Interview de M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, à France Info le 4 juillet 2023, sur les émeutes en France.

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Média : France Info

Texte intégral

LORRAIN SENECHAL
Bonjour Christophe BECHU.

CHRISTOPHE BECHU
Bonjour Lorrain SENECHAL.

LORRAIN SENECHAL
Ministre de la Cohésion des territoires et de la Transition écologique. D’abord, est-ce que vous confirmez une nuit calme sur l’ensemble du pays ou presque ?

CHRISTOPHE BECHU
Je confirme qu’effectivement on a vécu une nuit beaucoup beaucoup plus calme que les précédentes, on reste évidemment vigilant et on ne baisse pas la garde, parce que tout le monde a en mémoire les déferlements de violences auxquels on a assisté, mais c’est évidemment encourageant.

LORRAIN SENECHAL
Il n’est pas encore temps d’envisager de réduire le dispositif policier, c’est 45.000 policiers et gendarmes ?

CHRISTOPHE BECHU
Il y a évidemment des décisions, un examen de la situation qui aura lieu dans la journée, on est aux premières heures d’une nuit qui a été calme et avant tout c’est évidemment la satisfaction et la prudence qui dominent ce matin.

LORRAIN SENECHAL
A ce stade c’est une accalmie, ce n’est pas encore le retour définitif au calmé ?

CHRISTOPHE BECHU
Oui, personne ne peut oublier ce qu’on a vécu il y a encore seulement quelques heures, quelques jours, et le bilan effarant dont on est en train de consolider à la fois l’ampleur, que ce soit d’un point de vue financier, mais aussi d’un point de vue moral, les conséquences pour la vie quotidienne des habitants des quartiers qui ont été touchés, pour les commerçants qui ont vu leurs commerces pillés, et donc au milieu de tout ça je pense qu’il faut se garder d’aller trop vite, considérer que tout ça est derrière nous, même si on ne peut que se réjouir que la nuit ait été calme.

LORRAIN SENECHAL
Vous serez aux côtés d’Emmanuel MACRON tout à l’heure pour recevoir à l’Elysée les maires de 200 communes touchées par les violences, pour leur dire quoi, c’est d’abord pour les écouter ?

CHRISTOPHE BECHU
Il y a plusieurs objectifs, le premier c’est d’abord évidemment de les écouter et de les entendre, de saluer le fait qu’ils se sont tenus en première ligne, selon l’expression consacrée, certains étant physiquement menacés. On a évidemment beaucoup parlé du maire de l’Haÿ-les-Roses, mais il y a des dizaines de maires qui ont été pris à parti, certains qui ont vu leur voiture brûler, comme à Saint-Pierre-des-Corps, qui ont été agressés dans le véhicule où ils se trouvaient, comme le maire de Charleville-Mézières ou la maire de Pontoise, pour à la fois les entendre… une géographie de ces émeutes, qui n’est pas celle de 2005, des villes moyennes qui n’étaient pas habituées à ce type d’évènements, dans lesquelles on n’a même pas de quartiers qui relèvent d’opérations de renouvellement urbain, une sidération qu’il faut à la fois partager, des causes qu’il faut qu’on essaye de comprendre, et puis de les assurer à la fois des remerciements de l’Etat pour avoir tenus, eux, les agents dont ils ont la responsabilité, mais pour leur assurer aussi qu’on sera à leurs côtés par rapport aujourd’hui à une consolidation des dégâts qu’on est en train de faire.

LORRAIN SENECHAL
Vous dites consolidation, le MEDEF estime déjà que le coût des dégâts il est d’1 milliard d’euros, vous n’avez pas encore chiffré, estimé, au niveau du gouvernement, le coût de ces dégâts ?

CHRISTOPHE BECHU
On est en train de regarder pour les bâtiments publics, la particularité pour les bâtiments publics c’est qu’il y en a un certain nombre qui ne sont pas assurés. On peut assez rapidement faire des estimations de dégâts pour le secteur privé, il y a des assurances qui sont obligatoires, en revanche une collectivité locale elle peut ne pas s’assurer, elle peut être son propre assureur, et donc on a des estimations qui sont parfois un peu plus longues à obtenir sur les évaluations de dégâts sur des bâtiments publics. J’ai hier réuni, avec Dominique FAURE, en visioconférence, l'ensemble des associations d'élus pour les inviter justement à faire remonter ces chiffrages, à faire remonter les difficultés, les urgences éventuelles dans lesquelles ils sont, il y a des sujets par exemple sur des centres de loisirs, sur des centres de vacances, on est à quelques jours de… ou sur des écoles qui abritent ce type de centres de vacances, et là le sujet ce n'est pas seulement les dégâts, c'est l'urgence pour être capable de répondre à des situations particulières dans certains quartiers. Il ne faudrait pas qu'on ait une double ou une triple peine. Je veux avoir un mot parce que depuis hier, depuis quelques jours, on salue les piliers de la République, on salue les forces de l'ordre, les pompiers, les maires, tous ceux qui ont tenu, et on a raison de le faire, mais je veux aussi avoir un mot pour les gens, pour les habitants de ces quartiers qui se sont retrouvés aux premières loges de ces violences, qui se retrouvent à la fois privés d'équipements, qu'ils avaient pour un certain nombre beaucoup attendus ou espérés, et qui sont parfois assimilés aux fauteurs de troubles, il faut mettre un mot, il faut mettre un nom, sur ceux qui sont responsables. Ce ne sont pas les habitants des quartiers qui ont mis le feu à ces équipements, ce sont certains d'entre eux, ce ne sont pas les jeunes de manière générale, ce sont des émeutiers, ce sont des criminels, ce sont des crétins, on peut multiplier les mots qu'on utilise, mais ce que je veux dire c'est qu'à un moment il faut qu'on évite de faire une sorte d'assignation collective à résidence de familles qui ont tenu leurs enfants, de parents qui ont parfois participé à faire en sorte d'éviter que ça se propage, en ayant aussi ce courage de dire les choses.

LORRAIN SENECHAL
Qui va régler la facture, vous dites qu’il y a une partie des bâtiments détruits qui sont assurés, donc là il n’y a pas de question puisque ce sont les assureurs qui vont payer, l'Etat sera aux côtés dans le cas d'éventuels manques ?

CHRISTOPHE BECHU
L’Etat va évidemment regarder et ne pourra pas laisser les collectivités seules. D’abord, dès hier le ministre de l'Intérieur a annoncé que nous allions débloquer des crédits pour, à très court terme, faire en sorte de ne pas remplacer les dizaines, les centaines de caméras de vidéoprotection qui ont été détruites, un certain nombre de régions ont déjà annoncé, je pense à la région Grand-Est, à la région Sud, la région Ile-de-France, des fonds d'urgence ou des dispositifs d’appui, et l'Etat va évidemment dimensionner un dispositif pour ne pas laisser les communes seules. Mais, je veux dire que, et je vous le dis avec beaucoup de solennité, la fin de cette crise, le regard qu'il faudra qu’on porte, les choses elles ne se chiffrent pas d'abord en euros, il va falloir qu'on soit capable de s'interroger à la fois sur ce que nous avons raté, en ne jetant pas la politique de la ville avec l'eau du bain, et on ne considérant pas que des travaux qui ont permis des améliorations dans un certain nombre d'endroits n'ont servi à rien, parce que personne ne pourrait savoir quel aurait été le coût de l'inaction, mais ce n'est pas qu'une histoire de budget, c'est aussi une question de rapport à l'autorité, de responsabilité parentale, de droits et de devoirs, de symboles de la République, et tous ces sujets-là il est hors de question qu'on les mette sous le tapis et qu'on les enfouisse.

LORRAIN SENECHAL
Donc c’est le point de départ, là, d’une réflexion avec les maires, avec les élus locaux, pour essayer de trouver des solutions sur le long terme ?

CHRISTOPHE BECHU
Ecoute, constat, diagnostic partagé, et faire en sorte de trouver des solutions effectivement dans ces différents domaines.

LORRAIN SENECHAL
Ça veut dire qu’il y aura d’autres concertations plus tard ?

CHRISTOPHE BECHU
Bien entendu, ça veut dire qu'on ne pourra pas, après les événements qu'on a vécus, après l'ampleur que ça a pris, après l'importance de ce que nous avons vu, après les actes qui ont été commis physiquement contre des élus, se contenter de mettre la poussière sous le tapis et de se dire tout va bien, le pire est derrière nous.

LORRAIN SENECHAL
Une dernière chose. Ce mouvement de violences il est d'abord né de la colère suscitée par la mort de Nahel, 17 ans, tué par un tir policier, le policier en question il est en détention provisoire, le procureur lui-même estime qu'il a tiré en dehors du cadre légal, et pourtant le voici bénéficiaire, sa famille, d'une cagnotte lancée par l'extrême-droite qui recueille 1,3 million euros, est-ce que vous comprenez que ça puisse choquer ?

CHRISTOPHE BECHU
Oui, et je vais être plus précis, je fais miens les mots de la Première ministre qui explique que le gouvernement n’a pas le pouvoir d'autoriser ou de fermer une cagnotte…

LORRAIN SENECHAL
On ne peut pas la fermer cette cagnotte ?

CHRISTOPHE BECHU
En tout cas ce n’est pas le pouvoir politique qui a ce type de décision. Deuxièmement, elle atteint l’objectif qui a été celui de son initiateur, qui a voulu choquer, un polémiste d’extrême-droite qui en fait en plus un objet de concurrence avec d’autres cagnottes pour être capable de présenter les choses.

LORRAIN SENECHAL
Celle de la famille de Nahel qui recueille quatre fois moins de dons.

CHRISTOPHE BECHU
Mais j’aimerais trois choses. Un, ce n’est pas la police qui a tué Nahel, j’aimerais que tout le monde ait la dignité à la fois de la mère et de la grand-mère de cet adolescent de 17 ans, qui disent " on en veut à un homme, on n’en veut pas à la police. " La police c’est 808 blessés à la minute où je vous parle, depuis le début des émeutes pour aller protéger des hommes, des femmes, des bâtiments, des institutions, des biens publics, depuis une semaine. Et trois, pendant qu’on parle de ça, on fait monter les sommes et on ne regarde pas en face les sujets qu’il faut qu’on évoque.

LORRAIN SENECHAL
Il y a une forme d’indécence avec ces cagnottes, ces concurrences de cagnottes ?

CHRISTOPHE BECHU
Je crois vous avoir répondu de manière claire. Pendant qu’on parle de ça on ne se concentre pas à la fois sur la situation de ces quartiers, sur le fait d’essayer de comprendre les raisons qui nous ont amenés à ces déferlements de violences…

LORRAIN SENECHAL
Et vous le disiez, il y aura d’autres concertations…

CHRISTOPHE BECHU
Et on est au point de départ d’autre chose.

LORRAIN SENECHAL
Christophe BECHU, merci beaucoup.

CHRISTOPHE BECHU
Merci pour votre invitation.

LORRAIN SENECHAL
Ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, vous serez donc à l’Elysée avec Emmanuel MACRON pour recevoir tout à l’heure 200 maires de communes touchées par les violences.


Source : Service d’information du Gouvernement, le 11 juillet 2023