Texte intégral
APOLLINE DE MALHERBE
On parle logement, je veux même dire on parle crise du logement, parce que logement désormais rime avec crise. Bonjour Guillaume KASBARIAN.
GUILLAUME KASBARIAN
Bonjour Apolline de MALHERBE.
APOLLINE DE MALHERBE
Il y a du boulot, vous êtes le nouveau ministre du Logement. Je vais tenter de résumer. Il y a 30 000 logements à construire, il y a des particuliers qui n'arrivent pas à obtenir de prêts, il y a le secteur du bâtiment qui dit être au bord de la crise. Il y a un milliard d'euros d'économies cette année sur MaPrimeRénov'. Il y a des nouvelles économies qui sont censées arriver, puisqu'il n'y a plus de sous dans les caisses, et il y a 2,6 millions de Français qui attendent un logement social. Quand vous voyez tout ça sur la table, vous choisissez quoi en priorité ?
GUILLAUME KASBARIAN
Eh bien tout à fait, vous avez raison de dire que c'est une crise qui est profonde, crise de la demande, crise de l'offre. Demande, parce que les gens n'arrivent pas à emprunter, parce que les taux ont augmenté et que faire un prêt bancaire, c'est devenu très compliqué. Crise de l'offre, parce que quand des candidats à la location essaient de trouver quelques offres en agences immobilières, ils n'en trouvent pas, et parce que les chiffres de la construction, comme vous l'avez dit, sont très très faibles. Donc, crise de la demande et crise de l'offre, en même temps, au même moment, de façon assez historique. Ce qu'on essaie de faire, c'est de déverrouiller, et la demande, et l'offre. Sur la demande, on essaie de rencontrer les banques, c'est ce qu'on va faire demain avec Christophe BECHU, pour trouver de nouveaux instruments qui permettraient, peut-être avec des prêts in fine, des prêts à terme, de débloquer la situation et de permettre à des Français de faire l'acquisition de l'appartement ou de la maison de leurs rêves, qu'aujourd'hui ils ne peuvent pas se permettre d'acheter. Et puis sur l'offre, c'est un choc d'offre qui a été annoncé par Gabriel ATTAL lors de son discours de politique générale, qui vise à simplifier les procédures, qui vise à accélérer les constructions, et c'est par exemple le sens de 22 territoires engagés pour le logement, que nous avons sélectionnés, sur lesquels nous mettons le paquet pour débloquer les permis de construire, pour accélérer les procédures et pour boucler le modèle économique…
APOLLINE DE MALHERBE
Ça, c'est les fameux logements à construire.
GUILLAUME KASBARIAN
C'est le logement à construire. Après, sur la question de l'offre locative, on fait en sorte aujourd'hui de rénover des copropriétés dégradées. C'est le sens du projet de loi sur les copros dégradées, qui est actuellement examiné au Sénat, et qui va permettre d'éviter, par exemple, que 1,5 million de logements sortent du parc locatif, parce qu'ils sont trop dégradés, trop abîmés. Donc, on va accélérer la rénovation de ces bâtiments pour que cette offre reste sur le marché et que l'on puisse toujours proposer des logements décents, de qualité, aux locataires, dans les années qui viennent.
APOLLINE DE MALHERBE
On va essayer de reprendre plusieurs des points que vous venez d'évoquer, notamment la question du logement neuf, de la construction de logements. Il y a de nombreux maires qui témoignent, en disant qu'il y a une contradiction entre l'interdiction qui leur est faite d'artificialisation des sols, en gros de rajouter de l'urbanisation. Ça, ils sont extrêmement contraints par les normes. Et dans le même temps, d'essayer de construire. Est-ce qu'on se retrouve avec le même problème finalement qu'avec les agriculteurs ? C'est-à-dire que les normes qui partaient d'un bon sentiment, ont freiné, bloqué l'initiative ?
GUILLAUME KASBARIAN
Alors, les deux ne sont pas incompatibles. Effectivement, ce qu'on demande aux élus, c'est de réduire le rythme d'artificialisation, ce n'est pas de l'interdire, c'est de réduire le rythme. Mais pourquoi ? Vous avez parlé des agriculteurs. Nous souhaitons protéger les terres agricoles. Si demain tous les champs nous les bétonnons et qu'il n'y a plus d'agriculture, on ne pourra pas atteindre l'objectif non plus de souveraineté alimentaire. Donc on a besoin de ralentir le rythme d'artificialisation. Ecoutez, il y a eu…
APOLLINE DE MALHERBE
Donc vous allez maintenir ça, vous n'allez pas alléger ces normes-là.
GUILLAUME KASBARIAN
Sur ce sujet-là, on a une ambition qui est claire, on l'a déjà d'ailleurs adaptée avec les sénateurs pour donner un peu de flexibilité, sortir…
APOLLINE DE MALHERBE
Construire plus en hauteur ?
GUILLAUME KASBARIAN
... du calcul, un certain nombre de projets. Mais effectivement, il va falloir faire avec un rythme d'artificialisation qui sera plus faible à l'avenir. Mais vous venez de le dire à l'instant, il y a des solutions pour construire différemment, pour densifier. Par exemple, le fait de monter de quelques étages, permet d'amortir le prix du foncier, qui du coup va augmenter dans les années qui viennent. Le fait de densifier, quand on peut, ça permet de construire plus d'offres de logements sur un même terrain foncier. Le faire, éventuellement sur des prêts un peu innovants, de sortir le prix du foncier et d'avoir des mécanismes de financement qui sortent le prix du foncier et du calcul, là aussi, c'est de nature à améliorer le système. Donc on va essayer de trouver des solutions pour faire en sorte que cette règle sur l'artificialisation, cette ambition pour l'agriculture, pour l'écologie, ne soit pas incompatible avec plus d'offres de logements. On fait le maximum, mais il faut garder une ambition quand même importante et ne pas bétonner…
APOLLINE DE MALHERBE
Et puis il y a une chose que je n'ai pas tout à fait comprise, et qui justement, là encore, pose la question de quelles villes pour demain, quelle part de l'artificialisation des sols, c'est le rapport au pavillon. L'une de vos précédentes collègues, l'ancienne ministre du Logement, Emmanuelle WARGON, avait estimé que le modèle du pavillon, le modèle de la maison individuelle, était daté. Qu'à une époque où le prix de l'essence ou l'usage de la voiture ou le prix de l'énergie, même, pour tenter de chauffer des maisons individuelles, tout cela rendait caduque le pavillon. Et puis on a eu Gabriel ATTAL qui, il y a deux semaines, dit « C'est le rêve français, le rêve français qu'il ne faut pas tuer de la maison individuelle ». En trois ans, c'est deux discours radicalement différents. Qui croire ?
GUILLAUME KASBARIAN
Mais, Gabriel ATTAL a parfaitement raison de dire que c'est un rêve de beaucoup de Français que d'avoir un petit pavillon, un pavillon avec un petit jardin. Et donc…
APOLLINE DE MALHERBE
Allez-vous le favoriser, ce rêve ? C'est ça la question.
GUILLAUME KASBARIAN
En tout cas, on veut préserver totalement ce rêve, cette aspiration des Français. Vous ne pouvez pas aller contre, d'ailleurs, un rêve, et contre une aspiration profonde des Français. La réalité, c'est comment est-ce qu'on l'accompagne ? Comment est-ce qu'on la rend possible ? Comment est-ce qu'on permet également à des personnes qui…
APOLLINE DE MALHERBE
Pour vous, ce n'est pas obsolète…
GUILLAUME KASBARIAN
Mais absolument pas.
APOLLINE DE MALHERBE
Le rêve du pavillon, au moment où le coût de l'énergie, c'est-à-dire que vous n'êtes pas du tout d'accord avec Emmanuelle WARGON.
GUILLAUME KASBARIAN
Ce que je dis, il faut du logement pour tous. Il y a des subventions, dans diverses situations…
APOLLINE DE MALHERBE
Qui était ministre du Logement de Gabriel... d'Emmanuel MACRON.
GUILLAUME KASBARIAN
Dans les zones urbaines fortement densifiées, compliqué à Paris Centre de trouver un pavillon avec jardin. Bon. Donc les choses sont complètement différentes…
APOLLINE DE MALHERBE
Non, mais ne jouez pas là-dessus Guillaume KASBARIAN, on parle évidemment du pavillon en zones notamment périurbaines.
GUILLAUME KASBARIAN
Mais moi je n'oppose pas les différents logements. Ce que je réponds, madame de MALHERBE, ce que je dis, madame de MALHERBE, c'est que je n'oppose pas les modèles d'habitation entre eux. Il y a dans les zones urbaines des situations où il n'y a pas de pavillons, on est sur de la hauteur, de la densification des appartements. Il y a dans la ruralité, dans les zones périurbaines, un modèle de pavillon, qui est un modèle qui est louable, qui est un modèle des Français, qui est une aspiration profonde et un rêve. Ce que nous voulons faire, c'est faire en sorte que parfois les pavillons et les zones pavillonnaires soient peut-être un peu plus densifiés, que l'on permette éventuellement aux propriétaires de pavillons de construire des dépendances ou de nouveaux logements quand ils le peuvent, des extensions favorisées, ce type d'extension qui permettrait de louer éventuellement et d'avoir plus de locataires, plus de personnes qui peuvent se loger dans des zones pavillonnaires. Nous, ce qu'on essaie de faire, c'est de respecter et de valoriser cette aspiration et ce rêve des Français et de le rendre tout à fait compatible avec la crise du logement que nous connaissons, c'est-à-dire faire en sorte qu'ils puissent réaliser leur rêve dans leur vie.
APOLLINE DE MALHERBE
Moi, j'essaie juste de comprendre et de vous suivre, d'un ministre à l'autre, pour un même président, qui ont des idées complètement différentes.
GUILLAUME KASBARIAN
Moi, je suis sur la ligne de Gabriel ATTAL, qui a été très clair quand nous étions ensemble à Villejuif, et qui a réaffirmé que le rêve de beaucoup de Français, c'était effectivement d'être propriétaire d'un pavillon, ce que je respecte et ce que j'essaie de rendre compatible avec la crise actuelle.
APOLLINE DE MALHERBE
Et quand vous parlez de l'agrandissement, vous pensez notamment au fait d'aider, par exemple ceux qui ont un garage, à transformer ce garage en pièce à vivre.
GUILLAUME KASBARIAN
Exactement.
APOLLINE DE MALHERBE
Ça fait partie de l'idée.
GUILLAUME KASBARIAN
Exactement. Ça fait partie des solutions. Ça permet de mettre plus d'offres de logements dans une zone pavillonnaire, sans remettre en cause l'aspiration de beaucoup de Français de vivre dans un pavillon individuel.
APOLLINE DE MALHERBE
Je veux transformer mon garage, là, en pièce à vivre. Vous m'aidez comment ?
GUILLAUME KASBARIAN
En simplifiant les règles, et avec les maires, et avec la volonté des maires, de sorte que vous puissiez le faire sans être bloqué d'un point de vue administratif…
APOLLINE DE MALHERBE
Que le permis, le permis de construire, me soit octroyé facilement.
GUILLAUME KASBARIAN
... pour que vous puissiez éventuellement avoir une petite dépendance, que vous pouvez mettre à disposition d'un étudiant, d'une personne qui en a besoin, que vous puissiez avoir une extension de votre maison, la création d'un autre bâtiment au sein de votre terrain…
APOLLINE DE MALHERBE
Une sorte d'annexe, si vous pouvez.
GUILLAUME KASBARIAN
Une sorte d'annexe, si possible, ce qui permettrait de redonner de l'offre dans une zone pavillonnaire, puisqu'il y a des jardins et qu'il y a des possibilités de construire. Mais tout ça, on le fait en lien avec les élus locaux. Mais il y a un sujet administratif de comment est-ce qu'on facilite ça.
APOLLINE DE MALHERBE
Vous m'avez dit au début de cette interview qu'il y avait un certain nombre de logements vétustes, qu'il était difficile de louer ou même de céder. Et dans le même temps, il y a 1 milliard d'euros qui ne va plus être alloué, alors que c'était prévu, à MaPrimeRénov'. Est-ce que ça ne faisait pas partie normalement de la rénovation ? Je ne comprends plus.
GUILLAUME KASBARIAN
Alors, déjà il y a une ambition d'économies, que moi j'assume, que je revendique, et donc j'assume les économies qui sont annoncées. Sur MaPrimeRénov', ce qui a été décidé, ça n'est pas une baisse du budget par rapport à 2023, c'est une baisse d'une augmentation qui était prévue pour 2024.
APOLLINE DE MALHERBE
C'est de renoncer à cette augmentation de...
GUILLAUME KASBARIAN
Il y avait dans le budget 1,6 milliard d'augmentation du budget sur MaPrimeRénov', finalement il n'y en aura plus que 600 millions. On a enlevé 1 milliard de cette augmentation qui était prévue. Donc c'est quand même un budget qui est en hausse par rapport à 2023. On a un enjeu en réalité, de consommation, de ce budget-là. C'est-à-dire qu'aujourd'hui, le tuyau est parfois bouché. Et ce que nous disent les artisans, c'est que c'est trop compliqué, parce que MaPrimeRénov', il y a besoin parfois d'un accompagnateur pour le faire, quand c'est des rénovations complexes, il y a des labellisations, par exemple RGE, qui peuvent être parfois complexes et il y a parfois des monogestes, des changements simples, par exemple de chaudière, de systèmes de chauffage qui ne sont pas pris en charge. Ce qu'on essaie de faire avec la FFB et la CAPEB, en lien avec bien sûr Christophe BECHU, c'est de simplifier les règles, de telle sorte que MaPrimeRénov' devient accessible à beaucoup de personnes, parce qu'aujourd'hui, il y a des complexités…
APOLLINE DE MALHERBE
La rendre plus facilement accessible, mais effectivement, avec un tout petit peu moins d'ambition, en tout cas à court terme, que ce que vous aviez imaginé. Est-ce que dans le même temps, les fameuses normes dont vous parlez à l'instant, c'est-à-dire si on veut vendre son logement et qu'il ne remplit pas aujourd'hui les fameux critères qui montrent, qui démontrent qu'il n'est pas trop consommateur, trop chronophage en termes d'énergie, est-ce que cette norme, est ce que cette labellisation, vous allez l'alléger dans le même temps ? Ou est-ce que vous allez continuer à demander le même critère mais sans les aides ?
GUILLAUME KASBARIAN
Ce qui est demandé là, c'est de faire un diagnostic de performance énergétique. Et ce que l'on demande, c'est que des passoires énergétiques qui consomment énormément d'énergie, y compris pour les locataires, puissent être rénovées pour continuer à être…
APOLLINE DE MALHERBE
Mais c'est tout le paradoxe, vous le comprenez bien. Vous demandez ce diagnostic…
GUILLAUME KASBARIAN
Bien sûr.
APOLLINE DE MALHERBE
Et en même temps, vous ne donnez plus les sous pour la rénovation.
GUILLAUME KASBARIAN
Si, on continue à donner les sous. C'est quand même le troisième budget du ministère. Je peux vous assurer que c'est un des plus gros budgets du ministère du Logement. Donc pas d'inquiétude sur le fait qu'il y a bien un budget, et que l'enjeu, c'est d'ailleurs plutôt de le consommer. Non, l'enjeu sur le diagnostic que vous venez d'évoquer, c'est de faire en sorte que les Français puissent faire leurs travaux quand ils décident de louer leur logement et éviter toute sortie du marché locatif. Et on a pris la décision avec Christophe BECHU, par exemple, de simplifier ce DPE, et de faire en sorte, pour les petites surfaces, les petits studios, les moins de 40 m², qu'on ait une révision de l'algorithme qui permette de mieux prendre en compte le chauffage sanitaire, de l'eau chaude sanitaire, dans le calcul. Concrètement, ça veut dire que vous allez avoir 140 000 logements qui vont sortir des catégories F et G, et repasser dans un DPE supérieur…
APOLLINE DE MALHERBE
D'accord, et qui seront donc à nouveau potentiellement sur le marché.
GUILLAUME KASBARIAN
Et qui sont, du coup, qui sont sur le marché. Et ce sont des petites surfaces sur lesquelles on avait remarqué qu'il y avait un biais de calcul dans l'algorithme. Et donc là encore, on est extrêmement vigilant, que ce soit dans les copropriétés ou à titre individuel, à ce que cette ambition écologique que nous voulons maintenir, de rénovation, qui est bonne pour l'environnement, qui est bonne pour les locataires, elle soit maintenue. Mais que l'on puisse quand il le faut, ajuster…
APOLLINE DE MALHERBE
Qu'elle soit maintenue, sans être un frein.
GUILLAUME KASBARIAN
Sans être un frein, et sans faire sortir du marché locatif un certain nombre de biens, parce qu'ils sont nécessaires dans la crise que l'on connaît. C'est tout le travail que l'on mène sur la révision du DPE, et sur l'accompagnement avec MaPrimeRénov', avec les artisans, où nous essayons de simplifier les choses pour que ça reste accessible au plus grand nombre.
APOLLINE DE MALHERBE
Merci, Monsieur le Ministre, d'être venu ce matin sur RMC.
GUILLAUME KASBARIAN
Merci à vous.
APOLLINE DE MALHERBE
Guillaume KASBARIAN, ministre du Logement. Il y aura encore beaucoup à dire quand les banques, peut-être, feront enfin baisser les taux et on en reparlera évidemment, à ce moment-là avec vous, ce sera l'un des leviers pour tenter de remettre un peu la machine en route, la machine du logement.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 29 février 2024