Interview de M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer, à RTL le 14 décembre 2023, sur l'avenir du projet de loi Immigration après le refus de l'Assemblée nationale d'en débattre.

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Intervenant(s) : 

Média : RTL

Texte intégral


AMANDINE BEGOT
Dans un tout petit instant sur RTL, le ministre de l'Intérieur. Bonjour Gérald DARMANIN.

GERALD DARMANIN
Bonjour.

AMANDINE BEGOT
Et bienvenue sur RTL. Merci d'être là ce matin. On va bien sûr parler de l'avenir de ce projet de loi Immigration. Le président a refusé lundi soir votre démission. Serez-vous toujours ministre de l'Intérieur après Noël ?

GERALD DARMANIN
C'est une question ?

AMANDINE BEGOT
Oui.

GERALD DARMANIN
Ce n'est pas moi qui décide.

AMANDINE BEGOT
A tout de suite.

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AMANDINE BEGOT
Monsieur le Ministre, on va bien sûr évoquer dans un instant l'avenir du projet de loi Immigration. Votre avenir aussi. Mais d'abord, peut-être un mot sur cette collégienne de douze ans, douze ans seulement, qui a menacé hier à Rennes l'un de ses professeurs avec un couteau équipé d'une lame de 17 centimètres en plein cours. Elle voulait, a-t-elle dit, faire comme à Arras. Une enquête est en cours. Cette jeune fille a fait l'objet d'une expertise psychiatrique. Elle est depuis hospitalisée. Donc on ne va pas commenter, bien sûr, le fond de l'enquête. Mais est-ce que vous pouvez nous confirmer que cette famille n'était pas du tout connue des services de police ?

GERALD DARMANIN
En effet, c'est une famille qui vient de Mongolie qui est depuis de nombreuses années sur le territoire national, qui n'a pas de croyance à ma connaissance particulière, qui, par ailleurs, est administrativement légalement établie sur le territoire national, et dont les parents ne sont absolument pas connus des services de police.

AMANDINE BEGOT
Qui n'avait jusqu'ici jamais posé problème ?

GERALD DARMANIN
En tout cas à ma connaissance, en effet.

AMANDINE BEGOT
Venons-en à ce projet de loi Immigration. Deux jours après le vote de la motion de rejet à l'Assemblée, Élisabeth BORNE a donc reçu hier à Matignon les représentants des Républicains, les centristes, mais aussi ceux de la majorité. Vous avez assisté, Monsieur le Ministre, à ces réunions. D'autres sont prévues aujourd'hui. Est-ce que vous avez bon espoir de trouver un accord sur ce projet de loi ?

GERALD DARMANIN
Il le faut. Il faut des mesures extrêmement fortes et rapides contre l'immigration irrégulière, contre les délinquants étrangers pour pouvoir tenir les flux migratoires. Il y a des dispositions également qui nous permettent d'organiser les Jeux olympiques. Je pense à un dispositif européen qui permet à tous les policiers français d'avoir une connexion avec les fichiers de toutes les polices européennes. Enfin, bref, il nous faut ces mesures de fermeté. Je pense que chacun, en tout cas dans les oppositions que nous avons rencontrées, notamment les LR et les centristes, nous avons chacun compris qu'il fallait désormais arrêter le jeu politicien et avoir un texte pour les Français. Moi, je me félicite de ces discussions que nous avons…

AMANDINE BEGOT
C'est-à-dire que quand Eric CIOTTI répète depuis lundi qu'il ne faut rien d'autre que le texte voté au Sénat, il est peut-être prêt à faire quelques concessions ?

GERALD DARMANIN
Eh bien, il faudra poser la question à Éric CIOTTI. Ce qui est sûr, c'est que c'est à partir du texte du Sénat que nous travaillons. C'est la loi désormais. Je rappelle que la motion de rejet a rejeté le débat, n'a pas rejeté le texte, ce qui rend incompréhensible la position de la Nupes. Mais je mets ça de côté. Donc, à partir du texte du Sénat, nous allons travailler. Ce ne sera pas intégralement le texte du Sénat. Il y a sans doute à modifier la loi pour pouvoir l'améliorer, pour ne pas qu'elle soit censurée par le Conseil constitutionnel, et puis, parce que la majorité ne votera pas tout, absolument tout. Mais il est évident qu'on doit se rapprocher du texte du Sénat.

AMANDINE BEGOT
Ça veut dire enlever un certain nombre de mesures. L'aide médicale d'Etat, par exemple, les prestations sociales pour les étrangers. Est-ce que c'est aussi enlever la régularisation des métiers en tension ?

GERALD DARMANIN
Ecoutez, il y a une discussion en ce moment, je ne vais pas la préempter. La majorité est très attachée, comme vous le savez…

AMANDINE BEGOT
Oui, c'est ça tout le problème en fait…

GERALD DARMANIN
Non, ce n'est pas un problème…

AMANDINE BEGOT
Non, mais le fait de…

GERALD DARMANIN
Régulariser les personnes qui travaillent…

AMANDINE BEGOT
Ce « en même temps », il est compliqué, non, je ne parlais pas du fond, c'est ce « en même temps », il faut plaire à la majorité tout en ne déplaisant pas aux Républicains…

GERALD DARMANIN
Non, il faut faire un texte pour les…

AMANDINE BEGOT
Le jeu est difficile...

GERALD DARMANIN
Il ne faut pas faire un texte pour la majorité ou pour l'opposition, pour le ministre de l'Intérieur ou pour la Première ministre, encore moins pour les journalistes. Il faut faire un texte pour les Français, ce projet de loi, il a des mesures de grande fermeté, et en même temps il répare des injustices. Après, il faut trouver un compromis. C'est le principe lorsque vous avez une majorité relative, vous devez travailler avec les oppositions. La main était tendue depuis très longtemps. Je constate que, d'ailleurs, dans le texte du Sénat, il y a une mesure de régularisation. Les LR eux-mêmes ont voté une mesure de régularisation au cas par cas, différente de la majorité. Mais enfin, le principe a été accepté, et c'est tant mieux, parce que c'est ça la République. On régularise, la nourrice et on expulse l'étranger délinquant. Donc je pense que sur cette base, qui rassemble, je crois, de larges Français, tous les sondages sont favorables au texte Immigration tel que nous l'avons présenté. On est prêt évidemment à tendre la main aux LR, aux centristes et de trouver un compromis le plus rapidement possible puisqu'on doit, lundi, avoir cette commission mixte paritaire.

AMANDINE BEGOT
Tout va se jouer effectivement lundi. Imaginons que ces sept députés et sept sénateurs, trouvent un compromis. Vous pensez vraiment que ce texte, derrière, il peut être validé, voté à l'Assemblée ?

GERALD DARMANIN
Dès le lendemain puisqu'il est inscrit à l'ordre du jour mardi à l'Assemblée et au Sénat. Donc, mardi soir, nous aurons, je l'espère, un texte, et très rapidement, nous allons mettre en place ces mesures pour protéger les Français.

AMANDINE BEGOT
S'il ne l'était pas, vous nous le confirmez, pas de 49.3 ? Le texte sera enterré ?

GERALD DARMANIN
Ce n'est pas moi qui décide, c'est la Première ministre. Mais je crois que président a été assez clair.

AMANDINE BEGOT
Pas de 49.3, pas de dissolution non plus…

GERALD DARMANIN
Et je n'y suis pas favorable, parce que si on n'est pas capable dans notre démocratie, alors qu'on a parlé pendant des mois sur un sujet extrêmement sensible et important, de se mettre d'accord, alors, ça veut dire que l'Assemblée nationale, le Parlement ne fonctionnent pas bien. Donc on ne va pas continuer à gouverner comme ça, sans discuter au Parlement. Et quand l'Assemblée nationale a la possibilité de le faire sur un sujet complexe et médiatique et compliqué, moi, je regrette que les députés aient refusé d'accomplir leur rôle…

AMANDINE BEGOT
Oui, mais sauf que vous nous dites, il faut absolument ces mesures, s'il les faut absolument, eh bien, passons en force, quoi, enfin, passez en force…

GERALD DARMANIN
Ça dépend de votre conception de la démocratie parlementaire. Moi, j'ai toujours préféré le dialogue, la main tendue, le compromis, convaincre plutôt que contraindre. Alors, oui, il faut des mesures extrêmement fortes. Si jamais les choses devaient être difficiles, le gouvernement prendra ses responsabilités, bien évidemment, pour protéger les Français. Mais il faut quand même considérer que les députés, moi, je suis député, ça fait dix ans que je suis député, eh bien, ils sont là pour débattre, quitte à dire des désaccords. Et je n'ai pas compris, franchement, personne n'a compris. Les députés, notamment du Rassemblement national, qui sont élus pour parler d'immigration, j'imagine qu'ils ont fait campagne sur ce sujet, et dès le moment, le sujet arrive, ah, non, non, cachez-moi cette immigration que je ne saurais voir. Voilà, bon, c'est un jeu politicien, moi, ce n'est pas ce qui m'intéresse. Ce qui m'intéresse, c'est la protection des Français. Donc je me battrai, pour répondre à votre question, pour avoir un texte, et pour avoir le texte le plus ferme possible.

AMANDINE BEGOT
Pas de 49.3, pas de dissolution non plus, a dit le président mardi soir. Est-ce que ce ne serait pas malgré tout la solution, cette dissolution, les Français, d'ailleurs, y sont plutôt favorables à 54 %, selon notre sondage BVA ?

GERALD DARMANIN
Dans la destitution du Général de GAULLE, c'est le président qui décide. Moi, personnellement, je n'ai jamais eu peur de retourner devant les électeurs de Tourcoing.

AMANDINE BEGOT
Le risque peut-être, c'est de se retrouver avec Marine LE PEN ou Jordan BARDELLA…

GERALD DARMANIN
Moi, je n'ai jamais peur des électeurs, vous savez, on dit ça à chaque fois. Et puis, enfin, moi, je me présente dans le Nord, à Tourcoing, à chaque fois, le Front National, dans les sondages, fait 30 %. Et puis, quand je me présente, il n'est pas au second tour, donc ça veut dire qu'il y a peut-être une différence entre le monde des commentaires et puis la rencontre avec les gens. Je pense que les gens qui votent, peut-être avec raison parfois pour le Rassemblement national, parce qu'ils sont énervés de la politique nationale, s'aperçoivent qu'ils ont élu des députés qui servent à pas grand-chose. Ils ne veulent même pas débattre du sujet principal pour lequel ils ont été élus. Bon, voilà ça, ça a petit côté Trissotin, voilà, on ne va peut-être pas commenter ça. Ce qu'il faut, c'est des mesures concrètes. On a désarmé les policiers et les gendarmes en rejetant le débat, il y a des policiers et des gendarmes, des préfets, des magistrats, des agents de préfecture qui attendaient des mesures fermes qu'on proposait, l'expulsion des étrangers délinquants, c'est incompréhensible que le Parlement n'ait pas voulu en débattre. Et après, on fait la Une des médias et on dit : mais pourquoi le ministre de l'Intérieur ne les expulse pas ? On ne peut pas expulser ces criminels parce que la loi l'interdit. Donc je demande à changer la loi. Mais les députés ne veulent pas débattre. Avouez que c'est un petit peu sapeur-camembert, cette histoire.

AMANDINE BEGOT
Dès lundi soir, sur le plateau du 20h de TF1, vous avez reconnu un échec. C'est un échec politique. Est-ce que c'est un échec personnel, Gérald DARMANIN ?

GERALD DARMANIN
D'abord, c'est un échec, me semble-t-il, de la politique. C'est un échec de l'Assemblée nationale de ne pas débattre. C'est aussi, bien sûr, un échec du gouvernement et de celui qui porte le texte, c'est-à-dire, moi, bien sûr, parce qu'il faut être humble et reconnaître quand l'Assemblée s'est prononcée, et moi, j'ai apporté…

AMANDINE BEGOT
Vous n'avez pas été assez humble ?

GERALD DARMANIN
Ça, je n'en sais rien, je ne suis pas…

AMANDINE BEGOT
C'est ce que certains vous ont reproché, d'avoir trop fait le malin...

GERALD DARMANIN
Oui, alors, je ne sais pas ce que ça veut dire, moi, je me bats pour les Français. Si vous voulez me faire dire que j'ai des convictions, en effet, peut-être que je les annonce fortes, et que j'essaie de dire ce que je pense bien sûr, et que je suis ministre depuis quatre ans à l'Intérieur dans une situation très difficile. Et ce n'est pas facile d'être au ministère de l'Intérieur. Je ne demande pas qu'on me plaigne, je dis qu'on peut quand même avouer que c'est quelque chose de compliqué. Moi, ce qui m'intéresse, c'est d'avoir des mesures pour protéger les Français, mais quand il y a un échec à l'Assemblée nationale, et je respecte profondément le Parlement, il est normal qu'un ministre puisse présenter sa démission, c'est le sens de l'honneur, au président. Après, il en dispose comme il le souhaite. Cependant, je n'ai pas fait le choix de la facilité. Je n'ai pas proposé à la Première ministre et au président de dire : on arrive, on fait un 49.3, on s'en va. Ça, c'est très facile à faire. Alors, j'ai essayé de convaincre, donc on va revenir…

AMANDINE BEGOT
Mais si là, le texte est…

GERALD DARMANIN
Le métier sur l'ouvrage…

AMANDINE BEGOT
Mais si le texte est rejeté, là, vous démissionnez ?

GERALD DARMANIN
C'est au président de la République que de décider du fonctionnement de son gouvernement.

AMANDINE BEGOT
Il vous a dit quoi lundi soir ? Reste ?

GERALD DARMANIN
Alors le principe, c'est que des discussions de vestiaire restent dans le vestiaire…

AMANDINE BEGOT
Oui, je sais bien, mais…

GERALD DARMANIN
Mais vous avez vu qu'il a souhaité que je continue mon travail au ministère de l'intérieur. Je l'en remercie. Mais, je ne suis pas propriétaire de ma charge. C'est un grand honneur pour moi d'avoir été ministre. Si ça s'arrête demain, je remercierais la République et les Français. Mais jusqu'à la dernière minute, tant que j'ai la confiance du président de la République, je protégerai les Français et je me battrai pour dire la vérité. Et je me battrai pour avoir des mesures de fermeté pour l'immigration. Après, on peut aussi ne rien faire. Alors, quand on ne fait rien, c'est sûr qu'on a moins d'échecs. Moi, j'essaie de faire, parfois, j'ai des échecs, parfois, j'ai des réussites. Ce que je peux vous dire, c'est que nous attendons tous des mesures de fermeté, et que les petits jeux politiques soient mis de côté. L'intérêt général, c'est ce qui compte. Moins de drames, plus de protection de nos frontières, meilleure intégration, sans pouvoir rentrer dans le délire de la haine des étrangers.

AMANDINE BEGOT
Gérald DARMANIN, Mathilde PANOT, la cheffe du groupe LFI à l'Assemblée, a saisi la justice sur une éventuelle corruption d'élus. En clair, elle vous soupçonne d'avoir marchandé des votes contre une gendarmerie ou une brigade de gendarmerie. Vous avez annoncé, hier soir, je crois, avoir porté plainte, c'est ça, pour diffamation ?

GERALD DARMANIN
Oui, pour dénonciation calomnieuse.

AMANDINE BEGOT
Pour dénonciation calomnieuse. Pourtant, quand on lit dans le détail, le député PS Philippe BRUN a expliqué avoir été contacté par votre directeur de cabinet qui lui a annoncé que la demande d'une brigade de gendarmerie qu'il avait formulée pour une commune était acceptée. Vous savez ce que le ministre attend de vous. Alors, il se trouve que votre directeur de cabinet s'est trompé de monsieur BRUN. Ce n'est pas Philippe BRUN qu'il voulait appeler, mais Fabrice BRUN. Mais cette histoire, vous savez ce qu'attend de vous le ministre, ce n'est pas troublant ?

GERALD DARMANIN
Non, mais attendez, c'est délirant, vous savez combien il y a de brigades de gendarmerie chez les Nupes, 37, on en a annoncé 40 au Rassemblement national. Bon, est-ce que vous pensez qu'à un seul moment, j'ai pensé que le Rassemblement national ou la Nupes pourraient voter le texte Immigration ? Bon, voilà, dans les députés Renaissance ou députés LR, si vous parlez de ces questions, 73 chez Renaissance, c'est-à-dire beaucoup moins en proportion que le Rassemblement national, et 32 chez les LR. Ils sont 62. Enfin, c'est de la blague ! Monsieur CIOTTI…

AMANDINE BEGOT
Mais ça veut dire quoi " vous savez ce que le ministre attend de vous " ?

GERALD DARMANIN
Monsieur CIOTTI, il a une brigade de gendarmerie, monsieur PRADIE, il a une brigade de gendarmerie, il y en a 236, ça a été décidé en juillet dernier, pendant le ministère de l'Intérieur Immigration et le ministère de l'Intérieur gendarmes et ministère de l'Intérieur policiers, ministère de l'Intérieur pompiers. Quand une députée m'interroge sur le statut des sapeurs-pompiers, que je lui réponds, ce n'est pas parce que je vais lui répondre de son côté, quand elle est députée LR, que je suis pour qu'elle vote un texte, elle avait voté contre, et je lui ai donné raison sur les sapeurs-pompiers…

AMANDINE BEGOT
Mais vous savez ce que le ministre attend de vous…

GERALD DARMANIN
C'est une dénonciation calomnieuse ; la vérité, c'est que la Nupes ne sait pas comment s'en sortir, de discuter avec le Rassemblement national. Il y a une alliance contre nature qui est très grave, celle des populistes entre eux pour faire échec au gouvernement. On peut considérer, on peut considérer que c'est bien, c'est la politique. Pour se faire plaisir, on fait la Une des journaux en faisant ça. Mais il y a une alliance politique contre nature qui déshonore la Nupes et qui déshonore, je crois, les électeurs de gauche qui ont cru en elle.

AMANDINE BEGOT
Merci Monsieur le Ministre.

YVES CALVI
Il nous faut des mesures de fermeté en matière d'immigration. Mardi soir, nous aurons un texte, vient de nous dire le ministre.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 15 décembre 2023