Texte intégral
M. Jean-François Longeot, président. -- Nous avons le plaisir d'accueillir, pour la deuxième fois devant notre commission, Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité depuis novembre 2022.
Madame la Ministre, nous vous entendons dans le cadre d'un cycle d'auditions organisé par notre commission sur le bilan de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), plus de trois ans après sa création.
Le Sénat qui est à l'origine de la création de l'agence a déjà dressé un premier bilan de son action : en février dernier, la délégation aux collectivités territoriales a publié un rapport d'information portant sur le bilan de l'ANCT, dont les auteurs sont Mme Céline Brulin que je salue et M. Charles Guené. Dans ce rapport d'information, la délégation dresse un bilan plus que mitigé de l'action de l'agence : l'ANCT est peu et mal connue des élus locaux, qui peinent à comprendre son fonctionnement et ses dispositifs ; les élus locaux déplorent l'implication inégale et partielle des préfets dans la déclinaison territoriale de l'agence et enfin -- comme notre commission l'avait aussi souligné -- l'ANCT, qui avait vocation à devenir un guichet unique, paraît pour les élus créer une nouvelle strate.
Les élus regrettent également l'insuffisance et la complexité du financement des programmes " Action Coeur de Ville " (ACV) et " Petites Villes de Demain " (PVD). Ainsi, dans le cadre de ces dispositifs, la part des subventions versées a diminué entre 2018 et 2021. La majorité des aides délivrées prennent en réalité la forme de prêts, de prises de participation et d'aides aux bailleurs privés.
Ces critiques vous semblent-elles fondées ? Partagez-vous les constats du bilan effectué par la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales ? Si ce n'est pas le cas, quel bilan dressez-vous des trois premières années d'existence de l'agence ?
Le directeur général de l'ANCT Stanislas Bourron, que nous avons entendu le 17 mai dernier, ne partageait pas certains de ces constats, qui semblent pourtant faire consensus auprès des élus locaux comme des membres de notre commission. Selon ses propos, l'agence serait " bien mieux connue que l'image qu'on se fait depuis Paris ". Pourtant, nous sommes nombreux à constater ce manque de visibilité, en échangeant sur le terrain avec les élus locaux et non depuis Paris comme l'affirme M. Bourron.
Quelle est votre appréciation concernant la visibilité de l'agence ? Constatez-vous aussi que l'ANCT est insuffisamment connue dans nos territoires ou considérez-vous, comme M. Bourron, que ce déficit de notoriété ne serait qu'une image " qu'on se fait depuis Paris " ?
En réponse à toutes ces critiques, vous avez annoncé en février dernier des pistes d'améliorations pour l'agence : les effectifs des délégués de proximité de l'agence vont être doublés, les marchés d'ingénierie sur mesure seront déconcentrés, des forums locaux d'ingénierie sont organisés et un " tour de France " des régions a été lancé.
Nous saluons ces premières mesures, qui témoignent d'une prise en compte par le Gouvernement des retours du Sénat, qui relaie les préoccupations des collectivités territoriales.
Madame la Ministre, où en êtes-vous de votre " Tour de France " des régions et, surtout, quels enseignements en tirez-vous pour l'évolution de l'ANCT ?
Je souhaite également vous interroger sur un axe de la nouvelle feuille de route de l'ANCT qui intéresse tout particulièrement notre commission. Jeudi 29 juin 2023, le conseil d'administration de l'ANCT a adopté une feuille de route qui indique que, pour la période 2023-2026, l'accent sera mis sur l'accompagnement des territoires dans la transition écologique.
Comment, concrètement, l'ANCT accompagnera-t-elle les territoires dans la transition écologique ? Et surtout, les collectivités étant confrontées à un " mur d'investissement " dans un contexte de contrainte financière, avec quels moyens l'agence va-t-elle remplir cette nouvelle mission ?
Enfin, nous aimerions évoquer les récentes annonces de la Première ministre Élisabeth Borne concernant le plan France Ruralités. Un nouveau programme d'ingénierie, " Villages d'avenir ", a été annoncé. Nous saluons cette avancée, revendication de longue date de l'Association des maires ruraux de France (AMRF), qui a été évoquée par son directeur Cédric Szabo lorsque nous l'avons entendu le 17 mai dernier.
Dans le cadre de ce programme, une centaine de chefs de projets seront déployés en préfecture et en sous-préfecture, afin d'assister les communes rurales dans la maîtrise d'oeuvre de projets associant plusieurs communes.
Pourquoi ne pas avoir intégré ces nouveaux chefs de projets à l'ANCT ? En créant un programme en dehors de l'ANCT, ne risque-t-on pas d'accentuer le manque de lisibilité de l'ingénierie territoriale déploré par l'ensemble des acteurs ? Par ailleurs, pourquoi le Gouvernement n'a-t-il pas fait le choix d'un accompagnement financier spécifique pour les projets qui s'inscriront dans ce programme, comme c'est le cas pour les autres programmes d'ingénierie ?
Avant de laisser mes collègues vous interroger à leur tour, je vous cède la parole, Madame la Ministre, pour répondre à ces quelques points.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. -- L'ingénierie territoriale est le vecteur principal d'émergence des projets des territoires. Je suis très attachée à ce que nos politiques publiques concrétisent des initiatives territoriales : l'État doit faire confiance à l'intelligence des territoires et accompagner des projets locaux. C'est l'essence même de l'ANCT, créée à l'initiative du Président de la République en 2019, que d'offrir cette ingénierie au service des collectivités territoriales et des élus.
Avec ses partenaires, l'ANCT a accompagné 1 257 projets locaux depuis sa création : 245 appuis à l'élaboration d'un projet de territoire, 129 projets de mobilités innovantes et durables, 119 projets de revitalisation artisanale ou commerciale ou encore 384 contrats de relance et de transition écologique (CRTE) mis en place.
Les programmes de l'agence sont nombreux et appuient les collectivités territoriales en matière d'ingénierie. Le programme " Action Coeur de Ville " accompagne 234 villes moyennes à hauteur de 5 milliards d'euros dans leurs transitions écologiques, démographiques, économiques. Vous le savez, nous avons récemment lancé l'Acte II du programme et nous avons prévu de généraliser l'ingénierie dédiée à la sobriété foncière, en soutenant notamment les " Territoires pilotes de sobriété foncière ". Le programme " Petites Villes de Demain " accompagne 1 644 communes à hauteur de 250 millions d'euros pour consolider et lancer les projets des petites villes. Le programme " Territoires d'industrie " accompagne les entreprises et les territoires dans l'aménagement et l'immobilier industriel, la transition énergétique et environnementale, la mutation et la formation des métiers industriels ou encore les stratégies industrielles territoriales. Le dernier né de cette gamme de programmes est France Ruralités, annoncé le 15 juin 2023 par la Première ministre : 100 chefs de projets seront déployés localement pour soutenir l'émergence de projets à partir du 1er janvier 2024, avec une ingénierie de maîtrise d'oeuvre pour accompagner nos petites communes rurales dans la mise en oeuvre de leur projet.
Les moyens existent et sont parfois trop peu mobilisés faute d'information. J'ai demandé à ce que les préfets réunissent, dans chaque département, un forum local de l'ingénierie, avec les élus du département et toute l'offre à leur disposition, celle de l'État, mais aussi celle des territoires, avec par exemple l'Agence technique départementale et le conseil d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE). Je suis très attachée à ce que les chefs de projet commencent par diagnostiquer l'offre d'ingénierie, qui varie selon les domaines : on manque d'ingénierie prospective et financière, alors que l'ingénierie technique est souvent plus disponible, il faut en tenir compte et je donnerai la consigne de commencer par faire connaître les outils à disposition.
Le rapport d'information de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales sur le bilan de l'ANCT est encore récent. La moitié des recommandations formulées ont été retenues, le taux de mise en oeuvre de ces recommandations est de 75%.
Ma feuille de route est simple : je veux renforcer l'information sur l'ingénierie disponible et en faciliter l'accès. Cela passe avant toute chose par une harmonisation de l'offre disponible : il faut trouver une manière de simplifier les démarches des élus. Nos échanges et vos propositions pourront utilement éclairer nos réflexions en cours. Dans une première étape, le Gouvernement souhaite adresser une circulaire aux préfets pour leur demander de recenser l'offre d'ingénierie dans les territoires et d'apporter une réponse pratique et rapide aux besoins des élus locaux. Nous connaissons trop de situations où les élus se sentent démunis et ne savent pas comment mobiliser les solutions qui existent. Des solutions sont pourtant disponibles : le site « Aides-territoires » centralise les aides à disposition des collectivités territoriales sur un territoire donné ; la plateforme « Solutions d'élus » présente des projets locaux qui réussissent, sur des sujets nombreux et d'actualité, comme la mobilité, le logement, l'activité.
Mon ambition est de mettre en place un guide synthétique identifiant un interlocuteur unique pour les besoins prioritaires au niveau de chaque territoire. Un " kit de survie " de l'ingénierie pour les communes et intercommunalités.
Pour y parvenir, mon action se structurera autour de trois axes.
Premièrement, une méthode d'intervention repensée, plus proche du terrain, avec une mobilisation renforcée de l'État territorial, le doublement des effectifs des chargés de mission territoriaux de l'ANCT, la déconcentration d'une partie du marché d'ingénierie, et le déploiement d'une ingénierie plus opérationnelle et ciblée sur les territoires les plus en difficultés. Nous travaillons sur un guichet unique de l'ingénierie territoriale, qui permettra d'intervenir en mode projet pour une vision à 360° des territoires, une animation des réseaux des chefs de projet financés par l'ANCT, ou encore des revues de projet régionales. Nous devons rapprocher nos opérateurs : l'ANCT, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), le Centre d'étude et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), l'Agence nationale de l'habitat (Anah), l'Agence nationale de rénovation urbaine (Anru), les agences de l'eau... Chacun sait ici les difficultés que les maires éprouvent devant la multitude des intervenants et des guichets, je veux simplifier avec un guichet unique.
Deuxièmement, je souhaite mettre en place un accompagnement sur-mesure renforcé face aux transitions écologiques, économiques, démographiques, numériques, et offrir une ingénierie adaptée aux territoires les plus fragiles. C'est l'objet du nouveau programme " Villages d'avenir " de l'ANCT, annoncé dans le cadre du plan France Ruralités, qui concentre son action sur les petites communes rurales, en les accompagnant dans leur transformation.
Troisièmement, l'ANCT doit être mieux implantée localement, grâce à un renfort d'animation du réseau territorial de l'État et une identification plus simple des points d'entrée vers l'agence. La communication doit être mieux adaptée aux attentes des élus, avec par exemple l'organisation d'une tournée territoriale de l'ANCT (ANCTour) et de forums de l'ingénierie. Les réseaux d'associations d'élus pourront être des relais de premier plan. Vous aurez remarqué le sous-titre du programme France Ruralités : " Pour une meilleure et plus efficace équité territoriale ", je tiens particulièrement à cette notion d'équité des territoires.
Cette feuille de route doit continuer de s'enrichir avec tous les acteurs, notamment les parlementaires, et je suis ravie que cette audition nous en donne l'occasion.
M. Fabien Genet. -- Je vous prie d'excuser Louis-Jean de Nicolaÿ, représentant du Sénat au conseil d'administration de l'ANCT, qui regrette vivement de ne pas pouvoir être parmi nous.
Je souhaite profiter de cette audition pour vous interroger sur trois points relatifs à la nouvelle feuille de route de l'agence, pour la période 2023 à 2026, dévoilée en conseil d'administration le 29 juin 2023.
Premièrement, la nouvelle feuille de route prévoit d' " enrichir la production de connaissances sur les territoires autour d'enjeux prioritaires utiles à la décision pour l'ANCT et pour les projets de territoire ". En mai dernier, durant l'audition de Stanislas Bourron, Louis-Jean de Nicolaÿ, représentant du Sénat au conseil d'administration de l'agence, avait déploré le manque de planification territoriale de celle-ci. Le directeur général de l'ANCT n'avait pas été sensible à cette nécessité de prise en compte du temps long, déclarant qu'" une planification stratégique à trente ans semble peu opportune ". La feuille de route présentée lors du conseil d'administration évoque pourtant l'objectif d'apporter " de la valeur ajoutée par des analyses sur des temps longs ".
Nous nous félicitons de cette évolution, qui témoigne d'une prise en compte du besoin exprimé par les élus locaux d'un État planificateur sur le long terme. Cette nouvelle orientation doit cependant encore être concrétisée. Comment l'ANCT compte-t-elle développer les analyses territoriales proposées aux collectivités territoriales durant les prochaines années ? Les moyens dédiés à l'Observatoire des territoires seront-ils renforcés ?
Deuxièmement, nous avions évoqué, lors de l'audition de Stanislas Bourron, le dysfonctionnement des comités locaux de cohésion territoriale (CLCT). Créés pour assurer une gouvernance partenariale de l'ANCT au niveau local, ces CLCT se révèlent bien souvent n'être que des réunions d'information verticales, durant lesquelles le préfet liste les dispositifs de soutien à l'ingénierie.
Dans la nouvelle feuille de route, vous proposez de renforcer la " logique partenariale " par une " organisation plus structurée des CLCT ". Nous saluons cette évolution, qui traduit encore une fois une prise en compte des remarques du Sénat. Comment cette structuration se concrétisera-t-elle ? La définition par voie réglementaire de la composition de ce CLCT permettrait-elle de renforcer le rôle dévolu à ces comités ? L'obligation légale de réunir ces comités au moins deux fois par an n'est pas respectée dans l'ensemble des départements, d'après les retours que nous avons du terrain. Un rappel par circulaire de cette obligation aux délégués territoriaux de l'ANCT serait-il envisageable ?
Troisièmement, je souhaite aborder la question de la gouvernance nationale de l'ANCT. Louis-Jean de Nicolaÿ et la représentante d'Intercommunalités de France déploraient en mai dernier l'absence de réel débat sur l'action de l'agence et ses perspectives durant les conseils d'administration. Dans la feuille de route précitée, il est inscrit que le conseil d'administration doit " être un lieu de dialogue pour recueillir, enrichir et diffuser l'action de l'agence et tenir compte ainsi des remontées de terrain ". Nous ne pouvons qu'approuver ce programme. Un premier pas pour pallier le manque de dialogue au sein du conseil pourrait être de permettre aux parlementaires de se faire représenter au sein du conseil d'administration. En effet, les parlementaires sont les seuls membres du conseil d'administration qui ne peuvent pas se faire représenter par un suppléant. Cette exception peut paraître un détail mais, alors que le Parlement n'est représenté que par 4 membres du conseil et l'État par 16 membres, cette absence de suppléance accentue le déséquilibre de la gouvernance de l'ANCT. Une révision du cadre réglementaire pourrait-elle être envisagée pour répondre à cette préoccupation ?
M. Guillaume Chevrollier. -- Je souhaite relayer les attentes des élus, qui demandent de la simplification : la multiplication des dispositifs rend les projets complexes à mettre en place. Les élus rêvent de formulaires uniques pour les différents programmes : cela faciliterait grandement leur vie et celle des secrétariats de mairies. Les projets sont nombreux pour décarboner les équipements publics, mais la diversité des mesures de soutien et l'absence de cumul des dispositifs freinent leur réalisation. Enfin, les élus des communes rurales demandent qu'on ne leur adresse pas la documentation administrative qui ne concerne en rien leur commune, leur vie administrative serait allégée s'ils recevaient seulement les textes réglementaires les concernant.
M. Rémy Pointereau. -- Vous annoncez le recrutement de 100 chargés de projets, soit un par département : est-ce bien suffisant ? Et quelle sera leur attache administrative précise, sachant qu'une partie de leur travail est aujourd'hui fait par les sous-préfets ? Dépendront-ils, concrètement, du préfet de département ?
Quel peut être, ensuite, le rôle de l'ANCT dans la promotion des zones de redynamisation rurale (ZRR) ? Nous avons publié un rapport d'information sur les ZRR en avril dernier, et j'ai déposé une proposition de loi sur le sujet. Nous nous sommes aperçus que 55% des élus disent ne pas être bien informés des avantages liés aux ZRR : est-ce que la promotion des ZRR pourrait faire partie des missions de l'ANCT ? On sait que l'administration fiscale est peu intéressée par la communication autour de ce zonage, étant donné que le recours aux exonérations réduit les ressources fiscales...
M. Cyril Pellevat. -- L'excellent rapport d'information de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales sur le bilan de l'ANCT souligne que les actions de l'ANCT sont peu coordonnées avec les politiques régionales, voire les contredisent, il appelle à une intégration de l'échelon régional dans l'ANCT pour discuter plus en amont des projets régionaux d'aménagement du territoire. Comptez-vous mettre en place une telle articulation, et selon quelles modalités ?
M. Jean-Michel Houllegatte. -- Dans le dossier de presse du plan France Ruralités, vous évoquez des indicateurs de mesure d'impact. Les chiffres que vous présentez témoignent de l'importance des moyens mobilisés, puisque vous citez 2 750 espaces France services, 1 300 maisons de santé, 100 médico-bus, 100 nouveaux chefs de projet, mais aussi 3 000 places supplémentaires en internat d'excellence, 1 250 jeunes en service civique dans la ruralité, ou encore 3 000 " gendarmes verts "... On voit moins, en revanche, les objectifs quantifiés de performance : qui va les définir ? Est-ce que ce sera l'ANCT ?
M. Jean-Claude Anglars. -- Nous avions approuvé le fonds vert avec l'idée qu'il serait à la main des préfets de département, mais la pratique montre qu'une partie de l'enveloppe est aujourd'hui pilotée par les préfets de région : ce fonds va reviendra-t-il plus près du terrain ?
Mme Marie-Claude Varaillas. -- La présence de l'État dans les territoires est la garantie de l'égalité sociale et territoriale pour les 22 millions de nos concitoyens qui habitent dans les territoires ruraux -- lesquels représentent 88% des communes de notre pays. L'ANCT veut accompagner ces territoires dans leur transformation, c'est l'intention. Nous vous avons accueillie au Congrès des maires ruraux en Dordogne à l'automne 2022, les élus vous y ont parlé du zéro artificialisation nette (ZAN) : c'est une gageure, pour les territoires ruraux, de renforcer leur attractivité tout en respectant ce ZAN. Ce serait plus facile en s'appuyant sur les espaces déjà bâtis mais dégradés et sur les friches - mais nous n'avons guère les moyens de rénover ce bâti dégradé et ces friches. L'Association des maires ruraux de France (AMRF) vous a demandé un fonds de soutien, parce qu'on ne peut bâtir le village sur le village sans moyens nouveaux : le Gouvernement est-il prêt à accéder à cette demande ?
Mme Céline Brulin, rapporteure de la Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation. -- Dans le rapport d'information que nous avons publié en février dernier avec Charles Guené, nous avons souligné la grande diversité des manières dont les territoires se sont saisis de l'ANCT, et le rôle majeur du préfet dans cette relation, dont il est le véritable pivot. Je ne vous ai pas entendue mentionner ce rôle de pivot, j'imagine que les nouveaux chargés de mission vont étoffer l'articulation entre les services.
Vous évoquez, M. Genet, une circulaire sur les CLCT, mais il y a besoin d'une circulaire plus globale sur le rôle de l'ANCT, ainsi que sur le recensement de l'ingénierie disponible -- une mission de l'ANCT qui ne représente pas un travail insurmontable, mais qui est indispensable. Nous avons constaté des manques dans l'ingénierie, des associations d'élus nous ont suggéré l'instauration d'un millième pour l'ingénierie, c'est-à-dire de réserver un millième du montant des investissements pour l'ingénierie de projet : qu'en pensez-vous ?
Enfin, le modèle de l'agence devait apporter de la souplesse, de l'agilité et du sur-mesure, bien davantage que ne le font les services extérieurs de l'État. Or, ces qualités attendues ne sont pas au rendez-vous avec l'ANCT : comment l'expliquez-vous ?
Mme Dominique Faure, ministre déléguée. -- La planification territoriale et la co-construction des projets doivent en effet être renforcées. Je me félicite que vous demandiez que les parlementaires disposent d'une suppléance dans leur représentation à l'ANCT, j'y vois le signe de l'intérêt que vous portez à l'agence, car vous ne voulez pas y laisser votre siège vide.
Je suis aussi d'accord avec vous pour souligner l'importance de l'ingénierie prospective, surtout quand on a l'ambition de la transition écologique - et je suis surprise que le directeur général de l'ANCT ne vous ait pas dit combien cette vision du territoire à moyen terme est nécessaire. Les projets doivent s'inscrire dans cette vision prospective, le préfet François Philizot a été reconduit à la tête de l'Observatoire des territoires avec la mission de dynamiser cet outil, qu'il faut davantage solliciter. Je veillerai à ce que le préfet réunisse plus fréquemment les CLCT. S'agissant de la gouvernance et de la possibilité de prévoir des suppléants pour les parlementaires qui siègent à son conseil d'administration, je reviendrai vers vous après avoir consulté le directeur général de l'agence.
J'entends très bien les demandes de clarté, de simplification, de lisibilité, de co-construction - vous prêchez une convaincue en la matière, il faut se placer du point de vue des maires, en particulier ceux de la ruralité. Le plan France Ruralités a précisément pour mission de mettre de l'ingénierie à disposition des maires ruraux, pour que les différents échelons territoriaux, de la commune à la région, s'entendent sur le projet d'ensemble et disent clairement s'ils veulent être partenaires de " Villages d'avenir " : ce programme n'est certainement pas un label d'État, c'est un projet à co-construire, sur la base du projet validé par les collectivités territoriales. Il garantit un subventionnement des projets par l'État à hauteur de 40%, avec un plafond à 1 million d'euros, je reste attachée au plancher actuellement dans la loi de 20% d'autofinancement - et je prends mon bâton de pèlerin pour convaincre les départements et les régions de participer au financement du programme. Vous pouvez m'aider dans ce sens, pour dire aux collectivités que ce programme nouveau n'a rien d'une recentralisation, mais qu'il vise précisément à co-construire les projets.
Vous demandez une politique de différenciation dans l'envoi des documents administratifs aux mairies, pour que les communes rurales cessent de recevoir des circulaires qui ne les concernent en rien -- c'est une demande récurrente, je vais regarder de près comment on peut faire mieux, je vais transmettre la consigne.
La centaine de chargés de mission sera-t-elle suffisante ? Je partage vos doutes, les situations sont très variables d'un département à l'autre, je crois que nous gagnerons à avancer avec pragmatisme. J'aimerais commencer cette année avec une dizaine de chargés de mission : nous avons un enjeu de recrutement, parce que nous voulons des profils expérimentés.
J'entends aussi vos remarques sur la promotion des ZRR, d'autant mieux que j'ai lu attentivement le rapport d'information de votre commission et votre proposition de loi. Vous avez raison, certains élus ne savent pas toujours qu'ils sont en ZRR, ni les avantages qui sont liés à ce zonage ; je travaille avec le ministère de l'Économie des Finances pour obtenir l'automaticité des aides, je pense être en bonne voie pour parvenir à un résultat.
M. Rémy Pointereau. -- Mais l'ANCT ne peut-elle jouer un rôle dans la promotion des ZRR ?
Mme Dominique Faure, ministre déléguée. -- Je vous l'accorde également : le chargé de mission de l'ANCT aura dans ses fonctions celle de diffuser l'information auprès des maires concernant les ZRR.
L'articulation avec les régions est décisive, le programme " Villages d'avenir " est une véritable proposition de pacte d'investissement, j'ai besoin d'une délibération de chaque région et c'est ensemble que nous avancerons - j'entends qu'on reproche à l'État de vouloir imposer ses projets, mais ce n'est pas du tout le cas, les financements iront à celles desaux communes qui se seront mobilisées, ils iront à leurs projets, j'ai besoin de vous pour faire passer le message.
Certains indicateurs ne sont pas présentés dans le dossier de presse : nous proposons cinq indicateurs quantitatifs et trois indicateurs qualitatifs, nous vous communiquerons l'information prochainement.
Le préfet de département est le bon interlocuteur pour le fonds vert, même s'il faut effectivement en passer aussi par le préfet de région pour équilibrer les flux. Nous travaillons avec le ministre Christophe Béchu sur la simplification des circuits, car l'objectif est bien que les collectivités territoriales fassent des économies sur leurs factures énergétiques et qu'elles réduisent leurs émissions de gaz à effet de serre.
Comment renforcer l'attractivité de son territoire, tout en respectant le ZAN ? C'est complexe, mais vous avez en partie répondu : les élus ont un rôle majeur à jouer. Il y a le sujet du logement vacant, il atteint un niveau effarant dans bien des communes rurales -- je pense par exemple à Lavardac, dans le Lot-et-Garonne, où il y a 200 logements vacants pour une commune de 1 800 habitants... -- et le plan France Ruralités aidera à accélérer les procédures, par exemple pour les biens sans maître, en outre, de l'ingénierie est nécessaire. Pour les friches, le programme " Action Coeur de Ville " est un vrai succès pour ceux qui s'y sont engagés, le travail est remarquable, y compris sur l'inventaire des friches qui peuvent être requalifiées en vue d'accueillir un projet artisanal ou économique. Les ministres Christophe Béchu et Roland Lescure ont fait cartographier les friches, en distinguant bien celles qui peuvent être aménagées rapidement. S'agissant du ZAN, le texte est en cours d'examen, la CMP doit avoir lieu prochainement et nous serons bientôt fixés.
Je vous trouve bien critique sur mon appréciation du rôle du préfet, il est effectivement un pivot. L'allocation d'un millième des dépenses d'investissement à l'ingénierie est déjà atteinte par le fonds vert. Laissons arriver les chefs de projet dédiés à la ruralité, ils sauront mobiliser ces moyens.
Je vous trouve également bien critique sur l'apport de l'ANCT en matière d'action administrative : l'agence est effectivement bien plus souple et agile que les services extérieurs de l'État, c'est même le jour et la nuit. Toutes les collectivités territoriales qui se sont engagées dans les programmes de l'ANCT en sont satisfaites, ils apprécient sa souplesse, le cousu main -- je ne vois pas d'équivalent et je crois qu'on doit ces atouts au fait que l'agence est présente dans les territoires. Cela dit, je conviens qu'on peut encore progresser. Je suis parvenue, par exemple, à financer quatre projets « Action Coeur de Ville » qui étaient prêts mais que l'administration refusait de financer, puisque le programme était terminé. L'ANCT a su s'adapter, parce que cela avait du sens. Je sais pouvoir compter sur vous, sur votre pragmatisme, pour continuer d'avancer dans cette direction.
M. Jean-François Longeot, président. -- Merci pour ces précisions. Notez bien que nos questions ont pour but de dynamiser davantage l'ANCT, afin que cette agence soit véritablement au service de nos territoires - et vous pouvez compter sur nous !
Source https://www.senat.fr, le 18 juillet 2023