Interview de M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la justice, à France Info le 29 février 2024, sur l'inscription dans la Constitution de la liberté garantie pour les femmes de recourir à l'interruption volontaire de grossesse, la lutte contre les violences faites aux femmes et le Rassemblement national.

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Média : France Info

Texte intégral

SALHIA BRAKHLIA
Bonjour Eric DUPOND-MORETTI.

ERIC DUPOND-MORETTI
Bonjour Madame.

JEROME CHAPUIS
Bonjour.

SALHIA BRAKHLIA
C'est historique, les sénateurs ont voté pour l'inscription dans la Constitution de la liberté garantie pour les femmes de recourir à l'interruption volontaire de grossesse.

GERARD LARCHER, PRESIDENT DU SENAT
Votants 339, exprimés 317, pour 267, contre 50, le Sénat a adopté.

SALHIA BRAKHLIA
Applaudissements, c'est vous qui étiez sur le banc des ministres hier au Sénat pour défendre le texte, plus de 3 heures de débat, qu'est-ce que vous avez envie de dire aux femmes qui nous écoutent, qui nous regardent ce matin ?

ERIC DUPOND-MORETTI
J'ai envie de dire enfin, enfin cette liberté fondamentale pour les femmes de disposer de leur corps, va entrer dans notre Constitution. Les femmes sont libres, il était important que les deux Assemblées le disent, et nous allons vous retrouver, vous le savez, lundi, au Congrès à Versailles.

SALHIA BRAKHLIA
Il y avait une réticence de la droite au Sénat depuis plusieurs semaines, Gérard LARCHER, le président du Sénat, l'avait fait savoir ici-même sur ce plateau, ce feu vert du Sénat c'est un soulagement pour le gouvernement ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Oui, mais en même temps moi je veux remercier le président LARCHER pour sa franchise, parce que vous savez, sur ces textes, en réalité, on ne peut pas forcer les gens et il faut respecter toutes les convictions. Le président LARCHER il a dit deux choses, " je suis évidemment favorable à l'interruption volontaire de grossesse, j'estime qu'il n'était pas utile de l'inscrire dans la Constitution ", je pense le contraire bien sûr, mais moi je le remercie pour sa franchise, et puis ça m'a permis, au fond, de discuter encore davantage avec les sénateurs que j'ai contactés, pour les convaincre, pour les convaincre avec des arguments de droit qui ont fini, bien sûr, par l'emporter.

JEROME CHAPUIS
Et qu'est-ce que vous leur avez dit pour les convaincre, pour en faire changer d'avis ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Par exemple que la liberté de conscience des médecins, des sage-femmes, était déjà garantie par une décision du Conseil constitutionnel, mais qu'en revanche l'interruption volontaire de grossesse ne l'était pas, et donc qu'il convenait, qu'il était indispensable, d'inscrire ça dans la Constitution. Ensuite, il y a d'autres arguments, il y a la crainte, que nous avons, que ce droit, cette liberté, soit discuté demain, par d'autres, plus tard.

SALHIA BRAKHLIA
L'IVG n'est pas menacée, c'est ce que disaient Gérard LARCHER, ou Bruno RETAILLEAU, le patron du groupe LR au Sénat.

ERIC DUPOND-MORETTI
Oui, mais enfin, faut-il attendre que l'IVG soit menacée pour réagir ? moi je préfère anticiper. Lorsque le président CHIRAC a souhaité que dans notre Constitution on place l'abolition de la peine de mort, était-elle à l'époque menacée ? il faut anticiper ces choses, il est trop tard si jamais certains avaient envie de toucher à l'IVG. Je veux quand même vous rappeler qu'il y a les Etats-Unis, alors vous me direz c'est loin, c'est Outre-Atlantique, vous avez raison, mais il y a également la Hongrie, en Hongrie on contraint les femmes à entendre les battements de coeur du foetus qu'elles portent pour les dissuader d'avorter, il y a aussi la Pologne.

JEROME CHAPUIS
Et ce texte, pardon, cette introduction de la liberté garantie, ça empêche ce type d'évolution législative par exemple ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Aujourd'hui une majorité parlementaire qui souhaiterait abroger la loi Veil…

JEROME CHAPUIS
Non, mais qui souhaiterait, par exemple, aller vers les cas que vous évoquiez, en Hongrie ou en Pologne, ça rend impossible ce type d'évolution ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Alors attendez, d'abord le droit actuel, aujourd'hui l'avortement c'est la loi Veil, tout le monde le sait, mais demain une majorité peut dire, penser, que la loi Veil doit être abrogée, et elle peut le faire, j'allais dire normalement, avec une majorité simple, si la Constitution protège évidemment cette liberté, liberté garantie à la femme…

JEROME CHAPUIS
Ce mot il est très important d'ailleurs.

ERIC DUPOND-MORETTI
Il est essentiel.

SALHIA BRAKHLIA
C'est celui sur lequel la droite a tiqué justement, liberté garantie, avec cette crainte que ce soit un droit opposable, illimité, sans condition, est-ce qu'en inscrivant la liberté garantie dans la Constitution, les conditions du recours à l'IVG peuvent changer, ou alors ce sera forcément dans l'état actuel des choses ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Une modification drastique, en termes de délai par exemple, imaginons qu'une majorité veuille permettre l'avortement jusqu'à huit mois et demi, ce ne serait pas possible, une modification drastique, aujourd'hui, enfin quand le Congrès aura voté, ne serait pas possible. Et, par ailleurs, l'abrogation du texte, de la loi Veil, ne sera pas possible davantage.

SALHIA BRAKHLIA
Parce que je me mets à la place d'une femme qui a envie d'avorter au-delà du délai qui est autorisé aujourd'hui en France, elle ne pourra pas aller en justice pour dire " attendez, dans la Constitution c'est une liberté garantie, donc je peux le faire quand je veux en fait. "

ERIC DUPOND-MORETTI
Non, mais pas du tout, liberté garantie ça ne veut pas dire que l'on puisse s'affranchir de la loi, la loi Veil, il y a eu quelques modifications, vous le savez, en termes de délai, on est passé de douze semaines à quatorze semaines, on ne peut pas s'affranchir de cela, mais ce que signifie le mot garantie, ce n'est pas un droit opposable, et d'ailleurs ce n'est pas que l'avis de votre serviteur, c'est l'avis du Conseil d'Etat, il y a un avis qui est très clair sur la question. Alors, on a débattu évidemment au Sénat, il y a un certain nombre de grands juristes au Sénat qui se sont opposés au texte, nous avons débattu de cela, nous avons relu l'avis du Conseil d'Etat, ce que signifiera l'entrée de cette liberté garantie dans la Constitution c'est qu'on ne peut plus toucher à la loi Veil et qu'on ne pourra pas drastiquement modifier les règles qui président d'ores et déjà.

SALHIA BRAKHLIA
Ce qui est intéressant dans les arguments que vous avez évoqués pour faire passer ce texte, c'est qu'en l'état actuel des choses l'IVG n'est pas menacé, mais il pourrait l'être, vous avez donné l'exemple de plusieurs pays autour de nous, que ce soit la Pologne, la Hongrie, les Etats-Unis, mais vous avez donné un autre argument aussi, un exemple en France, signal d'une menace possible sur l'IVG, écoutez.

ERIC DUPOND-MORETTI
Si je veux bien concéder que l'IVG ne soit pas immédiatement menacée dans notre pays, je rappelle que ce n'est pas sur Fox News, mais bel et bien en France, sur une chaîne française, qu'avant-hier, encore, on associait le nombre d'avortements au nombre de morts du cancer et de morts liées au tabac.

SALHIA BRAKHLIA
Cette erreur de CNews pour laquelle les dirigeants de Canal se sont excusés, revêt pour vous une vraie menace au fond ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Une erreur, je vous trouve un peu complaisante.

JEROME CHAPUIS
Vous n'y croyez pas ?

SALHIA BRAKHLIA
Ils parlent d'erreurs.

JEROME CHAPUIS
C'est eux qui parlent d'erreur.

ERIC DUPOND-MORETTI
Je ne crois pas. D'ailleurs, voyez, mais je ne fais aucun lien entre cette chaîne et puis l'intervention de Monsieur RAVIER, sénateur actuellement…

SALHIA BRAKHLIA
Reconquête.

ERIC DUPOND-MORETTI
" Zemmouriste ", qui vient de sortir de l'écurie de Marine LE PEN, et qui nous explique qu'il ne faut surtout pas voter le texte, et, à l'évidence, il est contre l'avortement.

JEROME CHAPUIS
Il a dit, parce que c'est important de le rappeler, " vous panthéonisez l'avortement. "

ERIC DUPOND-MORETTI
Oui, oui, et moi je lui ai répondu oui, " voyez, certains disent qu'il n'y a pas de menace, mais vous êtes en chair et en os l'illustration de ce qu'il y a des menaces. "

SALHIA BRAKHLIA
Il y a donc des gens en France qui veulent remettre en cause l'avortement ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Oui, bien sûr.

SALHIA BRAKHLIA
Et ils sont soit politiques, soit dans médias, pour vous ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Mais, ils sont, politiques, dans les médias, et en dehors, dans la société civile, enfin, il y a un certain nombre d'étiquettes qui sont distribuées, apposées sur les véhicules, vous avez peut-être déjà vu, ou reçu, ou subi ce genre de publicité que font les…

SALHIA BRAKHLIA
Des campagnes anti-avortement.

ERIC DUPOND-MORETTI
Mais bien sûr.

JEROME CHAPUIS
Mais minoritaires, en tout cas si on en croit les sondages.

ERIC DUPOND-MORETTI
Oui, mais d'accord Monsieur, mais les minorités peuvent devenir parfois des majorités.

JEROME CHAPUIS
Etant entendu aussi que Marine LE PEN continue de dire qu'il n'est pas question pour le Rassemblement national de revenir sur la loi Veil s'il devait arriver au pouvoir.

ERIC DUPOND-MORETTI
Oui, mais Marine LE PEN, voyez, sur tous les sujets, on va en évoquer un certain nombre, elle change d'avis tous les six mois. Elle avait parlé, s'agissant de l'avortement, d'avortement de confort…

SALHIA BRAKHLIA
En 2012.

ERIC DUPOND-MORETTI
Oui, oui, en 2012, mais enfin ce sont des mots qu'il faut quand même sortir, et qu'il faut ensuite assumer, alors après, on passe l'éponge magique, on oublie tout et on change d'avis, mais dans plein de domaines, j'ai plein d'exemples à vous fournir. Le problème, vous, pour moi, c'est que la rapidité de l'information nous interdit parfois la mémoire, donc, oui, immédiatement l'avortement n'est pas menacé, mais il ne faudrait pas qu'il le soit car ce serait trop tard et nous avons bien fait d'agir.

JEROME CHAPUIS
Eric DUPOND-MORETTI, on vous retrouve juste après le Fil info.

(…)

SALHIA BRAKHLIA
Toujours avec le Garde des sceaux, Eric DUPOND-MORETTI, vous nous avez dit en première partie de cet entretien avoir appelé personnellement chacun des sénateurs de droite, pour les convaincre de voter pour l'inscription de l'IVG dans la Constitution. Ça a été laborieux ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Pas chaque sénateur, mais beaucoup de sénateurs…

SALHIA BRAKHLIA
Ceux qui doutaient…

ERIC DUPOND-MORETTI
Oui, oui, c'est vrai. Et ça fait partie de la mission qui m'avait été confiée, figurez-vous, par le président de la République, et que j'ai essayé de conduire à son terme. Le président m'avait dit : on regarde les initiatives parlementaires, et quand nous sommes prêts, nous allons vers la constitutionnalisation, c'est le Congrès qui se tiendra lundi. Alors, quels étaient les enjeux, quelles étaient les difficultés ? Il y avait le texte voté par l'Assemblée nationale, un texte voté par le Sénat, ce n'était pas les mêmes textes, ils allaient dans le même sens, mais ce n'était pas les mêmes textes. Or, vous savez que pour une révision constitutionnelle, il faut évidemment que les deux Assemblées votent rigoureusement dans les mêmes termes. Donc, le gouvernement a préparé une version de compromis, parce que c'est trans-partisan, parce que c'est une co-construction.

SALHIA BRAKHLIA
Donc on parlait de droit à l'Assemblée, on parlait de liberté au Sénat. Vous avez fait liberté, garantie ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Par exemple, il y avait aussi une divergence sur l'endroit où l'on pouvait placer ce texte dans la Constitution, les sénateurs disaient l'article 34, le gouvernement a fini par dire : oui, l'article 34. Donc il a fallu convaincre les députés également que c'était la bonne place, etc., etc.

SALHIA BRAKHLIA
La question de la place compte ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Ah oui, bien sûr.

JEROME CHAPUIS
Le Sénat, c'est une Chambre qui est composée aux deux tiers d'hommes, ça n'a pas compté ça aussi dans ce débat ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Eh bien, écoutez, moi, j'ai vu que très largement, le Sénat avait adopté, vous savez, je pense que ce texte, beaucoup de féministes se sont investis dans ce texte, et moi, je veux, ici, les en remercier, mais il y a aussi des hommes qui sont sensibles à la liberté de la femme…

JEROME CHAPUIS
Je vous pose la question parce qu'on a entendu des sénatrices dire : nous, on a vu des sénateurs convaincus par leur compagne, leur épouse, leur fille, vous avez été témoin de ça ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Oui, je l'ai entendu ce propos, mais enfin, moi, je note que pour une Assemblée majoritairement composée d'hommes, avez-vous dit, eh bien, elle a voté vers la constitutionnalisation. Je pense qu'on peut être un homme et qu'on peut être sensible à la liberté des femmes.

SALHIA BRAKHLIA
Sur la question de la droite particulièrement, on a, à votre place, hier, Xavier BERTRAND, président LR des Hauts-de-France, disait : sur certains combats, comme celui-là ou comme celui du mariage pour tous, à droite, on a été en retard ; on n'a pas suivi l'évolution. C'est votre constat à vous aussi ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Non. Non, et moi, je n'ai pas voulu être le procureur d'un procès, on ringardise instruit contre le Sénat. D'ailleurs, c'est une anecdote, mais il y a très, très longtemps de ça, au moment de la loi Veil, de son élaboration, le Sénat est allé plus loin que l'Assemblée nationale. Et puis, voilà, moi, je vois comment le Sénat a voté. Je m'en réjouis. Je pense que, hier, c'était une journée historique, sans galvauder les mots, que dans ce compromis, dans cette volonté transpartisane, eh bien, nous avons réussi à faire quelque chose qui est... Vous savez qu'on sera le seul pays au monde…

SALHIA BRAKHLIA
Historique ! Ce sera le cas du Congrès qui va se réunir lundi…

ERIC DUPOND-MORETTI
Mais c'est la vocation universelle de la France. Et ça n'est pas rien…

JEROME CHAPUIS
Ce congrès, lundi, c'est une formalité selon vous ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Oh, moi, je ne m'exprimerai pas comme ça. Je suis très respectueux de nos institutions. Ecoutez, on ne va pas dire que c'est une formalité. Mais enfin, si l'on regarde les chiffres, les votes, tels qu'ils se sont exprimés à l'Assemblée, tels qu'ils se sont exprimés au Sénat, il nous faut 3/5èmes. Je pense qu'il ne devrait pas y avoir de difficultés, mais je ne peux pas souscrire à votre mot, par prudence, voilà. Mais, j'espère évidemment…

JEROME CHAPUIS
Une fois voté lundi…

ERIC DUPOND-MORETTI
J'espère de tout mon coeur, bien sûr que lundi, le Congrès se sera exprimé dans le sens que vous imaginez.

JEROME CHAPUIS
Il y aura un moment un peu solennel. Vous êtes le Garde des Sceaux. On dit que le sceau de la France, de la République française va être apposé. Vous serez là à ce moment-là, j'imagine ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Il y a 15 ans qu'on n'a pas touché à la Constitution, et on le fait pour la liberté des femmes. Je trouve qu'il y a du symbole, mais, il n'y a pas que du symbole, il y a aussi une véritable garantie de droits. On entre ça dans notre Constitution. Ça n'a pas été fait aux forceps, ça a été fait dans la co-construction…

SALHIA BRAKHLIA
Mais on se rappelle aussi, Eric DUPOND-MORETTI, on se rappelle aussi ce qu'avait dit le président LARCHER sur ce plateau : la Constitution n'est pas un catalogue de droits sociaux et sociétaux. Est-ce qu'on n'a pas ouvert la boîte de Pandore sur d'autres droits qui pourraient, selon les demandes, entrer dans la Constitution ? Le droit à l'eau…

ERIC DUPOND-MORETTI
Mais hier, avec…

SALHIA BRAKHLIA
Le droit au logement…

ERIC DUPOND-MORETTI
Hier, avec infiniment de respect, j'ai répondu au président LARCHER, qui présidait d'ailleurs la séance, pour lui dire : vous me concédera tout de même qu'un certain nombre de libertés, qu'un certain nombre de droits sont dans notre Constitution. Donc ça n'est peut-être pas un catalogue. Bien sûr que la Constitution n'est pas un catalogue, mais c'est la loi suprême. Et dans cette loi suprême, on y retrouve des libertés fondamentales.

JEROME CHAPUIS
Eric DUPOND-MORETTI, ministre de la Justice, les féministes, et pas seulement vous, saluent cette évolution sur l'avortement, en revanche, ce n'est pas forcément le cas sur une autre question importante, la question du viol. L'Union européenne a finalement renoncé, il y a quelques jours, à une définition communautaire du viol. La proposition de la Commission, c'était de caractériser le viol par l'absence de consentement de la victime. Mais la France et plusieurs pays s'y sont opposés. Vous pouvez nous expliquer pourquoi ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Oui, oui, bien sûr, pour des raisons de droit, de techniques juridiques. La Commission avait proposé une directive tendant à une définition…, à obtenir une définition européenne du viol. Nous, nous pensions que pour des raisons juridiques, sur lesquelles je ne veux pas m'étendre, c'était risquer, en réalité, une censure de la Cour de justice de l'Union européenne. Donc, nous avons dit : mais si la Cour de justice de l'Union européenne sanctionne cette directive, alors, nous allons reculer. Par ailleurs…

SALHIA BRAKHLIA
Mais vous entendez ce que vous dites, Eric DUPOND-MORETTI, quand on sait qu'il y a une femme sur 20 qui est victime de viol en Europe. Dire qu'on n'y est pas allé pour des questions purement juridiques. Est-ce que ça ne vous donne pas un aspect déconnecté des préoccupations des femmes, des victimes ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Mais madame, la France est le pays qui sanctionne le plus sévèrement le viol. On va de 15 ans à la réclusion criminelle à perpétuité, en Espagne, par exemple, qui est un pays dont on sait qu'il est très attaché aux droits des femmes…

SALHIA BRAKHLIA
Très en avance sur ces questions…

ERIC DUPOND-MORETTI
Précurseur, oui, le maximum de la peine, c'est 12 ans, et par ailleurs, le consentement, on le retrouve dans le code pénal. Le consentement, c'est les violences, la contrainte, la surprise, ce qui est à l'évidence la démonstration de ce que le consentement n'est pas au rendez-vous. Je veux dire que ce qui me choque beaucoup, c'est l'exploitation politicienne qui a été faite de ça.

SALHIA BRAKHLIA
C'est-à-dire ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Eh bien, monsieur GLUCKSMANN, madame Manon de LFI, qui est allée raconter que…

SALHIA BRAKHLIA
Manon AUBRY…

ERIC DUPOND-MORETTI
Pardon ?

JEROME CHAPUIS
Manon AUBRY.

SALHIA BRAKHLIA
Manon AUBRY.

ERIC DUPOND-MORETTI
Ah oui, pardon, je l'appelle par son prénom, oui, un excès de sympathie.

SALHIA BRAKHLIA
Mais Raphaël GLUCKSMANN a un nom aussi donc…

ERIC DUPOND-MORETTI
Oui, mais attendez, qui sont allés raconter partout que le président de la République abrogeait le viol, ça, c'est lunaire. Ça a d'ailleurs beaucoup inquiété un certain nombre de femmes, et légitimement d'ailleurs.

SALHIA BRAKHLIA
Donc la définition du viol, aujourd'hui, elle est appropriée en France ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Alors, moi, je ne suis pas fermé à une réflexion sur cette question. Vous savez, moi, tout ce qui est susceptible de protéger davantage les femmes, je pense que je l'ai démontré depuis que je suis ministre, je rappelle que le Président de la République a fait de cette cause-là la lutte contre les violences faites aux femmes, une grande cause du quinquennat. Madame, on y est prêt. Mais franchement, dire que nous avons abrogé le viol, que nous ne souhaitons pas le sanctionner, franchement, c'est une entrée en matière, pour monsieur Raphaël GLUCKSMANN, qui est absolument surréaliste, et je le dis, assez scandaleuse. J'ajoute que d'autres pays sont sur la même position, et vous l'avez rappelé, je vous en remercie, que nous…

SALHIA BRAKHLIA
Comme l'Allemagne…

ERIC DUPOND-MORETTI
Voilà.

JEROME CHAPUIS
Eric DUPOND-MORETTI, ministre de la Justice. On vous retrouve juste après Le Fil Info.

(…)

JEROME CHAPUIS
Eric DUPOND-MORETTI, le ministre de la Justice. Une information judiciaire vise l'ancien journaliste Patrick POIVRE d'ARVOR, deux viols et une agression sexuelle dénoncées par trois femmes différentes ont été retenues, les plaintes ou témoignages de 19 autres femmes ont été classées pour prescription, on ne va pas vous demander évidemment de vous prononcer sur le fond de l'affaire, mais sur le principe. Est-ce que la reconnaissance du caractère sériel des actes permettrait de contourner la prescription ?

ERIC DUPOND-MORETTI
C'est déjà ce que j'ai mis en place dans un texte que j'ai porté, texte dont l'initiative revient à Madame la sénatrice BILLON, et là on s'est dit mais enfin, vous avez cinq faits qui ont été commis, un seul n'est pas prescrit, tous les autres le sont, est-ce qu'il est normal de ne pas traiter les victimes de la même façon ?

SALHIA BRAKHLIA
Mais ça c'est pour les mineurs, il faut le dire.

ERIC DUPOND-MORETTI
Oui, eh bien je ne suis pas opposé à une réflexion sur cette question.

SALHIA BRAKHLIA
Pour les adultes ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Pour les adultes, pour les majeurs, oui.

ERIC DUPOND-MORETTI
Je n'y suis pas opposé, mais ce n'est pas la même question que l'imprescriptibilité, car je veux vous dire que pendant l'examen de ce texte Billon, j'ai reçu beaucoup d'associations, et un certain nombre de femmes m'ont dit " nous, nous souhaitons conserver la prescription parce que nous souhaitons parler, mais on ne veut pas du procès ", et ça s'entend humainement. Et par ailleurs il y a un problème probatoire, que reste-t-il comme preuves si vous amenez devant la juridiction, correctionnelle ou criminelle, un type qui a 95 ans, que reste-t-il comme preuves ? et, ça va être déceptif. Moi je pense aussi qu'il faut bien sûr protéger les femmes, et il faut que la justice soit au rendez-vous de ce qu'elles ont vécu.

SALHIA BRAKHLIA
Mais là il y a le caractère sériel, est-ce qu'il ne faut pas toucher au délai de prescription, l'amener plus loin ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Il y a deux choses, il y a deux choses, il y a ce que l'on a appelé la prescription glissante, c'est-à-dire un fait est prescrit, pas les autres, on peut envisager… moi je suis tout à fait d'accord pour y travailler, ensuite il y a des appels, que j'entends, à l'imprescriptibilité, là je dis attention, ça peut être déceptif et beaucoup de femmes se verront alors opposer une relaxe, un classement sans suite, un non-lieu…

SALHIA BRAKHLIA
Faute de preuves.

ERIC DUPOND-MORETTI
Oui un acquittement, et attention à cela parce qu'il y a des effets de bord, il faut les mesurer.

SALHIA BRAKHLIA
Eric DUPOND-MORETTI, depuis plusieurs jours on assiste à une bataille politique entre le Rassemblement national et l'Exécutif, " il y a lieu de se demander si les troupes de Vladimir POUTINE ne sont pas déjà dans notre pays, je parle de vous et de vos troupes Madame LE PEN ", c'est ce qu'a lancé Gabriel ATTAL, le Premier ministre, cette semaine à l'Assemblée nationale, est-ce qu'il ne va pas un peu fort, est-ce que ce duel RN/ Exécutif, qui se joue d'ailleurs depuis plusieurs jours, depuis plusieurs semaines, il ne va pas trop loin ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Bah non, on sait que le RN, le FN, le RN, des accointances avec la Russie, ce n'est pas d'aujourd'hui, j'ai envie de dire l'amour est dans le prêt, voyez, et d'ailleurs, petite parenthèse, si le RN a emprunté autant d'argent à la Russie c'est parce qu'ils ne savent pas trop gérer leur parti, des gens qui se voient déjà au pouvoir, bon, ça c'est une chose.

SALHIA BRAKHLIA
Ça c'est un petit tacle en passant…

ERIC DUPOND-MORETTI
Non, mais attendez, attendez…

SALHIA BRAKHLIA
Vous voyez bien ce que je veux dire derrière.

ERIC DUPOND-MORETTI
Non mais, attendez, bien sûr qu'il y a eu des connivences entre la Russie, le RN. Je vous prends un exemple là, Monsieur BARDELLA a versé des larmes sur NAVALNY, et au Parlement européen il n'a pas voté le texte qui alertait sur sa situation, mais gardez vos larmes de crocodile. Il y a ensuite les accointances avec Bachar EL-ASSAD, pareil, même mouvance, proche évidemment de la Russie. Il y a l'article du é" Washington Post ", qui n'est quand même pas rien, sur lequel d'ailleurs la presse française ne s'est pas beaucoup arrêtée. Donc oui, il y a indubitablement des accointances entre la Russie et le Rassemblement national, quoi qu'en dise le Rassemblement national. Je comprends que ça les gêne beaucoup, mais c'est une réalité.

SALHIA BRAKHLIA
C'est le point d'entrée de ma question, parce que vous voyez que depuis plusieurs jours il y a des punchline qui fusent, si j'ose dire, parce qu'on l'a vu au Salon de l'agriculture notamment, Jordan BARDELLA, le président du Rassemblement national, qui a mis en doute la santé mentale du président de la République après qu'Emmanuel MACRON ait déclaré que l'agriculture française méritait mieux que le projet de décroissance envisagée par le Rassemblement national.

ERIC DUPOND-MORETTI
Moi je suis scandalisé par ce qu'a dit Monsieur BARDELLA…

SALHIA BRAKHLIA
Par le niveau du débat.

ERIC DUPOND-MORETTI
Mais je suis scandalisé aussi parce que je trouve que, de façon générale, et même la presse ne s'est pas beaucoup émue de ce qui s'est passé. En réalité, c'est une vieille tactique du Rassemblement national, ou du Front national, on met le bordel, on fait venir un certain nombre d'amis, alors au mieux c'est encouragé, au pire c'est pour penser, et là c'est des insultes, c'est des injures, c'est des violences, que personne ne condamne, et ensuite on vient rétablir l'ordre, mas il y a des jours et des jours, des semaines et des semaines que la presse a dit, parfois avec une certaine gourmandise, " c'est la haute tension, ça va être compliqué, le président de la République, etc., etc. ", et ensuite vous avez Jordan BARDELLA, le gendre idéal, qui vient vous dire que le président est schizophrène, paranoïaque, et vous avez Madame BORDES qui dit " il prend des substances psychotropes " ! On va s'arrêter une toute petite seconde. Moi, voyez, à l'Assemblée nationale, j'ai dit à ces gens, " faites le ménage avant de nous donner des leçons, dites-nous où sont les Gudards ", vous savez ce que sont les Gudards, ce sont des gens…

SALHIA BRAKHLIA
Les groupuscules d'extrême-droite.

ERIC DUPOND-MORETTI
Laissez-moi deux secondes – extraordinairement violents, Monsieur CHATILLON, par exemple, qui a été le beau-père de Monsieur BARDELLA, ce n'est tout de même pas rien, on a le sens de la famille dans ce parti, Monsieur CHATILLON il avait créé le GUD, il y était actif, ultraviolent, il avait même créé une section qui s'appelait " Waffen Assas ", " Assas " du nom de la faculté qu'il fréquentait, ce type-là est toujours dans la mouvance du RN, toujours, mais il est caché, et je trouve stupéfiant qu'on aille pas gratter de ce côté-là. Monsieur CHATILLON, Monsieur LOUSTAU…

SALHIA BRAKHLIA
Il y a eu des enquêtes journalistiques, Eric DUPOND-MORETTI…

ERIC DUPOND-MORETTI
Non, non, non… écoutez bien, Madame…

JEROME CHAPUIS
On pose la question régulièrement d'ailleurs aux responsables du RN quand ils viennent ici.

ERIC DUPOND-MORETTI
J'entends bien, mais si vous demandez, dans la rue, vous faites un micro-trottoir…

JEROME CHAPUIS
Il faut conclure.

ERIC DUPOND-MORETTI
Oui, on va conclure, mais si vous faites un petit micro-trottoir et que vous demandez aux gens dans la rue « qui est CHATILLON ? », ils ne savent pas qui c'est, il est toujours là, au travers d'une boîte qui s'appelle UNANIME, et cette boîte, les boîtes qu'il a eues, ont fait l'objet…

SALHIA BRAKHLIA
Qui est l'entreprise de sa femme qui travaille pour…

ERIC DUPOND-MORETTI
Madame, de condamnations très lourdes par la Cour d'appel de Paris, très lourdes, ça concerne même le Rassemblement national, qui a été condamné pour recel, d'escroquerie, et ça concerne le Jeanne, le micro-parti de Madame LE PEN, qui a fait également…

SALHIA BRAKHLIA
Jean-Marie LE PEN.

ERIC DUPOND-MORETTI
L'objet de condamnations, ces gens ont un fond de violences verbales, mais aussi, je le dis, physiques, depuis toujours.

JEROME CHAPUIS
Merci Eric DUPOND-MORETTI d'avoir été ce matin sur France Info.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 4 mars 2024