Interview de M. Franck Riester, ministre délégué, chargé des relations avec le Parlement, à France Info le 7 novembre 2023, sur le jugement du ministre de la justice par la Cour de justice de la République pour prise illégale d'intérêts, le projet de loi pour contrôler l'immigration et les élections européennes de juin 2024.

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Texte intégral

ALIX BOUILHAGUET
Franck RIESTER, bonjour. Avant de parler effectivement du projet de loi sur l'immigration, Eric DUPOND-MORETTI est jugé depuis hier et pendant deux semaines par la cour de justice de la République pour prise illégale d'intérêt. Il est resté à son poste, Place Vendôme. Certains estiment qu'il aurait dû quitter ses fonctions.

FRANCK RIESTER, MINISTRE DELEGUE CHARGE DES RELATIONS AVEC LE PARLEMENT
Mais ce n'est pas ce que pense la Première ministre et le Président de la République, et donc il assume ses fonctions hors du temps.

ALIX BOUILHAGUET
On peut être ministre le matin, prévenu l'après-midi ?

FRANCK RIESTER
C'est une question d'organisation, et un ministre, comme tout citoyen, a le droit à la présomption d'innocence, et c'est le cas pour Eric DUPOND-MORETTI.

ALIX BOUILHAGUET
Est-ce que c'est une bonne formule, cette cour de justice de la République ? Je rappelle, c'est 3 magistrats, 12 parlementaires. Est-ce qu'il n'y a pas de risque de règlement de compte politique, ou même de cabale de magistrats ?

FRANCK RIESTER
Ecoutez, je ne sais pas, il peut y avoir dans l'avenir des débats sur cette institution, elle existe.

ALIX BOUILHAGUET
Emmanuel MACRON voulait la supprimer, François HOLLANDE aussi.

FRANCK RIESTER
Elle existe, et elle est aujourd'hui à l'œuvre, on la laisse travailler.

ALIX BOUILHAGUET
Un dernier mot là-dessus. Si Eric DUPOND-MORETTI était condamné, est-ce qu'il quitterait forcément le Gouvernement ?

FRANCK RIESTER
C'est une décision de la Première ministre et du Président de la République. Comprenez bien que ça ne m'appartient pas.

ALIX BOUILHAGUET
J'en parlais à l'instant, le projet de loi immigration est débattu depuis hier au Sénat. D'abord, de manière globale, est-ce que vous pensez que vous trouverez une majorité au Sénat avec la Droite, grâce à la Droite ?

FRANCK RIESTER
Ecoutez, c'est ce qu'on cherche. On cherche à avoir une majorité pour voter ce texte, que ce soit au Sénat et à l'Assemblée nationale. C'est un texte important. On a besoin, en matière d'immigration, d'avoir une politique plus ferme, plus juste et plus efficace pour mieux expulser ceux qui n'ont rien à faire sur notre territoire, des étrangers radicalisés, des délinquants, et mieux intégrer ceux qui ont vocation à rester, notamment celles et ceux qui travaillent, qui sont intégrés depuis plusieurs années et qui ont envie d'être Français et de chanter la Marseillaise. Voilà.

ALIX BOUILHAGUET
Justement, vous parlez de cela. Les Républicains, ils ne veulent pas de l'article 3. L'article 3, c'est justement la création de titre de séjour pour les étrangers qui travaillent dans des métiers en tension. Ils estiment que c'est un appel d'air. Gérald DARMANIN estime qu'il a trouvé un compromis politique. Ce serait quoi, ce compromis politique sur ce sujet, dont les Républicains ne veulent pas ?

FRANCK RIESTER
Mais attendez, on est dans un moment de discussion au Sénat. Il faut laisser les sénateurs discuter. Vous savez, depuis le début du quinquennat, avec la majorité relative, à chaque fois qu'il y a un texte qui arrive à l'Assemblée nationale ou au Sénat en première lecture, et tout le passage du texte au Parlement, eh bien, il y a des discussions, il y a un travail parlementaire. Les députés et les sénateurs discutent, échangent avec le Gouvernement pour trouver un texte qui permet de faire avancer les sujets sur lesquels on échange.

ALIX BOUILHAGUET
Mais vous écartez, à ce stade la suppression de l'article 3.

FRANCK RIESTER
Et ça a fonctionné. Ecoutez-moi, ça a fonctionné. 49 textes sur 52, avec une majorité plus large que la majorité présidentielle.

ALIX BOUILHAGUET
Mais vous excluez la possibilité de supprimer l'article 3 ?

FRANCK RIESTER
Sur cette question, l'article 3, d'abord, c'est une partie du texte, une partie…

ALIX BOUILHAGUET
Oui, mais c'est un point de fixation des Républicains.

FRANCK RIESTER
Oui, c'est vrai, mais nous voulons, avec les différents groupes politiques, trouver les voies et moyens, notamment avec les Républicains, pour faire en sorte qu'il puisse y avoir la possibilité de donner à des étrangers qui souhaitent avoir un titre de séjour, continuer de travailler dans l'entreprise dans laquelle ils travaillent, ou d'aller dans une autre entreprise, de pouvoir le faire. Alors qu'aujourd'hui, si le chef d'entreprise ne l'accepte pas, dans les métiers en tension, ils ne peuvent pas le faire. C'est ça que nous voulons…

ALIX BOUILHAGUET
Donc vous souhaitez le maintenir, malgré l'opposition des Républicains ?

FRANCK RIESTER
Après, on verra, on verra quelles rédactions, on verra dans quel cadre. Et c'est ce travail…

ALIX BOUILHAGUET
Donner la responsabilité aux préfets, aux patrons ?

FRANCK RIESTER
Mais pourquoi ? Il faut regarder. C'est ce travail-là qui est fait actuellement au Sénat. Ne donnons pas les résultats des discussions des parlementaires, surtout quand on est dans le Gouvernement, avant la fin du travail parlementaire. Gérald DARMANIN l'a rappelé, sous l'autorité de la Première ministre et du Président de la République, l'idée, c'est de trouver un accord. Parce que c'est important, parce que les Français veulent qu'on ait une politique migratoire plus ferme, plus juste et plus efficace. Chacun va être devant ses responsabilités. Nous, on est dans une logique de compromis, comme on l'est sur chaque texte, sans perdre évidemment la ligne qui est la nôtre, mais avec la détermination d'aboutir.

ALIX BOUILHAGUET
Emmanuel MACRON vient de se dire prêt à une révision de l'article 11 pour ouvrir la voie éventuellement à un référendum. Alors ça tombe bien parce que c'est aussi ce que réclame la Droite. C'est un petit peu cousu de fil blanc, non ? C'est un gros appel du pied en direction des Républicains ?

FRANCK RIESTER
Non, c'est une réflexion qui est entamée depuis de nombreuses années. On a fêté l'anniversaire de la Constitution à la cinquième République. C'est important de se poser des questions de ce type-là. Est-ce qu'on ne pourrait pas élargir le champ du référendum pour davantage solliciter les Français directement sur l'ensemble des sujets ? Et pourquoi pas sur ces sujets-là en particulier ?

ALIX BOUILHAGUET
Mais est-ce que ça veut dire qu'Emmanuel MACRON est vraiment décidé à faire un référendum sur l'immigration ? Est-ce que vous pouvez nous l'assurer ce matin ?

FRANCK RIESTER
Non, je ne vais pas vous l'assurer. Ce que je vous assure, c'est qu'on a besoin de réfléchir à la façon de mieux solliciter nos compatriotes. On le voit bien tous les jours, ils ont le sentiment parfois d'être dépossédés d'un certain nombre de décisions. Si on veut revaloriser le lien entre les Français et les politiques, et de mieux associer les Français à la décision, un des champs, des possibles, c'est l'élargissement du champ de recours au référendum, et peut-être même donner la possibilité aux Français directement de demander un référendum. C'est ce que soumet le Président de la République à la réflexion des partis du débat national, des Parlements.

ALIX BOUILHAGUET
Je pense qu'il s'engage sur pas grand-chose parce que l'échéance est très longue avant de faire la révision de l'article 11, passer au référendum.

FRANCK RIESTER
Oui. C'est pour ça qu'il y a ce sujet, je dirais, d'avenir, potentiellement. Mais il y a là un texte, tout de suite, au Parlement pour essayer de concrètement améliorer la politique d'immigration pour qu'elle soit plus efficace, plus ferme, encore une fois, pour expulser plus vite ceux qui n'ont rien à faire sur notre territoire et mieux intégrer ceux qui veulent rester et qui ont vocation à rester sur notre territoire.

ALIX BOUILHAGUET
Les sénateurs de Droite ont considérablement durci le texte en commission, avec la bénédiction de Gérald DARMANIN, notamment sur la transformation de l'aide médicale d'urgence en aide médicale… non, l'aide médicale d'État en aide médicale d'urgence qui en réduit le champ. Elisabeth BORNE, pour le coup, elle n'est vraiment pas tout à fait d'accord sur cette mesure. Ce n'est pas compliqué d'avoir, comme ça, une Première ministre qui, finalement, n'est pas en accord avec son ministre de l'Intérieur ?

FRANCK RIESTER
Non, mais vous savez, sur l'AME, c'est clair, nous pensons que c'est un bon dispositif qui permet à la fois de garantir un certain nombre d'éléments en matière de santé publique et en matière d'humanité. Pour autant, comme tout dispositif, on est ouvert à regarder comment on peut l'améliorer. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle une mission a été confiée à deux spécialistes, à Claude EVIN et à Patrick STEFANINI, qui vont rendre un premier rapport sur l'évaluation, leur évaluation de l'AME pour voir de quelle manière on peut éventuellement le faire évoluer. Mais nous sommes attachés…

ALIX BOUILHAGUET
Alors d'après ce qu'on sait, et dans ce rapport, ce ne serait pas accablant du tout pour l'AME, ce serait, au contraire, que finalement, elle ne coûte pas si chère, et que c'est plutôt un bon process. Donc ça voudrait dire quoi ?

FRANCK RIESTER
Ben ça veut dire que nous sommes attachés au principe de l'AME. Nous avons confié à des experts un regard spécifique objectivé de la situation de l'AME, et on regardera, avec le Gouvernement, avec le monde de la santé, avec éventuellement les parlementaires, comment le faire évoluer. Mais je rappelle que l'AME n'est pas directement liée au texte, puisque c'est le code de la santé. Alors là, nous sommes sur le code de l'immigration, c'est deux sujets différents. Le Sénat l'a remis dans le débat, si je puis dire, avec l'amendement qui a été voté au Sénat ; mais en théorie, ce n'est pas dans le texte d'origine, et c'est un sujet annexe et connexe. Mais clairement, la politique du Gouvernement et la position du Gouvernement, c'est "L'AME est un bon dispositif". On ne veut pas revenir sur l'AME en tant que tel. Après, on va regarder, et en écoutant les sénateurs, en écoutant les députés, de quelle manière on peut améliorer le système tout en gardant ce dispositif qui est bon pour la santé publique et qui est un dispositif humaniste.

ALIX BOUILHAGUET
Donc effectivement, pas de suppression, mais peut-être une transformation. Ce texte qui, je le disais, est durci en ce moment par le Sénat, si vous trouvez une majorité, il faudra que ce texte passe ensuite à la moulinette de l'Assemblée nationale. Et là, ce sera sans doute une autre paire de manches. Est-ce que vous ne redoutez pas, y compris sur le fameux article 3, de vous froisser avec votre aile gauche de la majorité qui, elle, veut conserver fortement le bilan, le volet Intégration ?

FRANCK RIESTER
Alors s'il y a un vote au Sénat, c'est qu'il y a un compromis au Sénat notamment sur cet article 3. À ce moment-là, c'est le texte du Sénat qui viendra en discussion à l'Assemblée nationale les deux dernières semaines de décembre prévues pour ce type de discussion, c'est-à-dire la semaine du 11 décembre et du 18 décembre. Et là aussi, un nouveau débat parlementaire. Les députés de la majorité, des oppositions constructives, de toutes les oppositions participeront aux débats, feront bouger le texte ; et on verra quel texte arrivera à la sortie.

ALIX BOUILHAGUET
Mais vous n'avez pas peur d'avoir vos propres fondeurs, l'aile Gauche de la majorité qui trouvent que le texte est trop à Droite ?

FRANCK RIESTER
S'il vous plaît, en tant que… Mais chacun a des convictions, la majorité est diverse, c'est bien légitime. Chacun défend ses convictions et ensuite, en responsabilité, fait des choix pour l'intérêt général. C'est comme ça qu'on fait depuis presque 50 textes, et avec succès, puisque sur les 52 textes qui ont été votés depuis le début de ce quinquennat à l'Assemblée nationale et au Sénat, enfin, à l'Assemblée nationale, 49 l'ont été sans 49.3. C'est-à-dire, on a recherché des majorités plus larges.

ALIX BOUILHAGUET
Vous pensez que c'est une possibilité… ?

FRANCK RIESTER
Et en ayant un texte, in fine, voté, très différent du texte initial, parce que c'est ça, le débat parlementaire.

ALIX BOUILHAGUET
Vous pensez qu'il y a une possibilité aujourd'hui de ne pas avoir recours au 49.3 ? Ou vous pensez qu'il est inéluctable ?

FRANCK RIESTER
Mais c'est toujours ce qu'on recherche, le 49.3 n'est jamais notre préférence. Et d'ailleurs, on l'a utilisé que pour notamment le budget, le budget de la sécurité sociale. J'entends souvent les oppositions dire : "On piétine le Parlement". Mais on a utilisé le 49.3…

ALIX BOUILHAGUET
Ben maintenant, vous n'attendez plus des débats sans fin, vous y allez tout de suite avec le 49.3.

FRANCK RIESTER
Mais si. Mais parce que sur, par exemple, le budget.

ALIX BOUILHAGUET
C'est le 15e, d'ailleurs, le budget.

FRANCK RIESTER
Et le budget de la sécurité sociale, c'est un marqueur de l'appartenance à l'opposition. Donc les oppositions, quoi qu'on fasse, quelle que soit notre volonté de recherche de compromis, voteront contre. Je ne leur en fais pas grief, c'est ce qui se passe dans toutes les collectivités. J'ai été maire de Coulommiers pendant des années, les oppositions votaient systématiquement les budgets contre le budget parce que c'est leur appartenance à l'opposition qui est taillée.

ALIX BOUILHAGUET
Ben alors l'immigration, vous irez au bout de la discussion ?

FRANCK RIESTER
Et donc là, le budget et le budget de la sécurité sociale, les oppositions votent contre. Il faut bien, nous, qu'on donne un budget et un budget de la sécurité sociale au pays, et donc on assume nos responsabilités et on utilise ce que nous donne comme moyens la Constitution pour ce faire, c'est-à-dire le 49.3. Et j'ajoute que les oppositions, si elles estiment qu'on abuse, qu'on piétine le Parlement, peuvent voter contre majoritairement et renverser le Gouvernement. Vous savez, c'est un outil qui est un outil de responsabilité, responsabilité pour le Gouvernement, mais responsabilité pour les oppositions également.

ALIX BOUILHAGUET
Il nous reste une minute. Juste un petit mot sur les européennes parce que ça arrive, c'est en juin. Vous n'avez toujours pas de candidat. Pourquoi est-ce que vous attendez autant, alors que vous êtes en ce moment largement devancés par le Rassemblement National dans les sondages ? Ils ont eu 8 points de plus que vous.

FRANCK RIESTER
Mais vous savez dans combien de temps on est aux élections européennes ? C'est dans 7 mois, c'est dans 218 jours.

ALIX BOUILHAGUET
Ah oui, mais même Gérald DARMANIN, il dit qu'il faut quand même se dépêcher.

FRANCK RIESTER
Non, mais il n'y a pas à se dépêcher. On ne va pas tomber dans le piège de nos oppositions, notamment du Rassemblement national qui veut nationaliser un débat, politiser d'une façon extrême un débat, personnaliser un débat, alors que l'Europe, c'est au quotidien. Un des leviers d'action du Gouvernement en matière d'immigration, par exemple, on voit bien qu'il y a une partie de la réponse à nos problèmes d'immigration qui se joue au niveau européen.

ALIX BOUILHAGUET
Donc vous vous hâtez très lentement, c'est-à-dire qu'on aura un candidat quand ? Début janvier ?

FRANCK RIESTER
Donc en permanence, sous l'impulsion du Président de la République, on fait de l'Europe un sujet majeur parce qu'on pense que la France est plus forte dans une Europe plus forte.

ALIX BOUILHAGUET
J'entends, mais un candidat, du coup, quand ? Janvier ?

FRANCK RIESTER
On verra le moment venu un candidat.

ALIX BOUILHAGUET
Thierry BRETON, ça sera un bon candidat ?

FRANCK RIESTER
On verra. En attendant, nos militants, nos cadres, nos députés, les ministres sont mobilisés sur les sujets européens pour défendre la politique du Gouvernement et montrer en quoi on a besoin d'Europe en France aujourd'hui.

ALIX BOUILHAGUET
Merci beaucoup Franck RIESTER.

FRANCK RIESTER
Merci beaucoup.

ALIX BOUILHAGUET
Bonne journée !


Source : Service d'information du Gouvernement, le 8 novembre 2023