Déclaration de M. Thomas Cazenave, ministre délégué, chargé des comptes publics, sur l'augmentation de la taxe foncière, au Sénat le 11 octobre 2023.

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Circonstance : Débat organisé à la demande du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky

Texte intégral

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, sur l'augmentation de la taxe foncière.

Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s'il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l'orateur disposera alors à son tour d'un droit de répartie, pour une minute.

Monsieur le ministre délégué, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura regagné sa place dans l'hémicycle. Le temps de réponse du Gouvernement à l'issue du débat est limité à cinq minutes.

(…)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, j'aurai l'occasion de m'exprimer de manière plus détaillée dans quelques instants, mais je réponds immédiatement à M. Savoldelli sur l'avis de taxe foncière.

Monsieur le sénateur, depuis que s'applique la loi du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022, et sur l'initiative du rapporteur général Husson, la mention du montant retenu ou versé en application du coefficient correcteur apparaît bien dans les rôles de taxe foncière. Vous voilà donc rassuré !

Par ailleurs, vous rappelez que les députés ont voulu maîtriser l'évolution des bases foncières, contre l'avis de toutes les associations d'élus locaux. En effet, cela privait les collectivités territoriales de plus de 2 milliards d'euros de recettes… Il était donc un peu paradoxal de demander l'indexation de la dotation globale de fonctionnement (DGF) tout en plafonnant l'évolution de la base foncière.

C'est la raison pour laquelle le Gouvernement, sans aucunement intervenir, a laissé faire l'indexation de la valeur locative cadastrale : cette revalorisation annuelle en fonction de l'inflation relève d'une décision du Parlement, inscrite dans la loi de finances pour 2018.

Je vous réponds enfin sur l'autonomie financière : elle n'a jamais été aussi importante. Je ne parle pas de l'autonomie fiscale, qui a baissé, quand l'autonomie financière, elle, progressait. Or c'est bien l'autonomie financière qui permet, me semble-t-il, à un élu local de décider de la politique qu'il souhaite mettre en œuvre.

Mme la présidente. Dans la suite du débat, la parole est à M. Christian Bilhac.

M. Christian Bilhac. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans quelques semaines, au mois de novembre prochain, lors du Congrès des maires de France, on entendra chanter les louanges de ces fantassins de la République, de ces piliers de la République, que sont les maires de France. En attendant, ceux qui demeurent les personnalités politiques préférées des Français sont voués aux gémonies au moment de payer la taxe foncière sur les propriétés bâties.

Les Français ont encore quelques jours pour payer leur taxe foncière : la date limite est le 21 octobre pour le paiement en ligne, le 16 octobre pour les autres moyens de paiement ; et ceux qui ont opté pour le prélèvement mensuel devront s'acquitter de trois mensualités plus élevées.

En recevant leur avis d'imposition, ils ont pris la mesure de cette hausse de la taxe foncière. Beaucoup ont sans doute compris que la suppression de la taxe d'habitation faisait l'effet d'un leurre. Le Gouvernement s'était engagé à ce qu'aucune nouvelle taxe ne soit prélevée en contrepartie, mais, avec une malignité évidente, il fait peser sur les maires la responsabilité de l'augmentation des impôts locaux en faisant porter l'augmentation des recettes communales sur la seule taxe sur le foncier bâti.

La taxe foncière est calculée sur la base d'une assiette fiscale qui repose elle-même sur des valeurs locatives cadastrales obsolètes : elles datent de 1970 – elles ont donc plus de cinquante ans.

Les recettes permettent aux communes d'ajuster leur budget face à l'augmentation des coûts, qui a été très forte cette année : denrées alimentaires dans les cantines, chauffage des écoles ou des piscines, carburant, etc.

La hausse des bases de la taxe foncière est en 2023 de 7,1 %. C'est la plus forte hausse en près de quarante ans, malgré les précédentes vagues d'inflation. Elle était malheureusement prévisible, car c'est la dernière ressource fiscale dont disposent les communes.

À une époque pas si lointaine, les maires, au moment du vote du projet de loi de finances, connaissaient leurs ressources pour l'année à venir, dont la progression se répartissait entre la revalorisation des bases fiscales, la taxe d'habitation, la taxe foncière sur les propriétés bâties, la taxe foncière sur les propriétés non bâties et les impôts économiques. Ils connaissaient aussi l'augmentation de la dotation globale de fonctionnement, qui suivait généralement l'inflation, et pouvaient ainsi construire leur budget – faut-il le rappeler ? – à l'équilibre. Ce temps est révolu.

Certains maires ont été contraints de relever l'impôt foncier pour faire face à l'explosion des coûts, mais aussi à la juste revalorisation du point d'indice des fonctionnaires face à l'inflation, annoncée après le vote du budget, sans oublier la prime de fin d'année promise aux fonctionnaires territoriaux au mois de juin.

Les situations sont très disparates d'une commune à l'autre, car d'autres facteurs pèsent sur les territoires selon leurs spécificités, ce qui explique pourquoi des majorations du taux de l'impôt foncier ont été votées par certaines communes.

L'impact de la suppression de la taxe d'habitation n'est pas le même selon qu'une commune abrite plutôt une majorité de locataires ou plutôt une majorité de propriétaires occupants ; cela a été souligné par Pascal Savoldelli.

Dans le rural, être propriétaire foncier est souvent la norme, et "propriétaire foncier" n'est pas, tant s'en faut, synonyme de "riche propriétaire foncier". Beaucoup ont de faibles, voire de très faibles revenus ; je pense en particulier aux agriculteurs.

Dans les villes, la part des locations est plus élevée : les contribuables sont moins nombreux et, par voie de conséquence, les recettes fiscales sont moindres, d'autant que certains logements sociaux bénéficient d'exonérations de taxe foncière.

Ainsi les communes abritant les populations les plus pauvres sont-elles pénalisées fiscalement.

Monsieur le ministre, il est temps de revenir aux bonnes pratiques permettant aux maires d'élaborer leur budget en disposant de tous les éléments nécessaires au respect du principe de sincérité, au lieu de les obliger à composer tout au long de l'année avec de nouveaux éléments, comme ce fut le cas récemment avec la prime de fin d'année, annoncée au mois de juin dernier.

De nombreux maires doivent aujourd'hui répondre à leurs employés communaux, souvent des agents de catégorie C, qui touchent de petits salaires et leur demandent s'ils pourront percevoir la prime. Or, au moment du vote du budget, au mois de mars, les maires ne savaient pas que le Gouvernement créerait une telle prime ! Ils sont désespérés : d'un côté, ils voudraient faire plaisir à leurs employés communaux, mais, de l'autre, cette dépense n'était pas prévue dans leur budget. (M. Thierry Cozic applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Didier Rambaud.

M. Didier Rambaud. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, au lendemain des élections sénatoriales, je dois bien admettre que le sujet de la taxe foncière a été régulièrement abordé par les élus locaux.

Ce débat est donc pour nous l'occasion de rappeler certaines vérités sur la taxe foncière.

Il faut commencer par rappeler ce qu'est la taxe foncière : un impôt local.

Par conséquent, ses recettes vont aux communes et aux intercommunalités. Et le taux de cette taxe foncière est décidé par les conseils municipaux ou, dans quelques cas particuliers, par les autres instances délibératives.

Accordons-nous sur le fait que cet impôt résulte de la combinaison d'une base et d'un taux.

Depuis 2018, les valeurs locatives, qui constituent la base de la taxe, sont revalorisées chaque année en fonction de l'inflation. Cette règle a été votée en 2016, sur l'initiative de Valérie Rabault, alors rapporteure générale du budget à l'Assemblée nationale, par la plupart des partis qui sont aujourd'hui dans l'opposition. Elle est d'application automatique et a été maintenue en 2023 – M. le ministre l'a rappelé – à la demande unanime des associations d'élus locaux, afin que l'État ne préempte pas les choix de ces derniers.

Et la décision d'augmenter, de maintenir ou de baisser le taux de la taxe foncière appartient aux élus locaux. Ce n'est pas du ressort de l'État. Il s'agit d'un choix de gestion des élus locaux.

Certes, le sujet de la taxe foncière a fait couler beaucoup d'encre. Mais analysons les choses à l'échelle nationale.

Toutes les communes ont-elles fait le choix d'augmenter le taux de la taxe foncière ? Absolument pas !

Mme Céline Brulin. Il faut le dire à Macron !

M. Didier Rambaud. Seulement 14 % des communes font un tel choix. La majorité des élus ont pris la décision de ne pas augmenter le taux de la taxe foncière.

M. Pascal Savoldelli. Dites-le au Président de la République !

M. Didier Rambaud. En effet, 85 % des communes ont opté pour un taux stable, et 1,3 % d'entre elles, soit 436 communes, ont fait le choix de réduire le taux de la taxe foncière afin de préserver le pouvoir d'achat de leurs administrés.

Un choix différent a été fait par 14 % des communes, dont plusieurs grandes villes, à l'image de Grenoble, chef-lieu de mon département, où la taxe foncière a augmenté de 25 % en 2023.

Quelles sont les raisons qui justifient un tel choix ? C'est aux maires qu'il convient de le demander, car ces raisons sont d'ordre local et ne tiennent pas à la suppression de la taxe d'habitation.

Non, on ne peut pas laisser dire que la hausse de la taxe foncière constitue un choix contraint lié à la suppression de la taxe d'habitation, comme j'ai pu l'entendre ici ou là lors de ma campagne des élections sénatoriales. Dans le meilleur des cas, c'est une incompréhension de la fiscalité ; dans le pire des cas, il peut s'agir de mauvaise foi agrémentée d'opportunisme électoral…

Pourquoi ne peut-on pas laisser dire de telles contre-vérités ? Parce que la suppression de la taxe d'habitation a été compensée par l'État, à l'euro près, et ce de façon dynamique. En effet, les communes et les intercommunalités ont bénéficié en contrepartie de l'affectation de l'intégralité du rendement de la taxe foncière, qui était précédemment partagé avec les départements.

Pour assurer qu'aucune commune ne soit perdante, l'État abonde de près de 600 millions d'euros par an un mécanisme de correction.

Je rappelle rapidement que la suppression de la taxe d'habitation a permis de renforcer le pouvoir d'achat des ménages et de les protéger face à l'inflation.

Je rappelle également que la suppression de la taxe d'habitation, c'est, en moyenne, 760 euros de plus par foyer et par an.

Celles et ceux qui augmentent la taxe foncière au motif de compenser la suppression de la taxe d'habitation, à l'image du maire de Grenoble, préfèrent mettre cette hausse sur le dos de l'État.

Cela étant, il est vrai que les élus locaux sont inquiets : non pour la compensation, mais pour l'actualisation de cette compensation.

De nombreux élus m'ont alerté sur ce point ; je m'étais engagé devant eux à interroger le Gouvernement. Fidèle à mes engagements et ayant été réélu sénateur, je demande donc au Gouvernement ce que nous pouvons faire pour actualiser la dotation de compensation en fonction du développement des communes et des évolutions démographiques à venir en 2024 et dans les années qui suivront.

Bien que relativement injuste à mes yeux, la taxe d'habitation représentait, il est vrai, un levier fiscal important pour le budget des communes. Alors que ces dernières font face à de multiples défis et que les maires sont des piliers cardinaux de notre démocratie et de notre République, mais également des investisseurs essentiels, nous devons nous montrer vigilants quant à la situation financière des communes.

Se pose en définitive, derrière la question de l'augmentation de la taxe foncière, celle de l'organisation des recettes fiscales et du schéma fiscal des collectivités locales, notamment de l'échelon communal.

Une majorité de maires et d'élus locaux demandent davantage d'autonomie fiscale et de décentralisation. Mais cette autonomie fiscale exige de la responsabilité. Les choses vont dans les deux sens.

Derrière la question de la taxe foncière se cache également celle du lien fiscal entre l'habitant et la commune.

Pourquoi, dès lors, ne pas réfléchir à une nouvelle organisation de la fiscalité locale ?

Pourquoi ne pas envisager un nouvel impôt local résidentiel qui, sans être nécessairement lié aux valeurs locatives ni peser injustement sur les seuls locataires, viendrait recréer un véritable lien entre chaque habitant et sa commune ?

Cela pourrait renverser la table et révolutionner le schéma actuel des taxes et des impôts. Si nous délimitons efficacement cet impôt, nous pourrons neutraliser son impact fiscal pour le contribuable et, ainsi, respecter l'engagement du Président de la République et du ministre de l'économie de ne pas augmenter les impôts, engagement que nous avons tenu depuis 2017.

Une telle réflexion a été émise par certains lorsque le groupe de travail sur la décentralisation, présidé par Gérard Larcher, s'est réuni. Je vous invite à y travailler collectivement lors des prochains mois.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, vous avez évoqué l'interpellation des élus sur la dynamique. Je veux vous rassurer : nous avons à la fois compensé à l'euro près la suppression de la taxe d'habitation, via les 600 millions d'euros du mécanisme correcteur, et construit une compensation dynamique, puisque désormais les communes récupèrent l'intégralité de la taxe foncière ; or, dynamique, la revalorisation des bases foncières l'est intrinsèquement, car elle est indexée sur l'inflation.

Il y a là, pour les communes, une protection, s'agissant d'un impôt dont – je le redis – elles perçoivent désormais intégralement les recettes et qui, de surcroît, est dynamique, sa base étant indexée sur l'inflation.

Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Cozic. (Mme Isabelle Briquet applaudit.)

M. Thierry Cozic. "Quand vous avez votre taxe foncière qui augmente, ce n'est pas le Gouvernement : c'est votre commune qui le décide. Et c'est un scandale quand j'entends des élus qui osent dire que c'est la faute du Gouvernement.".

Tels sont, madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les propos qu'a prononcés le Président de la République dans un entretien du 24 septembre dernier, au cours duquel il n'a pas hésité à mettre publiquement en cause les maires sur le délicat sujet de l'augmentation de la taxe foncière dans certaines communes.

Vous en conviendrez, une telle sortie n'est pas de nature à apaiser les relations et à renouer les liens avec les maires.

La controverse porte sur les raisons de cette augmentation de la taxe foncière qui motive la tenue du présent débat.

Deux visions s'affrontent sur le sujet. D'un côté, selon le Président de la République, c'est l'incurie des équipes locales qui explique les hausses parfois importantes de la taxe foncière. De l'autre, aux yeux des élus concernés, les réformes hasardeuses menées par l'exécutif ces dernières années sont une des explications à donner à de telles hausses.

Dans un contexte d'inflation, un tel sujet est nécessairement sensible.

Néanmoins, attention à ne pas se laisser aller à l'emballement médiatique autour d'un sujet que l'on sait épidermique, car, dans les faits, comme l'indique la direction générale des finances publiques (DGFiP) dans une note publiée au début du mois de septembre dernier, près de 85 % des communes ont décidé, en 2023, de ne pas augmenter leur taux de taxe foncière sur les propriétés bâties.

Ces chiffres aussi doivent guider nos débats, quoiqu'ils ne changent pas le fond du problème. Or de quel problème parle-t-on ?

Suppression de la taxe professionnelle, suppression de la taxe d'habitation : en quinze ans, les impôts sur lesquels les élus avaient un pouvoir de taux ont disparu.

"Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes", déclarait Bossuet. Comment ne pas percevoir dans l'intervention du Président de la République une cécité volontaire quant aux conséquences des réformes fiscales que celui-ci a lui-même imposées aux collectivités locales ?

En supprimant tous les leviers fiscaux à la main des élus, il a fait de la taxe foncière la seule ressource fiscale sur laquelle ils ont encore un pouvoir, faisant d'elle la variable d'ajustement des budgets communaux, qui, je le rappelle, ont une obligation d'équilibre.

Avec la fin de la taxe d'habitation et la suppression des impôts de production, le lien fiscal entre l'habitant et son territoire ne tient quasiment plus qu'à la taxe foncière. Et, derrière, c'est une certaine idée de la décentralisation qui ne tient plus qu'à un fil !

L'augmentation de la taxe foncière me paraît ressembler au chant du cygne de la fiscalité des collectivités locales.

Cette augmentation, parce qu'elle a trait à l'impôt, est une question politique, au sens noble et fort du terme. Il y va de l'organisation de la cité, de son avenir, donc de celui de chaque citoyen.

Cette question pose encore plus crûment la question de l'autonomie fiscale des collectivités locales.

Parce que l'autonomie fiscale locale est au cœur de la décentralisation, il est crucial de considérer qu'elle est essentielle au bien-être des citoyens, c'est-à-dire à la démocratie, au développement économique et à la justice sociale.

Monsieur le ministre, la majorité des dégrèvements, exonérations, voire suppressions d'impôts locaux que vous faites sur le dos des élus traduisent votre inlassable politique de l'offre, qui part du principe dogmatique qu'un allégement de la fiscalité favorise le développement économique.

C'est ce point de vue, parfois radicalement antifiscal, qui a été développé avec force par les courants de pensée libéraux, comme l'école du Public Choice ou l'école libertarienne, dans les années 1970-1980, avec pour objectif une substitution du marché à l'État en "affamant la bête".

De fait, par vos mesures, vous avez totalement déstabilisé la fiscalité locale à la française, alors qu'il importe de répondre au risque d'éclatement ou d'éparpillement de la fiscalité, ainsi qu'à celui d'une augmentation simultanée de la pression des divers impôts.

Il est par conséquent indispensable que le système fiscal soit globalement cohérent et, pour cela, qu'il soit régulé. C'est là une condition essentielle pour que la diversité et la complexité du système n'évoluent pas vers le désordre, le chaos ou l'implosion.

Pour conclure, je crois qu'il est un peu trop facile, pour le Président de la République, de se dédouaner de toute responsabilité dans l'augmentation de la taxe foncière dans certaines communes.

Monsieur le ministre, ne pensez-vous pas que s'interroger sur les conséquences de vos réformes fiscales, c'est déjà expliquer les hausses de taxe foncière ? (Mme Isabelle Briquet applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, comme je l'ai déjà souligné, je constate que l'on mélange parfois un peu l'autonomie fiscale et l'autonomie financière.

Ce qui permet de mettre en œuvre une véritable politique décentralisée, c'est l'autonomie financière. Est-on libre d'utiliser les ressources comme on l'entend quand on est élu local ?

Je crois d'ailleurs que nous aurions tout intérêt à avoir, un jour, un débat sur ces deux concepts, en nous demandant si, au fond, nous avons besoin d'autonomie fiscale ou d'autonomie financière.

M. Jean-Raymond Hugonet. Nous avons besoin de libre administration !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Je ne résiste pas à revenir sur la politique de l'offre. Nous l'assumons ! De fait, la politique de baisse d'impôts se traduit par plus de recettes.

Prenez l'impôt sur les sociétés. Alors que l'on a baissé son taux, son produit n'a jamais été aussi élevé : il est passé de 35 milliards d'euros en 2017 à 72 milliards d'euros en 2022.

M. Éric Bocquet. Vous empruntez de plus en plus ! 285 milliards d'euros l'année prochaine !

Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Sautarel. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Stéphane Sautarel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout d'abord, je veux remercier le groupe CRCE-Kanaky de l'organisation de ce débat sur l'augmentation de la taxe foncière, qui permet effectivement de clarifier un certain nombre de choses.

Le débat permet tout d'abord de réaffirmer le caractère pour le moins déplacé des critiques qui visent les collectivités, alors que la plupart ne font que subir une situation intenable pour ce qui concerne leurs finances publiques et que, n'étant pas véritablement en mesure de choisir la nature des dépenses qui les affectent, elles doivent adapter les ressources à ces dépenses.

Il permet également d'insister sur la nécessité de sortir d'un certain nombre de postures autour de la question du foncier bâti si l'on veut retrouver un dialogue de confiance entre le Gouvernement et le Parlement et, surtout, entre l'État et les collectivités pour engager une véritable réforme de la fiscalité locale.

Je veux le rappeler, les évolutions qu'elles ont subies depuis quarante ans et qui se sont accélérées depuis 2017 n'ont cessé de réduire l'autonomie des collectivités territoriales. En outre, ces évolutions sont, la plupart du temps, intervenues sans vision d'ensemble et ne répondent jamais à des logiques territoriales. Par ailleurs, elles ont toujours été réalisées sans réformer l'assiette, pourtant obsolète : elle date de 1970.

Cependant, je veux me satisfaire de la décision qui a été prise l'année dernière dans le projet de loi de finances de la sauvegarde de la liberté locale du bloc communal de fixer le taux et d'une revalorisation des bases telle qu'elle avait été instaurée en 2017-2018, laissant la liberté à chacun d'agir en fonction de ses possibilités et de ses obligations. Cette liberté locale, en effet revendiquée, mais trop peu utilisée, me semble absolument essentielle dans l'évolution de nos finances publiques locales et de notre fiscalité locale.

Aujourd'hui, nous disposons de trois blocs de fiscalité locale selon une classification qui porte sur l'assiette.

Le premier bloc concerne les impositions directes fondées sur la valeur locative cadastrale. Elles sont assises sur une assiette foncière et reposent en effet, pour l'essentiel, sur la taxe foncière depuis la suppression de la taxe d'habitation, qui n'est pas sans incidence sur l'ensemble de notre système.

Ces impôts représentent environ 33 % des produits de la fiscalité et se singularisent par une relative stabilité dans le temps, tout en assurant un pouvoir de taux pour les collectivités bénéficiaires, qui, jusqu'à présent et même cette année, l'exercent peu.

Le deuxième bloc concerne les impositions annuelles fondées sur la valorisation ou le patrimoine des entreprises locales. Il est constitué par la contribution économique territoriale (CET), la cotisation foncière des entreprises (CFE), la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Cette fiscalité économique locale constitue aussi une incitation à faire venir des entreprises sur son territoire, mais elle est en réduction forte, puisque sa part est passée de 26 % des produits de fiscalité en 2008 à 13 % seulement en 2021, avec pour conséquence une perte de décision sur la localisation des activités économiques.

Enfin, le troisième bloc concerne les impositions fondées sur les flux ou les opérations notamment d'aménagement, d'enregistrement ou de vente de produits, les DMTO en étant la principale illustration. Ce bloc se caractérise par un rendement qui est aléatoire en fonction de la conjoncture.

Le premier de ces trois blocs est obsolète. Je crois que tout le monde aujourd'hui en convient et qu'il faudra le réformer.

Le deuxième devient de plus en plus marginal et pose une difficulté majeure pour la réindustrialisation de notre pays, liée au choix de localiser des entreprises.

Le troisième est, lui, fluctuant.

Bref, plutôt que de jeter des anathèmes, je pense qu'il conviendrait que nous travaillions à l'exigence démocratique de consentement à l'impôt, avec une double exigence : un impératif d'efficacité, dans le rendement comme dans le fonctionnement des services publics ; la nécessité d'un lien entre le citoyen et le territoire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Jean Rochette.

M. Pierre Jean Rochette. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour de nombreux propriétaires, l'avis de taxe foncière a été la mauvaise nouvelle de la rentrée. Les mieux lotis s'en sont tirés avec une augmentation de 7 %. Les propriétaires parisiens ont, quant à eux, vu une augmentation de plus de 50 %.

Ce débat donne l'occasion au Sénat de discuter de cette mauvaise nouvelle pour les propriétaires. Il est en effet important de rappeler que ce sont avant tout les propriétaires qui subissent l'augmentation de la taxe foncière. C'est peut-être simple et factuel, mais il est toujours bon de le souligner.

Le débat subsiste notamment sur un point : y a-t-il des victimes collatérales ? Je le dis d'emblée : oui. C'est simple, la taxe foncière n'échappe pas à la règle générale : une augmentation de taxe fait toujours des victimes collatérales. En l'occurrence, les non-propriétaires seront également pénalisés par cette augmentation.

C'est le cas des locataires, qui risquent de subir une hausse de leur loyer, quand bien même le blocage de l'augmentation des loyers leur permet de ne pas en payer le prix fort.

C'est également le cas des aspirants propriétaires, dont nous avons déjà débattu hier de la situation, pour qui le coût global de la propriété immobilière augmente.

Beaucoup de collectivités font des efforts considérables pour ne pas compenser les hausses de coûts qu'elles subissent par une hausse de la taxe foncière.

Comme le rappelait voilà quelques jours l'Association des maires de France et de présidents d'intercommunalité, 85 % des maires n'ont tout simplement pas augmenté la taxe foncière ; j'en fais partie. Je tiens à saluer cet effort, car le montant des dotations de l'État aux collectivités, lui, n'est pas indexé sur l'inflation.

Notre groupe Les Indépendants – République et Territoires est fondamentalement attaché à la libre administration des collectivités territoriales. Nous croyons en la nécessité de faire confiance aux territoires, donc en l'idée d'une décentralisation qu'il nous faut renforcer.

L'État et les collectivités ont le même objectif, celui du développement équilibré de notre pays. Opposer les strates entre elles serait une approche inefficace, qui ne ferait pas avancer le débat.

Plus généralement, laisser la main aux maires, c'est leur donner la possibilité de faire face à leurs responsabilités.

Mais attention, il ne s'agit pas d'asphyxier fiscalement nos administrés, qui ont déjà du mal à faire face aux charges du quotidien. Rappelons-nous toujours que nous vivons dans l'un des pays les plus fiscalisés au monde. Cela nous oblige dans nos décisions.

Les maires ont parfaitement conscience du poids de la fiscalité en France et de la nécessité de limiter la pression subie par nos concitoyens.

Pour conclure, la position que nous défendons en matière de fiscalité consiste à laisser aux élus locaux la libre administration de leurs communes, en toute responsabilité.

Il s'agit donc de leur permettre de gérer l'imposition à l'échelle de leur commune comme ils l'entendent, en fonction des spécificités de leur territoire et des besoins de leurs habitants, en gardant toujours à l'esprit la volonté de faire mieux avec moins.

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Delcros.

M. Bernard Delcros. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux d'abord remercier le groupe CRCE-Kanaky d'avoir voulu ce débat sur un sujet important, qui nous ramène à la suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales engagée en 2018. Cette dernière avait suscité beaucoup d'inquiétude chez les élus locaux, des élus qui n'avaient pas oublié les nombreuses suppressions et exonérations et les allégements en tout genre décidés par tous les gouvernements confondus, compensés par des dotations votées chaque année en loi de finances, souvent figées, parfois réduites d'une année à l'autre et se traduisant, au fil du temps, par des pertes de recettes réelles pour les collectivités, chiffrées aujourd'hui à plusieurs milliards d'euros.

C'est pour cela que, dès 2017 – je veux le rappeler –, la commission des finances du Sénat s'est emparée du sujet pour proposer un modèle de compensation pérenne et dynamique. Et c'est finalement l'option qui a été retenue : le transfert de la part du foncier bâti des départements aux communes et l'attribution d'une part de TVA aux départements et aux intercommunalités.

Je souhaite revenir sur trois points régulièrement évoqués.

Premièrement, l'État impose-t-il aux communes, comme on l'entend parfois, une hausse du montant de la taxe foncière ? Objectivement, la réponse est non.

Certes, la revalorisation des bases, indexée sur l'inflation, est devenue automatique depuis le vote de la loi de finances pour 2018 – elle est de 7,1 % dans la loi de finances pour 2023 –, mais les conseils municipaux conservent le levier du taux pour ajuster l'évolution de la taxe foncière. Ils peuvent donc réduire la hausse résultant de la revalorisation automatique des bases, la conserver à l'identique ou la majorer.

Au final, ce sont bien les communes – et personne d'autre – qui décident du montant réellement payé par les contribuables. Je voulais rétablir cette vérité…

Deuxièmement, la suppression de la taxe d'habitation a-t-elle fait perdre de l'autonomie fiscale aux collectivités ? Oui pour certaines catégories de collectivités ; non pour les communes, pour lesquelles la recette de taxe foncière se substitue à celle de la taxe d'habitation. Les communes conservent donc la même capacité financière qu'auparavant et la même autonomie fiscale, avec un taux de taxe foncière intégrant celui du département.

En revanche, pour les départements et les intercommunalités, il en va autrement, puisque la perte de recette d'un impôt local a été compensée par une part d'impôt national, la TVA. Donc oui, ces collectivités ont perdu en autonomie fiscale.

Cependant, je ne confonds pas l'autonomie fiscale et l'autonomie financière ! Et, pour ce qui me concerne, autant je suis un défenseur acharné de l'autonomie financière des collectivités et de leur libre administration, autant je considère que l'autonomie fiscale n'est pas une garantie de la justice fiscale, car, en réalité, elle crée des disparités et des inégalités entre les territoires.

Dans un département qui ne connaît ni croissance démographique ni croissance économique, voire qui perd des habitants, à quoi se résume l'autonomie fiscale ? Au droit qu'ont les élus de taxer toujours davantage les ménages présents. Or c'est dans les territoires de ce type que le revenu moyen par habitant est le plus faible, donc qu'il y a moins d'habitants pour payer et plus de taxe pour les ménages les moins fortunés.

Je dis donc oui à l'autonomie financière des collectivités, mais je considère qu'affecter une part d'impôt national dynamique est une mesure péréquatrice.

Enfin, la taxe foncière est-elle une fiscalité locale juste ? À l'évidence non, pas plus que ne l'était la taxe d'habitation, ce qui pose évidemment la question de l'assiette d'imposition du foncier bâti ; c'est un chantier à ouvrir.

Et pourquoi ne pas la fonder sur la valeur vénale, comme c'est le cas actuellement dans un certain nombre de pays ?

Je pense que ce chantier est vaste, mais qu'il faut le mener à terme. (Applaudissements sur les travées des groupes UC. – M. Didier Rambaud applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Ghislaine Senée. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Ghislaine Senée. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je constate que, dès les tout premiers débats d'initiative sénatoriale de la mandature, le Sénat est au cœur de son rôle de chambre des territoires. Nous allons parler d'autonomie fiscale et de dynamique de la taxe foncière.

Je profiterai de ces quelques minutes pour revenir sur ce qui a fait l'actualité et présenter la vision des écologistes sur la fiscalité locale.

En préambule, je veux procéder à un rappel utile pour le Gouvernement. Le niveau de la taxe foncière est déterminé par deux facteurs : les taux, décidés par les conseils municipaux, et les bases fiscales, fixées par la loi et indexées sur l'inflation. Pour cette année, le Parlement a augmenté les bases de 7,1 %.

Oui, factuellement, les communes ont la possibilité de réduire leur taux pour neutraliser la hausse, imposée, des bases fiscales et éviter ainsi un impact sur les finances de leurs administrés.

Mais à quel prix peuvent-elles le faire ? Suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales, suppression progressive de la CVAE, baisse récurrente de la dotation globale de fonctionnement, augmentation du point d'indice, inflation et augmentation des matières premières et des fluides… Si l'on veut réellement que les communes assurent correctement leurs compétences et la mise en œuvre de services publics de qualité, il faut leur en donner les moyens.

Or, sur ce volet des moyens donnés aux collectivités, les dernières années peuvent être résumées simplement : l'État décide, les collectivités subissent. Cette situation entraîne bien évidemment un fort mécontentement des collectivités territoriales, exprimé par les élus et les diverses associations, comme nous avons tous pu largement le constater durant la dernière campagne sénatoriale.

Votre boussole, malgré les tempêtes climatique et sociale que nous traversons, reste et demeure la dite "maîtrise des dépenses publiques" et les baisses, voire suppressions, d'impôts et de taxes à tous les étages.

Pour notre part, nous sommes soucieux, car ce discours populiste de tax bashing est politiquement dangereux : il fait peser sur notre pays un climat propice au non-consentement à l'impôt, mais accentue aussi un phénomène déjà à l'œuvre : le creusement des inégalités et l'hyperconcentration des richesses.

Je sais que certains, parmi les rangs de la majorité sénatoriale, ont pu déclarer qu'il n'y avait pas de lien entre impôts locaux et services publics de proximité. Pourtant, sans moyen pour assurer leur financement, les communes ne peuvent pas offrir à leurs administrés les services publics indispensables ; elles ne peuvent pas investir pour amorcer la transition écologique et énergétique au niveau local ; elles ne peuvent pas non plus atténuer les effets de la crise sociale sur les citoyens les plus précaires, dont un nombre toujours plus important se trouvent contraints de faire appel aux banques alimentaires, comme l'actualité récente a pu nous le montrer.

La diminution des ressources dynamiques des communes et l'entrave de la capacité d'action des collectivités vont donc à rebours des enjeux actuels.

Il importe également de repenser l'organisation de la recette fiscale et de s'attacher à faire en sorte que celle-ci ne pèse pas essentiellement sur les ménages. Soulignons ici en effet le transfert trop important du poids de la fiscalité des entreprises vers les ménages, particulièrement vers les classes moyennes, dans un contexte inflationniste qui rend déjà très difficile la vie quotidienne des administrés. Le remplacement de la taxe d'habitation par le versement d'une fraction de la TVA aux collectivités territoriales, qui va par conséquent peser sur des populations qui étaient exonérées de la taxe d'habitation, est un exemple de cette politique que nous ne partageons pas.

Nous la partageons d'autant moins dans un système à deux vitesses.

Aux communes, véritables leviers pour apporter des réponses à l'urgence climatique et sociale, premier lien de la puissance publique, seul échelon à même de répondre concrètement à la défiance, on demande toujours plus de contractions des dépenses et d'efforts de gestion.

Au Président de la République, on permet une explosion des coûts de fonctionnement du "Château", avec une rallonge de 12 millions d'euros cette année, qui correspond à une augmentation de 12 % du budget de l'Élysée. Le Président, chef de la Nation, devrait pourtant être le premier à montrer l'exemple !

Il devrait également s'abstenir, comme un certain nombre des membres de son gouvernement, des attaques tactiques qui visent à mettre en cause les maires et à pointer les communes dans lesquelles la taxe foncière augmente, justement parce que les maires n'ont que ce levier pour mettre en œuvre des services publics de qualité pour leurs administrés dans le contexte inflationniste.

Pour conclure le tout premier propos que j'ai l'honneur de tenir devant cette assemblée, je tiens à rappeler l'importance du lien entre la fiscalité locale et la confiance des citoyens dans la puissance publique. Les contraintes que fait peser l'État sur les collectivités territoriales mettent trop souvent les 520 000 élus de la République dans des situations d'impuissance, qui les affaiblissent dans leur rôle de défenseur des services publics et du cadre de vie.

Comment s'étonner, dès lors, de la défiance accrue de nos citoyens dans la puissance publique ? Redonner aux collectivités leur capacité d'agir revêt un enjeu démocratique : c'est leur permettre de redonner confiance aux citoyens dans l'action publique et dans sa capacité à répondre à leurs aspirations et à affronter les grands enjeux de notre temps. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Madame la sénatrice, je veux répondre à vos inquiétudes.

Je rappelle qu'il peut être difficile pour les maires de baisser le taux de la taxe foncière pour faire face à l'augmentation de la base, compte tenu de la situation financière dans laquelle se trouvent les communes.

Votre intervention m'inspire plusieurs réflexions.

L'épargne brute des communes est de 15 % et est en augmentation de plus de 15 % entre le 30 septembre 2022 et le 30 septembre 2023. Cela rejoint le diagnostic posé par la Cour des comptes, selon laquelle, à la fin de l'année 2022, les collectivités territoriales étaient dans des situations bien plus favorables qu'avant même le début de la crise. Votre argument n'est donc pas bon.

Le deuxième argument que vous avancez est la baisse des dotations.

Je rappelle que la DGF, que nous aurons déjà augmentée de 320 millions d'euros en 2023, augmentera encore de 220 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2024 ; c'est le projet qui est le nôtre. Voilà douze ans qu'une telle augmentation de la DGF n'était pas arrivée ! C'est d'ailleurs ce qui permet que plus de 90 % des communes voient leur DGF augmenter.

Par ailleurs, vous ne pouvez pas dire que c'est la suppression de la taxe d'habitation qui conduit les maires à augmenter la taxe foncière ; j'y reviendrai. Cette suppression a été compensée à l'euro près, de manière dynamique avec le coefficient correcteur, et alors que nous avons donné une base qui est elle-même dynamique.

Enfin, en matière de tax bashing, nous avons de la marge, madame la sénatrice, puisqu'il me semble que nous sommes sur le podium des pays européens pour ce qui est des taux de prélèvements obligatoires.

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Bocquet.

M. Éric Bocquet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, rénovation thermique des bâtiments, petite enfance, adaptation au vieillissement de la population, revitalisation, sécurité : les communes sont sur tous les fronts, toujours plus mobilisées financièrement pour assurer des missions transversales, sans toujours bénéficier des ressources propres suffisantes.

Oui, 15 % à 16 % des collectivités ont décidé d'augmenter leur taux de taxe foncière ; plus de la moitié d'entre elles par des taux inférieurs à 1 point. Le phénomène est marginal, mais compréhensible.

Comme mon collègue Pascal Savoldelli l'a rappelé tout à l'heure, l'autonomie fiscale des collectivités atteint sa cote d'alerte. C'est au cœur du débat de ce soir.

Le premier responsable des finances locales est aujourd'hui l'État. Cette situation est tout à fait intenable, sous la pression des charges externes et tirées vers le haut par les dépenses de fluides, par exemple. Depuis le début du premier quinquennat de M. Macron jusqu'aux dernières données disponibles, celles de 2022, les communes ont dû s'acquitter de 3,73 milliards d'euros de dépenses supplémentaires. Cette explosion de 13,04 % doit être mise en regard de la diminution de 180 millions d'euros de la première recette des collectivités locales : la DGF.

Les collectivités alertaient déjà sur cette situation impossible quand le Gouvernement décidait de supprimer la taxe d'habitation et sur un report d'imposition vers la taxe foncière. Le Gouvernement, feignant de ne pas entendre, niait sa responsabilité – comme il le fait aujourd'hui, monsieur le ministre –, en prétendant compenser à l'euro près la taxe d'habitation aux communes.

De ce point de vue, les maires ont, ces dernières années, appris la prudence…

M. Jean-Raymond Hugonet. Très bien !

M. Éric Bocquet. Pire, le Gouvernement décide unilatéralement d'actualiser des valeurs locatives plutôt que d'engager la révision générale, qu'il préfère repousser aux calendes grecques. Une ordonnance du 7 janvier 1959 avait prévu : d'abord, une "révision générale toutes les six années du loyer moyen fictif annuel" ; ensuite, une "majoration tous les trois ans" ; enfin, une "actualisation forfaitaire tous les ans".

Une seule révision a eu lieu, en 1980, et on n'a vu aucune majoration !

Dès lors demeure la solution de facilité, à savoir l'actualisation de la valeur des bases pour toutes les valeurs locatives, indistinctement de l'année de construction du bien, de son état général, de son confort, de ses besoins ou non d'investissement ; une augmentation de 7,1 %, aveugle aux conditions de logements, aux évolutions urbaines et géographiques, qui, depuis cinquante ans, ont été bouleversées par la métropolisation du territoire. C'est votre décision.

Et je me dois de noter que la seule chose qui n'est pas indexée, ce sont les salaires des travailleurs et la DGF des collectivités. C'est un pari dangereux, contestable et contesté. Nous en discuterons ces prochaines semaines, dans le cadre du débat budgétaire.

Cette illisibilité des méthodes de détermination des bases et sa complexité inhérente engendrent des coûts de gestion globaux – frais d'assiette, recouvrement, coût des dégrèvements et admissions en non-valeur –, à un niveau de 1,8 milliard d'euros. À bien y regarder, ce ne sont ni plus ni moins que 377 140 dossiers non collectés l'année donnée, pour un manque à gagner de 144 millions d'euros ! Les raisons ? Notamment la disparition du redevable, mais plus encore l'insolvabilité de nos concitoyens et concitoyennes. Cela doit nous mettre en garde sur cette taxe, qui doit être refondée et actualisée afin de se conformer aux réalités sociales.

Par ailleurs, les inégalités territoriales se creusent depuis que le dernier levier fiscal d'importance restant s'articule autour du foncier bâti et non bâti. Pour s'en convaincre, le produit de la taxe foncière sur les propriétés bâties, en 2021, était de 14 millions d'euros à Mayotte, par exemple, quand il était de 1,06 milliard d'euros à Paris. En somme, les Mahoraises et Mahorais représentent 13 % de la population parisienne, mais 1,3 % de ses recettes de taxe foncière.

Monsieur le ministre, j'aimerais enfin, s'agissant des inégalités territoriales, rappeler que votre augmentation de taxe foncière frappera aussi les offices HLM et leurs locataires, car la taxe foncière représente l'une des principales charges des bailleurs sociaux aujourd'hui.

Vous devez à tout le moins traiter le problème de la sous-compensation aux collectivités du régime fiscal actuel, qui prévoit une exonération d'une durée de quinze à trente ans pour les nouveaux logements sociaux. Pour ceux qui ont été financés avant 2022, la compensation des exonérations de taxe foncière sur les propriétés bâties est évaluée à 12 % en 2019, soit 86 millions d'euros de compensations, sur un total d'exonérations de 715 millions d'euros. Nous demandons une compensation pérenne à 100 % des exonérations décidées par l'État. Le logement social se porte mal, très mal, et les décisions du Gouvernement depuis 2017 en sont les principales responsables.

Votre responsabilité dans les conséquences de votre hausse de la taxe foncière est pleine et entière. Cette augmentation affecte également les bailleurs et locataires du parc social.

Ce débat est là pour nous le rappeler ! Nous nous en félicitons. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, je le répéterai dans cette enceinte chaque fois que l'on affirmera le contraire : le Gouvernement n'a pas augmenté la taxe foncière.

Le législateur a décidé que les bases étaient indexées sur l'inflation. Pour notre part, nous n'avons rien fait. Il n'y a eu aucun acte du Gouvernement, contrairement à ce que vous m'avez donné l'impression d'affirmer dans vos propos.

Nous avons décidé de décaler la revalorisation des bases de deux ans, à la fois pour les particuliers et les locaux professionnels.

Nous avons avancé sur une solution technique s'agissant des locaux professionnels. Nous allons d'ailleurs rencontrer la semaine prochaine les associations d'élus pour voir si les pistes que nous avons instruites sont susceptibles de recueillir leur assentiment et si elles soulèvent des difficultés.

Nous n'avons donc pas renoncé, mais convenons que c'est un exercice technique difficile.

Enfin, pour ce qui concerne les bailleurs sociaux, je vous rappelle que la construction de logements sociaux donne lieu à une exonération de taxe foncière.

Et le projet de loi de finances pour 2024 prévoit une exonération pour ceux d'entre eux qui procèdent à des rénovations énergétiques importantes : il s'agit du dispositif "Seconde vie", qui vise à répondre à une demande de l'Union sociale pour l'habitat (USH).

Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Briquet. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Isabelle Briquet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à remercier nos collègues du groupe communiste d'avoir pris l'initiative de ce débat sur la taxe foncière.

La hausse de cette taxe, seul levier fiscal restant à la main des collectivités, alimente polémiques et controverses depuis son arrivée dans les foyers. L'intervention télévisée du Président de la République, le 24 septembre dernier, y a largement contribué. Il est inutile de dire que les propos du chef de l'État ont profondément choqué les maires, qui – rappelons-le – n'ont, dans leur très grande majorité, pas touché aux taux communaux, alors même que la situation financière de leur commune l'aurait amplement justifié.

Encore une fois, le Président de la République choisit sa cible : les élus locaux ! Le fait n'est pas nouveau. Nous nous souvenons tous ici de ces prétendus élus mauvais gestionnaires, trop nombreux et qui coûteraient trop cher aux finances publiques.

Nous nous souvenons tous ici aussi de l'appel aux maires lors de la crise des "gilets jaunes", de la crise sanitaire et de la guerre en Ukraine.

Tour à tour conspués, puis encensés, les élus locaux, qui sont tous les jours sur le terrain, au plus près des besoins et des difficultés des habitants, n'en peuvent plus d'autant de mépris.

Le retour de l'inflation, qui met à rude épreuve le budget des ménages et des collectivités, a mécaniquement entraîné la revalorisation des valeurs locatives cadastrales. Cette augmentation des bases, de 7,1 % cette année, devrait, selon toute vraisemblance, se situer autour des 5 % l'an prochain et peser de fait une nouvelle fois sur les ménages, certes propriétaires, mais dont les revenus sont modestes et déjà fortement touchés par la hausse du coût de l'énergie.

La suppression de la taxe d'habitation a notablement déséquilibré la fiscalité locale en la faisant reposer sur le seul foncier, mais aussi sur une seule catégorie de contribuables, entraînant un sentiment d'injustice de plus en plus sensible chez nos concitoyens. Ce débat sur la hausse du foncier pose donc avec une acuité particulière la question des ressources des collectivités et de leurs marges de manœuvre.

En quelques années, les collectivités ont dû contribuer au redressement des comptes publics et n'ont plus eu la possibilité de percevoir de taxe d'habitation. Quant à la CVAE, elle ne sera bientôt plus qu'un souvenir.

Dans le même temps, les charges ont explosé du fait de la conjoncture ou de décisions de l'État. Si l'on ne peut que se réjouir du traitement plus avantageux dont bénéficient les fonctionnaires, la hausse du point d'indice constitue cependant une charge nouvelle importante pour les collectivités.

Insidieusement aussi, au fil du temps, les transferts de charges se sont accentués, que ce soit pour la délivrance des cartes d'identité ou l'accueil dans les maisons France Services, sans la compensation correspondante.

Dans ce contexte, nous aurions pu imaginer que la DGF soit de nouveau indexée sur l'inflation ou, à tout le moins, qu'elle tienne compte de ces nouvelles contraintes… Mais cela ne semble pas être la volonté du Gouvernement.

En tout cas, le prochain projet de loi de finances n'incite guère à l'optimisme. Comment des communes limitées dans leur développement urbanistique, sans possibilité de percevoir de taxes ou de toucher au peu qui reste, et sans dotations suffisantes, pourront-elles agir demain ?

Dans la crise démocratique que nous connaissons, il est plus que souhaitable de renforcer notre socle républicain. Parce que les communes constituent le premier échelon de la démocratie locale, il est urgent de poser un nouvel acte de décentralisation et de déterminer un panier de ressources pour ces dernières, comme pour les autres collectivités, afin de garantir leur liberté d'action. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet.

M. Jean-Raymond Hugonet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous commençons malheureusement à en avoir une certaine habitude : le Président de la République est coutumier des formules à l'emporte-pièce et des attaques en règle contre les élus locaux. Soit !

Mais le dimanche 24 septembre dernier, en s'en prenant directement aux élus locaux lors d'un entretien sur TF1 et France 2, il a clairement dépassé les limites admissibles, distendant un peu plus encore le lien de confiance entre ceux-ci et l'État, lien passablement endommagé sous sa gouvernance.

Passons sur le fait que s'adresser sciemment à nos concitoyens au moment même où arrivent les résultats d'élections sénatoriales peu favorables à ses troupes n'est pas forcément d'une élégance rare de la part d'un chef de l'État…

Mais oser dire, comme il l'a fait : "Quand vous avez votre taxe foncière qui augmente, ce n'est pas le Gouvernement. C'est votre commune qui le décide. Et c'est un scandale quand j'entends des élus qui osent dire que c'est la faute du Gouvernement." Alors là, oui, monsieur le ministre, c'est parfaitement indigne et malhonnête intellectuellement pour qui connaît un tant soit peu le fondement de la situation. Comme le dit l'adage : "Qui veut noyer son chien l'accuse de la rage !"

Tout d'abord, il est bon de rappeler que les taux communaux de taxe foncière en question s'appliquent sur des bases qui sont, que vous le vouliez ou non, de la responsabilité de l'État et de la majorité. En cette année 2023, on parle d'une hausse de 7,1 % des bases, contre 3,4 % l'année passée. C'est un véritable festival !

Ensuite, aucun élu local ne pense ni ne dit d'ailleurs que la taxe foncière est un impôt d'État ! Les taux de taxe foncière, qu'elle soit sur le bâti ou le non bâti, sont en effet, et fort heureusement, encore votés en conseil municipal. C'est même le dernier levier fiscal restant aux communes après le véritable hold-up en règle commis sur la taxe d'habitation, en violation totale – là encore, que vous le vouliez ou non – avec l'esprit de l'article 72 de notre Constitution et du principe même de libre administration des communes, qui est si cher au Sénat.

Je rappelle que le contexte financier est extrêmement difficile pour les communes, entre inflation et baisse des dotations de l'État, augmentation des fluides, prolifération normative, péréquations de tout poil, sans même parler du Fonds de solidarité des communes de la région d'Île-de-France (FSRIF) ! La taxe foncière est donc, malheureusement, pour certains élus locaux, l'unique moyen de maintenir un niveau de service public satisfaisant dans leur commune, et donc la cohésion sociale, qui est tellement nécessaire dans un pays aussi fracturé.

J'ajoute que ces décisions d'augmentation de la taxe foncière, prises par seulement 14 % des 35 000 communes de France, sont généralement mesurées et calculées pour que la charge fiscale globale des ménages reste inférieure à ce qu'elle était avant la disparition de la taxe d'habitation, avec pour objectif essentiel de préserver la qualité des services publics, tout en maintenant la dette à un faible niveau et en poursuivant un programme d'investissements durables. En somme, les principes de base d'une saine gestion à l'œuvre dans nos communes !

En vérité, le sujet central que révèle cette insupportable polémique, c'est que nous constatons amèrement les effets délétères du phénomène de recentralisation massive qui frappe de plein fouet nos collectivités. Les maires n'ont plus qu'un seul levier fiscal pour y faire face : la taxe foncière !

Je tiens à remercier nos collègues du groupe CRCE-Kanaky, notamment Pascal Savoldelli, d'avoir organisé ce débat.

Lorsque le chef de l'État sera en capacité d'équilibrer le budget de notre pays – une contrainte qui s'impose rigoureusement aux maires –, il pourra éventuellement venir nous donner des leçons. Mais pas avant ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, j'ai l'impression que vous passez, peut-être avec un peu de malice, de l'autonomie financière à l'autonomie fiscale.

Quand on supprime la taxe d'habitation et qu'on la compense, on ne rompt pas le principe qui garantit l'autonomie financière telle qu'elle est prévue par l'article 72 de la Constitution (M. Jean-Raymond Hugonet le conteste.),…

Mme Pascale Gruny. Vous jouez sur les mots !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. … car on garantit les ressources. Ce qui est garanti, c'est non pas l'autonomie fiscale, mais l'autonomie financière ; je pense que vous le savez pertinemment.

Vous dites, et cela illustre bien le débat que nous avons, que les maires qui ont augmenté la taxe foncière l'ont fait en évitant que cette hausse ne soit pas complètement à la hauteur de la suppression de la taxe d'habitation. Or cette suppression a été décidée pour redonner du pouvoir d'achat, et non pour permettre aux maires d'augmenter la taxe foncière ! Nous sommes un peu dans un dialogue de sourds… (M. Jean-Raymond Hugonet acquiesce.)

La hausse de la taxe foncière ne peut en aucun cas être justifiée par la suppression de la taxe d'habitation puisque celle-ci a été compensée à l'euro près. Je pense qu'il faut donc replacer cette question dans un débat purement local, car il s'agit de fiscalité locale. Les décisions prises à l'échelon national n'ont rien à voir avec les décisions locales d'augmentation, ou non, des taux. (Mme Cécile Cukierman s'exclame.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet, pour la réplique.

M. Jean-Raymond Hugonet. Monsieur le ministre, sauf votre respect, c'est en effet un dialogue de sourds !

J'aimerais que vous puissiez mettre vos grandes compétences réellement au service des communes. Je vous le dis très sincèrement en tant qu'élu assumant son mandat depuis vingt-cinq ans, comme peut-être nombre de mes collègues ici.

Vous êtes en décalage profond. Personne n'a été dupe de ce coup de bonneteau que l'on a fait avec la taxe d'habitation. Contrairement à ce que vous avez dit, il ne s'est pas agi de redonner du pouvoir d'achat ; cela, c'était un hold-up politique. La réalité, c'est que nous croulons sous les taxes ! Mais peut-être ne vivons-nous pas dans le même pays ?

Croyez-moi, nous ne connaissons pas dans nos communes la situation que vous exposez. Votre présentation, brillante, est – permettez-moi de vous le dire – verbeuse. Sortez de votre ministère et allez voir dans nos territoires, quels qu'ils soient, où ils en sont !

Mme la présidente. La parole est à Mme Sylvie Vermeillet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Sylvie Vermeillet. Monsieur le président; monsieur le ministre, mes chers collègues, dans la question fiscale qui occupe la rentrée – la flambée de la taxe foncière – s'entremêlent plusieurs réalités.

Tout d'abord, pour 100 % des propriétaires, la valeur locative cadastrale, donnée de référence, a été révisée à la hausse à hauteur de 7,1 %. Cette hausse a un lien non pas avec la fiscalité locale, mais avec l'inflation des prix harmonisés à la consommation sur lesquels elle est directement indexée, annuellement, depuis la loi de finances de 2018. Notons au passage que la taxe d'enlèvement des ordures ménagères (Teom) est touchée de la même manière.

Vient ensuite la part de hausse éventuellement votée par les collectivités. Entre 2022 et 2023, elle ne concerne finalement que 15 % des collectivités, dont 80 % ont procédé à une hausse de moins de 2 %. Les fortes hausses concernent moins de 1 000 collectivités sur 35 000. Les taux communaux de taxe foncière sont donc en réalité, pour 85 % des propriétaires, d'une grande stabilité.

Il s'agit pourtant de l'un des derniers leviers fiscaux dont disposent les collectivités, dans un contexte de forte hausse de leurs dépenses de fonctionnement liées à l'énergie ou aux achats alimentaires.

Malgré les tensions sur leurs finances publiques, les communes font le choix, dans leur grande majorité, de ne pas rechercher de revenu complémentaire dans cette fiscalité foncière. Beaucoup d'entre elles préfèrent miser sur un cercle plus vertueux pour faire recette : l'accueil de nouvelles populations.

À ce titre, je souhaite rappeler les inquiétudes d'un nombre croissant de communes concernant la tension foncière liée aux résidences secondaires. Ce sujet n'est plus seulement réservé aux zones littorales ou aux zones les plus touristiques. Cela préoccupe les maires de nombreuses communes rurales, qui étaient jusqu'alors bien loin de cette problématique. Et pour ceux qui y étaient déjà confrontés, le sujet devient insurmontable.

Nous avons eu à plusieurs reprises dans cet hémicycle le débat sur la corrélation entre les taux des impôts locaux, à laquelle doivent obéir les communes et leurs groupements.

Les collectivités ne peuvent pas agir sur le taux de taxe d'habitation sur les résidences secondaires (THRS) sans alourdir la taxe foncière. Mais à la suite de l'apparition du "zéro artificialisation nette" (ZAN), le levier THRS n'est pas un moyen de faire de l'argent ; c'est une arme permettant de lutter contre la pression foncière, c'est-à-dire de limiter le développement des résidences secondaires au profit des résidences principales. Mais alors, lier une hausse de THRS à une hausse de taxe foncière pénalise tout autant les résidences principales… C'est devenu absurde !

Je note que le Gouvernement n'est pas favorable à la décorrélation des taux, au motif que la fiscalité ciblerait certaines catégories d'électeurs. Mais c'est bien la suppression, dès 2020, de la taxe d'habitation sur les seules résidences principales qui a entraîné cette différenciation, et non pas l'idée d'une future décorrélation !

Nous ne pourrons pas faire l'économie d'un nouveau débat sur le sujet au Parlement. La décorrélation des taux de taxe foncière et de taxe d'habitation est un enjeu croissant pour les collectivités en vue de l'accueil de nouveaux habitants.

Mais aussi, et surtout, le ZAN est passé par là. Cet objectif change totalement la donne : il exacerbe les difficultés des communes qui n'ont plus de réserve foncière et qui voient également s'envoler toute perspective de droits à construire dans les décennies à venir. Pour les maires concernés, ne pas avoir d'arme pour lutter contre le développement, même modeste, des résidences secondaires sur leur territoire est une double peine. Nous leur devons de retravailler la question dès l'examen du projet de loi de finances pour 2024.

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Marc Laménie. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à remercier nos collègues du groupe CRCE-Kanaky d'avoir pris l'initiative de ce débat important. Habituellement, je participe plutôt aux débats qu'ils proposent sur le soutien au ferroviaire… (Sourires.)

Le sujet des finances locales est très important et, honnêtement, très compliqué ! N'étant pas très versé dans internet, je reste basique, et je reçois mes feuilles d'impôt par la poste, ce qui fait fonctionner le service public postal ! (M. Jacques Fernique applaudit.)

Mme Cécile Cukierman. Bravo !

M. Marc Laménie. Je suis un peu le nostalgique de service ! (Sourires.)

En prévision de cette modeste intervention, je me suis penché plus avant sur mon dernier avis : la taxe foncière pour 2023, impôt local dû par les propriétaires d'un bien immobilier, est calculée en multipliant la base imposable du bien par le taux applicable.

Au niveau des 35 000 communes, qui représentent la démocratie de proximité – c'est une chance ! –, il y a une ligne "intercommunalité". Il y a vingt-cinq ans ou trente ans, et même avant puisque la fiscalité locale est très ancienne, une ligne était consacrée au département et à la région. Pascal Savoldelli a évoqué la situation des départements. Je me souviens qu'à l'époque où j'étais conseiller général d'un petit canton des Ardennes, nous bénéficiions aussi d'une part de fiscalité.

On a longuement évoqué la suppression en 2021 de la taxe d'habitation sur les résidences principales. Elle est, certes compensée à l'euro près – vous l'avez rappelé, monsieur le ministre – par le transfert aux communes de la part départementale, qui a donc été perdue par les départements, de la taxe foncière sur les propriétés bâties.

Personne ne parle de la suppression de la redevance audiovisuelle, qui représentait 3 milliards d'euros, personne n'en parle. Certes, comme nous le savons, la reconnaissance n'est pas un sentiment très répandu… Cette suppression a-t-elle permis de redonner du pouvoir d'achat, par exemple ? C'est un sujet d'actualité…

Lorsque je regarde mon avis de taxe foncière, je constate donc une hausse de 7,1 %. En décortiquant ce document, on s'aperçoit que figurent dans la part intercommunale la taxe d'enlèvement des ordures ménagères, la taxe spéciale d'équipement, la taxe "gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations" (Gemapi)…

Je veux aussi évoquer les moyens humains des directions des finances publiques, ces interlocuteurs de qualité dont le métier est difficile et qui méritent notre reconnaissance, et saluer le travail des commissions communales et intercommunales de dévolution.

Je reste volontaire, mais c'est un combat permanent… Merci encore à nos collègues d'avoir pris l'initiative de ce débat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur Savoldelli, vous avez souhaité organiser ce débat relatif à l'augmentation de la taxe foncière, et je vous en remercie. C'est en effet l'occasion d'échanger sur la hausse des bases, qui a pu être imputée par certains au Gouvernement.

Lorsque j'étais président de la délégation aux collectivités territoriales de l'Assemblée nationale, j'ai toujours été partisan d'un dialogue sincère et constructif entre les élus locaux et l'État. Je reste sur la même ligne en tant que ministre chargé des comptes publics.

Or un dialogue sincère et constructif ne peut pas reposer sur des approximations, voire des contre-vérités. Vous le savez, depuis la loi de finances du 30 décembre 2017, les valeurs locatives cadastrales sont revalorisées chaque année au moyen d'un coefficient forfaitaire qui tient compte de l'indice des prix à la consommation harmonisé, publié par l'Insee au mois de novembre précédant la taxation. Les hausses de taxe foncière observées sont donc avant tout le résultat de l'inflation, mais aussi des choix locaux.

Soyons clairs, la taxe foncière est un impôt 100 % local. Ce sont bien les maires qui décident du montant de la taxe que paient leurs administrés, et c'est très bien ainsi. Je le rappelle, le Gouvernement n'a pris aucune décision en la matière.

Pour la prise en compte de l'inflation, une règle automatique a été votée en 2016 par le Parlement, à une très large majorité, et elle est appliquée sans exception depuis 2018.

L'an dernier, alors que le niveau de l'inflation était élevé, l'application de cette règle avait fait l'objet d'une demande unanime des associations d'élus locaux. C'est ce qui a été fait, afin de ne pas préempter les choix des élus locaux.

Ces élus ont ainsi pu décider librement d'augmenter, de maintenir ou de baisser le taux de cet impôt. J'observe d'ailleurs que la majorité des élus – cela a été dit au cours du débat – ont pris la décision de ne pas augmenter le taux de cette taxe : 85 % des communes ont opté pour un taux stable, soit un niveau supérieur à celui de 2022, où il se situait à 83 %. Par ailleurs, 463 communes ont fait le choix de réduire le taux pour protéger le pouvoir d'achat de leurs administrés, allant même parfois jusqu'à annuler l'effet de la revalorisation des bases. D'autres ont opté pour un partage de l'effet de l'inflation entre la commune et les contribuables.

Un choix différent a été fait par 14 % des communes, dont plusieurs grandes villes. Quelles en sont les raisons ? Il s'agit là d'un débat local qui doit avoir lieu entre le maire et ses administrés, et, là encore, c'est très bien ainsi.

Certains disent avoir été contraints de procéder à cette augmentation du fait du niveau de soutien de l'État. C'est faux ! Le débat n'a aucun lien ni avec le niveau des dotations de l'État ni avec la suppression de la taxe d'habitation.

Rappelons que l'État a fait sa part en 2023 en augmentant considérablement son soutien financier aux collectivités territoriales, que ce soit pour les investissements ou le fonctionnement : hausse de la DGF pour 90 % des communes ; doublement des dotations d'investissement à hauteur de 4 milliards d'euros avec le fonds vert ; mise en place d'un bouclier, d'un amortisseur et d'un filet de sécurité pour plus de 2 milliards d'euros.

Rappelons aussi que la suppression de la taxe d'habitation a fait l'objet d'une compensation intégrale et dynamique. Le bloc communal a bénéficié de l'affectation de l'intégralité du rendement de la taxe foncière, précédemment partagé avec les départements. En outre, pour assurer qu'aucune commune ne soit perdante, l'État abonde de près de 600 millions d'euros par an un mécanisme de correction.

La suppression de la taxe d'habitation n'a pas eu d'impact sur les collectivités territoriales. Sa seule conséquence est bien le soutien au pouvoir d'achat des ménages !

Tels sont les effets des choix opérés par le Gouvernement en faveur des Français. Cela représente en moyenne 760 euros par foyer et par an. (Protestations sur les travées du groupe CRCE-K.)

Affirmer que l'on augmente la taxe foncière pour compenser la suppression de la taxe d'habitation serait au final ne pas vouloir prendre ses responsabilités.

L'augmentation de la taxe foncière n'a pas non plus de lien avec la situation financière des collectivités. Celles-ci, dans leur majorité, connaissaient une situation financière favorable à la fin de 2022. (M. Pascal Savoldelli s'exclame. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) C'est la Cour des comptes qui le dit, pas moi !

Bien sûr, la Cour des comptes rappelle qu'une situation globale positive n'exclut pas des disparités. En 2022, il se trouve que le nombre de collectivités en difficulté a significativement diminué. Le nombre de communes dont l'épargne brute est négative est ainsi passé de près de 6 000 à un peu moins de 5 000.

L'inflation continue d'être forte, mais les recettes de fonctionnement sont dynamiques. La situation financière du bloc communal au 30 septembre 2023 se révèle meilleure, globalement, qu'elle ne l'était au 30 septembre 2022.

Nous avons besoin d'avoir sur ces sujets un débat apaisé et constructif avec les collectivités locales. C'est la démarche que nous proposons, car c'est la seule qui marche !


Source https://www.senat.fr, le 20 octobre 2023