Interview de M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la justice, à RTL le 19 juillet 2023, sur le projet de réforme de la justice

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Média : RTL

Texte intégral

STEPHANE CARPENTIER
Il est réveillé, c’est le Garde des Sceaux, il est déjà en studio sur RTL, pourtant il a fait un peu la fiesta hier soir. Bonjour à vous, Eric DUPOND-MORETTI.

ERIC DUPOND-MORETTI
Bonjour monsieur CARPENTIER.

STEPHANE CARPENTIER
Vous avez fait un peu la fiesta hier soir à l’Elysée.

ERIC DUPOND-MORETTI
La fiesta… C’était un moment convivial, un rendez-vous annuel.

STEPHANE CARPENTIER
Très bien. On va en parler juste après ça.

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STEPHANE CARPENTIER
C’est donc le Garde des Sceaux qui a pris place dans le studio de RTL, Ministre de la Justice, Eric DUPOND-MORETTI. Merci d’être là assez tôt ce matin sur RTL parce que vous avez dû vous coucher un petit peu tard. Vous étiez à l’Elysée hier soir pour le cocktail dînatoire réunissant les ministres autour du chef de l’Etat. Bonne ambiance donc, vous nous dites ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Oui, oui, bonne ambiance, conviviale et, vous avez parlé tout à l’heure de fiesta, c’était quelque chose de très raisonnable. Je veux rassurer tout le monde.

STEPHANE CARPENTIER
Ce n’est pas un peu bizarre quand même de rassembler tout le monde alors qu’on attend un remaniement ? Que certains membres du Gouvernement vont sauter, là ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Ecoutez, c’est une tradition républicaine que ce dîner du mois de juillet, avant que nous partions les uns et les autres en vacances.

STEPHANE CARPENTIER
Vous ne répondez pas à ma question : ce n’est pas un peu bizarre ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Mais pourquoi ce serait bizarre ?

STEPHANE CARPENTIER
C’est quand même bizarre, il y a un remaniement dans les prochains jours, il y a des ministres qui vont quitter le Gouvernement, ça fait une drôle d’ambiance quand même.

ERIC DUPOND-MORETTI
Oui, mais la vie ne s’arrête pas. Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? C’est une tradition. Et si ce dîner n’avait pas lieu, vous me diriez " mais ce n’est pas un peu bizarre de ne pas faire le dîner ? "

STEPHANE CARPENTIER
Donc tout le monde était souriant, il n’y a pas eu de soucis, RAS.

ERIC DUPOND-MORETTI
Ecoutez, moi je n’ai vu que des gens charmants, qui étaient heureux d’être ensemble pour un moment de convivialité. Ce n’est pas tous les jours comme ça, c’est un peu compliqué la vie de ministre. Moi, je ne vais pas me plaindre. J’ai choisi d’y être mais, voilà, ça fait du bien de se retrouver et puis d’évoquer un peu des sujets plus légers peut-être, un instant. Voilà, un instant de répit.

STEPHANE CARPENTIER
C’est compliqué d'être ministre, vous nous le dites ce matin sur RTL. Ça veut dire que vous serez toujours, vous, Garde des Sceaux dans les prochains jours ou la semaine prochaine ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Ecoutez, moi je vais vous parler de quelque chose qui me tient à coeur, que je porte depuis des mois et des mois…

STEPHANE CARPENTIER
On va en parler, Eric DUPOND-MORETTI.

ERIC DUPOND-MORETTI
Le reste, je n’ai pas de commentaires à faire. Il faut que vous soyez un peu patient. " Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage " a écrit Jean de LA FONTAINE.

STEPHANE CARPENTIER
Vous l'aimez bien celle-là

ERIC DUPOND-MORETTI
Je l’aime bien, oui, et je suis obligé avec les journalistes de m'en servir souvent car vous souhaitez toujours être informés très tôt. C'est votre métier. Attendez quelques heures, quelques jours, je pense que les choses seront dites.

STEPHANE CARPENTIER
Si je ne posais pas la question, je ne serais pas journaliste, vous le savez bien. Donc est-ce que vous serez, vous, toujours dans le prochain Gouvernement ? Est-ce que vous avez envie de ça, de prolonger l'aventure ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Ah ! Ça, ça s'appelle de la prétérition. C'est-à-dire la poser différemment, la question, vous voulez y revenir.

STEPHANE CARPENTIER
C’est mon métier de journaliste.

ERIC DUPOND-MORETTI
Moi, je suis un ministre heureux, je suis enthousiaste à l'idée d'améliorer la justice de mon pays, et c'est pour ça que j'ai quitté une profession que j’aimais pour être ministre. Voilà une réponse.

STEPHANE CARPENTIER
Voilà une réponse.

ERIC DUPOND-MORETTI
Et ma réponse.

STEPHANE CARPENTIER
Votre situation à vous donc, et vous le mettez en avant ce matin, c'est les feux verts qui vous avez obtenus hier à l'Assemblée nationale, puisque l'Assemblée a voté le projet de réforme de la justice, le tout en première lecture, il n’y a pas eu besoin de batailler. Les Républicains et le Rassemblement national vous ont suivi, budget historique, Eric DUPOND-MORETTI : 10 000 personnes embauchées dont 1 500 magistrats et autant de greffiers. C'est la fin de la misère de la justice du quotidien ça ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Je pense qu'on peut le dire comme ça. Vous voyez, je pense que le Sénat d'abord, l'Assemblée nationale hier nous ont permis de tourner la page de la clochardisation de la justice. C'est effectivement un budget historique. Alors après on peut se payer de mots, moi je n'entends pas faire ça et chacun sera juge évidemment notamment des chiffres des embauches en termes de personnels supplémentaires. Le président de la République avait dit 10 000 personnes, il y avait un très grand chantier qui s'appelait les états généraux de la justice. On a consulté tout le monde, tout l'écosystème comme on dit dans une langue un peu technocratique : les magistrats, les greffiers, les agents administratifs, les avocats, les forces de sécurité intérieure. Et le constat c'est qu’évidemment il était grand temps, après trente ans d'abandon humain, politique et budgétaire, de donner à la justice les moyens qu'elle mérite et dont elle a besoin.

STEPHANE CARPENTIER
Donc ce budget est historique. C'est quoi l'ambition ? De réduire par deux les délais de justice aujourd'hui dans notre pays, c’est ça ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Oui, et pour ça il y a deux leviers. Il y a d'abord le levier budgétaire et donc les embauches massives. Vous avez rappelé les chiffres : 1 500 magistrats, 1 500 greffiers, personnel pénitentiaire.

STEPHANE CARPENTIER
Ça, ça va suffire ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Non, non. On ne peut jamais dire que ça suffit évidemment. Il n’y a pas un texte qui permet de sceller définitivement les choses. C'est un progrès permanent mais c'est une marche qui est franchie qui est historique, vous l'avez dit. L'autre moyen, c'est ce que je mets en place en matière civile : l'amiable. Parce que l'amiable permet au justiciable de se réapproprier son procès - il est au coeur de son procès, ce qui n’est pas toujours le cas aujourd'hui – et ça permet drastiquement de réduire les délais. Donc mon ambition, c'est que d'ici 2027 on ait réduit les délais par deux. Je veux une justice plus rapide, plus protectrice.

STEPHANE CARPENTIER
15 000 places de prison en plus actées, Les Républicains ont demandé 3 000 supplémentaires pour faire face à la surpopulation carcérale. Dans les faits, il y a combien de nouvelles places opérationnelles d'ici la fin de cette année, ou peut-être d'ici à la fin de 2024 ? Vous avez un chiffre pour ça ?

ERIC DUPOND-MORETTI
En 2024, nous aurons sorti 25 établissements pénitentiaires sur les 50.

STEPHANE CARPENTIER
C'est-à-dire, " sorti " ? Qu’est-ce que vous entendez par là ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Sorti de terre.

STEPHANE CARPENTIER
D’accord. 25 ?

ERIC DUPOND-MORETTI
25, oui, la moitié.

STEPHANE CARPENTIER
Vous avez de la place pour ça ? Vous avez trouvé des lieux ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Oui, oui, on a trouvé des lieux pour ça. Mais le retard que nous avons pris, il a trois origines. Evidemment la Covid, ensuite il y a eu une pénurie de matériaux de construction, la guerre en Ukraine, et puis la réticence de certains élus qui appellent de leurs vœux à plus de sécurité mais qui ne veulent pas de prison chez eux. Alors c'est bien la prison, mais dans la commune d'à-côté. Donc le deal, si vous me permettez ce mot, avec les LR, c'est : d'accord mais donnez-nous un coup de main pour nous trouver les terrains et que chacun soit face à ses responsabilités.

STEPHANE CARPENTIER
Donc le coup de main, vous allez l’avoir du coup.

ERIC DUPOND-MORETTI
Pardon ?

STEPHANE CARPENTIER
Le coup de main, vous allez l’avoir.

ERIC DUPOND-MORETTI
Ecoutez, c'est ce dont nous avons débattu à l'Assemblée nationale, et moi je compte naturellement notamment sur les élus LR, mais surtout les élus qui souhaitent une construction d'établissement pénitentiaire. Alors on va dire les choses, on ne la construit pas n'importe où : il faut que ça correspond à un besoin, il faut que ce soit près d'un site judiciaire, il y a un certain nombre de critères. Mais oui, si je pouvais avoir ce coup de main là, il nous serait très utile.

STEPHANE CARPENTIER
Puisqu'on parle des prisons Eric DUPOND-MORETTI, concernant les émeutes de fin juin dans notre pays et la réponse judiciaire, les peines en comparution immédiate ont souvent été très sévères. Combien de personnes ont été condamnées à de la prison ferme après tout ça ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Alors, écoutez, d’abord, il était extrêmement important qu’il y ait une réponse ferme, j’ai demandé aux procureurs une réponse ferme, systématique, et chaque fois que c’était possible, j’ai demandé à ce que les auteurs soient déferrés. On ne peut pas regarder ces événements en laissant faire les choses, il était impérieux que nous rétablissions l'ordre républicain, alors maintenant que je vous ai dit ça, j’ai pris une circulaire, d'abord, j'ai pris une circulaire, j'ai eu un contact direct avec les procureurs généraux pour leur expliquer un peu ce que je souhaitais mettre en place, je dois dire qu'il y a eu une adhésion des procureurs, je veux leur rendre hommage ici, ils ont été au rendez-vous des obligations de fermeté qui étaient ce que j'appelais de mes vœux. Alors pour répondre à votre question, il y a 1.278 jugements avec 95% de condamnations, il y a 1.300 déferrements au Parquet, 905 personnes ont fait l'objet d'une comparution immédiate, 1.056 personnes ont été condamnées à une peine d'emprisonnement, dont 742 et une peine ferme, le quantum moyen, moyen ferme, c’est 8,2 mois, 600 personnes ont été incarcérées, et naturellement, il y avait l'autre volet qui était double, c'était de rappeler aux jeunes que Snapchat, ce n'est pas une planque et qu'on peut, comme je l'ai dit, péter les comptes, c'est-à-dire, quand deux gamins s'appellent pour se donner rendez-vous et pour viser une cible, on peut les trouver, et d'ailleurs, ça a été fait, et des condamnations sont intervenues. Et le deuxième volet, vous vous en souvenez, c'est la responsabilité des parents.

STEPHANE CARPENTIER
Justement, vous aviez exigé des parents qu'ils tiennent leurs gosses, leur rappelant leurs obligations, est-ce qu'il y a eu réellement des procédures judiciaires contre les parents ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Alors, il y en aura, parce que ça mérite une expertise, les parents qui sont en capacité, c'est très important ce que je vous dis là, d'exercer leur autorité parentale, ils ne le font pas, ils mettent en danger l'éducation de leurs enfants, ça, c'est déjà un texte qui existe dans le code pénal et qui permet de punir, bien sûr, qu'il ne s'agit pas de punir la maman qui travaille la nuit et qui élève seule son enfant, la systématisation, ce n'est jamais bon, c'est du cas par cas. Donc oui, j'ai rappelé ces obligations, j'ai rappelé également les obligations civiles des parents, parce que les parents doivent savoir que c'est eux qui paient la facture des dégâts commis par leurs gamins. Donc c'était important de le faire, l'Etat n'est pas responsable de tout et ne peut pas être responsable de tout.

STEPHANE CARPENTIER
Eric DUPOND-MORETTI, ce matin, sur RTL, le ministre de la Justice. Merci à vous d'être passé par chez nous. Alors, vous serez donc la semaine prochaine encore au cœur du Gouvernement. N’est-ce pas ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Patientez un peu. On va rappeler Jean de La Fontaine, c'est toujours bon de citer les grands auteurs…

STEPHANE CARPENTIER
Non, je vous en prie.

ERIC DUPOND-MORETTI
Longueur de temps, patience et longueur de temps, etc, etc.

STEPHANE CARPENTIER
On se quitte là-dessus…

ERIC DUPOND-MORETTI
Bonne journée.

STEPHANE CARPENTIER
Bonne journée à vous.


Source : Service d’information du Gouvernement, le 19 juillet 2023