Texte intégral
Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous recevons Mme Agnès Firmin-Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé, au sujet de la fin de vie. J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat, qui sera ensuite disponible en vidéo à la demande.
Cette audition s'inscrit dans le cadre des travaux sur la question de la fin de vie menés par nos rapporteures, Christine Bonfanti-Dossat, Corinne Imbert et Michelle Meunier, ou en plénière avec une table ronde sur les enjeux philosophiques, une autre sur les enjeux juridiques de ce sujet, ainsi qu'une audition conjointe de sociétés savantes. Par ailleurs, nous entendrons demain matin la présidente du comité de gouvernance et quatre membres de la convention citoyenne.
Madame la ministre, nous savons que vous avez beaucoup travaillé sur ce sujet qui concerne chacun d'entre nous. Nous attendons un éclairage sur les intentions du Gouvernement en matière d'évolution du droit et de mise à disposition réelle des soins palliatifs pour nos concitoyens. Nous souhaitons également que vous nous précisiez le calendrier envisagé par le Gouvernement pour l'examen d'un projet de loi, le cas échéant.
Mme Agnès Firmin-Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministère de la santé et de la prévention, chargée de l'organisation territoriale et des professions de sa santé. - Permettez-moi en préambule, madame la présidente, de vous remercier pour cette invitation. Je sais la qualité des travaux que vous menez au sein de la commission des affaires sociales. J'ai suivi avec attention les travaux de la mission que vous avez lancée et me tiens à votre disposition pour répondre à vos interrogations sur ce sujet essentiel de la fin de vie.
Comme vous le savez, le Président de la République a souhaité, le 13 septembre dernier, ouvrir un débat national sur la fin de vie dans le prolongement de la remise de l'avis 139 du Comité consultatif national d'éthique (CCNE). Cette première étape s'est conclue par la remise du rapport produit par les 184 citoyens réunis pendant quatre mois dans le cadre de la Convention citoyenne sur la fin de vie, et le Président de la République a fixé, le 3 avril dernier, les orientations sur lesquelles il souhaitait que nous cheminions collectivement.
Le travail que nous venons d'engager dans cette deuxième phase repose sur deux piliers. Il s'agit d'abord de l'élaboration et de la mise en œuvre, d'ici à la fin de l'année 2023, d'une stratégie décennale avec trois volets : les soins palliatifs, la prise en charge de la douleur et l'accompagnement de la fin de vie.
Le Président de la République a également annoncé l'élaboration d'un projet de loi d'ici à la fin de l'été, sur lequel je reviendrai ultérieurement.
Il me paraît utile de rappeler brièvement les travaux que le Gouvernement a menés simultanément à ceux de la Convention citoyenne pendant la première phase du débat national sur la fin de vie. L'action a ainsi conjugué les travaux de la Convention citoyenne sur la fin de vie et ceux de la mission d'évaluation de la loi Claeys-Leonetti par la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, dans le prolongement des travaux de la mission d'information sur l'état des lieux des soins palliatifs réalisés par votre commission en septembre 2021. Nous prévoyons également de nous appuyer sur les travaux d'évaluation de la politique de développement des soins palliatifs par la Cour des comptes, dont la remise du rapport est prévue pour fin juin 2023.
Pour une mise en perspective des enjeux identifiés sur la fin de vie dans notre pays, j'ai souhaité articuler nos travaux autour de trois volets. Le premier volet concerne la liberté de choisir en fin de vie, avec les réponses que nous serons en mesure d'apporter à la question posée par le CCNE dans son avis 139 de septembre 2022. Le deuxième volet a pour objet de dresser un état des lieux des modalités de développement des soins palliatifs, avec les enjeux d'égalité, d'accès à la formation des professionnels de santé ou encore d'information de nos concitoyens, comme les directives anticipées. Le troisième volet, quant à lui, est dédié au sujet essentiel de l'accompagnement de la fin de vie et du deuil, avec, notamment, la place et le rôle des aidants ; nous avons tous en mémoire des situations personnelles dramatiques durant la crise de la covid-19, et nous menons un travail en ce sens.
Je souhaiterais d'abord vous présenter la méthode qui a été la mienne depuis le mois d'octobre dernier, avant de revenir sur les premiers enseignements et d'esquisser quelques pistes pour la suite.
Le Gouvernement a souhaité engager les travaux en cours de concertation en s'appuyant sur les travaux d'évaluation rendus par différentes instances. Sans prétendre à l'exhaustivité, je pense aux rapports de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) sur la mort à hôpital en 2009, sur le registre national des directives anticipées en 2015, et sur les soins palliatifs et la fin de vie à domicile en 2017. Nous avons également pris en compte les travaux d'évaluation parlementaire de la loi du 2 février 2016, les travaux d'évaluation du plan 2015-2017 sur les soins palliatifs et l'accompagnement de la fin de vie, l'évaluation des dispositifs spécialisés de prise en charge des maladies neurodégénératives de 2022, le rapport sur les aidants et les solutions de répit de 2023, ainsi que les avis du CCNE de 2018 et de 2022.
J'ai souhaité, en parallèle, une accélération du déploiement de mesures du cinquième plan de développement des soins palliatifs et, plus particulièrement, la révision de la circulaire du 25 mars 2008 relative à l'organisation des soins palliatifs avec, en corollaire, un ajustement des moyens alloués aux soins palliatifs pédiatriques ; la publication de la nouvelle instruction devrait intervenir dans les prochains jours.
Dans le cadre de cette première étape de réflexion, j'ai mené de très nombreuses auditions et visites ; soit plus de 80 entretiens avec les principales parties prenantes à Paris et sur le terrain, des visites dans l'Hexagone et outre-mer d'une quinzaine d'établissements ou structures intervenant à domicile, et enfin des échanges avec près de 150 personnes, professionnels de santé, élus, autorités religieuses, obédiences maçonniques, responsables associatifs, personnalités des arts et des lettres, ainsi que des déplacements d'études pour échanger avec les autorités et les experts internationaux de pays ayant légalisé l'aide active à mourir plus ou moins récemment, ou ayant interrompu le processus - en Suisse, en Italie, en Belgique, au Royaume-Uni, en Espagne et en Oregon.
J'ai souhaité également l'installation et l'animation de deux groupes de travail, l'un avec les parlementaires, transpartisan et bicaméral - certains parmi vous y ont participé - et l'autre avec des professionnels de santé. Les membres de ces deux groupes ont été réunis de manière spécifique pour une sensibilisation et une appropriation des travaux menés, mais aussi associés à l'occasion d'ateliers thématiques, afin de réfléchir à des propositions conjointes sur l'anticipation et la culture palliative, l'accompagnement du deuil et des aidants, les réflexions éthiques et les dispositifs d'aide active à mourir. J'ai souhaité également saisir France Assos Santé pour recueillir les avis des structures concernées ; ces avis doivent m'être remis très prochainement.
Nous avons réalisé une saisine de la Conférence nationale de santé (CNS) pour mesurer les conditions favorisant la relation partenariale entre usagers et professionnels du système de santé. J'ai souhaité également connaître leurs recommandations sur les conditions nécessaires à l'engagement dans la durée des instances de démocratie en santé nationale et territoriale - CNS, conférences régionales de la santé et de l'autonomie (CRSA) et conseils territoriaux de santé (CTS) - dans le suivi des politiques de santé dans le domaine de la fin de vie.
En parallèle, une mission a été confiée à un groupe d'initiés aux questions de fin de vie - écrivains, sociologues, professionnels de santé, juristes, etc. -, réunis autour d'Érik Orsenna afin de travailler sur le champ lexical de la fin de vie, d'en questionner le sens et les usages par nos concitoyens. Ce groupe a été chargé de rédiger un lexique exploratoire à destination d'un large public, dont les contributions finales me seront adressées d'ici fin juillet.
J'en viens aux premiers enseignements qu'il nous est possible de tirer de ces travaux de réflexion et d'évaluation.
Les travaux d'évaluation de la loi Claeys-Leonetti, notamment ceux de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, ont souligné des difficultés persistantes de mise en œuvre de différentes mesures. Si cette loi a permis d'impulser une nouvelle dynamique à la prise en charge de la fin de vie et à la diffusion de la culture palliative en France, avec des mesures permettant une meilleure prise en charge de la souffrance et clarifiant l'usage de la sédation profonde et continue jusqu'au décès en phase terminale, nous constatons néanmoins plusieurs choses : la nécessité de renforcer les étapes et le caractère collégial du processus décisionnel conduisant à l'arrêt des traitements ; une mauvaise appréciation de l'impact de l'arrêt de l'hydratation et de l'alimentation ; une insuffisance de formation des différentes sédations ; et enfin des populations mal identifiées, notamment les mineurs et les malades de certains cancers.
Les questions liées à la fin de vie sont parmi les plus complexes auxquelles les professionnels de santé et le législateur sont confrontés dans le domaine de la santé. La loi du 2 février 2016, qui a constitué une avancée très importante par rapport à la loi de 2005, permet de répondre à l'immense majorité des situations de fin de vie. Beaucoup de chemin reste néanmoins à parcourir pour résorber le décalage entre la loi et la pratique.
Quels que soient la législation et le souci d'assurer sa mise en œuvre rigoureuse sur le terrain, il n'y a pas de "bonne mort", de "mort zéro défaut", ni de "bonne solution à la mort". Il faut garder à l'esprit le caractère profondément singulier, douloureux et complexe de chaque situation de fin de vie. Cependant, comme le soulignait le CCNE en 2018, "les questions éthiques ne seront jamais résolues par la loi" et "il existe une voie pour une consultation éthique d'une aide active à mourir à certaines conditions strictes, avec lesquelles il est inacceptable de transiger". Dans son avis 139, rendu le 13 septembre dernier, le CCNE propose un nouvel équilibre entre autonomie et solidarité pour modifier le cadre actuel de la fin de vie en France.
Les travaux réalisés par la Convention citoyenne sur la fin de vie ont permis de souligner l'évolution de la société française. Ces 184 conventionnels ont incarné, par leur représentativité, la société française. Ils ont réalisé un véritable exercice de démocratie participative et ont respecté les avis différents, voire divergents, qui s'exprimaient. Une des membres de cette convention le disait encore hier : "Merci aux 75 % de membres de la Convention favorables à l'ouverture d'une aide active à mourir de nous avoir laissé 50 % du temps de parole et 50 % du contenu du rapport." Je trouve cela très positif. Cela montre aussi à quel point, sur un sujet de société comme celui-ci, qui nous concerne tous, la réflexion et l'intelligence collectives peuvent aboutir à des propositions consensuelles.
Les travaux de la Convention citoyenne ont confirmé l'orientation favorable de la société française à la mise en place d'une aide active à mourir. Cette orientation, qui vise à élargir les droits des malades sur leur fin de vie, s'est confirmée au-delà de la perception du législateur ; celui-ci en avait toutefois soutenu l'expression via différentes propositions de loi initiées ces dernières années.
J'en viens à la deuxième phase des travaux lancés par le chef de l'État le 3 avril dernier. Les conclusions des travaux de la Convention citoyenne constituent un support important pour définir les contours du futur modèle d'aide active à mourir. Le chef de l'État a identifié certaines limites, soulignant notamment la stricte ouverture de l'aide active à mourir aux personnes majeures dont le pronostic vital serait engagé à moyen terme et disposant de leur plein discernement.
Nous disposons d'un important matériel pour travailler. Beaucoup de productions appuyant ces travaux ont été livrées ces derniers mois, et les vôtres viendront les compléter. Il est nécessaire de trouver un équilibre entre l'ouverture d'un nouveau droit pour les Français et les préoccupations légitimes des professionnels. Il ressort de mes différents déplacements à l'étranger qu'aucun modèle n'est duplicable in extenso dans notre pays. Pour construire ce modèle français de la fin de vie, il me semble indispensable d'avancer avec les soignants et l'ensemble des professionnels de santé et du médico-social qui sont au cœur de l'accompagnement des personnes en fin de vie, particulièrement lorsqu'elles souffrent des conséquences d'une maladie incurable.
Car la bienveillance est d'abord dans la préservation de l'humain jusque dans la mort. Elle débute bien en amont et repose sur celles et ceux qui sont autour de la personne qui veut mourir, professionnels et proches. Le modèle français de la fin de vie devra ainsi reposer sur au moins trois volets, à partir desquels nous avons initié des travaux : le développement des soins palliatifs dans le cadre d'un plan décennal en identifiant les mesures qui relèvent du législatif ; l'ouverture d'un nouveau droit vers une aide active à mourir sous conditions ; et une attention renforcée à la protection des personnes et aux droits des patients.
La loi devra cadrer les choses, identifier les critères d'entrée dans le parcours, poser des conditions très précises et des principes à respecter, ainsi que l'a indiqué le Président de la République le 3 avril dernier. À cet égard, l'analyse des dispositifs mis en place dans les pays étrangers - critères d'éligibilité, encadrement et traçabilité tout au long de la procédure -, réalisée par le Gouvernement pendant la phase de concertation, a permis d'identifier les glissements potentiels et les conditions pour les prévenir. Comme l'ont précisé le chef de l'État et la Première ministre, nous construirons ce projet de loi avec les parlementaires, en mobilisant la connaissance et l'expérience des soignants.
Concernant le plan décennal sur lequel le Gouvernement souhaite avancer en parallèle des travaux d'élaboration du futur projet de loi, j'ai installé, jeudi dernier, l'instance de réflexion stratégique. Sous la houlette du professeur Franck Chauvin et avec le concours de l'Igas, des experts et personnes qualifiées ont engagé des travaux visant à élaborer différents scénarios afin que nous soyons en mesure d'apporter des réponses concrètes à nos concitoyens dont la fin de vie constitue un moment de grande fragilité, ainsi qu'un soutien à leurs proches aidants, y compris durant la période de deuil.
Ce plan concernera également la prise en charge de la douleur sans considération de l'âge, avec une attention portée aux mineurs. Tout le monde - conventionnels, soignants, parlementaires, institutions - s'accorde sur le nécessaire renforcement des soins palliatifs, y compris à domicile, ainsi que sur le développement de l'anticipation et de la culture palliatives et de l'accompagnement du deuil.
Le rapport de la mission d'évaluation, réalisé par la commission des affaires sociales sur la loi du 2 février 2016, souligne qu'il faut poursuivre et accélérer la mise en place des mesures prévues, en particulier s'agissant de la formation des professionnels à la prise en charge de la douleur, à l'écoute du patient et au respect des volontés en termes d'arrêt des thérapeutiques. Il reste beaucoup à faire pour que les nouveaux droits apportés par cette loi soient mieux et plus largement appliqués.
Il nous faut travailler à promouvoir une approche transversale et ouverte des soins palliatifs, afin de favoriser l'appropriation par chacun de cette prise en charge spécifique et d'assurer une intégration palliative dans notre pays ; c'est ce que j'ai souhaité engager avec l'actualisation de la circulaire organisant l'offre de soins qui datait de 2008. Cette nouvelle instruction, bientôt publiée, insiste sur la structuration de la filière palliative et pose la première brique du plan décennal annoncé par le Président de la République, dédié aux soins palliatifs et à la prise en charge de la douleur.
Il était urgent, en effet, de réviser le logiciel de la politique des soins palliatifs, d'en rénover le pilotage et le portage en assurant les décloisonnements indispensables à une trajectoire d'intégration palliative à l'accompagnement de la fin de vie. Le rapport de la Cour des comptes sur la politique nationale de soins palliatifs nous sera remis très prochainement ; je suis certaine que les analyses et recommandations présentées nous seront très utiles.
Les travaux engagés dans cette deuxième phase sont essentiels, car la fin de vie et la mort nous concernent tous. Elles ne doivent pas rester un sujet tabou, mais, au contraire, retrouver place dans notre parcours de vie. L'accompagnement des plus fragiles doit tenir compte de toutes les évolutions et du fait que celles-ci créent parfois des situations auxquelles notre droit doit pouvoir répondre.
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Madame la ministre, vous avez engagé beaucoup de travail et de concertation, au départ avec Olivier Véran et désormais de manière plus exclusive, semble-t-il. Par ailleurs, le ministre de la santé ayant, si j'ai bien compris, quelques réticences sur ce texte, c'est vous qui en assumez la responsabilité.
Parmi les trois volets évoqués, un consensus devrait se dégager sur les soins palliatifs et la protection des soignants. Reste le volet de l'aide active à mourir. Sur ce dernier point, la proposition de loi d'une collègue du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, dont j'étais la rapporteure, n'avait pas obtenu l'avis favorable du Sénat ; mais nous parlions alors d'assistance au suicide et d'euthanasie, et je comprends l'importance du travail sémantique engagé par Érik Orsenna. Au-delà des mots, jusqu'où ce texte pourra-t-il être défendu ? Le Président de la République a-t-il été plus précis dans sa demande ?
Mme Agnès Firmin-Le Bodo. - Le Président de la République a la volonté d'introduire un nouveau droit concernant l'aide active à mourir. Les travaux de co-construction menés à la fois avec les soignants et les parlementaires débutent la semaine prochaine. Je ne peux pas préjuger du résultat des travaux ni du choix de la sémantique, mais le principe est bien d'ouvrir un nouveau droit sous certains critères d'éligibilité - pas d'ouverture aux mineurs, pronostic vital engagé à moyen terme et faculté de discernement. Le projet de loi devra être présenté avant le 21 septembre prochain.
Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur. - Avec cette nouvelle loi qui dépénaliserait l'euthanasie, ne craignez-vous pas de ne pas maîtriser les conséquences d'une telle ouverture ? Si l'on observe les exemples étrangers, il n'est pas rare de constater certaines dérives, un élargissement tôt ou tard des critères, ou encore une augmentation du nombre de cas de suicide.
Mme Agnès Firmin-Le Bodo. - Nous avons visité des pays comme la Belgique, qui légifère sur le sujet depuis vingt ans, ou l'Espagne, qui a fait le même choix depuis trois ans. Il s'agissait d'évaluer le nombre de personnes concernées et, concernant l'Espagne, de comprendre pourquoi l'on dénombrait aussi peu de cas après l'application de la loi.
Très peu de pays ont élargi leurs critères. La Belgique a légiféré, dix ans après, sur l'ouverture aux mineurs ; cela a fait quelques remous. Toujours en Belgique, il était important de pouvoir écouter les professionnels qui ne souhaitaient pas voir évoluer la loi et nous ont mis en garde contre certains glissements. Je me suis également rendue en Oregon afin de comprendre les raisons qui ont présidé au choix du suicide assisté il y a vingt-cinq ans. J'ai beaucoup échangé avec les législateurs, de manière à savoir les questions qu'ils se posent pour faire évoluer la loi. Ils sont, par exemple, en train de réfléchir à la question du moyen terme pour éventuellement en élargir la définition.
En allant voir comment cela fonctionne ailleurs, l'idée était de pouvoir collecter les critères d'éligibilité et, en fonction de ce qui nous a été rapporté, d'éviter certains glissements. Ces visites ont été très instructives. Par exemple en Oregon, lorsque j'ai interrogé sur le devenir du "petit flacon", ils ont été très surpris par ma question. Pour eux, la question ne se pose pas, les armes chez eux sont en circulation libre. On voit bien, sur un tel sujet, les différences culturelles ; aucun modèle, comme je l'ai dit, n'est duplicable in extenso.
Mme Corinne Imbert, rapporteure. - Certes, il y a le cas de l'Oregon, mais pourquoi les autres modèles ne sont-ils pas duplicables en France ?
Je pointe certaines contradictions dans votre réflexion. Vous avez précisé que la loi de 2016 avait constitué une avancée très importante. Alors que tout le monde s'accorde à dire que cette loi n'est pas assez connue ni appliquée, vous réfléchissez à légiférer de nouveau. Pourquoi ne pas chercher, avant toute chose, à mieux faire appliquer cette loi ?
Vous précisez que les questions éthiques ne seront jamais résolues par la loi. Or, sur cette problématique du "bien mourir", la question est bien de savoir comment la loi peut améliorer les choses.
Depuis l'annonce, il y a dix-huit mois, du cinquième plan consacré aux soins palliatifs, avez-vous observé des avancées sur le sujet ?
Enfin, avec les débats parlementaires qui s'annoncent, ne craignez-vous pas que certaines choses dans la loi ne vous échappent ?
Mme Agnès Firmin-Le Bodo. - C'est le principe du débat parlementaire, je n'ai pas à craindre que des choses m'échappent ; cela s'appelle la démocratie, et chacun doit pouvoir exprimer ses idées. Nous avons, collectivement, l'opportunité de montrer à nos concitoyens que, sur un sujet de société aussi complexe et transpartisan, nous sommes capables de débattre en nous écoutant et en nous respectant.
La Convention citoyenne a ouvert la voie, et les nombreux débats auxquels j'ai pu participer dans vos circonscriptions montrent à quel point nos concitoyens ont envie de parler de ce sujet ; ils ne posent pas de questions, les témoignages engendrent d'autres témoignages, souvent contradictoires, et la conversation se fait ainsi.
L'idée est d'apporter un projet de loi et de le co-construire avec les élus ; et ensuite, le texte vivra son parcours parlementaire.
Pourquoi la loi Claeys-Leonetti ne suffirait-elle pas ? C'est l'avis du CCNE et, pour cette raison, le Président de la République a souhaité engager les débats. Au sein du CCNE, M. Claeys lui-même expliquait que la loi de 2016 ne répondait pas à toutes les situations. Dans la nouvelle loi, on pourra répondre à la question du moyen terme, auquel ne répond pas la loi précitée. L'idée est d'ouvrir un nouveau droit dont il convient encore de définir les modalités, mais cette nouvelle loi ne retirerait rien à personne. Pour donner un exemple, la loi Claeys-Leonetti ne pourra jamais répondre aux questions que pose la maladie de Charcot.
Concernant les soins palliatifs, la volonté du Président de la République a été très claire dès le 13 septembre. Après chaque plan quinquennal, on se pose toujours la même question : pourquoi encore vingt départements en France, à l'heure actuelle, ne disposent-ils pas d'unités de soins palliatifs ? Nous avons fait le choix de nous calquer sur le modèle de l'Institut national du cancer (INCa), en partant sur une stratégie à long terme afin de poser les bases et donner des perspectives.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Avant de céder la parole aux membres de la commission, je souhaite vous interroger sur l'éventualité d'une procédure accélérée.
Mme Agnès Firmin-Le Bodo. - Vous me posez la question alors que nous n'avons pas commencé à écrire le projet de loi. Mais je ne crois pas que, sur un tel sujet, une procédure accélérée soit envisageable. Précédemment, j'ai rappelé tous les travaux déjà effectués. Je ne veux pas préjuger de ce que décideront l'Assemblée nationale et le Sénat. Ces travaux nécessitent du temps, de la réflexion et des échanges, mais j'insiste sur le fait que l'on ne part pas de nulle part.
Mme Laurence Cohen. - Madame la ministre, je me réjouis des travaux de concertation que vous avez menés. Un tel sujet relève de l'intime et, en effet, transcende les partis politiques. Et on peut aussi évoluer au gré des échanges.
L'approche des trois volets me semble intéressante. La loi Claeys-Leonetti est une loi importante, mais peu connue et peu appliquée. En parallèle de la nouvelle loi, quelles mesures comptez-vous présenter pour faire mieux connaître cette loi de 2016 ?
Lorsqu'on évoque les soins palliatifs, il est nécessairement question de moyens humains et financiers. L'argent débloqué pour la mise en œuvre des cinq plans - autour de 170 millions d'euros - est largement insuffisant, et cela entraîne des inégalités importantes concernant l'accès à ces soins palliatifs. Que comptez-vous faire pour remédier à ces inégalités ?
Enfin, comment faire en sorte que la culture des soins palliatifs soit mieux prise en compte au niveau de la formation, notamment universitaire ?
M. Daniel Chasseing. - Madame la ministre, vous avez indiqué que les prises en charge de fin de vie étaient, dans leur immense majorité, satisfaisantes. Sans doute faut-il renforcer les soins palliatifs et la formation à la prise en charge de la douleur, mais la loi Claeys-Leonetti donne satisfaction.
Vous avez précisé que la loi concernait les morts à moyen terme ; je ne sais pas trop ce que cela veut dire. Selon Theo Boer, professeur d'éthique aux Pays-Bas, 1 800 personnes - dont 90 % de malades en phase terminale de cancers - ont pratiqué l'euthanasie en 2002 ; actuellement, il estime ce chiffre à 7 600 personnes ; on constate donc une dérive. Et pour le professeur Boer, si les soins palliatifs avaient été mieux développés en 2002, ce vote pour l'euthanasie n'aurait jamais existé.
Je rappelle enfin que les malades, même très graves, demandent à guérir plutôt qu'à mourir. Par ailleurs, 80 % des personnes travaillant en soins palliatifs ou dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ephad) ont déclaré ne plus vouloir travailler dans les services si l'on changeait de paradigme, à savoir donner la mort plutôt que soigner. Ne craignez-vous que, malgré les garde-fous mis en place, on assiste à des dérives comme aux Pays-Bas ?
M. Laurent Burgoa. - Madame la ministre, à quelle échéance pensez-vous que chaque département pourra disposer d'une unité de soins palliatifs ? Et quel budget comptez-vous mobiliser pour obtenir ce résultat ?
Par ailleurs, une loi ne peut être que générale. Comment faire en sorte qu'elle soit juste et efficace pour résoudre chaque cas particulier ?
Mme Agnès Firmin le Bodo. - Monsieur Chasseing, les travaux que nous menons avec les soignants visent précisément à définir ce qu'est un pronostic vital engagé à moyen terme. Pour l'instant, en Oregon, le moyen terme est fixé à six mois, mais une réflexion est en cours.
Madame Imbert, de nombreuses raisons m'amènent à considérer qu'il n'existe pas de modèle duplicable. En effet, nous n'avons pas forcément la même culture que dans les autres pays. Ainsi, en Suisse, il n'y a pas de loi sur le sujet, de sorte que, par principe, tout ce qui n'est pas interdit est autorisé. Il n'y a pas de loi non plus en Italie, ils sont partis sur le concept de la désobéissance civile. En Belgique, j'ai constaté l'enjeu de la traçabilité du processus. Je tiens à ce que nous puissions avoir une traçabilité complète du processus en France, de manière à pouvoir l'évaluer et sécuriser les professionnels. Pour l'instant, nous n'avons aucun moyen de savoir combien de sédations profondes et continues ont été pratiquées.
En outre, les systèmes politiques varient d'un pays à l'autre, tout comme les systèmes de soins. Par exemple, en Suisse, le développement des soins palliatifs est intervenu après que le suicide assisté a été rendu possible. Les différences sont donc nombreuses, mais chaque pays offre des éléments intéressants pour construire une loi, en procédant de manière synthétique.
Tout le monde s'accorde à dire qu'il faut que les soins palliatifs évoluent. Malgré les plans quinquennaux, nous n'avons pas réussi à couvrir tous les départements en unités de soins palliatifs, même si des lits de soins palliatifs peuvent exister en dehors de ces unités. En effet, dans certains hôpitaux, on a préféré investir dans le curatif plutôt que de développer des unités de soins palliatifs où les patients décèdent inévitablement. Cela correspond à une tendance propre à la culture de notre pays, où l'on considère comme un échec de ne pas réussir à soigner un patient. L'enjeu est donc de développer une culture du palliatif et il faut pour cela introduire une formation aux soins palliatifs dès les études de médecine. Les médecins, les infirmiers et les aides-soignants, notamment dans les Ehpad, doivent développer cette culture du palliatif. C'est un enjeu majeur.
Madame Cohen, il nous faut en effet avancer sur nos deux pieds et j'en ajouterai même un troisième, car il faut aussi ouvrir une réflexion sur les droits des patients. La rédaction des directives anticipées est un enjeu particulièrement important au sujet duquel nos compatriotes restent peu informés. En effet, parmi les personnes de plus de cinquante ans, 12 % seulement ont rédigé leurs directives anticipées. Nous devons donc mieux informer nos concitoyens sur les soins palliatifs et sur l'importance de rédiger des directives anticipées, et nous devons également mieux former l'ensemble des professionnels pour pouvoir développer les soins palliatifs à domicile. Nous souhaitons que, à la fin de 2024, les vingt départements qui n'ont pas encore d'unité de soins palliatifs en aient une.
De plus, nous tenons aussi à développer les unités de soins palliatifs pédiatriques, car la prise en charge de la douleur chez les enfants reste largement insuffisante. Des équipes régionales de soins palliatifs pédiatriques existent déjà ; nous développerons un schéma de quatre à six unités pour prendre en charge les cas les plus complexes. Notre objectif est d'établir une gradation : les cas complexes seront traités dans le cadre de l'unité de soins palliatifs pédiatriques, les autres pourront être suivis à domicile et nous développerons l'hospitalisation de jour en soins palliatifs pour anticiper la prise en charge de la douleur et celle de la dimension palliative.
Enfin, il ne faut pas opposer le développement des soins palliatifs et l'ouverture du nouveau droit que représente l'aide active à mourir. L'un ne retire rien à l'autre. J'ai pu constater sur le terrain combien il était nécessaire de toujours proposer un passage en soins palliatifs même à une personne qui serait éligible à l'aide active à mourir.
M. Alain Milon. - Quand la loi Leonetti a été votée, nous avons tous considéré qu'il s'agissait d'un grand progrès et nous avons tenté de la mettre en application. Or, la loi Claeys-Leonetti est intervenue trop tôt, alors que nous n'avions pas eu le temps d'appliquer toutes les dispositions de la loi Leonetti. Cette fois-ci, c'est dans un délai encore plus court que l'on nous propose ce texte sur l'aide active à mourir. A-t-on laissé suffisamment de temps pour mettre en application la loi Claeys-Leonetti ?
Vous parlez d'"aide active à mourir", mais sans préciser qui est actif ou qui doit l'être. Vous parlez aussi de l'ouverture d'un nouveau droit : qui l'exerce et à qui s'impose-t-il ?
Mme Véronique Guillotin. - Il est évident qu'il ne faut pas opposer les soins palliatifs et l'aide active à mourir. L'avis du CCNE ouvre une voie, mais reste chronologique, dans la mesure où il pose la question de savoir si l'aide active à mourir doit intervenir avant que les soins palliatifs soient suffisamment développés. Il me paraîtrait gênant que l'aide active à mourir devienne une forme imparfaite de soins palliatifs. Il est important de pouvoir soigner la douleur. Or la fin de vie à domicile est parfois vécue de manière douloureuse, car il est difficile pour l'entourage de trouver des professionnels de santé formés à l'accompagnement palliatif. En outre, le nombre de soignants reste insuffisant. Comment comptez-vous remédier à cela, y compris en matière budgétaire ?
M. Bernard Bonne. - Quelle différence faites-vous entre l'aide active à mourir et le suicide assisté ?
Au sujet du pronostic vital engagé à moyen terme, dont vous nous avez dit qu'il était pour l'instant fixé à six mois, il me semble que les médecins ne peuvent jamais savoir quand un patient va mourir : il est très difficile d'évaluer exactement ce moyen terme.
Ne faudrait-il pas faire une évaluation claire de l'application de la loi Claeys-Leonetti avant de mettre en place de nouvelles mesures ?
Vous avez rappelé l'importance de rédiger des directives anticipées, mais à partir de quel moment les mettra-t-on en œuvre ? Dans certains cas, plusieurs années peuvent passer avant qu'une personne meure : doit-on appliquer d'emblée les directives anticipées ou bien faut-il attendre et combien de temps ?
Vous avez commencé votre propos en indiquant que le Président de la République avait décidé qu'il fallait une loi sur l'aide active à mourir. Mais si le Parlement est contre, j'espère qu'il pourra tout de même exercer ses prérogatives !
Mme Agnès Firmin Le Bodo. -. Monsieur Bonne, ne raccourcissez pas mes propos ! J'ai dit que le Président de la République souhaitait que nous travaillions à la construction d'un projet de loi qui sera présenté avant la fin de l'été. J'ai également précisé que le débat parlementaire devait avoir lieu.
La loi Claeys-Leonetti a bien été évaluée. Le rapport d'information publié par la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale montre qu'elle ne parvient pas à répondre à l'ensemble des situations, ce qui correspond à l'avis rendu par le CCNE.
Il ne faut pas lier les directives anticipées et l'aide active à mourir. Si Vincent Lambert avait rédigé ses directives anticipées, il n'y aurait pas eu d'affaire, d'où l'importance d'informer nos concitoyens sur ce sujet. Toutefois, dans le cas d'une maladie incurable, Jean Leonetti n'est pas hostile à l'idée de prévoir des directives accompagnées.
L'aide active à mourir couvre l'euthanasie et le suicide assisté. La Belgique a légiféré sur les deux, mais les gens choisissent à 99 % l'euthanasie.
Toute la difficulté porte en effet sur la définition du moyen terme. Toutefois, la loi Claeys-Leonetti prévoit la sédation profonde et continue pour un pronostic engagé à très court terme : la question se pose donc dans les mêmes termes. Dans l'Oregon, où l'on a légiféré sur un pronostic vital engagé à moyen terme, c'est-à-dire à six mois, les médecins s'interrogent pour porter cette durée à neuf ou douze mois.
Encore une fois, il est important de proposer un accès aux soins palliatifs même à une personne qui serait éligible à l'aide active à mourir. C'est même nécessaire, car l'on peut toujours changer d'avis.
Pourquoi proposer ce texte maintenant ? Le CCNE a émis un avis et il était important de le prendre en compte. De plus, la société change rapidement et 75 % de nos concitoyens souhaitent que la loi évolue. L'idée est d'ouvrir ce nouveau droit dans certaines situations tout en travaillant à développer les soins palliatifs. Depuis le mois de septembre, nous menons une réflexion en ce sens avec des médecins, des infirmiers et des aides-soignants, favorables ou non à l'évolution de la loi. Hier matin, alors que nous en sommes à l'étape de la construction de la loi, les soignants nous ont fait des propositions techniques. Ainsi, la clause de conscience est un postulat de base qui semble faire consensus. Quelle que soit la modalité choisie pour l'aide active à mourir, le médecin interviendra forcément pour dire que le pronostic vital est engagé.
Quant à la formation des soignants, elle est essentielle et nous avons prévu une stratégie décennale. Nous souhaitons que les infirmiers en Ehpad soient formés et que des équipes mobiles puissent intervenir pour accompagner jusqu'au bout les résidents sans qu'ils aient à aller aux urgences.
M. Daniel Chasseing. - En Corrèze, nous n'avons pas d'unité de soins palliatifs, mais nous avons des lits identifiés "soins palliatifs" et cela fonctionne très bien, notamment en Ehpad et à domicile. Il faudrait les renforcer, mais le dispositif existe.
M. Alain Milon. - Je m'interroge sur les maladies incurables. Le cancer en était une, mais ne l'est pratiquement plus. Il en va de même pour le cancer de l'enfant. À force de ce qu'on pourrait qualifier d'"acharnement thérapeutique", on a fini par trouver des traitements efficaces. Si, dès lors qu'on leur diagnostique une maladie incurable, les patients peuvent choisir de mourir, cela n'entravera-t-il pas les recherches pour trouver des traitements efficaces ?
Mme Corinne Imbert, rapporteure. - Une partie des membres de la Convention citoyenne envisage que l'euthanasie puisse être demandée par une personne de confiance. La mort pourrait donc être donnée à une personne qui ne la demande pas. Que pensez-vous de cette proposition ?
Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur. - Madame la ministre, il semble qu'Olivier Véran soit favorable à l'euthanasie et que vous penchiez plutôt vers le suicide assisté, alors que le ministre de la santé a dit que l'euthanasie n'était pas un souhait. Dans ces conditions, êtes-vous certaine de pouvoir élaborer un projet de loi ?
Mme Agnès Firmin Le Bodo. - Sur un sujet qui touche à l'intime, chacun a son opinion. Le Président de la République nous a demandé d'établir un projet de loi sur l'aide active à mourir et je ne préjuge pas de l'issue de nos travaux. L'important est que nous puissions rendre ce nouveau droit effectif.
En ce qui concerne la recherche, ses avancées sont incontestables. Ainsi, il y a dix ans 80 % des enfants atteints d'un cancer pédiatrique décédaient ; désormais, ils guérissent. Il faut donc continuer à travailler sur les nouvelles maladies qui sont découvertes et accélérer les recherches sur la maladie de Charcot, qui est au cœur de notre sujet, puisque, pour l'instant, rien ne permet de la prendre en charge. D'où la nécessité de donner le choix aux patients atteints de pouvoir bénéficier de l'aide active à mourir sans avoir à aller en Belgique ou en Suisse.
Madame Imbert, votre question porte sur la situation des cérébrolésés et je ne sais pas encore ce que la loi prévoira à ce sujet, mais l'enjeu est important.
Quant à l'évolution rapide de la société, au mois d'octobre dernier, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a rendu un avis modifiant radicalement le fondement ontologique de la convention, qui d'universel devient individuel.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Pour en revenir à la maladie de Charcot, un médecin que nous avons auditionné nous a dit que certains patients atteints de cette maladie vivaient mal le fait qu'on en parle autant au sujet de ce texte.
On déplore souvent l'insuffisance de la loi Claeys-Leonetti. Toutefois, celle-ci porte sur des cas où le diagnostic vital est engagé à très court terme, ce qui n'est pas le cas de ce texte, qui vise surtout à ouvrir un nouveau droit.
Certains intervenants au cours des auditions, dont André Comte-Sponville, finissent par faire la liste des cas vulnérables auxquels ce nouveau droit pourrait s'appliquer, qu'il s'agisse des personnes très âgées, de celles qui ont un handicap lourd ou qui souffrent d'une maladie très grave. Catégoriser ainsi les plus vulnérables en leur proposant l'aide active à mourir comme une solution, n'est-ce pas une forme de "décivilisation" pour reprendre un mot du Président de la République ?
Mme Agnès Firmin Le Bodo. - Notre rôle et le pacte républicain nous obligent à prendre en charge toutes les vulnérabilités. À ceux qui nous accusent de "décivilisation" en considérant que ce texte viserait à proposer l'aide active à mourir comme une forme de réponse à la situation des plus vulnérables, je renverrai l'accusation d'outrance. Le pacte républicain repose sur la solidarité et notre devoir est d'accompagner toutes les formes de vulnérabilité, qu'il s'agisse des personnes en situation de handicap ou des personnes âgées. D'où la nécessité de prévoir dans la loi des critères d'éligibilité et d'accès très clairs et très précis. Sans cela, je ne porterais pas ce texte. Ni le Président de la République ni la Première ministre ne souhaitent pour notre société qu'elle devienne celle où l'on proposerait l'aide active à mourir comme solution aux personnes handicapées ou aux personnes âgées.
Il ne s'agit pas de stigmatiser les patients atteints de la maladie de Charcot. Toutefois, nos concitoyens nous sollicitent souvent au sujet de cette maladie pour laquelle il n'existe pas de réponse thérapeutique et qui n'entre pas dans le champ de la loi Claeys-Leonetti. Il faut poursuivre les recherches pour trouver un traitement efficace et je ne crois pas qu'il sera nécessaire de la nommer spécifiquement dans le texte. En revanche, nous devrons prendre en compte la situation de tous ces malades qui s'expriment dans les médias et dont certains préparent leur départ en Suisse. Ils doivent pouvoir avoir le choix. Nous réfléchissons en tant que bien-portants mais nul ne sait comment il réagirait vraiment s'il était confronté à la maladie.
Enfin, ce débat est une occasion de nous interroger sur notre rapport à la mort, sujet difficile dont on parle peu. L'accompagnement du deuil est un autre enjeu majeur sur lequel nous souhaitons avancer. Pendant la crise sanitaire, certains de nos concitoyens sont décédés seuls en Ehpad ou à l'hôpital. La création d'un droit opposable à la visite dans ce type de situation se pose.
Nous n'avons pas souvent l'occasion de discuter de ces sujets et il faut nous en saisir, car tel est notre parcours de vie : un jour on naît, un jour on meurt.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Madame la ministre, nous vous remercions pour cet échange franc qui préfigure les débats que nous aurons à l'automne prochain.
Source https://www.senat.fr, le 21 juin 2023