Texte intégral
THOMAS SOTTO
Bonjour Aurore BERGÉ.
AURORE BERGÉ
Bonjour.
THOMAS SOTTO
Vous êtes donc la ministre des Solidarités et vous avez du boulot dans un monde qui en manque parfois beaucoup. Alors, j'ai regardé dans le Larousse ; Solidarité, définition : sentiment qui pousse les hommes à s'accorder une aide mutuelle. Cette Solidarité, de quelle manière doit-elle s'appliquer à la dizaine de milliers de personnes qui sont arrivées sur l'île de Lampedusa ces derniers jours ?
AURORE BERGÉ
C'est d'abord une Solidarité qui est européenne et vous le savez parce que faire croire qu'on peut régler la question migratoire uniquement pays par pays, c'est de toute façon une gageure. Et d'ailleurs même MELONI l'a compris.
THOMAS SOTTO
La Première ministre italienne.
AURORE BERGÉ
Puisqu'elle a demandé à la présidente de la Commission européenne de venir à Lampedusa pour se rendre compte de ce qui se passait et que cette solidarité puisse exister. Et c'est la solidarité qu'on doit au pays de départ parce que si on veut mieux maîtriser les flux, il faut faire en sorte à la fois de les tarir. Et les tarir, c'est aussi la question du codéveloppement, c'est aussi la question de comment on évalue ceux qui peuvent demander l'asile parce qu'ils fuient des pays qui sont contre.
THOMAS SOTTO
Ça, c'est le travail de fond à faire. Mais on se souvient de la célèbre phrase de Michel ROCARD qui avait dit en substance "la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde, mais elle doit prendre sa part." Quelle doit être, selon vous, la part de la France ? Est-ce qu'on doit faire venir sur le territoire national une partie de ces hommes, ces femmes, ces enfants qui sont arrivés ?
AURORE BERGÉ
Encore une fois, il y a un cadre européen qui est fixé et qui est très clair c'est-à-dire que c'est le pays qui est le premier pays d'entrée (en l'espèce l'Italie) qui doit ou non demander que cette solidarité européenne puisse exister ; c'est-à-dire de potentiellement répartition en fait du nombre de migrants. Et puis, la question c'est d'évaluer évidemment les situations. Ce n'est pas parce que vous arrivez à Lampedusa que toutes celles et ceux qui arrivent ont vocation à rester au sein de l'Union européenne. Ce qui est intéressant aussi c'est de voir qu'en France, depuis début 2023, on a réussi à démanteler plus de 200 réseaux de passeurs. Les réseaux de passeurs pour le coup, c'est l'inverse de la solidarité. C'est ceux qui se jouent de la misère, c'est ceux qui arnaquent, qui volent, ces personnes qui leur font prendre des risques inouïs. Regardez les embarcations sur lesquelles ils les font partir. Et je crois que là, il faut être d'une fermeté absolue.
THOMAS SOTTO
C'est un bon sujet pour un référendum, l'immigration ou pas ? C'est ce que demande Marine LE PEN.
AURORE BERGÉ
Ça, c'est de toute façon le Président de la République qui en décidera. C'est lui qui décide quels sont les référendums ou pas. Il y a des règles aussi dans notre Constitution, il y a des sujets qui aujourd'hui ne peuvent pas être abordés.
THOMAS SOTTO
Et votre avis à vous parce qu'il aime bien être éclairé, il aime bien consulter aussi le Président de la République ?
AURORE BERGÉ
Dans ces cas-là, on en parle directement et pas sur un plateau de télé interposé. Moi, ce que je sais c'est que la promesse faite par l'extrême droite depuis des années, c'est de dire qu'ils seraient un garde-frontière à eux seuls. La seule victoire de Marine LE PEN ne permettrait pas d'endiguer évidemment la question migratoire. Votre invité le disait juste avant ; les phénomènes migratoires, ce sont des phénomènes… les misères sont des phénomènes climatiques. Donc notre enjeu, il est d'abord de tarir à la source, à la fois sur le codéveloppement et avec des règles qui sont très fermes et qui sont partagées au sein de l'Union européenne.
THOMAS SOTTO
On en vient au plan pauvreté : le pacte de solidarité, pour dire les choses précisément, on l'a beaucoup attendu. Il a longtemps été reporté. Ce matin, vous voulez nous en présenter les grandes lignes. Cette pauvreté, "pour planter le décor", elle touche plus de 9 200 000 personnes en France ; c'est 15 % de la population. Cette pauvreté qui fait qu'aujourd'hui, plus d'une personne sur dix est obligée de renier entre autres sur son budget alimentation, sur le chauffage. On voit là à quel point le chantier est vaste. Très concrètement, combien vous mettez sur la table pour ce plan ?
AURORE BERGÉ
Très concrètement, il y a 20 milliards d'euros qui sont dédiés à notre action de lutte contre la pauvreté. Ça veut dire à la fois un soutien très direct sur les publics qui sont les plus fragiles. J'y reviendrai, notamment la question des enfants. Et puis, ça veut dire des actions aussi structurelles parce que lutter évidemment contre la pauvreté, c'est d'abord la question du retour à l'emploi. Il y a des gens qui, parce qu'ils ont été éloignés de l'emploi pendant longtemps, on sait que c'est évidemment beaucoup plus compliqué pour eux donc c'est un accompagnement spécifique. C'est la question aussi de lever des freins qui sont objectifs comme la garde d'enfants par exemple.
THOMAS SOTTO
On va y venir mais 20 milliards, c'est 20 milliards d'argent frais ou c'est de l'argent qui a déjà été affecté, qui est regroupé ? C'est vraiment on part de zéro et on met 20 milliards ?
AURORE BERGÉ
On met 20 milliards parce que par exemple, qu'on construit le service public de la petite enfance, c'est nouveau, c'est 6 milliards d'euros sur le quinquennat pour garantir que chaque famille puisse avoir une solution de garde pour son enfant. Parce qu'aujourd'hui on a à la fois des enfants qui parfois n'ont pas de solution de garde, mais ça veut dire aussi des parents qui n'ont pas de capacité à reprendre une activité professionnelle et donc ça c'est des freins qui sont objectifs. Je ne peux pas reprendre un emploi si je ne sais pas faire garder mon enfant en toute sécurité avec une vraie qualité de l'accueil pour mon enfant. Et j'ajoute qu'au-delà de ce qu'on fait spécifiquement sur la lutte contre la pauvreté, on a quand même un modèle social qui fait qu'il est extrêmement robuste, extrêmement redistributif, et qu'il évite à 5 millions de personnes de tomber dans la pauvreté. Ça, c'est ce que les Français permettent, la contribution des Français, l'impôt des Français, la manière avec laquelle on a pensé ce système fait qu'encore une fois, on évite surtout au maximum que les personnes puissent entrer dans la pauvreté.
THOMAS SOTTO
20 milliards sur cinq ans, c'est ça ?
AURORE BERGÉ
Oui. C'est pluriannuel, évidemment.
THOMAS SOTTO
Sur cinq ans. OK. Les enfants, vous disiez, sont trop souvent les victimes collatérales de cette pauvreté. Le problème pour eux, c'est d'avoir un toit. Combien y a-t-il d'enfants mal logés en France aujourd'hui ?
AURORE BERGÉ
Alors on estime à peu près 80 000 enfants mal logés. Alors mal logés, ça peut être de l'hébergement d'urgence, parce que votre maman a été victime de violences par exemple, ça peut être de l'hôtel social. Donc c'est des solutions qui sont précaires, qui sont temporaires. On a sécurisé l'hébergement d'urgence dans le plan de lutte contre la pauvreté, dans ce pacte des Solidarités. Il y a 203 000 solutions d'hébergement d'urgence. Et sur ces 80 000 enfants, là où il y a quelque chose qui est totalement invraisemblable et indigne, c'est que la moitié d'entre eux, aujourd'hui, n'est pas scolarisée. Quand vous n'avez pas accès à la scolarité…
THOMAS SOTTO
Mais comment vous allez faire pour que ces 80 000 enfants soient scolarisés ?
AURORE BERGÉ
Les repérer déjà, parce que c'est très difficile de savoir aujourd'hui où ils sont. Ça veut dire qu'on va tripler le nombre de médiateurs sociaux qui vont se rendre dans ces hébergements d'urgence, qui vont se rendre dans ces hôtels sociaux, qui vont garantir que chaque enfant ait droit à une scolarité. Parce que ça, c'est ce qu'on doit à tous les enfants évidemment dans notre pays. Et puis quand vous avez droit à une scolarité, c'est déjà votre avenir que vous garantissez un peu mieux. C'est le droit tout simplement aussi à la cantine, donc à une alimentation de qualité, ce qu'on fait d'ailleurs sur les cantines à 1 €, sur les petits déjeuners gratuits à l'école ; c'est le droit à l'accès à la culture, aux livres, à l'écrit ; c'est le droit à l'accès au sport. Donc garantir l'accès à l'école, ce n'est pas juste garantir un avenir par l'apprentissage…
THOMAS SOTTO
Mais le premier sujet, c'est quand même d'avoir accès à un toit, un vrai toit en dur.
AURORE BERGÉ
Bien sûr.
THOMAS SOTTO
Est-ce que là-dessus, il y a volet aussi dans le plan ?
AURORE BERGÉ
Bien sûr. Tout ce qu'on a fait, ce qu'on appelle Le logement d'abord, c'est garantir évidemment que l'hébergement d'urgence, il ne soit qu'une solution extrêmement temporaire, encore une fois parce que vous avez un accident…
THOMAS SOTTO
Souvent du temporaire qui dure.
AURORE BERGÉ
Mais c'est ça qu'on doit évidemment, c'est garantir que quand vous avez un accident de parcours extrêmement violent, je parlais des femmes victimes de violences en particulier, évidemment, vous devez être immédiatement accueilli, protégé, et votre enfant aussi. Mais l'idée, c'est que ça ne soit que transitoire, et que même pendant cette phase transitoire, encore une fois, tous nos enfants aient droit à la scolarité.
THOMAS SOTTO
Aurore BERGÉ, il y a de la malnutrition infantile en France, on n'en parle pas beaucoup. Il y en a beaucoup notamment dans les territoires d'Outre-Mer. Quelles réponses y apporter, là encore ?
AURORE BERGÉ
Alors ça, c'était un peu un trou dans la raquette qui n'allait pas, parce que dans le précédent plan de lutte contre la pauvreté, il n'y avait rien de spécifique sur les territoires ultramarins. Les territoires ultramarins, ils sont très disparates évidemment, et c'est un taux de pauvreté qui est 5 à 15 fois supérieur à ce qui se passe dans l'Hexagone. Donc vous voyez bien qu'on a des actions spécifiques…
THOMAS SOTTO
Donc il y aura un investissement qui sera 5 à 15 fois supérieur ?
AURORE BERGÉ
Donc il y a un investissement, il y a tous les programmes de droits communs évidemment.
THOMAS SOTTO
Il en faut plus, là-bas.
AURORE BERGÉ
Parce que ce qu'on fait pour l'Hexagone, évidemment, doit exister partout dans notre pays, donc évidemment dans les territoires ultramarins. Et on va renforcer cette action. Il y a 50 millions d'Euros très spécifiques notamment sur l'école, sur les manuels scolaires, sur la cantine à 1 €, sur les petits déjeuners gratuits. Parce que vous l'avez dit, la malnutrition infantile, comment vous pouvez aller à l'école si vous avez faim, si vous avez tout simplement…
THOMAS SOTTO
Le problème, c'est que manger, ça coûte de plus en plus cher, on en parle tous les jours dans cette émission et partout ailleurs. En ces temps d'hyper inflation alimentaire, est-ce que vous avez l'impression que la grande distribution et les industriels connaissent suffisamment le sens du mot solidarité, Aurore BERGÉ ?
AURORE BERGÉ
Je crois qu'il faut que tout le monde joue le jeu.
THOMAS SOTTO
Est-ce qu'ils jouent le jeu ?
AURORE BERGÉ
Il va falloir qu'ils jouent un peu plus, de manière assez évidente. Moi, je réunis d'ailleurs les acteurs de l'agroalimentaire cette semaine parce qu'ils veulent s'engager justement sur comment aider au quotidien, aider les associations, les associations d'aide alimentaire, les associations sur la précarité infantile. Parce qu'un bébé, on va aider, ça coûte cher. Ça coûte cher d'acheter des couches, ça coûte cher d'acheter des petits pots, ça coûte cher d'acheter du lait infantile. Donc il faut évidemment qu'il y ait des actions de solidarité qui soient mises en place.
THOMAS SOTTO
Il faut qu'ils fassent plus, les industriels et la grande distribution ?
AURORE BERGÉ
Je crois qu'il faut que collectivement ils fassent plus, et pas que chacun se renvoie la balle. Parce qu'à la fin, c'est les Français qui font leurs courses, c'est les Français qui voient que leurs crédits ont du mal à se remplir. Et l'idée, c'est aussi de protéger l'emploi, parce que la meilleure des protections pour le pouvoir d'achat, c'est d'abord de garantir que les Français aient accès à un emploi, et un emploi qui soit rémunérateur. D'où la question de la conférence sociale.
THOMAS SOTTO
Alors justement, il y a beaucoup d'associations qui ont demandé une revalorisation des principaux minimas sociaux. Ça, ce n'est pas d'actualité, on est d'accord ?
AURORE BERGÉ
Ils ont été revalorisés. Sur 18 mois, les minimas sociaux ont été revalorisés de 5,6 %. Ce qui permet justement de lutter évidemment contre l'inflation. Mais encore une fois, je pense qu'il faut être très vigilant. Vous savez que quand on vient sur un plateau de télévision, qu'on annonce des milliards d'Euros qui sont mis sur la table, il y a ceux qui dise, mais à la fin, qui paye ? Ben c'est nous. C'est nos impôts. Et nous, l'engagement qu'on a pris justement vis-à-vis des classes moyennes, vis-à-vis de ceux qui travaillent, c'est de dire qu'on va continuer à baisser les impôts des Français, et qu'on ne les augmentera pas demain. Donc tout ce que je dis, c'est ce qui est soutenable, c'est ce qui est finançable, c'est ce qui fait qu'on peut à la fois lutter contre la pauvreté de manière très efficace avec des actions ciblées sur des publics qui sont les plus fragiles. Et dans le même temps, on ne dit pas aux Français : "C'est vous qui allez payer l'addition demain par des hausses d'impôts."
THOMAS SOTTO
Aurore BERGÉ, une dernière question, je veux qu'on se redise quelques mots sur les crèches. Quand vous avez réagi assez vivement il y a quelques jours, quand deux livres nous ont montré les conditions d'accueil parfois déplorables des enfants dans certaines crèches privées ; vous disiez vouloir changer la loi avant la fin du mois de septembre notamment pour avoir le droit d'aller mettre le nez dans les comptes et l'organisation des grands groupes de gestion de ces crèches. On en est où ? Ce sera fait avant la fin du mois ?
AURORE BERGÉ
Ce sera le cas si les parlementaires en décident. Ce sera en discussion cette semaine à l'Assemblée nationale.
THOMAS SOTTO
Ça serait une priorité du Gouvernement ?
AURORE BERGÉ
C'est une priorité du Gouvernement. Enfin, vous imaginez bien que la question de la sécurité de nos enfants, quand vous déposez votre enfant le matin à la crèche, vous devez vous dire que votre enfant y est bien accueilli, qu'il est en totale sécurité. Vous ne pouvez pas repartir avec une boule au ventre en vous demandant comment votre enfant est traité dans la journée.
THOMAS SOTTO
Donc c'est en haut de la pile parlementaire pour la rentrée ?
AURORE BERGÉ
C'est très en haut de la pile parlementaire puisque c'est dès le premier projet de loi, cette semaine, que j'irai moi-même le défendre en commission des affaires sociales et que l'engagement aussi des groupes privés que j'ai convoqués et réunis, c'est qu'on se revoit dans deux mois pour voir quels sont les progrès. Et le premier progrès qu'ils doivent faire c'est aussi vis-à-vis des professionnels qu'ils salarient. Parce qu'on a une pénurie aujourd'hui de professionnels et qu'on ne résoudra cette crise que si on recrée de la vocation. Et recréer la vocation, c'est aussi de leur donner les moyens, à ces professionnels.
THOMAS SOTTO
Vous êtes maman d'une toute petite fille, je ne trahis pas de secret, vous en parlez. Vous la mettriez sans crainte dans une crèche privée aujourd'hui ?
AURORE BERGÉ
Elle est en crèche ma fille.
THOMAS SOTTO
Privée ?
AURORE BERGÉ
Elle a été en crèche privée ; là maintenant, elle est dans une crèche publique. J'ai fait les deux, tout simplement parce que, vous savez, les parents font ce qu'ils peuvent. Il ne faut pas culpabiliser les parents. Ils trouvent le mode de garde qui leur correspond. Ils trouvent le mode de gains qui est à proximité d'eux. Mais encore une fois, quel que soit le mode de garde (chez une assistante maternelle, dans une crèche publique, privée, associative) vous devez avoir à la fois le même reste à charge pour les familles ; ça c'est le job de l'État de faire en sorte que ce soit le cas.
THOMAS SOTTO
La même qualité d'accueil et sécurité.
AURORE BERGÉ
Même qualité d'accueil et même sécurité d'accueil.
THOMAS SOTTO
Merci Aurore BERGÉ de venir dans les 4V.
AURORE BERGÉ
Merci à vous.
THOMAS SOTTO
Merci bonne journée.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 20 septembre 2023