Texte intégral
M. le président Frédéric Descrozaille. La dernière phase de notre commission d'enquête sur les produits phytosanitaires étant consacrée à l'examen critique de la conduite des politiques publiques en la matière, nous auditionnons les responsables des quatre administrations centrales concernées : le ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, le ministère de la santé et de la prévention, le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, et le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Nous accueillons Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé. Nous avions sollicité votre ministre de tutelle, M. Aurélien Rousseau, qui nous a recommandé de nous adresser à vous.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé. Il se trouve que cette compétence est dans ma feuille de route.
M. le président Frédéric Descrozaille. Cette commission d'enquête a pour objet avant tout de comprendre, sans chercher à pointer des responsabilités ou à trouver des boucs émissaires. Toutes les politiques publiques sont complexes, mais celle-ci l'est peut-être particulièrement parce qu'elle se heurte à de nombreux freins, que nous avons cherché à identifier, et qu'elle est interministérielle par nature.
Quel regard portez-vous, madame la ministre déléguée, sur votre propre administration en la matière ? Comment cette politique publique se place-t-elle dans les priorités de votre agenda ? Comment se traduit concrètement son caractère interministériel pour vous, votre cabinet et vos services, étant donné l'importance dans cette politique de la dimension de santé ? Les travaux de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), actualisés récemment, ont déclenché une prise de conscience des effets sur la santé des produits phytopharmaceutiques, notamment dans les nombreux collectifs citoyens – ONG et associations – que nous que nous avons auditionnés.
Cette politique publique doit tenir compte de nombreux paramètres : la biodiversité, l'eau, la souveraineté alimentaire, le revenu agricole. La hiérarchisation de ces différents paramètres dans un cadre interministériel doit se révéler complexe, et nous voulons en discuter avec vous aujourd'hui.
Avant de vous laisser la parole pour un propos liminaire, je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(Mme Agnès Firmin Le Bodo prête serment.)
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Merci, monsieur le président, d'avoir indiqué en préambule que le souhait de cette commission d'enquête était de comprendre toute la complexité de ce dossier.
Je tiens à le dire sans ambiguïté : la réduction de l'utilisation des produits phytosanitaires – et donc de l'exposition à ces produits – concerne tous les ministères, au premier chef ceux qui sont chargés de l'agriculture, de l'environnement et de la santé. Devenu une question sociétale, l'usage des pesticides ne concerne plus seulement les agriculteurs : le sujet suscite désormais une attente citoyenne forte et parfaitement légitime puisque les études visant à mieux apprécier l'exposition de la population et les effets des produits phytopharmaceutiques sur la santé humaine se sont multipliées au cours des dernières années, mettant en évidence des impacts sanitaires.
Pour préserver la santé humaine et la santé des milieux dans lesquels nous vivons, il est donc nécessaire d'adopter une approche interministérielle, ce que nous avons fait depuis 2009 par le biais des différents plans et stratégies Écophyto qui se sont succédé. Lors du dernier salon international de l'agriculture, la Première ministre a rappelé la volonté de réduire notre utilisation des produits phytosanitaires de 50 %. Il ne s'agit pas d'une initiative française isolée, mais d'une ambition européenne à laquelle notre pays adhère – la France n'accuse d'ailleurs pas de retard en la matière, malgré de nombreuses controverses.
Au ministère de la santé et de la prévention, nous devons y contribuer avec pragmatisme et transparence : nous devons être pragmatiques et avoir conscience des limites de l'interdiction de l'usage des pesticides pour ne pas mettre en danger notre souveraineté alimentaire ; nous devons être transparents et tout mettre en oeuvre pour mieux comprendre et prévenir les conséquences sanitaires et environnementales des pesticides, source de préoccupation légitime pour nos concitoyens. Cela passe par le renforcement des connaissances.
Depuis quelques années, nous détectons – de plus en plus et dans tous les milieux – des pesticides ou des produits issus de leur dégradation, à savoir les métabolites. Il est important de souligner que tout ce que l'on détecte ne présente pas forcément un risque sanitaire. Dans tous les cas, et comme pour tous les risques, il faut distinguer ce qui relève des connaissances actuelles, des connaissances non disponibles ou encore des expertises à mobiliser pour combler l'écart.
Les attentes des citoyens évoluent vite, mais les études également : de nombreuses études épidémiologiques mettent désormais l'accent sur le risque que présente une exposition domestique et professionnelle pour la santé des travailleurs agricoles, des riverains ou encore de certains publics vulnérables tels que les femmes enceintes ou les enfants. Elle peut déboucher sur des leucémies, des cancers de la prostate ou des maladies de Parkinson.
Alors que les liens entre exposition aux pesticides et pathologies restent complexes à établir, la maladie de Parkinson et certaines hémopathies malignes sont d'ores et déjà, s'agissant des professionnels agricoles, reconnues comme des maladies professionnelles provoquées par les produits phytopharmaceutiques. Il nous faut donc tout faire pour protéger les travailleurs et, le cas échéant, les indemniser. D'où les mesures de protection individuelle adoptées par les agriculteurs – dont je tiens à rappeler l'engagement : avec les travailleurs agricoles, ils ont pleinement conscience de ces enjeux et de la nécessité de protéger leur santé mais aussi celle de leurs concitoyens. D'où aussi le fonds d'indemnisation des victimes de pesticides (FIVP), créé par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020. Ce fonds, qui monte en charge, puisque les demandes ont doublé en 2022, a permis une réelle avancée dans l'indemnisation des victimes professionnelles des pesticides, notamment celles du chlordécone aux Antilles. C'est en effet en 2022 que le cancer de la prostate provoqué par les pesticides – dont le chlordécone – a été intégré dans les tableaux de maladies professionnelles.
Qu'en est-il pour la population générale, notamment les riverains de parcelles agricoles ? Des préoccupations existent quant aux risques d'atteintes du neurodéveloppement, d'effets sur la grossesse, de développement de cancers de l'adulte et de cancers pédiatriques, de maladie de Parkinson. Cependant, la caractérisation du lien entre l'exposition et ces maladies est plus faible, sauf en cas d'exposition in utero. Il faut donc bien différencier la perception du risque, le risque avéré et les mesures de protection à mettre en place.
Pour améliorer nos connaissances, nous avons fait le choix de financer une étude, PestiRiv, en mobilisant la redevance pour pollutions diffuses assise sur les ventes de produits phytosanitaires, au nom du principe pollueur-payeur. Cette étude, effectuée par Santé publique France et l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), est financée en grande partie par le plan Écophyto II+. C'est la première étude de grande ampleur visant à mieux connaître et comprendre l'exposition aux produits phytopharmaceutiques des personnes vivant près des cultures viticoles. Ses premiers résultats sont attendus pour le début de l'année 2025.
La montée en charge de la connaissance doit s'accompagner de mesures claires pour renforcer la protection de l'ensemble des populations. Cela passe par l'interdiction des substances cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction (CMR1). Comme cette commission d'enquête l'a rappelé, les substances classées CMR1 sont retirées du marché depuis 2014. Cette mesure est très importante, parce qu'elle démontre notre volonté de protéger et parce qu'elle affiche notre intransigeance lorsqu'un danger est spécifiquement et scientifiquement prouvé. C'est le cas pour l'époxiconazole, le propiconazole ou le flurochloridone, classés CMR1 dès 2017.
Nous pouvons aussi nous féliciter des avancées permises d'une part par le cadre réglementaire relatif aux zones de non-traitement, qui a connu plusieurs évolutions récentes, et d'autre part par la loi Labbé de 2014, dont le périmètre d'interdiction en matière d'utilisation des produits phytopharmaceutiques a été élargi à plusieurs reprises. Depuis le 1er janvier 2022, cette loi interdit ainsi l'utilisation des produits phytopharmaceutiques dans tous les lieux de vie.
Cependant, le renforcement de la protection de la population doit également passer par une meilleure anticipation sur la problématique de l'exposome et une meilleure maîtrise des milieux. L'un de ces milieux, qui nous est vital, retient toute mon attention : l'eau, qui représente un enjeu de santé majeur à plus d'un titre. L'un des objectifs prioritaires du ministère de la santé et de la prévention est de préserver cette ressource de plus en plus précieuse, tout en garantissant sa qualité.
À cet égard, je rappelle que les agences régionales de santé (ARS) oeuvrent au quotidien dans le cadre du contrôle sanitaire de l'eau destinée à la consommation humaine. Au cours des derniers mois, la mise à jour régulière des molécules suivies a fait apparaître la présence de certains produits phytopharmaceutiques et de leurs métabolites dans les ressources en eau et dans les eaux distribuées au robinet des consommateurs. Je pense en particulier aux métabolites du chlorothalonil, du S-métolachlore ou de la chloridazone.
Mobilisant les autorités nationales et locales, la question de la qualité des eaux destinées à la consommation humaine doit trouver une place centrale dans nos débats. Pour ma part, je souhaite l'élaboration d'une politique interministérielle ambitieuse et le renforcement des mesures de réduction des intrants et de protection des captages utilisés pour la production de l'eau que nous consommons au quotidien, comme le plan Eau présenté en mars dernier nous y engage. Mon ministère est également attentif au sujet de la protection des captages d'eau potable en tant que zones sensibles, dans le cadre du règlement européen sur l'utilisation durable des pesticides, dit règlement SUR, en cours de renégociation.
Renforcer la protection et réduire l'exposition, c'est aussi permettre aux riverains et aux personnes exposées de signaler plus facilement un effet indésirable. Pour cela, nous continuerons le déploiement d'un dispositif national de signalement des expositions aux produits phytopharmaceutiques. Nous pourrons ainsi répondre aux attentes de nombreux concitoyens, en articulation avec le dispositif des chartes d'engagements d'utilisation des produits phytosanitaires pour les agriculteurs, déjà engagé au niveau territorial.
Même si notre engagement est bien réel, je pense comme vous que les résultats ne sont toujours pas à la hauteur de l'enjeu. Mais quelles seraient les autres solutions ? Faudrait-il, au nom du principe de précaution, tout interdire tout de suite, alors même que toutes les connaissances ne sont pas disponibles ou que les expositions aux polluants sont multiples – par l'eau, l'alimentation, l'air ? Je ne suis pas certaine que tout passe par l'interdiction, ni que le principe de précaution implique forcément l'interdiction. En tant que pharmacienne, je vais oser une analogie que je ne suis pas seule à faire : les produits de santé aussi sont dangereux pour la santé et, s'ils répondent à nos besoins, c'est parce qu'on les utilise à un dosage précis et selon des recommandations scientifiquement fondées.
Si la boussole de notre action est bien la réduction de l'utilisation des produits phytosanitaires et de l'exposition de la population générale et des agriculteurs, premiers exposés, il nous faudra continuer à accompagner ces derniers dans leurs usages. Il faudra aussi, pour reprendre mon analogie, s'inspirer de la pharmacovigilance concernant les médicaments pour renforcer la phyto-pharmacovigilance concernant les pesticides. Il est fondamental de savoir quel produit a été utilisé, en quelle quantité et à quel endroit, si nous voulons mieux connaître les risques liés à l'exposition mais aussi au cumul des expositions – aux effets cocktail ou effets dose. C'est déjà prévu sur le plan réglementaire, mais la nouvelle stratégie Écophyto 2030 améliorera le recueil d'information, notamment en numérisant le processus. Nous devons miser, je le répète, sur la transparence et l'information de chacun – domaine où les médecins ont un rôle majeur à jouer. La stratégie Écophyto 2030 prévoit d'ailleurs de renforcer la place des professionnels de santé, afin qu'ils puissent mieux informer nos concitoyens.
Votre commission d'enquête montre l'importance majeure de ce sujet, dont il faut savoir accepter la complexité. Il n'y a pas une réponse unique. Vous avez dû constater que chacun vous apporte ses réponses, en fonction de son point de vue et de sa place. Les miennes seront celles du ministère délégué dont j'ai la charge. Dans le cadre d'une commission d'enquête, elles se borneront aux sujets directement sous ma responsabilité.
M. Dominique Potier, rapporteur. Merci, madame la ministre déléguée. Qu'il n'y ait pas de méprise sur les propos introductifs du président : nous ne cherchons pas a priori des coupables, mais nous irons jusqu'au bout des explications pour savoir où se situent les responsabilités.
Pour cette commission d'enquête, nous avons décidé de remonter jusqu'en 2014, année où j'avais été chargé par le Gouvernement d'une mission sur la réduction de l'utilisation des produits phytosanitaires, pour élaborer une nouvelle version du plan Écophyto. À l'époque, après je ne sais combien d'heures d'auditions, il m'était apparu que le ministère de la santé était le grand absent des débats et des processus décisionnels dans ce domaine. Or nous sommes convaincus qu'il devrait y occuper la place centrale, et cela semble être votre volonté. Dont acte. Permettez-moi cependant d'éprouver cette volonté par quelques questions sur les actions de votre ministère en la matière.
Ma première question porte sur la démocratie. Nous voulons être utiles au débat public et contribuer à l'amélioration des politiques publiques. Nous avons récemment adressé un courrier à Matignon à propos du plan Écophyto 2030, pour faire remarquer qu'il aurait peut-être été judicieux d'attendre le règlement SUR et les conclusions de la commission d'enquête parlementaire avant de faire ces annonces. La réponse du Gouvernement a été plutôt encourageante puisqu'il est question d'attendre début 2024 pour détailler les mesures du plan Écophyto 2030. Madame la ministre déléguée, serez-vous attentive à nos recommandations, par respect pour ce Parlement que vous chérissez ?
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Tout d'abord, j'ai bien compris, et c'est pour cela que j'ai remercié le président, que l'état d'esprit de cette commission d'enquête était de comprendre la complexité du sujet et non d'accuser.
Le ministère de la santé a été le grand absent, dites-vous. Dorénavant, pour la première fois au ministère de la santé, les enjeux en matière de santé environnementale sont clairement mis au nombre des attributions d'un ministre. Ils figurent dans ma feuille de route et c'est la raison de ma présence ici, à la demande du ministre de la santé et de la prévention. C'est pourquoi, puisque la santé environnementale est un sujet interministériel, mon ministère est systématiquement présent à toutes les réunions qui ont lieu dans ce domaine, avec le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, le ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire ou le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche. Lorsqu'il est question de l'air ou des zones à faibles émissions par exemple, je suis toujours présente, avec le ministre délégué chargé des transports. La volonté est là de considérer la santé comme un enjeu primordial dans ces questions.
Serons-nous attentifs au rapport issu de votre commission d'enquête ? Oui, évidemment, et c'est celle qui était députée il y a encore quelques mois qui vous le dit. Nous serons toujours très attentifs aux travaux parlementaires par respect du fonctionnement démocratique, et nous le serons en particulier à votre travail important en raison de l'intérêt qu'il représente. La stratégie Écophyto avance, mais nous regarderons avec attention la conclusion de vos travaux.
M. Dominique Potier, rapporteur. Merci pour cette disposition d'esprit. Que vous affirmiez l'originalité et la nouveauté de votre mission peut cependant nous conduire à un constat commun : il y avait un manque par le passé, d'où le besoin d'insister sur votre compétence et votre engagement, dont nous ne doutons pas à cet instant.
Tournons-nous vers l'avenir, même si le lancement de PestiRiv nous ramène aux années 2015-2016, au moment où la question des riverains avait surgi, avec le cas d'une école qui avait ému l'opinion publique. Je m'en étais voulu de n'avoir pas vu émerger cette problématique et de n'y avoir fait aucune allusion dans mon rapport. Dès lors, on peut s'étonner que l'étude PestiRiv ne soit lancée que maintenant et qu'il faille attendre encore un an pour avoir ces résultats. Le sujet est pourtant crucial : la mesure de l'exposition aux pesticides selon la distance de pulvérisation, la nature des produits et les conditions de leur utilisation. Pourquoi avoir tant tardé avant d'entreprendre une d'étude scientifique documentée sur ce risque sanitaire ?
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. La crise sanitaire est aussi passée par là, provoquant une prise de conscience générale et l'émergence du concept One Health – une seule santé. Le fait que la santé environnementale soit devenue un enjeu majeur de santé publique peut être vu comme l'un des retours d'expérience de la crise du covid-19. Elle était déjà prise en compte auparavant, mais ce n'était pas aussi clairement affiché ; le concept One Health est désormais inscrit dans ma feuille de route et il guide mon action.
J'en viens à PestiRiv, dont les résultats sont attendus en 2025. Ce n'est pas parce que nous en parlons beaucoup qu'il n'y avait eu aucune autre étude auparavant. Je peux vous en citer trois : Géocap-Agri, destinée à évaluer le risque d'apparition de cancers pédiatriques en fonction de la proximité avec certaines familles de cultures, et dont les premiers résultats ont été publiés en octobre dernier ; Esteban, lancée par Santé publique France, qui va se prolonger avec l'étude Albane ; et l'expertise collective de l'Inserm Pesticides et santé - Nouvelles données (2021). Toutes ces études complémentaires ont été lancées très en amont de PestiRiv.
M. Dominique Potier, rapporteur. L'étude de l'Inserm Pesticides : effets sur la santé, réalisée en 2013 et actualisée donc en 2021, nous sert aussi de point de repère pour les travaux de cette commission d'enquête – nous n'avons pas retenu que mon rapport. Soulignons d'ailleurs que les résultats obtenus par les chercheurs de l'Inserm en 2021 viennent confirmer leurs intuitions de 2013.
S'agissant du FIVP, qui me tient à coeur, j'aimerais revenir sur les circonstances de sa création. Il avait fait l'objet d'une proposition de loi dont j'étais à l'origine mais qui n'avait pas pu être adoptée dans le cadre de la niche parlementaire de mon groupe, faute de temps. Agnès Buzyn, alors ministre des solidarités et de la santé, s'était engagée à l'intégrer dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 et elle avait tenu son engagement. Nous regardions ce fonds comme un compromis, une première étape.
Nous avons auditionné récemment plusieurs acteurs de la prise en charge et de l'indemnisation des victimes des produits phytosanitaires, notamment des responsables de la CCMSA (Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole) et du conseil de gestion du FIVP. Je crois pouvoir dire, en accord avec le président et sans être contredit par les commissaires, qu'ils ne nous ont pas semblé faire preuve d'un dynamisme extraordinaire, qu'il s'agisse de l'information donnée aux agriculteurs sur leurs droits, qui reste lacunaire, de l'exposition in utero, alors que l'une des fiertés de ce fonds était d'avoir reconnu la possibilité de ce type de contamination, ou encore de la prévention dans les publicités pour les produits phytopharmaceutiques de la presse spécialisée.
Vous nous avez indiqué que les demandes d'indemnisation avaient doublé en 2022 – il faut dire que l'on part de très bas. Cela tendrait à montrer que l'information remonte, lentement mais sûrement, car les maladies professionnelles sont de mieux en mieux connues. On a le sentiment malgré tout d'un manque de volontarisme. Même si la gestion de ce fonds est déléguée, votre ministère veille-t-il à la rapidité de son déploiement, sachant qu'il répond à un besoin de justice et qu'il a été créé avec beaucoup de retard ? Vous êtes-vous investie dans la dynamisation de ce fonds ou avez-vous l'intention de le faire, pour qu'il réponde pleinement aux objectifs qui lui ont été assignés par le Parlement ?
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Sans vouloir botter en touche, je vous signale que ce fonds relève du ministère du travail, du plein emploi et de l'insertion. Cela étant dit, il se trouve que je reviens d'un déplacement en Martinique durant lequel il en a été beaucoup question. J'ai eu l'occasion d'échanger avec des professionnels de santé, mais aussi avec Serge Letchimy, qui y a beaucoup travaillé.
Comme je l'ai déjà dit, la nécessaire information des agriculteurs passera aussi et d'abord par les professionnels de santé, même si nous ne voulons pas les surcharger de missions. Pour que l'existence de ce fonds, de création récente, soit connue des milieux agricoles, il faut multiplier les canaux d'information, en faisant notamment appel à des acteurs tels que Jeunes agriculteurs ou la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA). La reconnaissance de l'exposition in utero passe par les mêmes canaux. En ce qui concerne le chlordécone, l'État a clairement pris ses responsabilités en parlant d'un droit à réparation – l'intégration du cancer de la prostate dans les tableaux de maladies professionnelles en 2022 n'est d'ailleurs pas étrangère à la montée en puissance du FIVP. Il faut continuer à faire en sorte que l'information s'améliore.
M. Dominique Potier, rapporteur. S'agissant du cancer de la prostate, des études épidémiologiques sont déclenchées en cas de signalement. Lors de l'audition précitée, il est apparu que cette maladie n'était pas répertoriée comme une cible privilégiée alors que c'est une de celles dont il est fréquemment question. Avec qui en avez-vous discuté ? Est-ce que les données remontent à l'Anses ? L'idée du législateur était de réparer et de prévenir. Comme nous n'avons pas senti de réelle dynamique, nous voulons vous alerter sur ce point – et non vous adresser des reproches – pour que nous puissions tirer pleinement profit de cette innovation dans le droit français.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Nous nous inscrivons dans le cadre du droit à réparation. La reconnaissance du cancer de la prostate en tant que maladie liée à l'utilisation du chlordécone date de décembre 2022, ce qui reste récent. Dans le cadre de la stratégie Écophyto 2030, nous travaillerons à la fois sur la prévention et sur l'information.
M. Dominique Potier, rapporteur. Comme vous, je m'intéresse à l'initiative One Health. J'ai d'ailleurs eu l'occasion d'écrire un article à ce propos pour la Fondation Jean-Jaurès. Son origine est antérieure à la crise du covid-19, même si cette dernière l'a remise en évidence. L'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) y travaillait déjà, avec l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et l'Organisation mondiale de la santé animale (OIE). La contribution française a été importante, et nous avons intégré ce concept dans diverses lois. Le ministère de la santé a exploré les pistes de l'effet cocktail, de l'exposome, des modes de vie. De quels moyens se dote-t-il pour développer la recherche en la matière ?
Par ailleurs, comment les études scientifiques s'articulent-elles les unes avec les autres ? Par exemple, les éléments du rapport de l'Inserm ne sont pas forcément repris dans d'autres études : il y a un problème global de consolidation. Le ministère de la santé ne doit-il pas engager un vaste travail de hiérarchisation ? En effet, les controverses qui ne manquent pas de survenir en raison des inévitables différences méthodologiques sont pain bénit pour ceux qui font semblant de douter et veulent faire douter l'opinion publique.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. La santé environnementale fait partie de la feuille de route du ministère de la santé. Les différentes études visent à améliorer nos connaissances afin de démontrer scientifiquement la présence ou l'absence de risques sanitaires, puis, en fonction des résultats, contribuent à la prise de décision concernant la modification, la suspension ou l'interdiction d'usage de produits phytosanitaires.
S'agissant de la maîtrise des risques d'exposition et, plus généralement, de l'application de la méthode One Health, mon ministère défendra la nécessité d'une instance interministérielle consacrée à ces questions de santé globale, associant les ministères chargés de l'économie, de la recherche, de l'agriculture et de l'environnement.
Ces deux éléments doivent impérativement s'articuler.
M. Dominique Potier, rapporteur. Selon l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae), les agences de l'eau et tous les experts, nous nous dirigeons vers une grave crise de la ressource en eau, en raison du stress hydrique, de la permanence des anciens produits et de la rémanence des métabolites. Or nous avons des dispositifs mous, territorialisés, qui font l'objet de tractations infinies. Ne risque-t-on pas de manquer d'une autorité publique digne de ce nom ? Quelles décisions faudrait-il prendre en matière de captages afin d'assurer la sécurité sanitaire de l'eau potable, sans que les coûts de traitement soient pour autant prohibitifs ? Comment y parviendrons-nous compte tenu, osons le mot, du laxisme ambiant ? Nombre de périmètres, rapprochés ou éloignés, n'ont fait l'objet d'aucune mesure de protection et les instruments existants, d'ailleurs insuffisants, ne sont pas mobilisés sur bien des captages sensibles. Quelle est l'ambition du ministère de la santé pour protéger l'eau potable des Français ? En tant qu'ancienne élue locale, vous connaissez bien cette question.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. La question de l'eau mériterait un débat à elle seule. Elle est essentielle, tant en termes de quantité que de qualité. Le plan Eau, présenté au mois de mars, est évidemment interministériel, avec des ministres allant de l'industrie à la biodiversité en passant par la santé, compétent en matière de qualité de l'eau, avec pour chef de file le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Nous sommes face à des enjeux scientifiques et de recherche sur les produits et les métabolites de pesticides. La connaissance des conséquences sanitaires de leur utilisation est partielle, les études produites lors de la demande d'autorisation de mise sur le marché (AMM) étant insuffisantes pour lever les doutes ou établir les fameuses valeurs sanitaires maximales (Vmax) et anticiper une contamination des eaux de consommation.
L'articulation entre les enjeux territoriaux et nationaux se fait bien. Les allers-retours entre les agences régionales de santé et les ministères de la santé et de la transition écologique sont quasiment quotidiens. Les ARS ont des compétences en matière de qualité de l'eau, tout en relayant la politique de l'État auprès des collectivités territoriales.
Cette crise est devant nous. Nous avons le devoir de sensibiliser les élus et de construire un schéma organisationnel lisible et visible, ce à quoi nous nous employons, notamment avec les ARS.
M. Dominique Potier, rapporteur. Il semble que les ARS se consacrent plutôt aux questions liées aux pollutions accidentelles qu'aux pollutions diffuses et que leur mode d'intervention – contrôle au robinet et à la distribution – ne soit pas à la hauteur de ce qui s'impose s'agissant des mesures de prévention sur tel ou tel périmètre.
Il semble aussi qu'il existe une certaine dissonance entre les agences de l'eau, les ARS et l'« État territorial », qui peut mobiliser des plans d'intervention en matière d'agroécologie ou de maîtrise du foncier. Êtes-vous prête à envisager que toutes ces structures soient intégrées dans une forme d'autorité publique à même de se manifester plus explicitement dès lors qu'il s'agit de protéger une ressource aussi vitale ?
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Je suis intimement convaincue que tel est déjà le cas, même s'il est toujours possible de trouver un contre-exemple. Le lien entre les ARS, les préfets et les collectivités territoriales est effectif. Je ne vois pas comment il serait possible de faire autrement.
M. Dominique Potier, rapporteur. Vous avez un peu esquivé la question de l'autorité publique en matière de maîtrise du foncier et d'usage des sols sur ces périmètres. Si vous ne le faites pas, qui le fera ? Le sujet va vraiment devenir crucial.
À l'Assemblée nationale, dans la société civile et même de la part du ministre de l'agriculture, une forme d'ambiguïté et d'hésitation s'est fait jour à propos de la loi de 2014 qui confère à l'Anses un pouvoir important en matière d'AMM. Quelle est la position du ministère de la santé ? Est-il favorable au maintien des prérogatives de l'Anses dans le code de la santé publique ou bien serait-il ouvert à leur remise en cause ?
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. J'ai visité un certain nombre de laboratoires, notamment à Nancy, qui produisent des expertises indépendantes et de haut niveau scientifique. C'est de cela que nous avons besoin pour prendre des décisions. Il est vrai que l'Anses rencontre souvent des difficultés pour mobiliser cette expertise, en raison de sa volonté de maintenir une intransigeance constante vis-à-vis des conflits d'intérêt, mais cela garantit cette indépendance et ce haut niveau. La crise sanitaire a aussi mis en exergue la place que doit avoir la science dans la prise de décision.
M. Dominique Potier, rapporteur. Aucune remise en cause, donc, de la loi de 2014 et confortation des prérogatives de l'Anses en matière d'AMM.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. À ce stade et selon moi, oui.
M. le président Frédéric Descrozaille. Lors de l'examen des politiques publiques, nous sommes souvent confrontés à des constats à la Pangloss : tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possible. C'est un peu l'impression que vous m'avez donnée lorsque nous avons abordé la question interministérielle. Bien sûr qu'il existe des interrelations, mais cela ne signifie pas que le cadre interministériel soit satisfaisant !
Lors de l'audition des représentants des administrations de contrôle, nous avons découvert que la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), en application rigoureuse et scrupuleuse de la loi, a recensé un taux impressionnant de non-conformité des produits mis sur le marché, qui serait indéfendable vis-à-vis du grand public, et qui serait absolument inadmissible dans le domaine de la pharmacie. Or il est là aussi question de santé publique.
Le problème du durcissement des sanctions se pose donc. Vous-même avez déclaré que le niveau de la phyto-pharmacovigilance devait être comparable à celui qui existe pour la pharmacovigilance, laquelle s'applique à tous les acteurs, y compris privés. Tel qu'il est, le cadre interministériel vous permet-il d'échanger avec votre homologue de Bercy sur la cohérence des dispositifs de contrôle avec les exigences en matière de santé publique ? C'est là qu'on peut voir un défaut du cadre interministériel – il ne s'agit pas de mettre en relations des services !
Des responsables d'agences de l'eau nous ont assuré, s'agissant de la définition des périmètres, qu'ils se heurtent à des ARS qui, en application de la loi, se réfèrent à des pollutions « accidentelles » quand eux se réfèrent à des pollutions « diffuses ». En matière de santé, ils sont d'accord mais, compte tenu des textes, ils ne peuvent rien faire ! Je suis certain que l'ancienne élue que vous êtes voit très bien ce que je veux dire. Il faut dépasser la question du respect des procédures, qui permet à chacun de confirmer qu'il exerce correctement son métier mais qui interdit de satisfaire les objectifs des politiques publiques et les intentions du législateur.
Vous avez évoqué une délégation qui réunirait les administrations centrales concernées. Comment éviterez-vous que ce soit une énième administration centrale, avec sa propre feuille de route et qui ne travaille pas de concert avec les autres ?
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Je précise que je suis toujours élue !
Lorsque j'ai évoqué le cadre interministériel, je n'ai pas cité les administrations mais les ministres et les élus. Certes, nos administrations et nos conseillers échangent mais nous échangeons également entre ministres. Lorsque j'ai évoqué une instance interministérielle, je n'ai pas uniquement mentionné les ministères de la santé, de l'agriculture, de l'écologie et de la recherche, mais également le ministère de l'économie tout comme, à propos du plan Eau, celui de l'industrie. Cette entité interministérielle, ce deuxième élément dont je parlais tout à l'heure, est absolument indispensable pour assurer la cohérence des dispositifs, celle-là même que vous appelez de vos voeux, mais aussi l'obligation de résultat dont nous sommes tous redevables en matière de santé publique.
M. le président Frédéric Descrozaille. Je ne doute en rien de votre sincérité, ni de votre engagement. Néanmoins, le compte n'y est pas. La France se débrouille mal sur le plan interministériel, en particulier s'agissant de politiques publiques qui relèvent de plusieurs administrations centrales. Le cadre ministériel doit permettre de faire en sorte que des fonctionnaires sortent de réunion en sachant que les contours de leur poste ont évolué, qu'ils ne feront plus exactement la même chose. Il n'est pas seulement question de mises en commun, d'arbitrages ex post, de mises en relation, si indispensables et effectifs soient-ils, mais d'une redéfinition des responsabilités de chacun pour que le respect des procédures ne se substitue plus à l'atteinte des résultats.
Nous avons beaucoup évoqué la question de la cohésion entre les différents organismes scientifiques. Les disputes entre autorités sont dévastatrices pour la confiance de nos concitoyens. Si plusieurs, parmi elles, ne sont pas d'accord et lavent leur linge sale publiquement, les conséquences sont hautement dommageables. Comment garantir la cohésion de la communication entre l'Inserm, l'Anses et l'Efsa (Autorité européenne de sécurité des aliments) ? Nous recevons chaque semaine des témoignages de scientifiques à propos d'études remettant en cause l'exercice des prérogatives des agences sanitaires. Comment faire en sorte que l'Inserm, l'Anses et l'Efsa, autorités scientifiques publiques, disent la même chose et fassent preuve de transparence, dans un cadre interdisciplinaire et collégial garantissant que la contradiction scientifique peut leur être apportée et qu'elle est prise en compte dans les procédures ? Je fais référence à la distinction entre danger et risque, entre analyse et gestion du risque, entre toxicologie réglementaire et toxicologie « réelle ».
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Signe de la volonté du ministère de la santé, mais aussi de l'engagement de la Première ministre, le secrétariat général de la planification écologique lui aussi promeut ce travail interministériel. La santé y est partie prenante : la planification écologique du système de santé est en effet un enjeu fondamental, puisque ce secteur est responsable de 8 % des émissions de gaz à effet de serre.
Vous évoquez la confiance. Dans mon propos liminaire, j'ai quant à moi parlé de pragmatisme et de transparence, dont je suis convaincue que la confiance dépend également.
Je le répète, les agences que vous avez citées sont indépendantes. Elles nous font part de leurs préconisations, puis nous prenons les décisions, avec le directeur général de la santé (DGS), toujours donc à la lumière d'une expertise scientifique. L'évaluation du rapport bénéfice-risque est toujours fondamentale. De ce point de vue, il peut être difficile d'expliquer que de l'eau est potable même si elle contient certains produits. En l'occurrence, la Vmax est décisive. Nous devons faire preuve de transparence et de pédagogie. La confiance de nos concitoyens en dépend. Ils sont très demandeurs d'explications.
Mme Anne-Laure Babault (Dem). S'agissant de la pollution de l'eau, à La Rochelle, quinze captages ont été récemment fermés : je ne peux que souscrire à l'inquiétude des riverains et à la nécessité de les protéger.
Quant à l'air on y retrouve certains produits phyto, notamment le prosulfocarbe. Or le niveau d'analyse, pour la pollution aérienne, est moins élevé que pour la pollution des eaux. Il me semble que les agences Atmo ont besoin de moyens supplémentaires. Qu'en pensez-vous ?
Nous ne disposons pas d'un registre national détaillé des cancers. Envisagez-vous d'y remédier ?
Quelle est la part des produits phyto dans la situation sanitaire et dans l'ensemble des pollutions ?
Enfin, la maladie de Parkinson progresse : une personne sur cinquante sera touchée. Or aucun plan n'a été établi, comme cela a été fait pour la maladie d'Alzheimer. J'ai déposé des amendements à ce propos, qui n'ont pas eu un grand écho. Qu'envisagez-vous de faire s'agissant de cette maladie neurodégénérative qui touche les agriculteurs, mais pas seulement – pensons aux vendeurs de produits phytopharmaceutiques ?
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Nous n'oublions pas la question de la pollution aérienne, qui relève également de la surveillance réglementaire des pesticides. Là encore, nous travaillons dans le cadre interministériel, avec pour chef de file le ministère de la transition écologique.
Je salue le travail des associations agréées pour la surveillance de la qualité de l'air (AASQA). Atmo France est mobilisée pour étudier la présence des pesticides dans l'air, alors qu'aucune réglementation n'est encore en vigueur. Le travail que nous menons pour améliorer nos connaissances a un compartiment « air ». Nous devons en effet renforcer notre expertise collective afin de proposer une réglementation reposant sur des bases solides.
Dès 2024, les administrations compétentes feront un état des lieux des différents dispositifs de surveillance des produits phytopharmaceutiques dans l'environnement et dans l'air, en s'appuyant sur les travaux de l'Inserm, de l'Inrae et de l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer). Elles pourront ainsi dessiner des voies d'amélioration, y compris pour les substances qui ne sont plus utilisées mais qui sont toujours présentes dans les milieux.
Une proposition de loi visant à créer un registre national des cancers a été adoptée au Sénat au mois de juin. L'Institut national du cancer estime qu'il serait préférable de s'appuyer plutôt sur le système national des données de santé. Le Gouvernement avait émis un avis de sagesse sur ce texte au Sénat et nous pourrons en débattre s'il est inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.
Je serais bien incapable de vous dire quelle est la proportion de maladies liées aux produits phytosanitaires et j'ignore d'ailleurs s'il est possible de la connaître, dans la mesure où l'on a déjà du mal à mesurer la présence de pesticides dans l'air.
S'agissant de la maladie de Parkinson, il y a un volet indemnisation, avec le FIVP, mais il importe aussi de faire de la prévention auprès des utilisateurs et anciens utilisateurs de ces produits, ainsi que des vendeurs. La prévention est la mère de toutes les batailles.
Mme Anne-Laure Babault (Dem). Je conviens qu'il est très compliqué d'établir un rapport statistique entre la pollution et certaines pathologies. C'était une façon d'appeler votre attention sur l'inquiétude des riverains quant aux effets des produits phytosanitaires sur leur santé – je pense en particulier aux clusters de cancers pédiatriques. S'agissant de Parkinson, outre la prévention, il faut aussi améliorer l'accompagnement des malades, qui n'est pas satisfaisant.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Son nom pourra encore changer mais nous sommes en train de créer une plateforme qui, pour l'heure, s'appelle PhytoSignal et qui doit permettre de signaler toute contamination ou toute présomption de pollution aux produits phytosanitaires – nous y consacrerons 2 millions d'euros. Cela répond à une attente forte des associations comme de nos concitoyens. Et pour en revenir à Parkinson, il faut aussi une mobilisation des professionnels de santé. Nous y travaillons.
Mme Mélanie Thomin (SOC). On connaît encore mal l'effet cocktail des pesticides. Quels moyens consacrez-vous à la recherche sur ce sujet ?
Vous étiez présente le 30 octobre 2023 à la réunion de lancement de la stratégie Écophyto 2030 pour représenter le ministère de la santé. Pouvez-vous préciser le rôle de ce dernier dans l'élaboration et la mise en oeuvre des plans Écophyto ? De quels éléments a-t-il été à l'initiative ? Depuis le début des plans Écophyto, quels sont les arbitrages que le ministère de la santé a perdus face à ceux de l'agriculture ou de l'industrie, et ceux qu'il a remportés ? Plus globalement, qui décide ?
Demain, la France va s'abstenir sur le renouvellement pour dix ans de l'utilisation du glyphosate au sein de l'Union européenne, alors qu'elle s'y était opposée en 2018. Il y a un lien de cause à effet entre la contamination par le glyphosate et le développement de la maladie de Parkinson. En tant que représentante du ministère de la santé, prônez-vous, au sein du Gouvernement, l'opposition au renouvellement de l'utilisation du glyphosate ? Que fait votre ministère pour faire reconnaître les malades et les victimes des produits phytosanitaires ? Le ministère de la santé a-t-il un poids suffisant face aux autres ministères qui gèrent ce dossier, dont ceux de l'industrie et de l'agriculture ?
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Il est effectivement essentiel de renforcer la recherche sur l'effet cocktail. Le développement de la phyto-pharmacovigilance, en lien avec l'Anses, doit nous permettre de mieux connaître les conséquences de l'exposition à un ou plusieurs produits phytosanitaires et d'analyser l'effet cocktail, mais aussi l'effet dose. Il faut arriver à déterminer quel produit a été utilisé, dans quelles quantités et à quel endroit. La nouvelle stratégie Écophyto 2030 va améliorer le recueil d'informations, notamment en numérisant le processus. Nous disposons déjà de l'étude Esteban, qui a mesuré l'exposition des Français à cinq familles de pesticides : elle montre que si le niveau d'exposition semble diminuer, il varie en fonction des substances et des classes d'âge, et qu'une part non négligeable de la population est encore exposée à des substances aujourd'hui interdites.
La réunion du 30 octobre n'avait pas pour objet la présentation du plan Écophyto 2030 mais le lancement d'une consultation qui doit déboucher sur un tel plan pour le début de l'année 2024 – lequel pourra aussi être enrichi par les préconisations de votre commission d'enquête.
En quoi le ministère de la santé contribue-t-il à l'élaboration de cette stratégie ? Nous avons formulé des préconisations dans six domaines : déployer sur tout le territoire national, y compris en outre-mer, l'outil de signalement des expositions aux produits phytopharmaceutiques, à l'image des outils PhytoSignal ou Phytoréponse déjà expérimentés dans certaines régions ; sensibiliser les professionnels de santé à la question des maladies professionnelles liées à l'usage de produits phytopharmaceutiques et à la question de l'exposition des riverains et des personnes vulnérables ; envisager, après une étude de faisabilité pilotée par le ministère de la santé, la possibilité de mettre en oeuvre et de financer un dispositif d'indemnisation des riverains, à l'instar de la prise en charge des victimes professionnelles d'ores et déjà prévue dans le cadre du FIVP ; étudier les suites – y compris réglementaires, si nécessaire – à donner aux résultats des études les plus récentes, telles que Géocap-Agri ou PestiRiv, au niveau national et européen ; intégrer le comité de suivi des études nationales sur les produits phytopharmaceutiques et la santé, piloté par la DGS, à la gouvernance du plan Écophyto 2030 et lui donner une dimension plus globale ; renforcer, enfin, les contrôles sur la conformité des pulvérisateurs, en raison des risques de dérive.
J'en viens au glyphosate, dont les effets sur la santé humaine font, depuis plusieurs années, l'objet de controverses. Il y a des divergences entre les instances internationales sur son potentiel cancérogène. Le centre international de recherche sur le cancer a classé le glyphosate dans la catégorie 2A des cancérogènes probables. C'est dans ce contexte qu'en 2017, le Président de la République a demandé de prendre les dispositions nécessaires pour que l'utilisation de ce produit soit interdite en France dès que des alternatives auront été trouvées. En 2019, une réévaluation au niveau européen a été lancée par un consortium de pays membres, dont la France, et de nouvelles études fournies par le fabricant ont été transmises à l'Agence européenne des produits chimiques (Echa) et à l'Efsa.
Ces expertises ont conclu en 2022 que la substance ne présentait pas les critères scientifiques requis pour être classée dans la catégorie des substances CMR. L'Efsa a indiqué que l'évaluation de l'impact du glyphosate sur la santé humaine, la santé animale et l'environnement n'avait pas identifié de domaine de préoccupation critique. Le ministère de la santé et de la prévention est parfaitement aligné avec la position adoptée par la France à plusieurs reprises : nous considérons que le glyphosate est une substance dont l'utilisation doit être réduite à l'échelle européenne et limitée aux usages pour lesquels il n'existe pas d'alternative. Pour toutes ces raisons, et au regard des connaissances actuelles, nous serions favorables à ce que l'utilisation du glyphosate soit autorisée pendant une durée beaucoup plus courte que les dix ans proposés. C'est pourquoi le ministère de la santé et de la prévention plaide pour une abstention sur ce vote, sans présager de la position qui sera finalement tenue.
Mme Laurence Heydel Grillere (RE). Votre ministère fait-il une différence entre les pesticides et les biocides, sachant que les molécules peuvent être identiques, mais les usages différents ?
Quelle est la position de vos homologues, à l'échelle européenne, sur la question des pesticides ? Y a-t-il des différences, d'un pays à l'autre ? Où se situe la France ? Est-elle plus exigeante que ses voisins ? Quel est notre niveau de coopération sur la question des pesticides ?
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Nous ne faisons pas de différence entre pesticides et biocides : les uns et les autres ont des conséquences sanitaires, que le ministère de la santé a à prendre en compte.
Comme dans beaucoup d'autres domaines, la coopération européenne est une nécessité. Il est très important, quand c'est possible, d'arriver à une position commune, surtout s'agissant de décisions que nos concitoyens ont du mal à comprendre : c'est, pour eux, un gage de confiance. Dans le cadre de la planification écologique de notre système de santé, j'ai des échanges réguliers avec mes homologues européens et j'ai pu constater combien il est précieux d'aller voir ce qui se fait ailleurs.
M. le président Frédéric Descrozaille. J'ai une dernière question qui peut paraître anecdotique, mais qui me semble au contraire emblématique. Sous la précédente législature, la direction générale de l'offre de soins a lancé l'expérimentation « Repas à l'hôpital » dans trois établissements de santé, dans le cadre des dispositions du titre II de la loi Egalim (loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous), relatives à la restauration collective.
Avez-vous entendu parler de cette expérimentation ? Si tel est le cas, comment expliquez-vous qu'on ne lui ait donné aucune suite ? Des parlementaires se sont impliqués dans cette expérimentation – en l'occurrence, c'est moi qui l'ai supervisée. Vos services se sentent-ils concernés par cette initiative où le Parlement a joué un rôle important ? Comptent-ils rendre compte de la décision qui sera prise pour donner suite, ou pas, à cette expérimentation ? Il s'agit d'une pure démarche de concrétisation d'une loi.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Très franchement, je n'étais pas au courant de cette expérimentation.
Ce que je peux vous dire, en revanche, c'est que deux initiatives vont dans le même sens, l'une dans le cadre de la stratégie nationale pour l'alimentation, la nutrition et le climat (Snanc), qui est en cours d'élaboration, encore une fois de façon interministérielle, l'autre dans le cadre de la planification écologique du système de santé, dont l'un des volets est consacré à l'alimentation. Nous incitons les établissements hospitaliers et médico-sociaux à mener une politique d'achat durable, qui concerne aussi les repas. Je réunirai le 15 décembre le deuxième comité de pilotage de la planification écologique du système de santé. Pour le reste, je ne manquerai pas de revenir vers vous pour répondre précisément à la question que vous posez.
M. le président Frédéric Descrozaille. Je trouve confondant que vos services élaborent la Snanc et travaillent avec les établissements sur la question des repas sans tenir compte de cette expérimentation et sans que le Parlement et les acteurs qui l'ont conduite – je pense notamment au réseau Restau'Co – n'aient été impliqués, ni même consultés.
M. Dominique Potier, rapporteur. Il existe deux leviers pour orienter l'agriculture et l'aider à s'affranchir des produits phytosanitaires. Le premier, c'est la politique publique d'aide à la production. Le plan stratégique national que nous avons adopté dans le cadre de la politique agricole commune s'avère assez inadapté de ce point de vue – mais cette question relève plutôt du ministère de l'agriculture, même si nous comptons sur vous pour peser dans les arbitrages à venir.
Le deuxième levier, c'est la politique publique de l'alimentation. Là, vous êtes au coeur du sujet, même si le ministère de l'agriculture et la direction générale de l'alimentation (DGAL) sont aussi concernés. Or les prescriptions faites aux consommateurs en matière d'alimentation et de santé émanent beaucoup plus du secteur privé que du secteur public. Si nous n'avons pas une politique de l'alimentation soutenue par une grande ambition de santé publique, nous ne pourrons pas tirer l'agriculture vers le haut et l'aider à s'affranchir de sa dépendance à la chimie. Que pensez-vous de ce déséquilibre massif entre le public et le privé sur cette question de l'information et de l'éducation à l'alimentation ?
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. J'aimerais d'abord répondre au président. La Snanc est encore en cours d'élaboration et toutes les instances dans lesquelles des parlementaires siègent ont été consultées : je pense notamment au Conseil national de l'alimentation. Quant à la planification écologique du système de santé, elle se fait en interministériel et est ouverte à toutes les associations et fédérations hospitalières.
J'en viens, monsieur le rapporteur, à votre question sur l'information des citoyens. Vous avez justement rappelé que l'alimentation relève d'abord du ministère de l'agriculture, à travers la DGAL. Pour notre part, nous prêtons une grande attention aux effets de l'alimentation sur la santé, dans le cadre de la Snanc et du programme national nutrition santé. Ce travail se fait en interministériel. Nous avons parfois des échanges un peu difficiles avec le ministère de l'agriculture et de l'alimentation, mais nous sommes parvenus à un accord sur la question importante du nutri-score par exemple. Nous sommes attentifs à un rapport bénéfice-risque global. L'impact de l'alimentation sur la santé ne se limite en effet pas à la question des produits phytosanitaires : l'obésité par exemple est un autre enjeu de santé publique majeur.
M. Dominique Potier, rapporteur. Puisque vous êtes une militante de l'interministériel, pourrez-vous nous dire ultérieurement le montant total des sommes consacrées par la puissance publique à l'information sur la santé et l'alimentation, et comparer ce montant avec ce que le secteur privé consacre à la publicité ? Il nous serait utile de connaître ce ratio.
Le plan Écophyto 2030 évalue à 350 millions le coût de la pollution de l'eau par les phytosanitaires : cette somme nous paraît très en deçà de la réalité et nous interrogerons Christophe Béchu à ce sujet. Pour ce qui est du coût en santé humaine des pesticides, le ministère de la santé essaie-t-il de l'évaluer ?
Enfin, que pensez-vous de l'idée de créer un ordre des phytiatres, réunissant les personnes amenées à vendre ou recommander des produits phyto-pharmaceutiques ? L'appartenance à cet ordre supposerait un certain niveau de formation ; l'ordre garantirait un contrôle collectif et serait un interlocuteur pour la puissance publique. Cela existe dans d'autres pays : est-ce une hypothèse que vous pourriez soutenir ?
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Il est difficile de chiffrer le coût de la pollution de l'eau. Je crois que, dans le cadre du plan Eau, ce coût a été réévalué et qu'il atteindrait plutôt 2 milliards. Mais le calcul est très difficile à faire car il faudrait prendre en compte tous les investissements réalisés par les collectivités territoriales.
Je n'ai pas d'avis sur la création d'un ordre des phytiatres : il faudrait voir ce que cela a apporté dans les pays qui ont fait ce choix. Mais je ne suis pas sûre que cet ordre puisse avoir les mêmes prérogatives qu'un ordre professionnel.
M. Dominique Potier, rapporteur. Vous nous dites que le coût de la pollution de l'eau s'élèverait plutôt à 2 milliards : c'est donc sept fois plus que ce qui a été indiqué très récemment.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Les 2 milliards incluent ce que font les collectivités, alors que vous parliez de la part de l'État.
M. Dominique Potier, rapporteur. Il faudra clarifier ce point. Vous n'avez pas répondu sur le coût pour la santé publique des produits phytosanitaires. Peut-on mener des politiques publiques si l'on n'a pas de mesures ?
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. On arrive à évaluer le nombre de décès qui seraient liés à la pollution de l'air – mais cela ne concerne pas directement les produits phytosanitaires. Le développement de la phyto-pharmacovigilance doit nous permettre de classer les pathologies dues aux pesticides, d'évaluer l'impact des pesticides sur la santé et d'aboutir à un chiffrage.
M. le président Frédéric Descrozaille. Merci, madame la ministre déléguée, nous terminons l'audition sur cette notion centrale de la pharmacovigilance.
Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 28 novembre 2023