Texte intégral
CHRISTOPHE BARBIER
Charlotte CAUBEL, bonjour.
CHARLOTTE CAUBEL
Bonjour.
CHRISTOPHE BARBIER
Et bienvenue. Merci beaucoup d'être là, en français dans le texte.
CHARLOTTE CAUBEL
On va essayer.
CHRISTOPHE BARBIER
105 000 personnes hier à Paris, 182 000 dans toute la France. Un succès pour vous cette marche contre l'antisémitisme ?
CHARLOTTE CAUBEL
Une très forte mobilisation, et c'était important de renvoyer que les Français se mobilisaient contre ce qui se passe actuellement et qui est quand même extrêmement grave. On a aujourd'hui trois fois plus d'actes antisémites que l'année dernière sur toute une année. C'est dire que c'était important qu'on descende dans la rue dire non, comme dirait le Président, non, nous ne tolérons pas l'intolérable.
CHRISTOPHE BARBIER
Important, mais est-ce que ça va être efficace ?
CHARLOTTE CAUBEL
Ce n'est évidemment pas suffisant, mais je pense que c'est un message très clair à nos concitoyens juifs, aux enfants et aux jeunes juifs. Nous souhaitons vous protéger, nous considérons que ceci n'est pas acceptable et nous nous mobilisons. Bien sûr, toutes les forces républicaines qui étaient présentes, mais aussi tous les Français qui étaient à ce moment-là. Alors, par ailleurs, une marche très calme, très posée, avec des moments assez forts, des applaudissements, la Marseillaise. Donc je pense, un moment quand même constructif…
CHRISTOPHE BARBIER
L'ambiance était importante autant que le nombre.
CHARLOTTE CAUBEL
Totalement.
CHRISTOPHE BARBIER
C'est dire aussi aux juifs : Ne vous cachez pas, n'enlevez pas les signes distinctifs, ne vous invisibilisez pas ?
CHARLOTTE CAUBEL
Même si hier, il n'y avait pas, je crois, dans la marche, beaucoup de signes distinctifs. C'est : vous êtes avec nous. Vous êtes comme nous des concitoyens. Nous marchons ensemble. C'est plutôt ça, et évidemment, que serait devenu notre pays si nous supportions ce que vivent nos concitoyens juifs. Et si les Juifs devaient à nouveau se cacher ? Enfin, vous voyez, avec cette phrase, je suis profondément choquée. Et bien évidemment, nos concitoyens ne doivent pas se cacher.
CHRISTOPHE BARBIER
Alors, il y avait dans la manifestation la présence du Rassemblement national, de Reconquête! d'Eric ZEMMOUR. Est-ce que pour vous, cette présence était regrettable ?
CHARLOTTE CAUBEL
Ecoutez, l'histoire de l'antisémitisme au Rassemblement national, on la connaît tous, mais vu les enjeux, vu le moment particulier, hier, je préfère penser que les gens qui étaient présents l'étaient sincèrement, Avec cette volonté évidemment de dire ce qu'on disait à nos concitoyens juifs : nous sommes à vos côtés.
CHRISTOPHE BARBIER
Vous leur faites le crédit de leur bonne volonté et de leur engagement sincère
CHARLOTTE CAUBEL
De leur bonne foi hier et de leur engagement sincère.
CHRISTOPHE BARBIER
D'autres vous diront : oui, mais vous prenez le risque de les banaliser, de les blanchir, de participer à leur dédiabolisation.
CHARLOTTE CAUBEL
Hier, c'était une démarche collective. Nous étions tous ensemble. Il ne s'agit plus, aujourd'hui, je trouve, de polémiquer sur diabolisation, pas diabolisation. Je pense qu'il faut s'arrêter à ce que vous avez dit, le nombre de personnes qui ont participé, le calme de cette manifestation et les applaudissements d'ailleurs qu'il y avait, y compris sur ce boulevard Saint-Germain très vide où les boutiques effectivement étaient peu visitées.
CHRISTOPHE BARBIER
Mais il y a quand même eu des troubles jusqu'au sein de la majorité entre Olivier VERAN et Christophe BECHU, ce n'était pas la même analyse ?
CHARLOTTE CAUBEL
Chacun a sa perception. C'est quand même très…
CHRISTOPHE BARBIER
Complexe.
CHARLOTTE CAUBEL
C'est quand même très intime, ce rapport évidemment à la violence et à l'antisémitisme. Chacun a son histoire, son vécu. Moi, je suis d'une génération qui a entendu Jean-Marie LE PEN, d'autres n'ont pas entendu ou n'ont pas vécu les discours qu'il y a eu à cette époque. Je pense qu'il était important que ce débat ait lieu avant. Maintenant que cette marche a eu lieu, je pense que c'est trop tard et qu'il faut prendre le point de tous ces Français qui sont descendus dans la rue, quelle que soit leur origine, quelle que soit leur religion, quelles que soient leurs opinions. Je n'imagine pas que les gens sont descendus hier avec des mauvaises intentions.
CHRISTOPHE BARBIER
Alors Jean-Luc MELENCHON pense le contraire, lui, il dit : hier, c'était le rassemblement de la droite et de l'extrême droite unies. Que lui répondre ?
CHARLOTTE CAUBEL
Alors, je crois que Jean-Luc MELENCHON, comme l'ensemble des... enfin, pas l'ensemble d'ailleurs, parce qu'il y avait des gens de la Nupes qui étaient présents à cette marche. En tout cas, LFI a décidé de ne pas défendre nos valeurs républicaines. On peut en déduire tout ce qu'on en veut, mais je crois que, évidemment, il se met en marche, Jean-Luc MELENCHON, avec ses propos de ce qui constituent l'ADN de notre pays, les valeurs républicaines, la protection de tous les Français, quelle que soit leur religion, quelle que leur soit leur origine.
CHRISTOPHE BARBIER
Certains veulent porter plainte contre et le font contre David GUIRAUD, député l'IFI, qui a déclaré que les bébés massacrés mis dans le four, les mères éventrées, c'était Israël.
CHARLOTTE CAUBEL
Mais comment peut-on tenir des propos comme ça ? Vraiment, je comprends les gens qui veulent interpeller la justice sur ce type de propos.
CHRISTOPHE BARBIER
Hier, il manquait quelqu'un, c'était le président de la République, alors, il a donné ses raisons. Mais est-ce que finalement, il n'est pas passé à côté, en disant : je ne manifeste jamais, de quelque chose qui dépassait tous les enjeux ?
CHARLOTTE CAUBEL
Rappelons quand même que cette marche, elle est à l'initiative de la présidente de l'Assemblée nationale, Yaël BRAUN-PIVET, et à laquelle s'est associé le président du Sénat. Chaque institution porte quelque chose. Le président a souhaité respecter cette marche qui était déjà entourée d'un peu de polémiques. Est-ce qu'il aurait rajouté de la polémique à la polémique ? Il a respecté la démarche de la présidente de l'Assemblée nationale et le président du Sénat. Il a lui-même porté autre chose qui est de s'adresser à tous les Français…
CHRISTOPHE BARBIER
La lettre aux Français…
CHARLOTTE CAUBEL
Par cette lettre, chacun est intervenu, je trouve, à la hauteur de sa mission. On est passé de l'Assemblée nationale au Sénat. Est-ce que le président devait être là ? Moi, je pense que ce n'était pas indispensable. Par contre, sa lettre, elle est très, très forte. Elle interpelle les Français, elle redit des choses extrêmement importantes et elle s'adresse à tout le monde.
CHRISTOPHE BARBIER
Il rejette dans sa lettre l'assignation à différence. C'est ça l'enjeu, c'est qu'on se communautariste, comme on peut le voir en Angleterre, avec les résultats que ça donne ?
CHARLOTTE CAUBEL
Alors effectivement, ce ne sont pas nos valeurs ce qu'on choisit, ce qu'a choisi le peuple britannique. Nous, on a un choix très fort qui est : tout le monde doit être là, quelles que soient effectivement sa religion et sa communauté. On voit bien que ce conflit qui se passe en dehors de notre territoire conduit à un repli sur les communautés. Cette marche hier avec tout le monde, elle est censée effectivement dépasser ce communautarisme.
CHRISTOPHE BARBIER
La lettre du président se termine par un soutien à la manifestation avec vous, en pensées et en actes. Alors, quels sont les actes ? Quels vont être les actes contre l'antisémitisme ?
CHARLOTTE CAUBEL
Eh bien, les actes, ils existent déjà depuis longtemps, mais je pense qu'effectivement, il faut les renforcer et les rappeler. Côté Etat, c'est bien évidemment tout ce qui est culture, formation citoyenne dans nos écoles extrêmement important, c'est la laïcité dans nos écoles et le respect des écoles qui ne sont pas laïques, mais qui sont en contrat avec l'Etat. L'Etat, c'est évidemment n'accepter aucun fait, la justice, les enquêteurs ont été saisis de l'ensemble des faits d'antisémitisme qui ont eu lieu et enquêtent, et les réponses doivent être à la hauteur des enjeux.
CHRISTOPHE BARBIER
Et il faudra bouger le droit s'il le faut... ?
CHARLOTTE CAUBEL
Le droit a déjà énormément bougé côté numérique. On le sait, la force des réseaux pour colporter ces mots de haine est extrêmement importante. Donc on a déjà, grâce à la force du président, fait bouger les textes européens pour pouvoir retirer ces contenus absolument haineux et pouvoir sanctionner les gens qui les portent, donc…
CHRISTOPHE BARBIER
Mais pas les pratiques des opérateurs. Pas encore ?
CHARLOTTE CAUBEL
Ça commence à venir, ça commence à venir…
CHRISTOPHE BARBIER
Vous êtes optimiste là-dessus ?
CHARLOTTE CAUBEL
Ah, mais oui, parce qu'en réalité, sur ces sujets-là, alors, là, en particulier, sur la haine, il y a quand même un consensus pour dire que même si on n'a pas la responsabilité éditoriale de ce qui se passe sur les réseaux, quand on est une grande plateforme de réseaux, on ne peut pas accepter de devenir ce terreau de haine et d'actes derrière, qui peuvent naître de cette haine qui est sur les réseaux. Donc ça avance, ça avance, jamais aussi vite qu'on le souhaiterait, mais ça avance. Et moi, je voudrais dire quelque chose, ce qui est important, c'est que tout le monde se saisisse de ce sujet de la haine, et en particulier de l'antisémitisme, très important dans les investigations qui sont conduites par les forces de police. On retrouve beaucoup de jeunes et d'enfants impliqués dans ces actes de haine sur Internet. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que moi, j'enjoins tous les parents de quelle que religion, de quel que groupe auquel on appartienne, aujourd'hui, de discuter avec leurs enfants et leur famille…
CHRISTOPHE BARBIER
Comment on fait pour discuter d'horreurs pareilles, on montre des images, on décrit les massacres. Qu'est-ce qu'on fait ?
CHARLOTTE CAUBEL
Alors, en fonction des âges, en fonction de la famille, chacun doit s'approprier ça, mais ne pas accepter le moindre mot décalé des enfants et rediscuter avec eux. C'est dans les familles qu'on apprend la bienveillance, la tolérance et le fait de vivre avec l'autre. C'est la famille, pour moi, qui doit être à l'origine de ça aussi. Et j'enjoins les parents de discuter avec les enfants, parce que, on a certains enfants qui ont vu des images et les parents ne le savent pas, et donc sont choqués, et peuvent nourrir aussi des réactions inadaptées parce qu'ils ont vu ces images et qu'ils ne veulent même pas en parler à leurs parents. Donc un peu comme je l'ai dit dans d'autres circonstances, rentrez chez vous, prenez vos enfants, faites-les parler, partagez avec eux votre position. C'est extrêmement important pour que les enfants et les jeunes ne nourrissent pas au travers de ces réseaux cette haine.
CHRISTOPHE BARBIER
C'est plus à la famille qu'à l'école que se joue…
CHARLOTTE CAUBEL
Non, les deux se jouent, mais pas la famille sans l'école et pas l'école sans la famille, ce n'est pas possible. Si vous entendez des choses à table chez vous, l'école pourra tout faire, ça ne suffira pas. Donc les parents doivent être vigilants à ce qu'ils disent devant leurs enfants. Et quand ils entendent des enfants eux-mêmes dire des choses qu'ils considèrent comme inadaptées, il faut en discuter et redresser les propos. C'est très important, dans ces actes antisémites, on a trop de jeunes qui sont impliqués.
CHRISTOPHE BARBIER
Il y a aussi une dimension diplomatique à cette crise, à ce passage, à ce week-end, l'interview à la BBC donnée par le Président de la République a créé un trouble. Il exhorte Israël au cessez-le-feu. Benjamin NETANYAHOU lui a dit : c'est une erreur factuelle et morale. C'est le Hamas qui est responsable des civils qui se font tuer. Il y a eu un coup de téléphone entre le président Isaac HERZOG et le président Emmanuel MACRON. Est-ce que vous avez compris cette phrase diplomatique du président ?
CHARLOTTE CAUBEL
On a toujours eu, et le président, évidemment, le premier, Catherine COLONNA, la première ministre, un discours clair sur deux choses. Evidemment, le Hamas est responsable d'actes de terrorisme dont on n'a pas assez de mots pour décrire la cruauté. Et donc Israël est légitime à se défendre et à prendre tous les moyens pour éradiquer le Hamas, où qu'il soit évidemment. La deuxième chose qui a toujours été rappelée, c'est : les populations civiles doivent être au maximum protégées et ne doivent être évidemment pas prises en otage de leurs propres terroristes et pas prises en otage du conflit entre le terrorisme et Israël.
CHRISTOPHE BARBIER
D'où la pause humanitaire demandée.
CHARLOTTE CAUBEL
D'où, d'abord, les démarches humanitaires mises en place par le gouvernement, de couloirs humanitaires, les bateaux qui sont arrivés pour aider les populations, les populations de Gaza, et d'où, effectivement, la position du président, peut-être après un certain nombre d'attaques, qui ont touché vraiment des lieux, des hôpitaux, y compris d'ailleurs un lieu français. Donc peut-être redire à Israël quand même qu'avec la technologie dont l'Etat dispose, la nécessité d'être extrêmement précis dans les attaques en réponse au Hamas, dans la volonté d'éradiquer le Hamas était une obligation pour cet Etat et de préserver les populations civiles. Moi, pardonnez-moi, ce n'est pas mon métier. C'est comme ça en tout cas que j'ai perçu l'intervention du président. Le président porte, et c'était à l'occasion du Paris Peace Forum, ne pas oublier, on est donc dans une logique aussi de paix, on est aussi dans une logique de trouver un équilibre entre le droit de l'Etat Israël de vivre en sécurité sur son territoire, et le droit des populations palestiniennes de vivre, elles aussi, en sécurité dans leur territoire.
CHRISTOPHE BARBIER
Et à travers ce forum pour la paix, à travers cette interview, la France parle aussi aux puissances arabes. On est un peu coincé parce qu'on a une diplomatie qui doit aussi préserver nos intérêts là-bas…
CHARLOTTE CAUBEL
Alors ce n'est pas que nos intérêts, c'est l'équilibre aussi de la zone du Moyen-Orient où on sait très, très bien que si tout s'enflamme, il y aura probablement peut-être quelque chose d'incontrôlé, à nouveau, ce n'est pas mon métier, mais on sait quand même que la force, la force de l'Iran, la force évidemment des bases arrières du Hamas dans beaucoup de territoires, tout ce qui se passe à la frontière entre le Liban et Israël, on connaît la fragilité, voilà. Donc le président le sait et il l'a dit plusieurs fois, c'est une solution politique et de paix qu'on doit trouver là-bas sans pour autant évidemment retirer à Israël le droit de se défendre face à des crimes abominables qui ont été commis.
CHRISTOPHE BARBIER
En quelques mots, le président reçoit ce matin les représentants des cultes. Ça va se jouer aussi là-dessus en France, l'entente entre les cultes ?
CHARLOTTE CAUBEL
Je pense en tout cas que ce qui se joue en France dans tous ces actes antisémites et dans cette radicalisation vue, qui se crée face aux images qui se passent en Israël, bien évidemment que nos chefs de religions en France seront très, très importants.
CHRISTOPHE BARBIER
Charlotte CAUBEL, merci infiniment pour votre venue sur Radio J.
CHARLOTTE CAUBEL
Merci beaucoup.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 16 novembre 2023