Texte intégral
SEBASTIEN KREBS
L'invitée du jour c'est la ministre en charge de l'organisation territoriale et des professions de santé, Agnès FIRMIN-LE BODO, merci d'être avec nous ce matin. On va parler de la fin de vie, c'est votre gros dossier du moment puisque vous présenterez un texte d'ici à la fin de l'été, d'abord la situation immédiate des soignants, la situation dans nos hôpitaux, de nombreux services d'urgences sont soit fermés, soit régulés cet été, il faut passer par le 15 pour pouvoir y accéder. Tout à l'heure Dominique SAVARY qui dirige le service des urgences de l'hôpital d'Angers nous disait que la situation est pire que l'an dernier, vous faites quel état des lieux vous au ministère de la Santé ?
AGNES FIRMIN-LE BODO
La situation n'est pas pire que celle de l'été dernier. On ne peut pas se satisfaire de cette situation, tout d'abord si certains services sont fermés, cinq sont réellement fermés, je tiens à dire que les urgences vitales sont, elles, toujours assurées, je crois qu'il est important de le signaler à nos concitoyens. Se satisfaire que 18 % de nos services fonctionnent avec une régulation par le 15, ou que dix ont des fermetures partielles, notamment la nuit, non, ni le ministre de la Santé, Aurélien ROUSSEAU, ni moi-même, ne nous en satisfaisons. Nous avons, avec l'aide des ARS, avec l'aide des directeurs d'hôpitaux, anticipé cet été dans les urgences, notamment avec la continuité des mesures dites Braun, qui avaient été mises en place l'été dernier, avec la régulation préalable par le 15, qui produit ses effets, qui permet, comme l'a dit tout à l'heure…
SEBASTIEN KREBS
Ça sauve le système aujourd'hui cette régulation par le 15 ?
AGNES FIRMIN-LE BODO
Ça permet d'abord aux urgences d'être là ce pourquoi elles sont réellement, c'est-à-dire des urgences. La régulation par le 15 permet notamment d'éviter 30 % d'orientations, soit dans les services hospitaliers, soit en ville, puisque simplement un conseil téléphonique permet d'orienter les patients et de leur donner un conseil.
SEBASTIEN KREBS
Sauf qu'on voit bien que, alors vous nous donnez ce chiffre ce matin, 18 % des services d'urgences fonctionnent avec ce système de la régulation, au moins, parfois c'est que la nuit ou le week-end, mais c'est quand même le cas, il faut passer par le 15, sauf que ces régulateurs aujourd'hui sont en grève, il y a un mouvement national, alors ils travaillent quand même parce qu'ils sont réquisitionnés, mais ils sont en grève, parce que finalement tout repose sur eux aujourd'hui.
AGNES FIRMIN-LE BODO
Avec ces régulateurs, je le redis, l'été dernier ces régulateurs avaient le statut de personnels administratifs, grâce à la loi Rist qui a été votée cette année ces régulateurs sont passés à un statut de soignants, nous continuons, avec les services du ministère de la Santé, à travailler avec eux sur leurs grilles salariales, c'est une de leurs revendications…
SEBASTIEN KREBS
Et eux aussi sont débordés finalement.
AGNES FIRMIN-LE BODO
Il faut saluer leur travail. C'est vrai que nous avons, grâce à l'évolution de statut qui permet de les reconnaître comme des soignants, là aussi lancé des programmes de formation, de formation continue, il nous faut plus de régulateurs, c'est ce que nous avons fait et c'est ce que nous sommes encore en train de continuer à travailler avec eux.
SEBASTIEN KREBS
Il faut plus de régulateurs, il faut plus de soignants, il faut plus de médecins à l'hôpital, ce n'est pas un secret, l'hôpital qui faisait beaucoup appel aux intérimaires, qui continue de faire appel à des intérimaires, avec des salaires parfois qui étaient mirobolants, on les appelait « les mercenaires » tellement les salaires pouvaient monter très très haut, les salaires de ces intérimaires, vous les avez plafonnés avec la loi Rist, que vous venez de citer, cette année, sauf que notre invité tout à l'heure nous disait « du coup ils ne viennent plus et ça pose de gros soucis dans certains hôpitaux aujourd'hui », est-ce que c'était la bonne idée ?
AGNES FIRMIN-LE BODO
Alors, nous ne les avons pas plafonnés, je rappelle que c'était la première loi, je crois que c'était Marisol TOURAINE qui avait plafonné, et c'était légitime de plafonner le salaire des intérimaires, nous l'avons augmenté, ce plafond, à 1390 euros par jour, pour une garde de 24 heures, cette demande elle était légitime, elle était nécessaire, parce qu'il n'était pas envisageable que dans un service un médecin qui vient faire une garde de 24 heures puisse gagner parfois entre 5000 et 6000 euros, je dis bien parfois, mais au-delà du plafond autorisé par la loi, alors qu'un autre médecin qui faisait le même métier gagnait ça, lui, en un mois, donc cette différence était inacceptable. Ça entraînait aussi, dans les services, du recours à beaucoup d'intérimaire et donc à un manque, j'allais dire d'unité du service, c'était une forte demande des professionnels eux-mêmes, je tiens à saluer le travail qui a été fait par tous pour que cette régulation, ce n'est pas une suppression, c'est bien une régulation de l'intérim, puisse se mettre en place, ça a été fait, ça a été bien fait, ça a quelques conséquences, mais sur lesquelles, je crois, collectivement nous pouvons nous satisfaire de l'effet produit. Donc, c'est un peu compliqué dans certains services…
SEBASTIEN KREBS
Est-ce que ces solutions d'urgence finalement, intérim, régulation, ça devient l'habitude, ça devient finalement la norme ?
AGNES FIRMIN-LE BODO
On ne peut pas se satisfaire que ce soit la norme, nous avons un manque de professionnels de santé, c'est tout l'enjeu de l'attractivité des métiers. L'urgence, je crois que ça a été dit par le professeur Philippe REVEL de Bordeaux, qui disait que l'urgence était de fidéliser les professionnels en place, c'est ce que nous souhaitons faire avec Aurélien ROUSSEAU, tout en travaillant sur l'attractivité, l'attractivité des métiers c'est, j'étais hier au CHU de Reims, j'ai eu une discussion avec un gynécologue qui m'a dit « mais vous faites quoi pour l'attractivité des métiers ? » L'attractivité des métiers c'est redonner du sens à tous les professionnels, que ce soit à l'hôpital, mais aussi en ville, n'oublions pas en ville, notre système de santé repose bien sur ces deux jambes, c'est redonner du sens, c'est redonner de l'autonomie, comme nous l'a demandé le président de la République, aux services…
SEBASTIEN KREBS
Il faut de la rémunération aussi.
AGNES FIRMIN-LE BODO
La rémunération, ce n'est pas que ça, ça arrive souvent en troisième position. Je vous rappelle que…
SEBASTIEN KREBS
Il y aura des revalorisations pour les médecins ?
AGNES FIRMIN-LE BODO
Je crois que la mesure dit Guérini, notamment sur la fonction publique hospitalière, permet d'augmenter les rémunérations des professionnels de santé.
SEBASTIEN KREBS
Un mot rapide sur la vaccination, parce que je voudrais quand même qu'on ait le temps de parler de la fin de vie, la Haute autorité de santé a recommandé l'obligation vaccinale pour les soignants contre la rougeole, c'est nouveau parce qu'avant ce vaccin n'était que recommandé, est-ce que vous allez suivre cet avis comme le gouvernement le fait habituellement ?
AGNES FIRMIN-LE BODO
Cette discussion nous l'aurons avec Aurélien ROUSSEAU…
SEBASTIEN KREBS
Le ministre de la Santé.
AGNES FIRMIN-LE BODO
Nous avons toujours suivi l'avis de la HAS, notamment en ce qui concerne les recommandations vaccinales, ça a été le cas lorsque la HAS a souhaité ne plus rendre obligatoire la vaccination contre le Covid. La rougeole est en recrudescence dans certains territoires français, il me semble que lorsqu'on est professionnel de santé on doit pouvoir se vacciner contre toutes ces pathologies, ça me semble, à titre personnel, nécessaire.
SEBASTIEN KREBS
Agnès FIRMIN-LE BODO, votre autre gros dossier du moment c'est la charge de rédiger le projet de loi sur la fin de vie, vous le présenterez d'ici à la fin de l'été, après la Convention citoyenne qui a travaillé ces derniers mois et qui s'est prononcée à plus de 75 % en faveur d'une aide active à mourir. On parle d'aide active à mourir, de suicide assisté, d'euthanasie, quels sont les contours que vous envisagez, quels mots vous préférez employer ?
AGNES FIRMIN-LE BODO
Le 3 avril dernier le président de la République, suite à la Convention citoyenne, comme vous venez le dire, a souhaité que le Gouvernement lui présente un projet de loi sur l'accompagnement français de la fin de vie, notre modèle français, avec un travail sur les soins palliatifs absolument nécessaire, donc nous présenterons de façon simultanée une stratégie décennale pour accélérer sur le développement des soins palliatifs, le droit des patients et la protection des personnes, avec notamment toute une réflexion autour de l'accompagnement du deuil, autour des directives anticipées, des discussions accompagnées, l'accompagnement des aidants sur cette période difficile de la fin de vie, et puis un troisième volet qui est l'introduction dans notre loi d'une aide active à mourir qui « revêtra » [sic] soit la modalité euthanasie faite par un professionnel de santé, soit le modèle suicide assisté, où c'est la personne qui elle-même, de façon accompagnée, puisse faire le geste.
SEBASTIEN KREBS
Dans quelles conditions un patient pourra demander une aide à mourir ?
AGNES FIRMIN-LE BODO
La Convention citoyenne a elle-même mis, j'allais dire des recommandations, d'abord il faut exclure les mineurs, et c'est la volonté du président de la République, donc les mineurs ne feront pas partie de ce texte de loi, le pronostic vital doit être engagé à moyen terme, et puis la volonté libre et éclairée, autrement dit le discernement de la personne, font partie des conditions nécessaires pour être éligible à une discussion autour de l'aide active à mourir.
SEBASTIEN KREBS
Comment on s'assure justement de la volonté du patient, quand le patient est très malade et quand il n'est peut-être plus en état de parler, par exemple ?
AGNES FIRMIN-LE BODO
Donc c'est tout le travail de co-construction que nous faisons depuis le mois de mai, à la fois avec un groupe transpartisan de parlementaires, mais aussi avec un groupe de discussion autour des soignants, sur quelles sont les modalités qui permettent d'accéder à cette aide active à mourir. La collégialité de professionnels qui entourent la personne malade est une nécessité, nous pensons aussi devoir de proposer un passage vers les soins palliatifs, si tel n'a pas été le cas. Un soutien psychologique nous semble aussi nécessaire. Donc ces modalités sont en train d'être travaillées, je le redis, de façon collégiale, et cette nouvelle façon de faire est très intéressante, sur un sujet comme celui-là, où vous l'avez évoqué, 75 % de nos concitoyens souhaitent que la loi puisse évoluer.
SEBASTIEN KREBS
Les médecins, on le sait, sont très réticents à l'idée que ce soit eux qui soient en charge de donner la mort, parce que ça n'est pas leur métier, leur métier c'est de soigner. Est-ce que vous vous engagez à ce que le médecin ne soit jamais celui qui donne la mort ?
AGNES FIRMIN-LE BODO
Alors, les médecins sont réticents, une partie des médecins sont réticents, c'est ceux que nous entendons. Certains médecins pensent aussi que, accompagner le patient jusqu'à son dernier choix, ils peuvent aussi le faire. La discussion est de savoir, les échanges nombreux et très intéressants que nous avons autour des médecins, est-ce que ce sont eux qui font le geste, et donc dans ce cas-là, est-ce que l'on va vers le modèle dit euthanasie, qui est plutôt le modèle belge ? Ou alors, est-ce que nous allons vers le modèle suicide assisté, est-ce que c'est plutôt le modèle suisse ? La question, qui est la nôtre, qui n'est pas encore tranchée…
SEBASTIEN KREBS
Suicide assisté, ça veut dire qu'en gros on vous fournit le produit, et c'est la personne qui se l'administre elle-même.
AGNES FIRMIN-LE BODO
Voilà, et la question…
SEBASTIEN KREBS
Si elle peut le faire.
AGNES FIRMIN-LE BODO
Si elle peut le faire. Et la question c'est : comment on peut permettre aux personnes qui physiquement répondent aux critères d'éligibilité, mais qui ne peuvent pas faire le geste, comment on accompagne ces personnes. Donc rien n'est tranché, les discussions se sont toutes ouvertes, mais nous avons la volonté toujours d'écouter et de coconstruire avec les soignants aussi.
SEBASTIEN KREBS
Vous avez cité les soins palliatifs, aujourd'hui la Cour des comptes dit : à peine 50 % des besoins sont couverts, et il y a encore une vingtaine de départements qui n'ont aucun service de soins palliatifs. Est-ce qu'à l'avenir il y aura un service dans chaque département ?
AGNES FIRMIN-LE BODO
Alors, 20 départements n'ont pas d'unités de soins palliatifs, ce sont les unités qui prennent en charge les cas complexes, ce qui ne veut pas dire qu'ils n'ont pas de lits de soins palliatifs. Le constat qui a été fait par la Cour des comptes, mais que nous avions fait avant ce rapport de la Cour des comptes, puisque nous avons, à la demande du président de la République et de la Première ministre, travaillé à cette stratégie décennale, c'est que ces 20 départements qui ne sont pas couverts, ne le sont pas faute de moyens, mais parce que là aussi nous avons un problème de formation des professionnels de santé, donc partir sur une stratégie à 10 ans va nous permettre de former à la fois des médecins en soins palliatifs, mais aussi beaucoup plus d'infirmières et d'aides-soignantes, sur cet enjeu majeur….
SEBASTIEN KREBS
Donc il y aura des moyens pour ça, dans ce projet de loi ?
AGNES FIRMIN-LE BODO
Dans ce projet de loi, bien sûr, il faudra travailler ces moyens, mais dans l'intérêt de partir à 10 ans, c'est qu'on peut les planifier ces moyens, et c'est tout l'enjeu d'abord de former et ensuite de développer. Mais l'urgence, et vous l'avez dit, c'est que tous les départements français puissent être couverts en unités de soins palliatifs, c'est un objectif que nous fixerons, je le souhaite, avant la fin de l'année 2024.
SEBASTIEN KREBS
Le rendez-vous donc pour ce projet de loi à la fin septembre, à la fin de l'été. Dernière question rapidement Agnès FIRMIN-LE BODO, est-ce que vous accorderez une interview au Journal du Dimanche pour parler de la fin de vie par exemple ?
AGNES FIRMIN-LE BODO
Ecoutez, c'est une bonne question, j'imagine qu'elle fait suite à la position qu'a prise un député hier…
SEBASTIEN KREBS
Les socialistes et les écologistes disent : nous n'irons plus donner d'interview au Journal du Dimanche.
AGNES FIRMIN-LE BODO
Et moi je ne me suis pas encore posé la question, j'attends de voir la ligne éditorialiste réelle de ce que sera le Journal du Dimanche. Voilà, moi je n'ai pas encore d'idées préconçues sur la question et je ne prendrai pas un engagement très ferme et définitif sur ce sujet. Je crois qu'il est important de voir quelle ligne choisira le Journal du Dimanche.
SEBASTIEN KREBS
Merci Agnès FIRMIN-LE BODO d'être venue ce matin sur RMC, ministre en charge de l'Organisation territoriale et des Professions de santé. Très bonne journée à vous, bel été.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 4 août 2023