqu'il s'agissait ni plus ni moins que de retirer en une heure des contenus en ligne à caractère terroriste. Des dispositions similaires avaient été censurées dans la loi du 24 juin 2020 visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, dite loi Avia.
Le Gouvernement souhaitait aller vite dans cette affaire. La proposition de loi visait à adapter la législation française au règlement européen du 29 avril 2021 relatif à la lutte contre la diffusion des contenus à caractère terroriste en ligne.
Compte tenu de ces enjeux, le Sénat avait accepté de jouer le jeu en adoptant ce texte en urgence pendant la séance extraordinaire de juillet. Je vous rappelle le calendrier : 6 juillet, examen par la commission ; 12 juillet, examen en séance publique ; 19 juillet, examen par la commission mixte paritaire ; 26 juillet, examen en séance publique pour l'adoption des conclusions de la commission mixte paritaire. La loi avait été promulguée le 16 août, après une décision de conformité du Conseil constitutionnel.
Que s'est-il passé depuis ? Rien ! Faute de décret d'application, cette loi n'est pas applicable. Dans l'attente de ce décret, aucune injonction de retrait nationale n'a pu être émise par l'Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication (OCLCTIC), tandis qu'aucune injonction de retrait transfrontalière venue d'une autorité européenne ne peut être traitée.
Finalement, seule la nomination d'un suppléant de la personnalité qualifiée nommée au sein de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) est intervenue, soit un bilan bien maigre, monsieur le ministre, vous en conviendrez.
Quand ce décret sera-t-il publié ? Pourrions-nous, à l'avenir, éviter de tels dysfonctionnements ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Franck Riester, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, vous évoquez l'application de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, telle que modifiée par la loi du 16 août 2022 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière de prévention de la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne, à laquelle vous aviez pris une part importante en tant que rapporteur.
L'article 6-1-1 de la loi de 2004 ainsi modifiée prévoit un décret pour préciser les modalités d'échange d'informations dans le cadre des injonctions de retrait de contenus à caractère terroriste entre, d'une part, l'autorité administrative et l'Arcom et, d'autre part, entre ces autorités et les autres autorités compétentes étrangères désignées pour la mise en œuvre du règlement UE 2021/784 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2021.
Le projet de décret a été présenté en section de l'intérieur du Conseil d'État le 16 mai 2023. Il est désormais en cours de signature. Sa publication est prévue avant l'échéance du 7 juin 2023, date à laquelle la France devra remettre un rapport de mise en œuvre du règlement européen précité.
M. le président. La parole est à M. Alain Marc.
M. Alain Marc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous le savons tous ici, une fois la loi votée, le rôle du législateur n'est pas terminé.
Comme chaque année, à cette période, nous examinons le bilan de l'application des lois. Cet exercice traditionnel s'inscrit dans notre mission de contrôle de l'action du Gouvernement. En effet, la bonne exécution des lois requiert une attention constante de notre part.
J'aborderai trois problématiques spécifiques.
La première se rapporte au recours trop fréquent à la procédure accélérée. Si celle-ci est inscrite dans la Constitution, son utilisation répétée, voire excessive, porte atteinte au principe de la double lecture et oblige le Parlement à débattre dans des délais très restreints.
Or la commission des lois a constaté que, parmi les vingt lois promulguées qu'elle avait examinées au fond, dix-sept avaient été adoptées après engagement de la procédure accélérée. Monsieur le ministre, le recours à la procédure accélérée doit demeurer une exception !
La deuxième problématique concerne le respect des délais de publication des rapports au Parlement. Cela a été dit, le taux de publication global n'est que de 36 %. Ce chiffre n'est pas satisfaisant.
Enfin, la troisième problématique porte sur l'inflation législative. Nous déplorons le fait que ce phénomène perdure. Si, pour la commission des lois, le coefficient multiplicateur des dispositions législatives est similaire à celui de l'année dernière, nous constatons en revanche que le nombre d'articles comptabilisés lors du dépôt est en augmentation de 31 %.
Monsieur le ministre, quelles mesures envisagez-vous de prendre, afin de remédier à ces situations, qui peuvent porter atteinte à la crédibilité de l'action publique ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Franck Riester, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, concernant le recours à la procédure accélérée, comme je l'ai indiqué dans mon propos liminaire, son engagement est essentiellement motivé par la faculté de convoquer une commission mixte paritaire dès la fin de la première lecture. Les conséquences restent modérées sur les délais d'examen fixés par l'article 45 de la Constitution, que le Gouvernement s'est efforcé de maîtriser depuis le début de la XVIe législature, avec un délai de trente-six jours entre le dépôt des projets de loi et leur examen par l'assemblée saisie.
Au cours de la session 2021-2022, 71 % des rapports d'application des lois et 43 % des autres rapports ponctuels ont été remis. Sur l'ensemble de la XVe législature, le taux de remise est de 52 %.
Les ministères s'efforcent de répondre au mieux à ces demandes. Je sais que le Sénat, à l'instar du Gouvernement, ne souhaite pas multiplier les rapports, afin de ne pas saturer les services, qui sont aussi chargés de concevoir et d'appliquer les politiques publiques.
Concernant enfin l'inflation législative, je partage votre préoccupation. Le Gouvernement s'est efforcé, depuis le début de la législature, de limiter le nombre d'articles des projets de loi présentés au Parlement, avec pour consigne, lors des travaux interministériels de préparation, de se concentrer sur des articles politiquement significatifs et d'éviter tout empiétement sur le domaine réglementaire.
Si l'on s'en tient au sujet de l'application des lois, je me permets de souligner que, selon une estimation du secrétariat général du Gouvernement, au cours de la XVe législature, le nombre de renvois à des décrets d'application entre le projet de loi déposé et la loi promulguée a plus que doublé.
On peut prendre comme exemple la loi 3DS, dont le texte initial comprenait trente-huit renvois à des décrets d'application, contre quatre-vingt-seize dans la loi promulguée, ce qui a modifié sensiblement l'ampleur du travail réglementaire.
Il s'agit donc d'une responsabilité partagée entre le Gouvernement et le Parlement, qui appelle collectivement à une forme de sobriété normative. (M. François Patriat applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Monsieur le ministre, en cette fin de débat, il est difficile d'être original. Je vous poserai deux questions.
Premièrement, le nombre de passages en procédure accélérée est toujours aussi élevé. Je comprends bien vos raisons, vous en avez expliqué quelques-unes. Il n'en demeure pas moins que la procédure accélérée n'est plus une procédure extraordinaire. Il s'agit même de la procédure ordinaire. A contrario, la procédure normale devient, elle, exceptionnelle.
Force est d'ailleurs de constater que ce ne sont pas les lois votées en procédure accélérée qui sont appliquées le plus rapidement, ce qui ne paraît pas très logique. L'urgence à examiner un texte n'est pas en corrélation avec l'urgence qu'il y aurait à le promulguer. Ainsi, les lois examinées en procédure accélérée sont appliquées en moyenne beaucoup plus tardivement que les lois examinées selon la procédure normale.
Étant donné que pour beaucoup de ces textes le recours à la procédure accélérée ne répond pas à une situation d'urgence, pouvez-vous nous dire pourquoi le Gouvernement l'utilise avec aussi peu de discernement ? S'agit-il de restreindre le temps du débat au Sénat ?
Deuxièmement, vous savez que le Sénat s'autocensure sur les rapports et en demande très peu. Les rapporteurs nous opposent toujours des avis défavorables, en argumentant que la position de la Haute Assemblée sur les demandes de rapport est bien connue de tous. Malgré tout, j'ai pris connaissance de vos chiffres, qui ne corroborent pas ceux du Sénat. Malgré l'augmentation du nombre de rapports rendus par le Gouvernement l'an dernier, seulement 36 % des rapports demandés par le Sénat ont été reçus et rendus publics.
Est-ce parce que vous n'avez pas le temps de les réaliser, que vous n'avez pas assez de personnel, que l'administration ne répond pas à vos demandes, ou est-ce parce que vous ne voulez pas les rendre publics, bien qu'ils aient été rédigés ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Franck Riester, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur Benarroche, certaines de vos observations rejoignent celles qui ont été évoquées à l'instant par le sénateur Marc.
Concernant le recours à la procédure accélérée et ses conséquences sur les délais d'examen fixés par l'article 45 de la Constitution, je précise que trente-six jours séparent en moyenne, sur la période 2021-2023, le dépôt d'un projet de loi de son examen par la première assemblée saisie ; cinquante-huit jours séparent ensuite la transmission du texte par la première assemblée et son examen par la seconde assemblée ; et dix-sept jours séparent la fin de la première lecture et la réunion de la commission mixte paritaire.
Je précise encore que ces données sont tirées à la baisse par la quinzaine de projets de loi liés à l'épidémie de covid-19, dont le Parlement s'était saisi avec une très grande diligence.
Comme je l'ai souligné à l'instant, le recours à la procédure accélérée permet de convoquer une CMP après la première lecture, ce qui est fort utile.
Concernant la remise des rapports, outre les éléments déjà apportés, permettez-moi de souligner que l'absence de transmission pour les vingt et une demandes de rapports formulées par le Sénat est regrettable, mais tout à fait fortuite. Je me rapprocherai bien évidemment des ministres concernés pour que les rapports demandés puissent rapidement être rendus.
Le Gouvernement n'a nullement la volonté de dissimuler les rapports ; nous sommes simplement parfois confrontés à des délais de concertation, de relecture et de validation.
Quoi qu'il en soit, la non-publication de vingt et un rapports est problématique. Je ne manquerai pas de le faire savoir dès demain à mes collègues du Gouvernement.
M. le président. La parole est à M. Bernard Buis.
M. Bernard Buis. Monsieur le ministre, dans une circulaire datée du 27 décembre 2022, la Première ministre, Élisabeth Borne, a réaffirmé la dimension capitale que représente l'application des lois dans notre pays, ainsi que les grands principes émanant de cet impératif démocratique.
C'est la première fois depuis 2008 qu'une telle impulsion est donnée par le Gouvernement, afin d'assurer que les textes votés par le Parlement aient des effets concrets pour nos concitoyens dans les meilleurs délais, et ce de manière conforme à l'intention du législateur.
À cette occasion, la Première ministre a notamment demandé à renforcer le réseau des correspondants ministériels pour l'application des lois.
Ce réseau, qui gagnerait à être davantage connu, est un maillon bienvenu afin de faire en sorte que la période qui sépare la publication d'une loi de l'intervention des mesures réglementaires d'application soit la plus brève possible.
Cette exigence de célérité et d'efficacité répond à une triple exigence de démocratie, de sécurité juridique et de responsabilité politique.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous préciser comment fonctionne ce réseau et quels sont les résultats attendus de cette initiative ? (M. François Patriat applaudit.)
M. François Patriat. Excellent, très bonne question !
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Franck Riester, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur Buis, comme je l'ai en effet indiqué dans mon intervention liminaire, la Première ministre a souhaité donner une nouvelle impulsion au processus d'application des lois, en rappelant ses grands principes ainsi que ses modalités de mise en œuvre, en lien notamment avec les assemblées parlementaires.
À cette occasion, la Première ministre a souhaité réaffirmer la position centrale des correspondants ministériels de l'application des lois, créés en 2011. Vous avez eu raison de le rappeler, monsieur le sénateur.
Ce rôle essentiel a été mis en exergue à plusieurs reprises depuis l'année dernière. Les correspondants ont ainsi été étroitement associés au groupe de travail sur l'application des lois, conduit par le secrétariat général du Gouvernement, qui a abouti à une refonte des méthodes de travail, des guides de procédures afférents et des outils de suivi en septembre 2022 dans un premier temps, ainsi qu'à l'élaboration de la circulaire de décembre 2022 dans un second temps.
Les correspondants se sont vus confortés comme les interlocuteurs uniques du secrétariat général du Gouvernement en matière d'application des lois, de suivi des ordonnances et des rapports.
Enfin, dans l'optique de fluidifier les échanges, la plateforme Osmose, développée par la direction interministérielle du numérique (Dinum), a été déployée en février 2023 au sein du réseau. Ainsi, le secrétariat général du Gouvernement met à disposition de ses correspondants davantage d'outils : données détaillées ; annuaire des correspondants ; éléments de calendrier afin d'anticiper au mieux les différents exercices ; plateforme de discussion.
Ces différentes actions visent à conforter le rôle des correspondants ministériels comme "tour de contrôle" de l'application des lois dans chaque ministère, afin d'assurer un suivi centralisé de l'ensemble des textes pris et de pouvoir en répondre, avec le souci d'un processus d'application toujours plus rapide et cohérent, conformément aux demandes réitérées depuis de nombreuses années par François Patriat.
M. le président. La parole est à M. Hussein Bourgi.
M. Hussein Bourgi. Monsieur le ministre, le débat annuel sur l'application des lois me donne l'occasion de formuler trois observations.
La première concerne le recours trop fréquent à la procédure accélérée. Cela a déjà été rappelé, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour quarante-cinq textes sur soixante-quatre. La procédure accélérée suppose un caractère d'urgence. Or vingt et une de ces lois attendent toujours leurs décrets d'application. Elles sont donc en souffrance : où est passée l'urgence qui motivait le recours à une telle procédure ?
Deuxième observation, monsieur le ministre, depuis mon arrivée au Sénat, on m'a inculqué la règle suivante : la Haute Assemblée est particulièrement parcimonieuse, pour ne pas dire chiche, en matière de demandes de rapport. Or nous attendons désespérément deux tiers des rapports commandés pour éclairer nos travaux et mieux légiférer dans les prochains mois. Comment comptez-vous remédier à cette difficulté ?
Ma troisième observation concerne la loi 3DS. Vous le savez, une cinquantaine de décrets et d'arrêtés ne sont à ce jour toujours pas publiés. Ils concernent pourtant des sujets loin d'être mineurs.
Je pense, par exemple, au décret qui concerne le classement en calamité naturelle exceptionnelle dans les territoires ultramarins. Avec les changements climatiques, il est malheureusement à craindre que ce genre de phénomène ne se produise fréquemment.
Le deuxième décret toujours en attente de promulgation est celui relatif à la dénomination des voies et des lieux-dits par les conseils municipaux. C'est tout sauf anecdotique : lorsqu'une voie ou un lieu-dit ne sont pas clairement dénommés, le courrier ne peut être réceptionné dans des délais normaux.
Le troisième exemple concerne le décret d'application sur le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) et les centres de gestion. Je prends ici ma casquette de délégué du Centre national de la fonction publique territoriale d'Occitanie : nous attendons toujours ces décrets pour pouvoir accompagner le mieux possible les collectivités, les municipalités, les départements et les régions.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Franck Riester, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, vous évoquez un certain nombre de sujets qui ont déjà été abordés.
Le recours à la procédure accélérée, devenu ordinaire depuis un certain nombre d'années, présente une utilité en termes de volume de textes examinés par le Parlement dans son ensemble. Il a également un intérêt en termes de normes en ce qu'il permet d'aller plus vite sur certains textes et donc de répondre plus rapidement aux besoins des administrés. Enfin, le recours à cette procédure permet de convoquer une CMP à l'issue de la première lecture.
Je me suis déjà exprimé sur la question des rapports.
Par ailleurs, en ce qui concerne la loi 3DS, je rappelle que nous avions un taux d'application de 61 % au 31 mars et de 71 % au 31 mai. Certes, il nous reste du travail. Je vous répondrai très précisément par écrit, car je ne dispose pas pour l'heure de tous les éléments sur les décrets d'application que vous avez évoqués.
En ce qui concerne plus largement la problématique de ralentissement de la sortie des décrets d'application de la loi 3DS, de nombreuses concertations sont conduites, notamment entre les collectivités territoriales et la direction générale des collectivités locales (DGCL), très occupée à ces publications. Plusieurs consultations obligatoires sur les mesures réglementaires à prendre sont également prévues. Par ailleurs, comme je l'ai souligné voilà quelques instants, nous sommes également confrontés à une forte inflation des mesures d'application entre le texte originel du Gouvernement et le texte final. Pour mémoire, il y en avait trente-huit initialement contre quatre-vingt-seize au moment de la promulgation du texte.
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le ministre, quatorze des vingt-neuf mesures de la loi pour une sécurité globale préservant les libertés, dite loi Sécurité globale, ont été rendues applicables. Cela signifie que moins de la moitié des dispositions ont cours, les autres demeurant lettre morte, simples palabres.
Nous avons eu l'occasion de le rappeler depuis, comment ne pas se réjouir que l'ex-article 24, devenu article 52, contesté dans une tribune publiée dans Le Monde par trois prix Nobel de la paix, ainsi que par un nombre extrêmement large de manifestants, de parlementaires et de militants politiques et associatifs, soit censuré avec quatre autres mesures par le Conseil constitutionnel, marquant un camouflet pour ces dispositions que nous considérons comme contraires à la liberté d'informer et floues dans leur application ?
Nous sommes donc face à l'exemple typique d'un projet de loi qui clive la société dans toutes ses composantes. Pourtant, ce texte ne produira que peu d'effets en droit, d'une part, pour des raisons inhérentes à son inconstitutionnalité et, d'autre part, en raison de la volonté du Gouvernement de ne pas l'appliquer. Se pose alors une question simple : pourquoi agir contre les intérêts du plus grand nombre et négliger les principes constitutionnels ?
Outre le fait qu'une seule habilitation à légiférer par ordonnance sur quatre ait été utilisée par le Gouvernement, le texte continue de produire des effets plus de deux années après sa promulgation. Un arrêté du 8 janvier 2023, pris à bas bruit, introduit la connaissance des "principes de la République" aux socles de la formation obligatoire pour exercer dans la sécurité privée. Prévues à l'article 23, ces dispositions auront pour conséquence de substituer trois heures de formation initiale au nom de l'apprentissage des valeurs de la République, au détriment d'enseignements fondamentaux sur les libertés publiques ou les remontées d'informations.
Face à la gravité de telles dispositions, je crains que le Gouvernement n'ait volontairement temporisé et joué la montre pour éviter de prendre ces mesures réglementaires en pleine ébullition en réaction à ce projet de loi contesté. Je vous le disais, il est des cas où nous préférerions que le droit que vous produisez ne soit pas appliqué !
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Franck Riester, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame Assassi, j'évoquerai quelques points concernant l'application de la loi pour une sécurité globale préservant les libertés du 25 mai 2021 et de la loi confortant le respect des principes de la République du 24 août 2021.
Ces deux lois atteignent un taux d'application respectivement de 94 % et de 100 %. Les deux mesures restant à prendre pour la loi Sécurité globale concernent, d'une part, les conditions dans lesquelles le port d'armes hors service par un fonctionnaire de la police nationale ou un militaire de la gendarmerie nationale ne peut lui être opposé lors de l'accès à un établissement recevant du public, le texte étant en cours d'échanges interservices, et, d'autre part, les missions et la composition des groupes locaux de traitement de la délinquance qu'un procureur de la République ou son représentant peut créer et présider lors d'un conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance, le décret étant en cours de finalisation.
Par ailleurs, deux ordonnances importantes ont été prises en application de la loi du 25 mai 2021.
La première ordonnance du 30 mars 2022 est relative aux modalités d'organisation, de fonctionnement et d'exercice des missions du Conseil national des activités privées de sécurité, créé en 2011. Dans le contexte de préparation de la Coupe du monde de rugby et des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, cette ordonnance permet au Gouvernement de disposer d'un organe de régulation réactif et en ordre de marche, afin de contribuer à la sécurité de ces rencontres sportives dans le cadre du continuum de sécurité.
La seconde ordonnance du 16 mai 2023 est relative à la formation aux activités privées de sécurité. Son objectif est de poursuivre la moralisation du secteur de la formation aux activités privées de sécurité et d'en améliorer la qualité. L'ordonnance a été élaborée sur la base de larges concertations menées en 2022. Ses principales mesures sont la création d'un agrément de dirigeant d'organisme de formation et d'une carte professionnelle de formateur, ainsi que l'encadrement des conditions de sous-traitance et l'encadrement des conditions d'organisation des examens pour en garantir la fiabilité.
Deux ordonnances importantes ont en outre été prises en application de la loi de 2021, mais je les ai déjà évoquées.
M. le président. La parole est à Mme Amel Gacquerre.
Mme Amel Gacquerre. Monsieur le ministre, la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite loi Égalim, promulguée en 2018, prévoit plusieurs mesures très ambitieuses pour améliorer la qualité des repas servis par la restauration collective.
L'article 24, par exemple, fixe un objectif de 50 % de produits durables et de qualité dans l'offre alimentaire proposée par les institutions publiques.
Cette priorité donnée aux produits de nos terroirs, notamment aux produits dont la qualité est reconnue, à l'image de nos appellations d'origine protégée (AOP), de nos indications géographiques protégées (IGP) ou du Label rouge, constitue un signal fort envoyé aux agriculteurs et producteurs.
En effet, cet objectif constitue un levier important pour soutenir la structuration de nos filières agricoles, notamment celle de l'agroécologie, et pour le développement de la production locale.
Trois ans plus tard, en 2021, la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi Climat et résilience, a été plus loin : elle a rehaussé cet objectif ambitieux en le fixant à 60 % de produits durables et de qualité pour les produits animaux, au plus tard au 1er janvier 2024. Pourtant, monsieur le ministre, au 1er janvier 2022, le compte n'y est pas.
En effet, selon les chiffres de l'Observatoire national de la restauration collective bio et durable, un tiers des cantines scolaires n'atteignent pas, par exemple, l'objectif intermédiaire de 20 % de produits durables lors de l'année 2021.
Monsieur le ministre, il est de la responsabilité du Gouvernement de tout mettre en œuvre pour atteindre ces objectifs. Ils sont primordiaux pour la santé de nos concitoyens et pour soutenir nos agriculteurs. Qu'est-il fait aujourd'hui afin d'atteindre ces objectifs fixés par la loi Égalim et par la loi Climat et résilience ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Franck Riester, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame la sénatrice, le Gouvernement est pleinement engagé pour la mise en œuvre des objectifs fixés par le Parlement en la matière.
Des mesures d'accompagnement ont été prises, avec la mise en place en juin 2022 d'un groupe de travail économique du Conseil national de la restauration collective, à la demande des parties prenantes. Nous avons également créé la plateforme "Ma cantine" dédiée aux gestionnaires de cantines afin de les accompagner dans la mise en œuvre de la loi.
Par ailleurs, nous avons dégagé des marges de manœuvre en actionnant le levier de la commande publique, d'une part, grâce aux adaptations prévues dans la loi Climat et résilience et, d'autre part, au travers de mesures financières, avec une enveloppe de 50 millions d'euros de soutien aux cantines des petites communes pour financer l'achat d'équipements nécessaires à la cuisine et à la transformation de produits frais et pour former les personnels.
Nous avons dégagé une autre enveloppe de 85 millions d'euros pour les projets alimentaires territoriaux étroitement liés à la restauration collective et souvent en lien avec les agriculteurs, que vous évoquiez à l'instant.
Enfin, nous avons mis en place une politique de tarification sociale pour accompagner les collectivités locales, 100 000 enfants ayant bénéficié de repas à 1 euro.
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le bilan de l'application des lois.
Source https://www.senat.fr, le 8 juin 2023