Texte intégral
ALI BADDOU
L'entretien du Grand Entretien de la Matinale aujourd'hui est le ministre délégué chargé des Comptes publics. Intervenez, chers auditeurs, au 01 45 24 7 00 ou sur l'application France-Inter. Bonjour Thomas CAZENAVE !
THOMAS CAZENAVE
Bonjour !
ALI BADDOU
Et bienvenue ! On est en pleine discussion sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale. C'est un texte absolument nécessaire et au coeur du modèle social français. Vous avez fait voter le premier volet des recettes de ce projet de loi en engageant la responsabilité du gouvernement par 49.3. C'était mercredi. Il avait été pourtant rejeté par la commission des affaires sociales par les députés la semaine précédente. Ce n'était pas arrivé …Ce 49.3, certains le voient comme un aveu d'échec. Comment le percevez-vous?
THOMAS CAZENAVE
Non, mais le 49.3, c'est plaisant pour personne à la fois pour le Gouvernement, pour la Première ministre qui engage sa responsabilité, pour le ministre des Comptes publics que je suis, pour les parlementaires députés de la majorité, l'opposition. Mais pourquoi est-ce qu'on utilise le 49.3 ? Aujourd'hui, il n'y a pas de majorité sur nos textes budgétaires puisque les oppositions, et je ne leur reproche pas, ne votent pas les budgets parce qu'elles considèrent que, dans l'opposition, on ne vote pas un budget. Et pour autant, ma responsabilité de ministre des Comptes publics, c'est qu'avant la fin de l'année, on ait bien un budget de la Sécurité sociale pour nos hôpitaux, nos médecins et un budget pour l'Etat. Parce que s'il n'y a pas de 49.3, il n'y a pas de budget, donc on ne fonctionnerait plus. Donc notre responsabilité, c'est effectivement utiliser le 49.3 et doter la France d'un budget. Et je vous le dis, on n'a pas utilisé sur les 50 textes qu'on a passés au Parlement depuis le début de la mandature, il n'y a pas eu d'usage du 49.3.
ALI BADDOU
C'est le 14ème, vous voyez le verre à moitié plein, on peut le voir à moitié vide. Mais en l'occurrence, est ce qu'il faut dédramatiser l'usage du 49.3 ? Est-ce que vous diriez ces mots comme Franck RIESTER, le ministre des Relations avec le Parlement " allez, maintenant on est habitués, il n'y a pas d'autres solutions, circulez, il n'y a rien à voir. Dédramatisons, ça marche comme ça et pas autrement " ?
THOMAS CAZENAVE
Sur les textes financiers tant que les oppositions n'envisagent pas de voter un budget puisque c'est un acte finalement comme si on rejoignait la majorité …
ALI BADDOU
Oui, c'est un « acte fondateur » …
THOMAS CAZENAVE
Et je les comprends. Je ne les critique pas là-dessus, je dis juste que ma responsabilité, c'est bien qu'on ait un budget. Et donc, sur les textes financiers, vous évoquez 14 49.3, mais la réalité, c'est qu'il y a un budget, c'est le budget de la France et un budget de l'État et de la Sécurité sociale. C'est deux textes. A l'intérieur, il y a plusieurs textes, donc on a l'impression qu'il y a beaucoup de 49.3, mais en fait il y a un 49.3 sur nos textes financiers et pour les autres textes, moi je vois le grand nombre de textes qu'on a réussi à faire voter tantôt avec les LR, tantôt avec le PS, les écologistes, sur des textes aussi variés que l'industrie verte, le nucléaire ou bien la sécurité intérieure.
ALI BADDOU
On va en parler, Thomas CAZENAVE, mais le mot ‘dédramatisons', ‘dédramatisons le 49.3', l'expression vous la reprenez à votre compte ?
THOMAS CAZENAVE
Mais oui. Moi je l'ai dit au ministre des Comptes publics, je n'ai pas le choix. Je ne vais pas laisser, je vous le dis très sérieusement, on ne va pas courir le risque de laisser le pays avant la fin de l'année sans budget. Comment est-ce qu'on va financer nos services publics, nos enseignants, nos policiers, nos hôpitaux ? Donc en responsabilité, puisque nous n'avons pas le choix, nous utilisons ce dispositif qui est prévu par la Constitution pour éviter que le pays soit à l'arrêt.
ALI BADDOU
Alors il y a la forme, il y a le fond évidemment, puisque le texte du gouvernement prévoit par exemple 3 milliards et demi d'euros d'économies sur les dépenses de la branche maladie en 2024. L'opposition dénonce un budget d'austérité et un budget scandaleux en pleine crise des hôpitaux. C'est un constat qui est étonnamment partagé par des élus de droite et de gauche. Le compte n'y est pas. Qu'est-ce que vous leur répondez ?
THOMAS CAZENAVE
Moi, je regarde le budget de la Sécurité sociale, il va augmenter de 30 milliards d'euros cette année. Et moi j'ai l'impression que depuis le ‘quoi qu'il en coûte', tout le monde a perdu les ordres de grandeur. On augmente de 30 milliards et on nous dit " c'est une cure d'austérité sans précédent ". Je leur dis " non, regardons les chiffres ".
ALI BADDOU
Parce qu'on sait que ça ne sera pas peut-être de nature à régler les problèmes structurels que connaît l'hôpital par exemple.
THOMAS CAZENAVE
Regardez, je prends l'exemple des problèmes structurels. On dit : " il faut renforcer notamment nos effectifs dans les EHPAD ". Ce budget prévoit 6 000 recrutements dans les EHPAD. On dit : " il faut protéger les Français de l'inflation ". On va dans ce budget indexer les pensions de retraite sur l'inflation comme les prestations. On va, dans ce budget, réformer la retraite des indépendants, c'est une attente très forte. Il y a 2 000 indépendants en France qui ont parfois des petites retraites. Grâce à ce budget, on va faire une réforme attendue, soutenue par la CPME, l'U2P. Donc c'est un texte de progrès. En revanche, je dis aussi qu'il y a des limites et donc ma responsabilité, c'est aussi faire attention à l'équilibre de nos comptes. Et je pense que ce budget, c'est un budget de responsabilité mais de progrès et je vous en ai donné quelques exemples.
ALI BADDOU
De responsabilité, de progrès, le mot va faire débat. Est-ce qu'il faut faire des économies sur le système de santé par exemple ?
THOMAS CAZENAVE
Oui. Je vous donne un exemple. Vous savez, par exemple, les dépenses de médicaments, aujourd'hui, c'est 35 milliards d'euros de dépenses de produits de santé qui augmentent chaque année de 4 %. Et vous savez que les produits de santé sont des fois de plus en plus chers parce que c'est des innovations thérapeutiques, c'est donc de l'espoir pour les patients. Il faut aussi par ailleurs qu'on fasse quelques économies par exemple sur le transport sanitaire. On demande des baisses de prix de médicaments d'un milliard d'euros aux industriels, donc il y a des efforts partagés parce qu'un système qui n'est pas financé est un système en danger.
ALI BADDOU
Autrement dit, la franchise sur les médicaments, les franchises médicales qui ne figurent pas dans le texte reviendront d'une autre manière, Thomas CAZENAVE ?
THOMAS CAZENAVE
On a un ensemble de solutions pour essayer de maîtriser, non pas baisser les dépenses mais maîtriser la croissance des dépenses.
ALI BADDOU
Non mais la question que se posent de très nombreux auditeurs, c'est est-ce que le reste à charge par exemple sur certains médicaments va augmenter ? Est-ce qu'il va falloir pas seulement responsabiliser les patients mais augmenter tout simplement les franchises médicales ?
THOMAS CAZENAVE
D'abord, on responsabilise les professionnels de santé. C'est la convention qui va être négociée entre le ministre de la Santé et les professionnels de santé. Il faut prescrire mieux et parfois moins de médicaments. On se rend compte aussi que les Français sont parmi les plus gros consommateurs de médicaments du monde. Les sujets de franchise, de quoi s'agit-il ? Vous savez, depuis 2008, quand vous achetez une boîte de médicaments, il y a 50 centimes qui vous sont prélevés mais jamais plus de 50 euros dans l'année. Ça n'a jamais été remis en question, ni par la droite ni par la gauche depuis maintenant plus de 20 ans.
ALI BADDOU
Vous qui n'êtes ni de droite ni de gauche, vous allez donc le remettre en question.
THOMAS CAZENAVE
Et donc on dit est-ce qu'on peut augmenter de 50 centimes cette franchise sans toucher les personnes qui sont en affection de longue durée, sans toucher les enfants parmi un ensemble de mesures de responsabilité ? Ce que je défends, c'est des efforts partagés.
ALI BADDOU
Donc le sujet de la franchise médicale va revenir, pas dans la loi mais par décret.
THOMAS CAZENAVE
Ça ne relève pas de la loi. Pour faire une disposition comme ça, il y a des négociations, des consultations obligatoires et le ministre de la Santé consulte, et c'est de sa responsabilité après ces consultations…
ALI BADDOU
Début septembre justement, Aurélien ROUSSEAU indiquait que la franchise médicale allait sans doute doubler dans le prochain budget de la Sécu, actuellement en discussion à l'Assemblée. Cela aurait rapporté 800 millions d'euros par an. Finalement ça ne figure pas dans le texte, mais on y va malgré tout.
THOMAS CAZENAVE
Ça ne figure pas dans le texte parce que ça ne relève pas de la loi de financement de la Sécurité sociale. Moi, je considère qu'il faut qu'on trouve des efforts partagés, je l'ai dit sur les industriels. Je pense aussi à la prescription à l'unité des médicaments. Je pense qu'il y a beaucoup de nos auditeurs qui ont des armoires à pharmacie pleines de médicaments, de boites inutilisées. Il y a du gaspillage en matière de médicaments. Est-ce qu'on ne peut pas aller plus loin, par exemple, sur la prescription à l'unité des médicaments pour faire des économies ? Ma responsabilité, c'est quand même de dire qu'il faut que nous fassions des économies pour pouvoir nous permettre de toujours protéger mieux les Français, notamment parce que, je vous le disais, il y a des médicaments de plus en plus coûteux, ce qui permet aussi d'améliorer le traitement des malades aussi dans notre pays.
ALI BADDOU
Responsabiliser, certains vont l'entendre comme une manière de rejeter la responsabilité sur le patient, sur le citoyen. Individualiser au lieu de protéger le modèle social tel qu'on le connaît aujourd'hui, Thomas CAZENAVE, qu'est-ce que vous leur répondez ?
THOMAS CAZENAVE
Mais je leur dis que moi, je protège le système. Ma responsabilité, c'est qu'il soit financé. On a encore un déficit très important de la Sécurité sociale cette année et qui sera près de 17 milliards d'euros en 2027. Ma responsabilité, c'est de le protéger et il n'est pas question de stigmatiser les patients. Il est question de dire " est-ce qu'on peut trouver un ensemble d'efforts partagés ? " Les industriels, un milliard d'euros sur les prix. Les professionnels de santé, les médecins, on leur dit " il va falloir faire des efforts pour mieux prescrire ". Et donc c'est un ensemble de mesures pour garantir le financement à long terme de notre Sécurité sociale.
ALI BADDOU
Avant de filer au standard justement, puisqu'il y a de très nombreuses questions d'auditeurs sur la forme et le fond de ce budget que vous portez et que vous présentez au Parlement. On vous a souvent présenté comme l'un des théoriciens de la Startup Nation, vous aviez d'ailleurs participé à un livre qui s'intitulait L'Etat en mode start up. Cette question de la Sécurité sociale, du modèle social français, est-ce que c'est une question budgétaire tout simplement, Thomas CAZENAVE ?
THOMAS CAZENAVE
La réalité, c'est que moi je suis très attaché à notre modèle social. J'ai fait le choix du service public, j'ai travaillé depuis maintenant plus de 20 ans au service de l'intérêt général. Il faut le financer. Un service public, un modèle de Sécurité sociale qui n'est pas financé est un modèle en danger. Notre responsabilité, vous savez qu'on a creusé le déficit public parce qu'on a protégé tous les Français : crise sanitaire, crise énergétique, la guerre en Ukraine. Et donc notre déficit public qui s'est creusé, il est aujourd'hui de 5%. On doit réduire notre déficit public pour faire face aux nouvelles crises - pour faire face aux nouvelles crises. Donc ma responsabilité, c'est de dire qu'on doit faire des économies, redresser nos comptes publics pour continuer à protéger notre système de Sécurité sociale et aussi faire face aux crises qui viendront demain.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 8 novembre 2023