Texte intégral
MARC FAUVELLE
Bonjour Monsieur le Président.
EMMANUEL MACRON
Bonjour.
MARC FAUVELLE
Nous sommes installés ici au Palais Brongniart à Paris, où sont réunis depuis hier une quarantaine de chefs d'État et de gouvernement. Un sommet pour concilier le climat et le développement. Pour vous interroger ce matin, à mes côtés, je les salue : Mounia DAOUDI de Radio France Internationale et Stéphane BALLONG de France 24.
Monsieur le Président, est-ce que c'est juste un sommet de plus pour sauver la planète ?
EMMANUEL MACRON
Non, d'abord c’est parce que sauver la planète c'est essayer de réconcilier, vous l'avez parfaitement dit, la lutte contre la pauvreté, la lutte pour la biodiversité et la lutte contre le dérèglement climatique. Et l'objectif, ce n'est pas de faire en effet un sommet de plus, c'est d'abord de, et ça a beaucoup de sens, de réunir des dirigeants venant de tous les continents.
Parce que nous vivons un moment de fracture et de risque de fracture, autour de la guerre en Ukraine et de l'agression russe, et au fond d'une division du monde. Et on ne peut régler aucun de ces problèmes si le monde se divise. C'est le premier intérêt. Ici, à Paris, la planète est là, le Premier ministre chinois, le président brésilien, le président sud-africain, et beaucoup d'autres dirigeants, le Sénégal, la Côte d'Ivoire, le Vietnam, les États-Unis, l'Europe.
La deuxième chose, c'est que ce sont des actions très concrètes. On a lancé il y a 2 ans à Paris la réattribution des droits de tirage spéciaux du FMI, vers les pays les plus pauvres, en particulier africains. On a : dit il faut qu'au moins 100 milliards d'euros soient réalloués…
MARC FAUVELLE
Et ça, c’était…
EMMANUEL MACRON
… On l'annonce aujourd'hui. Pourquoi ? Parce qu’on a poussé tout le monde à tenir ces engagements, et nous Français, nous allons réallouer 40 % de nos droits de tirages spéciaux, c'est du concret. On finalise aujourd'hui, Nick STERN et plusieurs collègues l'ont dit hier, les 100 milliards d'euros pour le climat, du Nord vers le Sud, qui est un engagement qui date de 2015.
MARC FAUVELLE
Une promesse faite il y a 15 ans, oui.
EMMANUEL MACRON
Et on lance en même temps un fonds pour la biodiversité et la préservation des forêts, qui a vocation à atterrir à la COP. Et puis il y a des choses très concrètes qui se font pendant ce sommet, la restructuration de la dette de la Zambie qui traînait depuis des années, nous l'avons conclue hier, parce que précisément la Chine est là, et on avait besoin de la Chine pour pouvoir le faire.
MARC FAUVELLE
On va en parler, si vous voulez bien…
EMMANUEL MACRON
Le Sénégal conclut son accord de transition climatique. Donc c'est très concret, c'est de la mobilisation.
MARC FAUVELLE
On va parler du Sénégal. Est-ce que c'est aussi une façon pour vous, Emmanuel MACRON, de vous racheter en quelque sorte, est-ce que vous dites : depuis 6 ans à l'Élysée, on n'a pas tout bien fait là-dessus, sur le climat ?
EMMANUEL MACRON
Écoutez, non, je n'ai jamais pris les choses comme ça, et vous savez, une des premières choses que j'ai faites, c'était cet appel "Make Our Planet Great Again". Donc je crois qu'on est cohérent, on fait des efforts en France, et d'ailleurs ça nous est reconnu, puisque l'inaction climatique valait pour la France sur la période 2015/2018, je le rappelle toujours, depuis nous n'avons pas été condamnés pour inaction climatique, nous avons sur la période 2017/2022, doublé nos réductions d'émissions, et nous continuons, et nous allons…
MARC FAUVELLE
Mais on ne respecte pas par exemple nos engagements sur les énergies renouvelables. La France est même le seul pays en Europe.
EMMANUEL MACRON
Alors, vous avez raison qu'on est un petit peu derrière, on va les rattraper, nous allons être dans la trajectoire, par contre nous respectons nos engagements de baisse d'émissions, ce qui est au final le plus important. Et donc, moi je tiens à cela, et nous allons continuer, on va redoubler d'efforts par la planification. Non, c'est simplement que l’on essaie de tenir tous les bouts. La France c'est 1% des émissions mondiales, et donc on fait ça. À côté de ça, on produit, par exemple le secteur de l'aéronautique, on parle en ce moment même, il y a le Salon du Bourget où j'étais en début de semaine, le secteur de l'aéronautique c'est 3 à 4 % des émissions mondiales. Mais la France produit la moitié des avions. Si on arrive à décarboner ce secteur, nous, on peut être vraiment les champions d'une décarbonation de tout un secteur, qui a soit seul, si on enlève 50 % dans les prochaines années, va nous permettre d'avoir un effet de réduction d'émissions quasiment équivalent à l'effort de la France.
Mais à côté de ça, on doit avoir un effet d'entraînement, et c'est ce qu'on a fait à travers nos "One Planet Summit", nos "One Forest Summit". Sur les sujets du climat et de la biodiversité depuis 6 ans, je dirais depuis presque 10 ans, la France a un effet d'entraînement de toute la planète, et nous tenons nos engagements là aussi, y compris en financements, parce que nous avons augmenté notre aide publique au développement de 50 %, c'est ce qui a été voté au quinquennat précédent.
MOUNIA DAOUDI
Monsieur le Président, vous avez parlé dans monde fracturé, il y a d'un côté l'Occident qui a son agenda climatique, et de l'autre les pays du Sud, dont la priorité est de lutter contre la pauvreté et l'insécurité. Est-ce que finalement ces deux positions ne sont pas un peu inconciliables ?
EMMANUEL MACRON
C'est le grand risque. C'est pour ça que le premier principe que j'ai posée hier en ouvrant cette conférence, c'est qu’on ne doit mettre personne en situation de choisir entre la pauvreté et le climat et la biodiversité. C'est impossible. Et donc, ce qui ne va pas, c'est quand on donne le sentiment, en quelque sorte qu'on donne des leçons. Vous n’avez pas le droit de développer tel projet parce qu'il n’est pas bon pour la planète. C'est tout le débat par exemple qu’il y a eu en Afrique, si on est très transparent, sur la question du gaz.
MOUNIA DAOUDI
Alors justement, prenons l'exemple du Sénégal.
EMMANUEL MACRON
Oui.
MOUNIA DAOUDI
Vous avez annoncé hier 2,5 milliards d'euros de soutien au Sénégal, pour le renouvelable. Est-ce que ça veut dire que le Sénégal doit renoncer à exploiter son gaz ?
EMMANUEL MACRON
Non. En fait, l'accord, qui est l'accord de transition juste en matière d'énergie pour le Sénégal, comme nous l'avons d'ailleurs fait pour l'Afrique du Sud, pour l'Indonésie et pour quelques autres pays, c'est un accord qui vise à leur permettre d'avoir une transition qui produit, qui crée de la richesse, et donc aussi de l'électricité pour produire, et qui réduit les émissions. Le Sénégal s'engage à avoir 40 % d'énergies renouvelables dans son mix, mais il va développer du gaz.
MOUNIA DAOUDI
Mais cela se fait sous forme de prêts, est-ce qu’on n’endette pas le Sénégal pour justement…
EMMANUEL MACRON
Non, parce que derrière il y a des activités qui sont rentables, et donc il y a des prêts concessionnels, simplement on les fait à des conditions très avantageuses, sur du très long terme. Mais pour le cas du Sénégal, on va lui permettre aussi de développer ses projets gaziers. Pourquoi, parce que le gaz est une énergie de transition et on sait que la planète en aura encore besoin pendant des décennies. Ce qu'on veut faire, c'est on veut sortir les grands émergents du charbon, ça c'est la priorité si vous voulez gagner la bataille du climat…
Et on veut permettre aussi aux pays de se développer de la meilleure manière possible. Pour le Sénégal, ça va être le gaz et d'accroître le renouvelable, mais 40% de renouvelable en 2030, sachant qu'ils vont en plus faire du gaz, c'est très exigeant pour le Sénégal, et donc ça justifie qu'on ait cet engagement, mais ça va aussi permettre au Sénégal de se développer, ce qui ne va pas, c’est si on leur dit : vous avez du gaz, mais vous, vous n’avez pas le droit de l'utiliser, alors même qu'en Europe, vous avez des pays qui rouvrent des centrales à charbon, c'est totalement aberrant. Maintenant, je veux vous faire toucher du doigt une chose, personne ne peut réussir si on ne gagne pas ce combat conjoint pauvreté/climat.
Et moi, je pense qu'on ne peut pas choisir, les pays du Sud sont des réserves de biodiversité et aussi des poumons pour la planète. Et donc en particulier nos forêts, c’est pour ça que le grand fonds qu'on lance pour les forêts est clef. Et donc on doit faire les deux en même temps, comme dirait l’autre.
STÉPHANE BALLONG
Monsieur le Président, nous nous parlions à l'instant de la dette, la justement, cela fait des années et des années qu'on parle d'allégements, de restructurations, cela fait des années que rien ne change véritablement, est-ce qu'il ne faudrait pas tout simplement annuler cette dette, Monsieur le Président ?
EMMANUEL MACRON
Alors, d'abord, il y a des choses qui changent, on l'a fait pour le Tchad, et là, je le disais, on conclut pour la Zambie. Annuler…
STÉPHANE BALLONG
Ça a pris trois ans quand même, ça doit être une solution d’urgence…
EMMANUEL MACRON
Oui, mais vous savez, la France joue un rôle pivot, mais quel est le problème qu’il y a derrière, c'est qu’il faut avoir des modèles de financement durable, si vous annulez du jour au lendemain la dette, le jour d'après, plus personne ne prête, si vous dites à tous les prêteurs : on efface tout, le jour d'après, comme ce sont des modèles qui ne sont pas soutenables, qui ne se financent pas tout seuls, bon courage pour aller chercher des gens qui vont vous prêter à nouveau, ça ne marchera pas…
STÉPHANE BALLONG
Oui, mais Monsieur le Président…
EMMANUEL MACRON
Ce qui n’est pas supportable, c’est qu’il y ait des économies aujourd'hui qui en fait ont des trésors de biodiversité, qui sont clés pour l'avenir de la planète, qui ont de la démographie, et la jeunesse de l'humanité et qu'on ne finance pas bien, et qui, aujourd'hui…
STÉPHANE BALLONG
Justement, les pays…
EMMANUEL MACRON
Et qui aujourd’hui, pour se financer, coûtent beaucoup plus cher. Donc j’essaie de vous répondre de manière structurée. Ce qu'il faut faire pour ça, c'est restructurer très vite leur dette. Le gros problème qu'on a eu ces 15 dernières années, c'est qu'en fait, quand on restructurait la dette, nous, pays européens, américains, etc, pays du G7, au fond, les mêmes pays à qui on a enlevait cette dette, allaient la recontracter auprès de la Chine, c'est ça ce qui n'a pas marché. Et il faut être très honnête, c'est ce qui s'est passé à peu près partout sur le continent.
STÉPHANE BALLONG
Et vous diriez que le…
EMMANUEL MACRON
Donc qu’est-ce qu’on a fait, il y a deux ans, sur une initiative française, dans un G20 présidé par l'Italie, on a créé un cadre global où on a dit aux Chinois : il faut que vous veniez, ce cadre global, on l'a appliqué pour le Tchad, et là, pour la Zambie, parce que plus personne, même nous, quand on pousse et qu'on dit : on va restructurer la dette, abandonner vos créances, comme nous, on l'a fait d'ailleurs pour le Soudan, les gens se retournent vers nous et disent : mais arrêtez, on va, nous, abandonner de la dette, mais ce cadeau en quelque sorte qu’on va faire, les mêmes pays vont aller le faire pour aller contracter de la dette auprès de la Chine…
STÉPHANE BALLONG
La dette contractée auprès de la Chine, est-ce que c’est un problème…
EMMANUEL MACRON
Donc là, tout le monde a fait l'effort.
STÉPHANE BALLONG
Est-ce que c’est un problème la dette contractée auprès de la Chine ? Est-ce que c’est un piège pour les pays pauvres ?
EMMANUEL MACRON
Si elle dépasse un certain niveau, oui, et donc, on doit avoir un cadre commun, qui est plutôt le cadre de l'OCDE, c'est-à-dire, il définit ce qu'est une dette qui est soutenable, et c'est à peu près comme vous, quand vous… c'est la même chose que le surendettement pour une famille, la dette n'est pas une mauvaise chose quand elle vous permet de démarrer, nous, Européens, on a financé notre modèle par la dette après la deuxième guerre mondiale, et vous avez raison, cette dette, il faut savoir l'abandonner quand des pays sont en train de faire les réformes et les transformations, c'est ce qu'on fait, là, pour la Zambie, ça s'appelle une restructuration. Simplement, il faut que tous les pays les plus riches, la Chine incluse, soient autour de la table, c'est ça ce qu'on fait et qui est innovant, et c'est comme ça qu'on sortira de ce piège.
STÉPHANE BALLONG
Vous en avez parlé avec le Premier ministre chinois hier soir ?
EMMANUEL MACRON
Bien sûr, j'en ai parlé d'abord président chinois, quand j'y suis allé, c'est ce qui fait qu'il a envoyé ici son Premier ministre, et c'est ce qui a fait, comme vous le dites très bien, pour la Zambie, on attendait depuis 3 ans, et ils sont là, et on va devoir continuer sur des pays comme le Ghana et d'autres qui sont en grande difficulté financière, on doit faire ces restructurations. Maintenant, il faut être clair, notre approche du financement des économies en Afrique n'est plus le bon, n'est plus le bon. Donc, oui, on doit restructurer les dettes, mais beaucoup plus fortement pour permettre de redémarrer. 2°) : on doit mieux rémunérer les trésors de biodiversité qu’il y a en Afrique, en Amérique latine, en Amérique du Sud, en Asie du Sud-Est, ces fameuses forêts tropicales ; c'est-ce qu'on lance, là, avec justement ce fonds pour la forêt et la nature, avec des contrats qu'on va faire pays par pays. Et ensuite, oui, nous, nous devons accepter de dépenser plus, on doit mieux mobiliser, et c'est une des conclusions très pratiques de ce sommet, la Banque mondiale et le FMI changent complètement de logique, et vont mettre beaucoup plus de financement, mais surtout, il ne faut pas oublier, et c'est absent de notre discussion à ce stade, il faut mobiliser beaucoup plus de financement privé…
MARC FAUVELLE
Eh bien, j’allais y venir justement, ça tombe bien, Monsieur le Président, on est installé ce matin à la Corbeille, c'est l'ancien temple de la finance, ancien siège de la Bourse à Paris, sans l'argent des milliardaires, sans l'argent des grandes entreprises, vous dites : on n'y arrivera pas.
EMMANUEL MACRON
Exactement, alors, c'est pour ça qu'il faut… il y a deux choses à faire, il faut, 1°) : à chaque fois qu'on met un euro d'argent public, mobiliser 1 euro d'argent privé. Pour les pays les plus pauvres, on n’y arrivera pas tout de suite, mais pour des pays en développement, les pays à revenus intermédiaires et les émergents, c'est possible, qu'est-ce qui manque pour cela ? Eh bien, il faut d'abord que, à chaque fois qu'on ait un programme, on est sûr que l'argent privé ne pourrait pas mieux le faire, ça arrive parfois avec des programmes de la Banque mondiale et du FMI. 2°) : il faut avoir une méthode différente avec ce qu'on appelle un effet de levier, c'est l'engagement qu'on a pris hier, c'est de se dire, quand on met 1 euro d'argent de la Banque mondiale, on a au moins 1 euro d'argent privé, c'est fondamental. Et c'est pour cela…, parce que, qu’est-ce qu’on doit faire, on doit en quelque sorte enlever du risque, pourquoi l'argent privé, il y en a beaucoup, depuis 5 ans, c'est pour ça que la France se mobilise énormément, dans ces One Planet Summit, on mobilise tous les fonds souverains, tous les grands gestionnaires d'actifs, tous les fonds de financement privé.
Qu'est-ce qu'ils nous disent, ils nous disent : nous, on ne va pas dans tel pays, parce qu'il y a un risque de change, on ne va pas dans tel pays, parce qu’il y a un risque politique, on ne va pas dans tel pays, parce qu'en fait, s’il y a des pertes trop importantes pour nos actionnaires, ils ne suivent pas, le secteur privé, il cherche à faire un certain niveau de profits, il ne va jamais…
MARC FAUVELLE
A faire des bénéfices, oui…
EMMANUEL MACRON
Et donc, qu’est-ce que nous, on doit faire, si on veut démultiplier l'argent public qu'on met, c'est faire de l'innovation pour avoir des mécanismes qui sont plutôt en garantie, en prise de premières pertes, pour déclencher ces investissements privés, ça, c'est la première mobilisation.
MARC FAUVELLE
Il y aura bientôt, dans quelques mois, Monsieur le Président, un impôt minimum mondial sur les grandes entreprises. Au risque de vous faire bondir, est-ce qu’il faut faire un ISF climatique à l’échelle de la planète et/ou en France ?
EMMANUEL MACRON
Vous ne me ferez jamais bondir…
MARC FAUVELLE
Même sur l'ISF ?
EMMANUEL MACRON
Je le disais hier... oui, parce que pour ces sujets-là, il faut une taxation internationale. Moi, pourquoi j'ai supprimé une partie de l'ISF en France ? Parce qu’on était quasiment les seuls à le faire.
MARC FAUVELLE
Il faut un ISF climatique mondial ?
EMMANUEL MACRON
Je pense qu'il faut une taxation internationale qui finance cela mais vous savez, je le disais hier en plaisantant à certains de nos amis, nous, on est à la frontière technologique en matière de taxation en France. On a dit : il faut taxer les transactions financières. La France l’a fait, nous, on a une taxe sur les transactions financières. Qui d'autres l’a fait autour de nous ? Quasiment personne ! Ça ne marche pas quand on le fait tout seul parce qu'on est puni, les flux financiers vont ailleurs. Donc la taxe sur les transactions financières pour financer la lutte contre la pauvreté et le climat, je suis pour, ça tombe bien, nous, on l'a déjà fait ! Deuxième chose, on nous dit qu’il faut une taxation sur les billets d'avion, il y a eu un rapport - Jean-Pierre LANDAU est mon représentant particulier - on le fait en France. Qui d’autres le fait ? Ça ne marche pas quand on le fait tout seul… parce qu’on se pénalise. Moi je veux bien qu’on massacre nos compagnies aériennes et qu'elles aillent toutes dans les pays du Golfe pour faire de l'argent…. ça ne marche pas ! Troisième proposition : je félicite la mobilisation de l'Organisation maritime internationale ; le secteur du transport maritime n'est pas du tout taxé, c'est un des seuls ; c'est une très bonne chose, il faut le taxer. Mais pas que les acteurs français ! Il faut taxer les Français, les Européens du Nord, les Chinois. Qu'est-ce qui marche ? C'est quand il y a une mobilisation internationale comme celle qu'on a faite sur la taxation…
MARC FAUVELLE
Donc la France ne donnera pas l'exemple sur l'ISF climatique comme le demande votre ancien conseiller…
EMMANUEL MACRON
Non mais la France a déjà donné l’exemple pour tous les impôts ! On est un des pays qui taxent le plus au monde ! On doit donner l'exemple en mobilisant comme on l'a fait sur la taxation minimale. Et donc moi j'appelle à la mobilisation : aidez-nous à aller chercher tous les pays qui aujourd'hui n'ont pas de TTF et qui aujourd'hui n'ont pas de taxation sur les billets d'avion. Et aidez-nous à mobiliser à l'Organisation maritime internationale en juillet pour qu'il y ait une taxation internationale avec la Chine sur le transport maritime. Aussi vrai qu’on disait il y a un siècle : le socialisme dans un seul pays, ça ne fonctionne pas, pour reprendre un temps communiste, eh bien la taxation internationale dans un seul pays, ça ne marche pas parce que ce n’est pas une taxation internationale et ça pénalise le pays. En tout cas, juste pour mobiliser le secteur privé, l'autre point, c'est oui : créer une taxation internationale pour l'Afrique, c’est ça dont on a besoin.
MOUNIA DAOUDI
Monsieur le Président, il y a un grand absent à ce sommet de Paris, c'est la Russie. Est-ce que vous pouvez avancer sur l'agenda que vous portez sans l'un des acteurs majeurs, l'un des plus grands producteurs d'hydrocarbures au monde ?
EMMANUEL MACRON
Alors oui parce qu'ici, on est sur un agenda qui vise justement à dire quoi ? On ne doit pas choisir entre climat et lutte contre la pauvreté, biodiversité, chaque pays doit être respecté dans son chemin ; il faut mettre plus d'argent public et il faut mobiliser le financement privé. C'est ça, les conclusions principielles de ce sommet avec derrière, plein de mesures très concrètes. On a besoin de qui pour ça ? On a besoin des États-Unis, de la Chine, du G20, des grands émergents et des pays les plus pauvres… ils sont tous là…
MOUNIA DAOUDI
Et la Russie en est un…
EMMANUEL MACRON
Et le G 77 qui est le groupe qui représente… la Russie est dedans… Et là, à plusieurs égards, la Chine qui est un de ses membres éminents, est présente mais surtout le président cubain était avec nous, il s'est exprimé hier, il a la présidence du G77. Donc qu'est-ce que dit ce sommet ? l'isolement de la Russie.
STÉPHANE BALLONG
Est-ce qu’il faut reprendre le dialogue avec la Russie ?
EMMANUEL MACRON
Je pense qu’il faut d'abord que la Russie arrête la guerre, accepte de respecter le droit international. Ça, c'est un fondement…
MARC FAUVELLE
Ça veut dire que si Vladimir POUTINE vous appelle demain matin, vous décrochez ou pas ?
EMMANUEL MACRON
Bien sûr que je décroche…
MARC FAUVELLE
Oui toujours, mais vous ne l'appellerez pas, vous ?
EMMANUEL MACRON
Je n’ai pas de raison de l'appeler aujourd'hui. Il y a une contre-offensive ukrainienne ; le temps viendra, je l'espère, de négociations aux conditions de l'Ukraine ; par contre s'il m'appelle pour proposer quelque chose, je prendrai parce que la France a toujours été une puissance facilitatrice et de médiation mais il faut être clair : aujourd'hui, la reprise du dialogue n'est possible que s'il y a un respect du droit international qui est le seul qui nous permet de vivre en paix. Par contre, vous avez raison : la Russie, mais comme d'autres grands pays qui sont ici présents, le Nigeria est un très grand producteur d'hydrocarbures, il est là - c'est 250 millions d'habitants sur la planète - l'Inde est un grand pays qui raffine les hydrocarbures… l’Arabie saoudite est aussi présente…
STÉPHANE BALLONG
Restons sur la Russie si vous le voulez bien Monsieur le Président…
EMMANUEL MACRON
Non mais je dis ça parce que tous ces pays, on doit les accompagner dans une transition. La Russie devra en faire partie. Pour moi, le fondement, c'est que les pays dont on a besoin pour faire ces changements, sont tous là.
STÉPHANE BALLONG
Pour vous Monsieur le Président, la Russie est-elle aujourd'hui un ennemi, notamment en Afrique ?
EMMANUEL MACRON
Écoutez, je n'aime pas ces termes qui sont définitifs parce que la diplomatie, ce n'est pas ça. Ce qui est vrai, c'est qu'aujourd'hui, la Russie s'est mise de son propre chef dans une situation qui est de ne plus respecter le droit international, de redevenir au fond l'une des seules puissances coloniales du XXIème siècle en menant une guerre d'empire auprès de son voisin l'Ukraine et c'est une puissance de déstabilisation de l'Afrique à travers des milices privées qui viennent faire de la prédation, des exactions sur les populations civiles, comme cela a été documenté par les Nations unies en République centrafricaine, à travers la milice Wagner. Donc je pense que par les choix aujourd'hui qui sont les siens, la Russie ne joue pas un rôle bénéfique pour la communauté internationale.
STÉPHANE BALLONG
Merci Monsieur le Président de nous avoir accordé cet entretien, merci à vous de nous avoir suivis sur France Info…
EMMANUEL MACRON
Si je peux… je montre toujours des petits graphiques, c'est très intéressant, on pourra le donner à vos auditeurs mais quand on parle de climat et de développement, c'est fait par l'AFD - c'est très bien, on vous le laissera - mais ça montre où est l'enjeu. L'enjeu, c'est que vous voyez, nous, on est dans ces catégories-là, on est dans les très développés, les plus riches et on est aussi ceux qui polluons le plus. L'enjeu, c'est de réussir au fond à ce qu’entre les pays riches et les émergents, il y ait un accord. Si on arrive à ce que l'Inde, le Nigeria, la Chine puissent se développer sans polluer, on gagne la bataille de la planète à l'échelle internationale. Et c'est aussi pour ça que les pays en développement et les pays les plus pauvres, il faut les aider sur la lutte contre la pauvreté mais ils sont très loin d'être les grands émetteurs. La clé, elle est : nous, baisser nos émissions et elle est permettre aux grands émergents d'avoir leur développement sans augmenter leurs émissions.
MOUNIA DAOUDI
C’est pour cette raison que vous avez souhaité participer au sommet des BRICS ?
EMMANUEL MACRON
Exactement, c'est un point clé et c'est pour ça qu'on fait ces accords de partenariat pour la transition avec déjà l'Afrique du Sud, maintenant avec le Sénégal, j'espère demain avec le Nigeria ; j'ai proposé avec le Brésil. La clé pour la planète, elle est là : il faut se concentrer sur l'essentiel. L'essentiel, c'est un accord entre les pays riches et les émergents et la deuxième chose essentielle, c'est sortir du charbon avant toute chose.
STÉPHANE BALLONG
Merci Monsieur le Président.
EMMANUEL MACRON
Merci beaucoup, pardon de vous avoir interrompu.
STÉPHANE BALLONG
Merci de nous avoir suivis sur France Info, RFI et France 24.
EMMANUEL MACRON
Merci beaucoup.
Source : Service d’information du Gouvernement, le 23 juin 2023