Interview de M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué, chargé du numérique, à France Inter le 19 septembre 2023, sur le projet de loi pour sécuriser et réguler l'espace numérique.

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Média : France Inter

Texte intégral

MATHILDE MUNOS
Bonjour Jean-Noël BARROT.

JEAN-NOËL BARROT
Bonjour Mathilde MUNOS.

MATHILDE MUNOS
Vous êtes le ministre délégué chargé de la Transition numérique, et vous avez un projet de loi qui arrive aujourd'hui à l'Assemblée, un texte pour sécuriser et réguler l'espace numérique. C'est très vaste comme mission. On va prendre un exemple concret, l'application TikTok est accusée d'avoir poussé au suicide une adolescente de 15 ans en France. Ses parents ont porté plainte, ils estiment que l'algorithme du réseau a enfermé leur fille dans son mal-être. Votre projet de loi permettra-t-il d'empêcher de tels drames ?

JEAN-NOËL BARROT
Oui, parce que ce projet de loi il vient concrétiser dans notre droit français, un règlement que la France a porté l'année dernière, qui a été adopté par toute l'Union européenne, et qui pour la première fois impose aux grandes plates-formes de réseaux sociaux, de se soucier des conséquences qu'elles ont sur le monde et sur leurs utilisateurs, et en particulier sur la santé de leurs utilisateurs. Si elles ne prennent pas le soin d'analyser, de corriger ces risques, et en particulier les risques qu'elles font peser sur les enfants et sur les mineurs, alors eh bien une application comme TikTok pourra être sanctionnée, à hauteur de 6 % de son chiffre d'affaires mondial. Pour TikTok c'est 600 millions d'euros.

MATHILDE MUNOS
Mais très concrètement, parce que se soucier ça reste un peu vague, votre projet de loi, il oblige Twitter, il oblige Twitter et les autres, et TikTok là en l'occurrence, à faire quoi, à modifier son algorithme, à mettre en place des contrôles, une surveillance précise ?

JEAN-NOËL BARROT
C'est l'Europe qui va imposer un TikTok, grâce à ce texte de loi qui vient traduire dans notre droit ce règlement européen. Le fait de faire auditer ses algorithmes, de partager ses données avec les chercheurs, d'imposer les processus de signalement simples et accessibles pour les enfants, et le retrait des contenus qui sont signalés, et cette nouvelle obligation qui est pour la plateforme d'analyser et de corriger les risques sur la santé des utilisateurs, sans quoi les sanctions extrêmement lourdes peuvent être prononcées à l'encontre de ces plateformes, comme TikTok.

MATHILDE MUNOS
Donc, sanctions contre les plateformes. Votre projet de loi vise aussi tous ceux qui propagent de la haine en ligne.

JEAN-NOËL BARROT
Absolument. Il y a une minorité d'internautes qui se comportent comme des chefs de meute, et qui propagent la violence sur les réseaux sociaux, en désignant à leur communauté des personnes ou des personnalités, comme des cibles, et bien souvent des femmes, qui sont 26 fois plus souvent harcelées que les hommes. Ce que prévoit ce projet de loi, c'est une peine de bannissement, une peine que le juge pourra prononcer lorsqu'il condamne quelqu'un pour cyberharcèlement, en le bannissant pendant une période de 6 mois, du réseau social sur lequel il a commis ces violences.

MATHILDE MUNOS
Alors, Jean-Noël BARROT, ça pose plusieurs questions ça. D'abord qu'est-ce qu'on considère comme un appel à la violence ? Comment on repère ces appels ? Comment on identifie ces personnes ? Souvent c'est des messages anonymes. Comment on fait tout ça ?

JEAN-NOËL BARROT
Eh bien c'est entre les mains du juge, puisque, vous avez raison, il faut à chaque étape veiller à préserver les libertés fondamentales, et en particulier la liberté d'expression. Et donc, lorsque le juge, dans des cas que la loi prévoit, va condamner une personne parce qu'elle a semé la violence ou parce qu'elle a cyberharcelé une personne, alors le juge pourra, dans certains cas, s'il le juge pertinent, eh bien prononcer cette peine complémentaire, cette peine supplémentaire de bannissement du réseau social sur lequel l'infraction ou le délit a été commis.

MATHILDE MUNOS
Mais ça veut dire que ça va être très long. Parce que le temps de solliciter un juge, il peut se passer du temps quand même.

JEAN-NOËL BARROT
Oui, mais vous venez de rappeler à juste titre qu'il y a certains délits sur lesquels on ne peut pas s'appuyer sur autre chose que le jugement d'un magistrat, pour définir si oui ou non la loi a été enfreint. Et ce qui est très important à savoir, c'est que la condamnation pourrait s'adjoindre d'une peine de bannissement pour éviter la récidive, un peu comme ça a été le cas des interdictions de stade pour les violences dans les stades sportifs.

MATHILDE MUNOS
Et comment on vérifie que les personnes ne reviendront pas sur le Web avec un pseudo ? Vous dites "ils sont bannis", mais les plateformes ont les moyens de les identifier, de voir qu'elles essaient de revenir ?

JEAN-NOËL BARROT
Les plateformes devront prendre tous les moyens pour veiller à ce que la personne ne se réinscrive pas, et il en existe, parce qu'elles peuvent conserver certaines données identifiantes, même si elles n'ont pas l'identité de la personne. Mais vous avez raison, il faut renforcer un peu le dispositif et nous allons, lors des débats à l'Assemblée nationale, qui vont commencer aujourd'hui, eh bien proposer que ce ne soit l'auteur lui-même qui se voit sanctionné, s'il essaie de contourner les mesures mises en place par les plateformes pour empêcher sa réinscription.

MATHILDE MUNOS
Et vous, est-ce que vous allez recruter du monde justement pour pouvoir mieux contrôler, mieux vérifier qu'est ce qui se passe sur le Web, pour pouvoir traquer les appels à la haine ou au meurtre ? Il faut du monde pour faire ça.

JEAN-NOËL BARROT
Vous avez tout à fait raison, c'est d'ailleurs le rôle de l'ARCOM, qui est l'autorité, qui est le gendarme de l'audiovisuel et des médias, dont les effectifs ont été renforcés de 15 personnes supplémentaires l'année dernière, qui vont être à nouveau renforcés de 10 personnes supplémentaires l'année prochaine, ce qui va permettre à cette autorité d'assumer les nouvelles missions qu'on veut lui confier.

MATHILDE MUNOS
25 personnes, c'est suffisant pour des millions et des millions et des millions de messages quotidiens ?

JEAN-NOËL BARROT
Oh, mais vous savez, l'ARCOM n'agira pas seule, puisque grâce à ces règles européennes que la France, que le président de la République a portées l'année dernière, eh bien ce sont de nouveaux recrutements, et là de l'ordre de la centaine, qui ont été faits à la Commission européenne, et bien pour veiller à ce que les réseaux sociaux soient bien tenus à un niveau de responsabilité suffisant.

MATHILDE MUNOS
Jean-Noël BARROT, après les émeutes d'il y a deux mois, il y a un groupe de travail avec des parlementaires qui s'est formé, qui a étudié le sujet, le rôle des réseaux sociaux dans la propagation de ces émeutes. Est-ce que ce rôle est avéré ?

JEAN-NOËL BARROT
Vous avez raison, on a rassemblé 15 groupes politiques, de tout le tout le spectre politique, pour analyser à froid et essayer de tirer les premières leçons. Ce dont on s'aperçoit, c'est qu'il y a effectivement un rôle qui a sans doute été joué par les réseaux sociaux, mais qu'on ne peut pas jeter le bébé avec l'eau du bain, parce que les appels au calme ont été beaucoup plus nombreux sur les réseaux sociaux, que les appels à la violence. Et donc, ce que la Première ministre nous a demandé, eh bien c'est de proposer un certain nombre de solutions, pour qu'à l'avenir, à la fois on puisse mieux veiller à ce que les réseaux sociaux ne soient pas dévoyés au service de la formation de violences urbaines, et puis d'autre part qu'on puisse mieux valoriser celles et ceux qui, au quotidien, s'engagent sur Internet pour apporter de la pacification et de l'apaisement.

MATHILDE MUNOS
Et dans les deux cas, comment vous comptez vous y prendre ?

JEAN-NOËL BARROT
Eh bien la Première ministre réunira tous les membres du gouvernement qui ont planché sur les conséquences à tirer des violences urbaines de début juillet. Je détaillerai ses propositions à cette occasion-là, et les amendements éventuels, les propositions éventuelles, seront soumises aux députés qui pourront les porter de manière transpartisane.

MATHILDE MUNOS
Et donc il va y avoir effectivement la création d'une réserve citoyenne du numérique ?

JEAN-NOËL BARROT
Ça fait partie effectivement des solutions que je souhaite proposer à la Première ministre et donc aux parlementaires, car il me semble essentiel de valoriser celles et ceux qui, au quotidien, s'engagent pour apaiser l'espace numérique et faire en sorte que ce soit un espace dans lequel on puisse s'exprimer sereinement.

MATHILDE MUNOS
Jean-Noël BARROT merci, ministre délégué chargée de la Transition numérique.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 20 septembre 2023