Interview de M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la justice, à RTL le 4 mars 2024, sur le Rassemblement national et l'IVG inscrit dans la Constitution.

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Média : RTL

Texte intégral

AMANDINE BEGOT
" Un garde des Sceaux qui n'est plus ministre de la Justice, mais ministre de l'impunité ", ces mots, Eric DUPOND-MORETTI, ce sont ceux de Marine LE PEN hier à Marseille, premier meeting du Rassemblement national à trois mois des élections européennes, et la patronne des députés RN a eu des mots très durs contre vous, contre le gouvernement, " ministre de l'impunité ", c'est violent, que lui répondez-vous ce matin ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Que je suis l'une des cibles préférées de Madame LE PEN, depuis toujours, c'est même obsessionnel chez elle, sauf que, la surpopulation carcérale, qui est un vrai problème, démontre à l'évidence que la justice n'est pas laxiste. J'invite d'ailleurs Madame LE PEN – l'impératif m'est interdit lorsque je m'adresse à elle – je l'invite à lire ce que la Cour des comptes a écrit là-dessus, la Cour des comptes dit " la justice est de plus en plus sévère ", et tous les chiffres le démontrent, mais, ils ont inventé une espèce de syllogisme fou, qui consiste à dire " la justice est laxiste ", ce qui est totalement bidon, et " la justice laxiste génère de la délinquance ", et vous avez bien compris, oyez braves gens, si Madame LE PEN arrive au pouvoir, il n'y a plus de délinquance dans notre pays. D'ailleurs, à propos de justice, elle pourrait commenter l'arrêt de la Cour d'appel qui a été rendu au mois de mars 2023, qui condamne toutes les petites officines du Rassemblement national. Le Rassemblement national a été condamné pour recel, Monsieur Wallerand de SAINT-JUST, qui est le comptable du Rassemblement national, a été condamné, le micro parti de Madame LE PEN, qui s'appelle " Jeanne ", a été condamné pour escroquerie, Madame, voilà. Je ne sais pas, est-ce qu'elle a hurlé, là, pour dire que la justice était laxiste ? Je ne sais pas. Tout ça, tout ça, voyez-vous, c'est du LE PEN dans le texte. D'ailleurs j'ai regardé hier un peu ce qui s'était passé à Marseille, et pour ne rien vous cacher, ça m'a fait plaisir d'une certaine façon, parce que ça m'a…

AMANDINE BEGOT
Ah bon ! Pourquoi ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Ça m'a rajeuni de 20 ans. Figurez-vous que le " on est chez nous ", on entendait déjà ça quand Monsieur LE PEN, père, prenait la parole dans les meetings, " on est chez nous ", c'est chouette pour les étrangers qui sont ici, qui participent à l'économie de notre pays, qui n'ont rien fait de mal, c'est toujours les mêmes rengaines. Et, plutôt que de me critiquer, eh bien ils feraient mieux de nous dire quel est leur bilan au Parlement européen. Monsieur BARDELLA, Monsieur Selfies…

AMANDINE BEGOT
Monsieur Selfies, c'est comme ça que vous l'appelez ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Ah oui, oui, ah oui, parce que c'est totalement creux, il est d'une arrogance absolument incroyable, il a déposé, sur toute la législature, 21 amendements, voilà tout ce qu'ils ont fait. Donc voyez, critiquer, vendre la Lune, vendre du sable, ils savent faire, pour le reste c'est zéro et zéro pointé.

AMANDINE BEGOT
Si l'on en croit les derniers sondages, cette liste RN arriverait très largement en tête le 9 juin prochain à 30% d'intentions de vote, selon la dernière enquête BVA pour RTL qui a été publiée vendredi, 12 points devant la liste Renaissance, vous pensez sincèrement encore pouvoir inverser la tendance, vraiment ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Ecoutez, moi je vais me battre comme un chiffonnier, Madame, pour rappeler ce qu'est ce parti, parce que ce parti il a une histoire, alors les jeunes l'ont à l'évidence oubliée, mais enfin Monsieur BARDELLA il n'arrive pas à dire aujourd'hui Jean-Marie LE PEN est antisémite, vous vous rendez compte de ça ? On participe à la marche contre l'antisémitisme et on oublie qu'en 2017 Madame LE PEN, qui change d'avis comme de chemise, demandait aux franco-israéliens de choisir leur nationalité, et, je dois à la vérité de dire qu'elle ajoutait que pour ceux qui choisiraient la nationalité israélienne, ils pourraient rester en France. Mais Madame, c'est un changement de pied sur tous les sujets. Il suffit d'attendre six mois et elle sera d'accord avec vous, ce n'est pas compliqué.

AMANDINE BEGOT
Eric DUPOND-MORETTI, vous n'avez jamais caché votre combat contre le RN, ça fait des années que vous vous battez contre et depuis des années, j'ai envie de dire, on les voit grimper dans les sondages. Est-ce que ce n'est pas ça, finalement, l'échec numéro 1 d'Emmanuel MACRON justement, ne pas avoir réussi à affaiblir le Rassemblement national ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Mais, Madame, je pense qu'il y a une espèce de banalisation de la violence, d'abord de la violence verbale. Monsieur BARDELLA dit à propos du président de la République qu'il est paranoïaque et schizophrène, et la députée BORDES, qui est députée du Gard, ajoute qu'il est sous stupéfiants, sous psychotropes, je ne sais pas si vous imaginez. Moi je souhaite à Monsieur BARDELLA, qui se voit déjà Premier ministre, je lui souhaite d'avoir la même compétence que le Président de la République sur l'ensemble des sujets qui doivent être traités par un potentiel Premier ministre. Enfin, vous avez vu ce qu'ils ont organisé au Salon de l'agriculture, ils ont mis…

AMANDINE BEGOT
Mais, sauf qu'ils sont élus, j'allais vous dire, Eric DUPOND-MORETTI.

ERIC DUPOND-MORETTI
Pardon ?

AMANDINE BEGOT
Ils sont élus.

ERIC DUPOND-MORETTI
Oui, j'entends bien, ils sont élus.

AMANDINE BEGOT
Non, non, mais quand vous dites on les banalise, ils sont élus, représentants de millions de Français qui ont voté pour eux, qu'est-ce qu'on fait ?

ERIC DUPOND-MORETTI
On n'est pas dans une dictature que je sache, on est dans une démocratie, on retournera aux élections, il faut que les gens regardent de près ce qu'ils ont fait. Monsieur BARDELLA, européen convaincu, 21 amendements, c'est-à-dire rien, strictement rien, ils n'y sont jamais, c'est de l'absentéisme, c'est ça qui les caractérise au Parlement européen. Au Salon de l'agriculture ils ont fait mettre le président dans une nasse, pardon de le dire, avec une violence inouïe, et le lendemain ils sont arrivés comme des sauveurs, ils ont fait des selfies, ils ont été bien reçus, mais ça ils l'ont orchestré, mais c'est les bonnes vieilles ficelles de l'extrême droite, tout est là. Et pardon de le dire, mais dans ceux que j'ai cités là, qui ont été condamnés, il y a les Gudards, ultra violents, les néonazis, Madame LE PEN d'ailleurs devait déposer contre moi une plainte…

AMANDINE BEGOT
Elle avait dit qu'elle déposerait plainte.

ERIC DUPOND-MORETTI
Eh bah oui ! Mais, signe encore de sa compétence, elle ne sait pas que les propos tenus dans l'hémicycle ne peuvent pas faire l'objet, Madame, de poursuites. M'a-t-elle interpellée pour me demander les noms ? Et puis je trouve qu'il y a une forme de complaisance qui fait que, on a parlé davantage du nom de ses chats que du nom de ses amis.

AMANDINE BEGOT
Complaisance de qui ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Et si on allait voir du côté de ses amis, on aurait quelques frayeurs. Franchement.

AMANDINE BEGOT
Complaisance de qui, Eric DUPOND-MORETTI ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Pardon ?

AMANDINE BEGOT
Complaisance de qui ?

ERIC DUPOND-MORETTI
De tout le monde, madame. De tout le monde. Personne ne s'est élevé pour dénoncer ce qui s'est passé au Salon de l'agriculture. Je trouve ça absolument monstrueux.

AMANDINE BEGOT
Elle a indiqué hier qu'elle souhaitait inscrire dans la Constitution la dissuasion nucléaire. Est-ce que c'est possible et est-ce que c'est souhaitable ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Ecoutez, je n'en sais rien. Elle avait dit qu'il y aurait un référendum sur la peine de mort. Et puis quelque temps après – on peut retrouver tout ça sur YouTube – elle e a dit que ce n'était pas possible, que ce n'était pas constitutionnel. Alors, ce que dit madame LE PEN, vous voyez, moi je m'en méfie beaucoup. Je pense qu'elle changera d'avis dans six mois.

AMANDINE BEGOT
Ce qui va être inscrit en revanche dans la Constitution, et ça c'est une quasi-certitude, sauf bien sûr coup de théâtre, c'est l'IVG. Congrès cet après-midi à Versailles. On vous a senti, Eric DUPOND-MORETTI, très ému la semaine dernière lors du vote au Sénat.

ERIC DUPOND-MORETTI
Oui madame, je l'étais. Je trouve que c'est un moment historique. C'est un moment important pour les femmes de notre pays.

AMANDINE BEGOT
Ça ne va pas changer leur quotidien concrètement.

ERIC DUPOND-MORETTI
Non. Mais il ne faut pas attendre qu'un droit soit menacé pour le protéger. Et d'ailleurs, la menace vient de l'extrême droite. Je le rappelle, le sénateur RAVIER, qui est aujourd'hui zemmouriste ou zemmourien, je ne sais pas comment on dit, vient de changer d'écurie, il était avant chez madame LE PEN. Il s'est très clairement prononcé contre l'avortement. Je ne parle même pas de la constitutionnalisation de l'avortement. Contre. Eh bien la menace elle est là. La menace est…

AMANDINE BEGOT
Vous pensez vraiment que si certains arrivaient au pouvoir, l'IVG pourrait être remise en cause aujourd'hui dans notre pays ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Je redis que pour protéger un droit, il ne faut pas attendre qu'il soit menacé. Eh bien regardez ce qui s'est passé en Pologne, regardez ce qui s'est passé en Hongrie ; Pologne, j'allais dire ancien régime, c'est-à-dire ami là encore du Rassemblement national. Vous savez ce qu'on faisait, madame ? On faisait entendre les battements de coeur du foetus pour dissuader une femme d'avorter. Et je veux rappeler que toutes les neuf minutes dans le monde, il y a une femme qui meurt parce qu'elle a été contrainte de subir un avortement clandestin. Alors, c'est une grande avancée pour le droit des femmes et moi ça m'émeut particulièrement et c'est un message universel que la France envoie au monde entier. Nous serons le premier pays à graver dans notre Constitution cette liberté fondamentale pour les femmes de disposer de leur corps, tout simplement.

AMANDINE BEGOT
Et on sent une très grande fierté quand on vous entend. Cette inscription dans la Constitution. Elle se fera officiellement vendredi avec cette cérémonie à la Chancellerie pour sceller la nouvelle constitution, le 8 mars, donc, j'imagine que ce n'est pas un hasard, à l'occasion de la Journée des droits des femmes. Est-ce que ce n'est pas aussi un moyen, vous allez me dire que je polémique, mais pour Emmanuel MACRON, de se rattraper, si j'ose dire, en la matière, après ses propos très contestés concernant Gérard DEPARDIEU par exemple ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Mais pas du tout, madame, parce que le président de la République m'a demandé de trouver une voie de passage entre les deux assemblées. Vous savez que préalablement au Congrès, et pour que le Congrès soit possible, il faut que les deux assemblées, l'Assemblée nationale et le Sénat, votent exactement dans les mêmes termes. Ça, c'est la mission qui m'a été confiée par le président de la République, depuis très longtemps déjà. Bon, et je rappelle que c'est un projet de loi, ce n'est pas une proposition de loi, donc ça vient du gouvernement. Et je vous informe, le président de la République l'a dit ce matin, qu'il sera présent. Parce que l'épilogue, ce n'est pas le Congrès, c'est vendredi prochain, le scellement de ce texte, fondamental…

AMANDINE BEGOT
D'où le titre de garde des Sceaux, on a parfois l'oubli…

ERIC DUPOND-MORETTI
... et le président sera présent.

AMANDINE BEGOT
Juste un tout petit mot sur ces déclarations, ces accusations de Judith GODRECHE contre Benoît JACQUOT et Jacques DOYON. C'est dans ce contexte là que va se tenir cette journée du 8 mars, cette année. On sait à quel point, Eric DUPOND-MORETTI, vous êtes attaché à la présomption d'innocence. Est-ce que, par exemple, à titre personnel, au moins, vous avez été choqué que la sortie du film de joie de Jacques DOYON soit reportée ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Madame, moi je pense qu'on ne peut pas confondre l'homme et l'oeuvre. Ou alors vous allez enlever de toutes les bibliothèques de ce pays les écrits de CELINE, qui est considéré par certains comme l'un des grands auteurs du XXe siècle. Ensuite, chacun est libre de ne pas lire CELINE, chacun est libre de ne pas aller voir un film dans lequel joue Gérard DEPARDIEU, ou je ne sais qui d'autre. Voilà. Moi je dis une chose simple, tant mieux si les femmes disent et si les hommes disent également, mais ensuite, le bûcher médiatique, c'est non. Ensuite, c'est la justice qui doit faire son travail dans une temporalité qui est celle de la justice. Et la présomption d'innocence est évidemment au coeur de nos préoccupations, comme d'ailleurs la façon dont on recueille la parole des plaignants, des plaignantes. On a fait beaucoup d'efforts là-dessus, on a formé les gendarmes, on a formé les policiers, on a formé les magistrats. Il n'est pas question qu'une de ces plaintes passe à la trappe. Mais il faut aussi que la justice puisse faire son travail.

AMANDINE BEGOT
Merci beaucoup Monsieur le Ministre.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 5 mars 2024