Déclaration de M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, sur le projet de loi relatif à l'organisation de la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection, au Sénat le 7 février 2024.

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  • Christophe Béchu - Ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires

Circonstance : Discussion au Sénat en procédure accélérée d'un projet de loi et d'un projet de loi organique dans les textes de la commission

Texte intégral

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif à l'organisation de la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection pour répondre au défi de la relance de la filière nucléaire (projet n° 229, texte de la commission n° 301, rapport n° 300, avis n° 296) et du projet de loi organique modifiant la loi organique n° 2010-837 du 23 juillet 2010 relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution (projet n° 230, texte de la commission n° 302, rapport n° 300, avis n° 296).

La procédure accélérée a été engagée sur ces textes.

Il a été décidé que ces textes feraient l'objet d'une discussion générale commune.

(…)

La parole est à M. le ministre.

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Madame la présidente Estrosi Sassone, votre rappel au règlement ne me surprend pas. J'aurais même été surpris que vous n'en fissiez point pour exprimer un doute sur la qualité de votre interlocuteur.

Le terme " énergie " ne figure effectivement dans l'intitulé d'aucun des ministres nommés lors de la première vague du remaniement. Cependant, les décrets d'attribution sont venus préciser qui s'occupe de quoi et me donnent toute légitimité pour être devant vous aujourd'hui. C'est d'ailleurs un plaisir, même s'il n'est peut-être pas réciproque…

En effet, l'énergie relève, pour la partie production, de Bercy, et pour la partie sobriété énergétique, efficacité énergétique et sûreté nucléaire, du ministère de la transition écologique.

M. Stéphane Piednoir. Il faut suivre !

M. Christophe Béchu, ministre. Néanmoins, il y a une subtilité : chaque ministère est associé aux décisions qui relèvent de l'autre.

Madame la sénatrice, vous ne pouvez pas avoir de doute sur ce qu'est ma conception du respect du Parlement et du Sénat. Je n'ai d'ailleurs pas pris vos propos pour moi. Je sais par ailleurs que votre expérience vous permet de juger vos interlocuteurs gouvernementaux non pas sur des intitulés, mais sur des actes.

Je déplore comme vous que les circonstances n'aient pas rendu ces auditions possibles, les décrets d'attribution n'ayant pas été publiés au moment où vous avez commencé vos travaux.

À défaut d'apaiser votre courroux, car je ne crois pas que cela soit possible, je vais au moins m'efforcer, durant les heures que j'aurai le plaisir de passer avec vous, de vous prouver le respect profond que j'ai pour vous et pour votre institution.

D'ailleurs, je n'oublie pas que ces textes sont aussi le résultat des travaux de l'Opecst et qu'ils font suite à un vote que vous avez émis, à l'occasion d'une discussion précédente, pour qu'il y ait un texte spécifique sur ce sujet.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques. Heureusement !

M. Christophe Béchu, ministre. Nous avons aujourd'hui l'occasion d'aller au fond des choses.

Pour conclure, je salue votre esprit de responsabilité, qui vous a conduit à rejeter l'hypothèse d'une question préalable, ce qui aurait décalé l'examen de la réforme. Cela témoigne de votre volonté de contribuer à la relance du nucléaire et à une politique de l'énergie ambitieuse pour notre pays.


- Discussion générale commune -

Mme la présidente. Dans la discussion générale commune, la parole est à M. le ministre.

M. Christophe Béchu, ministre. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, il y a un an, nous discutions dans cette assemblée le projet de loi relatif à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires.

Aujourd'hui, nous sommes appelés à débattre d'un texte tout aussi crucial pour notre politique de transition énergétique : le projet de loi sur la réforme de la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection.

La relance de notre filière nucléaire s'inscrit dans une longue histoire, du lancement du premier programme nucléaire par le général de Gaulle jusqu'au discours du Président de la République à Belfort, en 2022, en passant par le plan Messmer. Ce programme doit notamment son succès historique à la garantie d'une exploitation sûre, ainsi qu'à la mise en place progressive d'un cadre efficace de contrôle en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection.

Ce cadre repose tout d'abord sur la responsabilité des exploitants nucléaires. À cet égard, l'arrêt de réacteurs nucléaires, décidé par EDF seule, pour faire face aux problèmes de corrosion sous contrainte, au pire de la crise énergétique que nous traversions l'an dernier, témoigne du sérieux des milliers de femmes et d'hommes qui exploitent ces cathédrales technologiques.

Il repose surtout sur l'existence d'une organisation permettant un contrôle indépendant et reposant sur les meilleures compétences possible.

Suivant les recommandations du rapport du député Jean-Yves Le Déaut, en 1998, le processus d'amélioration et de réorganisation des services de l'État s'est enclenché voilà plus de vingt ans.

Un établissement public sous tutelle gouvernementale résultant de la fusion de plusieurs agences et services de l'État, l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), a ainsi été créé en 2002, avec déjà, à l'époque, des difficultés inhérentes à toute réforme organisationnelle.

Puis, en 2006, la loi Transparence et sécurité nucléaire a permis le passage d'une direction d'administration centrale à une autorité administrative indépendante – indépendante non seulement des exploitants, mais également du Gouvernement. Ce fut la création de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), chargée du contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection.

Plus de dix-sept ans après, la conclusion collective que nous pouvons en tirer est que cette organisation a été au rendez-vous au cours de la dernière décennie.

M. Fabien Gay. Et donc ?

M. Christophe Béchu, ministre. Cependant, le contexte a radicalement changé.

M. Fabien Gay. Ah bon ?

M. Christophe Béchu, ministre. Après vingt ans de reflux, nous sommes en train de relancer activement notre filière nucléaire,…

M. Daniel Salmon. Et c'est dur !

M. Christophe Béchu, ministre. … afin de baisser nos émissions de gaz à effet de serre, de tenir nos engagements de sortie des énergies fossiles, de participer à la réindustrialisation de notre pays et, plus largement, de défendre notre souveraineté énergétique.

Je ne vais pas entrer dans l'énumération de tous les projets associés à cette relance, qui vont accroître significativement et durablement le volume et la complexité des dossiers de sûreté et de radioprotection. Mais permettez-moi d'en citer les quatre principaux axes.

Il y a tout d'abord la poursuite de l'exploitation de nos 56 réacteurs nucléaires existants, aussi longtemps que la sûreté le permettra.

Il y a ensuite la relance de la construction de nouveaux réacteurs EPR2, d'ores et déjà décidée à Penly, Gravelines et au Bugey.

Il y a encore la relance de grands programmes de recherche et développement : développement de nouveaux réacteurs innovants et modulaires et réactivation d'un programme d'investissements dans les infrastructures du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives.

Il y a enfin la consolidation de l'amont et de l'aval du cycle du combustible.

Pour mener ces chantiers, le Gouvernement s'attache à mettre tous les maillons du nucléaire civil à leur meilleur niveau : réforme des administrations publiques, nationalisation d'EDF, mise en oeuvre d'un plan Marshall des compétences, sécurisation et accélération des procédures administratives.

Le Gouvernement a aussi engagé une réflexion visant à faire évoluer l'organisation de la sûreté nucléaire pour qu'elle continue de répondre au mieux à la mission d'assurer un contrôle indépendant et efficace du nucléaire civil en France, en s'inspirant, comme en 2006, des meilleurs modèles internationaux.

J'y insiste, ce projet de loi ne modifie pas d'une virgule le cadre de sûreté et de radioprotection français applicable aux exploitants. Concrètement, il s'agit de réduire les complexités d'interface inhérentes à l'existence de deux entités, et cela pour trois raisons.

Tout d'abord, l'ASN et l'IRSN ont des priorités distinctes, ce qui limite l'efficacité du pilotage de leurs moyens et nécessite des dizaines de documents-cadres négociés pour organiser leurs relations au quotidien.

Ensuite, ces deux structures ont des processus et des outils internes distincts, ce qui limite le partage d'informations et l'efficacité des instructions et de la gestion de crise.

Enfin, dans le contexte de relance du nucléaire, l'ASN et l'IRSN pourraient se disputer des compétences rares similaires, limitant les synergies qu'une mise en commun offrirait dans un contexte de tension sur ces mêmes compétences.

Cette réflexion s'était déjà imposée lors de l'examen du dernier texte sur le nucléaire au Parlement. Je veux le dire d'emblée, cette méthode, qui avait vu à l'époque intervenir la proposition de réforme au milieu de la navette parlementaire, n'était pas adaptée à l'enjeu, et nous en avons tiré les conséquences avec humilité.

M. Patrick Chaize, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Très bien !

M. Christophe Béchu, ministre. Ce projet de loi reprend toutes les recommandations du rapport transpartisan de l'Opecst du 11 juillet 2023, commandé, je le rappelle, par la présidente Sophie Primas. J'en profite pour rappeler le travail méticuleux effectué à cette occasion par le sénateur Stéphane Piednoir et par le député Jean-Luc Fugit.

Le texte que nous examinons aujourd'hui a fait l'objet d'un mois et demi de consultations auprès de neuf instances différentes, de dizaines de réunions de travail avec le corps social de l'ASN et de l'IRSN, d'un examen minutieux par le Conseil d'État pour en conforter la solidité juridique et élaborer une étude d'impact de deux cents pages.

En complément, je veux saluer le travail rigoureux et approfondi mené par les deux rapporteurs du texte, Pascal Martin, pour la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et Patrick Chaize, pour la commission des affaires économiques, avant et pendant l'examen du texte en commission. Je tiens à les en remercier, et j'inclus dans ces remerciements les présidents de ces deux commissions, Jean-François Longeot et Dominique Estrosi Sassone.

Notre proposition de réforme repose sur la mise en place d'une autorité administrative indépendante, qui ne sera ni l'ASN ni l'IRSN, mais une nouvelle Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR). Elle réunira, à compter du 1er janvier 2025, les compétences et missions des actuels ASN et IRSN. C'est un calendrier ambitieux, réaliste et nécessaire.

Mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de vous exposer les principes d'organisation de cette future autorité, prévus dans ce projet de loi.

Premièrement, l'indépendance de l'entité chargée du contrôle de la sûreté nucléaire civile et de la radioprotection à l'égard du Gouvernement et des exploitants sera garantie, grâce à son statut d'autorité administrative indépendante, le plus protecteur en droit français.

Deuxièmement, les quatre piliers qui font la force de notre système de sûreté seront préservés et renforcés : des compétences d'État de très haut niveau ; un collège de cinq commissaires, pour prendre les décisions et avis les plus importants, tout en rendant compte au Parlement, et des services dont la direction relèvera d'un directeur général ; des groupes permanents d'experts, qui éclairent de manière indépendante les décisions de l'ASNR et permettent de confronter les points de vue ; un processus de consultation du public pour les enjeux importants avant la décision. Bref, tout restera comme il est aujourd'hui !

J'y insiste, aucune autre autorité administrative indépendante, y compris l'actuelle ASN, n'est autant encadrée par la loi que ne le sera la future ASNR.

Je comprends le souhait de donner plus de visibilité sur la future organisation, et les rapporteurs ont, sur ce point, apporté certains gages tangibles d'organisation compatibles avec cet objectif. Je les en remercie.

À l'inverse, certaines des évolutions proposées, si elles étaient maintenues en l'état, pourraient déboucher sur des complexités, voire sur une forme de paralysie, ce qui m'amènera à défendre des amendements du Gouvernement visant à apporter plus de sécurité juridique au dispositif.

D'une manière générale, je considère qu'il est important de ne pas brider outre mesure le travail de préfiguration qui est mené par les directions générales de l'ASN et de l'IRSN depuis la fin du mois de septembre dernier, d'autant qu'un accord de concertation a été signé entre les deux entités et leurs organisations syndicales le 14 décembre. Laissons à ces deux structures des marges de discussion.

Troisièmement, nous maintenons un haut niveau de transparence grâce aux informations mises à disposition du public. Cela sera garanti par la future autorité, et même renforcé par rapport à ce qui existe aujourd'hui, sur la base de propositions des rapporteurs cohérentes avec l'existence d'une entité unique.

De même, les commissions ont proposé le renforcement des fonctions de déontologie, en prévoyant une commission dédiée. J'y suis favorable. Je vous proposerai néanmoins un amendement, afin d'inscrire son fonctionnement dans le cadre plus large de la déontologie des autorités administratives indépendantes.

Quatrièmement, et enfin, nous souhaitons renforcer les compétences de la future autorité et son attractivité, en maintenant une capacité de recherche dynamique et reconnue au niveau mondial, avec des partenariats diversifiés en France et à l'international, y compris avec des industriels. C'est essentiel. Aussi, les activités de recherche actuellement conduites par l'IRSN se poursuivront au sein de la future autorité.

Le projet de loi apporte des réponses claires, concrètes et inédites aux enjeux de tension sur les compétences qui ont été constatés dans la filière depuis plusieurs années : augmentation des rémunérations, parcours de carrières plus larges, ou encore meilleure allocation des compétences rares de l'État.

Il contribue également à la relance nucléaire, en permettant aux maîtres d'ouvrage de projets nucléaires, en particulier EDF, de passer leurs marchés selon des modalités plus adaptées à leurs contraintes industrielles et de renforcer la protection des intérêts essentiels de la Nation, afin de tenir compte de l'évolution du contexte international.

Mesdames, messieurs les sénateurs, ce texte témoigne de la détermination du Gouvernement de se donner pleinement les moyens de réussir la relance de la filière nucléaire en toute sûreté, une relance dont l'opportunité pour le climat n'est plus à démontrer. Elle est même désormais plébiscitée par une large majorité de Français. Ce texte bénéficiera de votre vigilance et de votre volonté d'accompagner notre action, qui doit se faire en respectant les meilleurs standards.

Je souhaite que notre travail puisse faire encore progresser un texte qui nous permettra de maintenir dans la durée l'excellence de la sûreté nucléaire et de la radioprotection française, auxquelles le Gouvernement, comme tous les Français, est pleinement attaché. (M. Pierre Jean Rochette applaudit.)


source https://www.senat.fr, le 16 février 2024