Interview de M. Philippe Vigier, ministre délégué, chargé des Outre-mer, à RFI le 21 septembre 2023, sur le manque d'eau à Mayotte.

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Média : Radio France Internationale

Texte intégral

FRÉDÉRIC RIVIÈRE
Bonjour Philippe VIGIER.

PHILIPPE VIGIER
Bonjour.

FRÉDÉRIC RIVIÈRE
Vous allez retourner à Mayotte dans quelques jours. Vous y étiez récemment. Mayotte qui souffre depuis des semaines d'un terrible manque d'eau. Un rationnement extrêmement sévère a été mis en place. Pas d'eau au robinet deux jours sur trois. Est-ce qu'il vous paraît imaginable que l'on fasse subir une telle privation d'un bien aussi essentiel à quelques territoires que ce soit en métropole ?

PHILIPPE VIGIER
Non, ce qui se passe à Mayotte est dramatique. C'est dramatique et d'abord je voudrais dire que les Mahoraises et les Mahorais démontrent une fois de plus une résilience extraordinaire

FRÉDÉRIC RIVIÈRE
Il y a une colère aussi qui s'exprime.

PHILIPPE VIGIER
Comment ?

FRÉDÉRIC RIVIÈRE
Une colère aussi qui s'exprime.

PHILIPPE VIGIER
Et je comprends leur colère. Ne pas avoir de l'eau au robinet deux jours sur trois, c'est quelque chose d'incompréhensible lorsqu'on est dans l'Hexagone. Donc en fait, mon travail c'est quoi ? C'est d'apporter des solutions immédiates et d'apporter des solutions à moyen terme et à long terme. Immédiate, c'est déjà de protéger les plus fragiles. Quand je parle des plus fragiles, ce sont les personnes de plus de 65 ans, les personnes handicapées, les personnes malades, je pense aux femmes enceintes également, je pense aux enfants en bas-âge. Vous voyez, à l'heure où nous parlons, le premier container est arrivé puisque nous avons décidé, nous l'État, de financer l'achat de bouteilles et de les acheminer. Elles viennent de la Réunion ; il y a 600 000 bouteilles donc 900 000 litres qui vont être distribués sur tout le territoire tous les jours. Et après, donc il y a un chemin qui était organisé avec des bateaux qui vont arriver successivement pour que tous les publics les plus fragiles puissent continuer à avoir de l'eau. Ça, c'était indispensable qu'on le fasse. Je crois que c'est à l'écoute de la population, des élus pour bien calibrer cela. Et je remercie l'armée qui est mobilisée. Le Président de la République a souhaité que l'armée soit mobilisée avec le soutien de la Première ministre, de Gérald DARMANIN le ministre de l'Intérieur et bien sûr Sébastien LECORNU. Également mobiliser ce qu'on appelle le SMA, le Service militaire adapté (les jeunes sont là) et mobiliser les communes. Je fais tout cela en liaison avec les communes, avec les centres communaux d'action sociale. Ce sont eux qui ont établi la liste des personnes qui sont bénéficiaires de ces bouteilles.

FRÉDÉRIC RIVIÈRE
Alors, vous parlez de 900 000 litres. La population… Le recensement est difficile à Mayotte, mais enfin la population est estimée grosso modo à 300 000 personnes. Si je compte bien, ça fait 3 litres d'eau par personne. On tient combien de temps avec ça ?

PHILIPPE VIGIER
Mais comme je viens de vous dire…

FRÉDÉRIC RIVIÈRE
Oui, ce n'est pas tout le monde.

PHILIPPE VIGIER
Non mais, bien sûr, vous avez raison. Si vous faites une comparaison par rapport à la population générale, on ne peut pas, on n'a pas la capacité à amener de l'eau pour toutes les personnes habitant à Mayotte chaque jour. Donc, nous avons fait ce choix prioritaire stratégique. Et là, pardonnez-moi, c'est mon passé de professionnel de santé qui me guide ; je veux protéger ces personnes-là. Maintenant, elles sont protégées. Et croyez-moi, tous les services de l'État, les privés ; ils font tous le boulot vraiment avec un engagement absolument considérable. Et j'associe les élus parce que je suis à l'annoncé de ces décisions-là et j'irais, comme vous l'avez très bien dit, mardi prochain, je serai à nouveau à Mayotte. La deuxième chose, je n'aime pas rester les bras croisés. Parce qu'en fait, qu'est-ce qui se passe ? Vos auditeurs doivent comprendre que l'eau dans une collectivité, c'est la collectivité qui en est responsable : d'aller chercher la ressource, ensuite de la traiter s'il le faut et de la distribuer. Là, il y a défaillance donc nous aidons, nous substituons quasiment aux élus. Nous le faisons avec eux et nous les accompagnons, je le dis il y a une seconde, avec un plan à court terme. Ce plan à court terme au moment où je vous parle, on est en train de faire ce qu'on appelle de l'interconnexion. Donc on met des tuyaux pour que l'on puisse aller partout. On est en train de boucher les fuites, on est en train de faire des forages. Vous voyez, je suis ministre depuis moins de deux mois, il y a une campagne de 20 forages qui va s'échelonner dans le temps. Le premier forage a démarré il y a trois semaines. Et puis, il n'y a pas que cela ; il n'y a pas assez d'eau à Mayotte. Il faut que chacun comprenne que…

FRÉDÉRIC RIVIÈRE
C'est-à-dire qu'en l'état actuel des choses, il n'y a pas assez d'eau de toute façon pour alimenter la population.

PHILIPPE VIGIER
Il n'y a pas assez d'eau à Mayotte. On va dire les choses clairement : on a besoin de 43 000 à 45 000 mètres cubes par jour ; on est capable d'en produire 30 000. Voilà l'équation à laquelle je suis soumis. Donc il faut faire quoi ? Soit c'est l'eau de puits. Vous savez comme moi, que le réchauffement climatique est là. Il y a deux bassines, elles sont presque vides et une troisième est en projet. Je dis encore à ce micro ce matin que cette troisième, on la fera. Deuxièmement, il faut aller chercher de l'eau dans le sous-sol. C'est ce que nous faisons avec les forages où j'ai accéléré. Quand je dis "accélérer" croyez-moi, c'est accélérer. Et d'ailleurs, le conseiller spécial de mon équipe gouvernementale sera mardi pour vérifier les chantiers. Et après, troisième sujet, il faut utiliser de l'eau de mer.

FRÉDÉRIC RIVIÈRE
Dessalée, c'est ça ?

PHILIPPE VIGIER
C'est-à-dire dessaler de l'eau de mer ; c'est ce qu'on appelle des osmoseurs. On ne va pas entrer dans les mots techniques.

FRÉDÉRIC RIVIÈRE
Mais pourquoi ça n'a pas été fait depuis bien longtemps ? A priori, c'est un système qui fonctionne qu'on connaît depuis longtemps maintenant.

PHILIPPE VIGIER
Vous avez 1 000 fois raison, mais vous n'ignorez pas que Mayotte est un département depuis peu de temps, depuis 2011. Nicolas SARKOZY, lorsqu'il était Président avait souhaité que… À l'heure actuelle, c'est une insuffisance chronique où il y a eu des responsabilités. Moi, mon boulot, ce n'est pas d'aller chercher des responsabilités passées ; mon boulot, c'est d'agir au quotidien. Je veux sortir Mayotte de cette impasse dans laquelle elle est depuis de trop de temps.

FRÉDÉRIC RIVIÈRE
La députée de Mayotte, Estelle YOUSSOUFFA, qui était à votre place dans ce studio il y a quelques jours, était très en colère contre les services de l'État et contre vous d'ailleurs aussi. Elle parlait d'une lenteur, d'une incapacité à répondre à l'urgence de la situation. Pour vous, il n'y a pas eu de retard de votre côté. En revanche, j'observe que vous mettez en cause les collectivités et les autorités locales.

PHILIPPE VIGIER
Je ne mets pas en cause.

FRÉDÉRIC RIVIÈRE
Vous avez dit qu'il y a des défaillances.

PHILIPPE VIGIER
Non, mais attendez, je ne mets pas en cause lorsque la loi a confié des compétences à des collectivités, elles assument ou elles n'assument pas. Vous avez en face de vous au micro quelqu'un qui a été maire pendant 20 ans, qui s'est occupé des problèmes d'eau, d'assainissement.

FRÉDÉRIC RIVIÈRE
Donc les autorités locales n'ont pas fait leur travail ?

PHILIPPE VIGIER
Il y a eu des défaillances, mais parce qu'il y a une spécificité Mahoraise qu'il faut que vous compreniez. Tout le monde, je viens de vous le redire à l'instant, ils ont imaginé que l'eau du puit serait la ressource suffisante. Le réchauffement climatique, là-bas, dans les territoires ultramarins, est encore plus violent qu'il n'est ici, donc schéma qui avait été… Non, mais c'est important pour qu'on comprenne.

FRÉDÉRIC RIVIÈRE
Bien sûr.

PHILIPPE VIGIER
Le schéma qui avait été prévu d'alimentation en eau n'est plus le bon schéma à l'heure actuelle, ce qu'attestait Youssoupha. Je le dis, il est très souvent au téléphone. Je vais dire les choses très clairement. D'ailleurs, il m'avait demandé si on pouvait prendre les plus handicapés, j'ai tenu compte de sa proposition. Il m'avait demandé si on pouvait élargir aux 65 ans, j'ai tenu compte de sa proposition. Je comprends son impatience, il veut aller vite fort. Franchement, je suis très mobilisé. Si vous voulez venir avec moi mercredi à Mayotte, vous verrez que je préside même un comité de l'eau avec tous les acteurs. Vous savez, pour faire venir l'armée, les bateaux, produire autant de bouteilles… Les bouteilles, je n'avais pas su qu'ils en vendent dans la région. Je vous annonce quelque chose, je vais acheter les bouteilles à Maurice. Et Maurice, comme vous savez, ce n'est pas en Union Européenne, donc il faut que je fasse vérifier. Et je remercie mon collègue, le ministre de la Santé, que l'eau qui est en bouteille à Maurice est compatible. Et puis j'ai fait un acte de transparence. Toutes les analyses d'eau sont affichées dans les mairies. Dès qu'il y a un sujet, dès qu'il y a un problème de non-potabilité, les habitants le savent. Mais on n'a pas fait que ça, on a mis des rampes d'eau dans tous les villages parce que si deux jours sur trois, il n'y a pas d'eau… On a mis des rampes dont les lieux ont été choisis avec les maires, qui sont ouvertes dans la journée, qui sont fermées la nuit. Et pas que cela, nous avons livré des bonbonnes dans les écoles. Et pas que cela encore, j'ai fait livrer cinq camions ravitailleurs de manière à ce que l'on puisse avoir des réserves et des citernes réparties sur le territoire. Donc nous sommes extrêmement mobilisés. On peut toujours faire plus, je suis preneur des bonnes intentions et des bonnes aides de chacun.

FRÉDÉRIC RIVIÈRE
Philippe VIGIER, on parle beaucoup de l'inflation en France depuis à peu près un an, mais pour les ultramarins, le problème du coût de la vie est omniprésent depuis des décennies. Sur quantité de produits du quotidien, les prix sont considérablement plus élevés qu'en Métropole. Est-ce que sur ce front-là, vous pensez pouvoir améliorer les choses ?

PHILIPPE VIGIER
Vous posez de vraies questions qui frappent encore plus les ultramarins, d'ailleurs qui frappent nos amis Mahorais sur l'eau. C'est-à-dire, le préfet de Mayotte bloque les prix de l'eau, il y a eu même des contournements par certains distributeurs. Bref, on va… Avec Bruno Le MAIRE, nous saisissons la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale pour lutter contre les monopoles, parce qu'on s'est aperçu naturellement qu'il y avait quelque part des dérives, et il y a certains qui profitaient du système. Et la deuxième chose, on va faire la réforme de l'Outre-Mer, ça fait partie des mesures, vous savez, du comité interministériel des Outre-mer. Cette réforme a été annoncée, donc j'ai proposé une méthode. La méthode, ce n'est pas de dire : "voilà ce qu'on fait". La méthode, c'est de construire une solution. Construire une solution avec qui ? Avec les collectivités locales, avec les industriels, avec les chefs d'entreprise. Et chaque fois que je fais un déplacement dans ces territoires ultramarins, je vois les chefs d'entreprise. Je démarre ce grand chantier entre le 15 et le 30 novembre à Paris, avec tous les acteurs, et nous allons continuer toute l'année 2024 pour aboutir pour la loi de finances 2025.

FRÉDÉRIC RIVIÈRE
Merci Philippe VIGIER. Merci et bonne journée.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 25 septembre 2023