Texte intégral
M. le président. L'ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur les finances des départements.
Nous allons procéder au débat sous la forme d'une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que le groupe auteur de la demande dispose d'un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l'issue du débat, le groupe auteur de la demande dispose d'un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
(...)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de me donner l'opportunité de m'exprimer sur le sujet des finances des départements, dans un contexte, vous le savez, particulier pour nos finances publiques et pour nos départements.
Dans la période que nous connaissons, les départements font en effet face, vous l'avez dit, monsieur le sénateur, à une inflexion certaine de leur situation financière, ce qui les place d'ailleurs dans une situation singulière par rapport aux autres niveaux de collectivité.
D'un côté, les dépenses sont dynamiques, notamment les dépenses de fonctionnement, plus particulièrement celles de personnel, qui augmentent de 7,2% ; il est vrai que les départements, comme l'État et les autres collectivités, sont concernés non seulement par la revalorisation du point d'indice, des salaires du personnel médico-social, mais aussi par l'augmentation des dépenses d'énergie.
De l'autre, les recettes sont en diminution, notamment du fait de la baisse du produit des droits de mutation à titre onéreux. Dans le contexte actuel de ralentissement du marché immobilier, les DMTO diminuent de plus de 20 %. Il s'agit, toutefois, d'une correction qui fait suite à une période de dynamisme exceptionnel, puisque les DMTO ont été multipliés par deux en dix ans, entre 2012 et 2022, et qu'ils ont augmenté de 40% depuis 2017.
Au total, les recettes réelles de fonctionnement sont en baisse : c'est une spécificité propre à l'échelon départemental. Bien que ces chiffres ne soient pas définitifs et que la situation soit bien sûr hétérogène entre départements, l'État est particulièrement attentif à une telle inflexion.
Dans ce cadre, je prends un premier engagement : celui de poursuivre un dialogue constant avec Départements de France et son président, François Sauvadet. Plusieurs rendez-vous ont déjà été fixés : dès ce mois-ci, puis en mai, lors de la publication définitive des comptes de nos départements, et de nouveau à l'automne, au mois de septembre ou d'octobre.
En parallèle, quinze départements appellent une attention particulière, car ils sont susceptibles d'être les plus affectés. Soyez certains que nous sommes et resterons vigilants. Je me tiens d'ailleurs à la disposition des présidents de département qui souhaiteraient me rencontrer ; certains d'entre eux m'ont déjà sollicité. Nous sommes vigilants, disais-je, car la situation le mérite, mais je veux aussi vous rassurer, mesdames, messieurs les sénateurs, en insistant sur les mécanismes mis en place pour amortir cette inflexion indéniable.
Si les recettes de DMTO sont mises en avant, elles restent une part minoritaire de l'ensemble des recettes et se maintiennent à un niveau supérieur à celui de 2019, qui fut une très bonne année en la matière.
Pour autant, il faut pouvoir soutenir les départements confrontés à des difficultés conjoncturelles en matière de perception de ces prélèvements. Grâce au mécanisme de péréquation, l'écart de recettes par habitant entre le département le mieux loti et celui qui l'est le moins bien diminue de 40%. S'ajoute une mise en réserve des sommes non distribuées au titre de la péréquation, pour un montant de près de 250 millions d'euros à la fin de l'année 2023.
En plus de cette péréquation, nous avons mis en place un fonds de sauvegarde des départements. Ce fonds de sauvegarde bénéficie d'abord aux collectivités confrontées à une baisse importante du produit des DMTO et touchées par une hausse significative des dépenses liées au revenu de solidarité active, à l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) et à la prestation de compensation du handicap (PCH).
Ce fonds était initialement doté de 53 millions d'euros. La loi de finances de 2024 a permis son doublement, pour le fixer à 106 millions d'euros, grâce à un abondement de l'État, qui y contribue ainsi à parité avec les départements. Cet effort supplémentaire bénéficiera à quatorze départements dès cette année. Par exemple, la Gironde bénéficiera de 9 millions d'euros, le Val-de-Marne, de 7 millions d'euros ; ce sont des montants non négligeables.
Toujours en matière de DMTO, il existe depuis 2022 un mécanisme d'assurance individuelle, qui autorise les départements à mettre en réserve une fraction de leur produit de DMTO après délibération. Au 31 janvier 2024, 35 départements avaient mis en réserve un total de 1 milliard d'euros. Je tiens ici à saluer ces 35 départements, qui ont pris leurs responsabilités face au caractère cyclique des recettes départementales assises sur l'évolution des prix de l'immobilier.
Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, dans une conjoncture difficile liée à des facteurs exogènes, comme le ralentissement du marché immobilier, les mécanismes protecteurs existent et l'État est au rendez-vous.
L'État est aussi au rendez-vous, avec les départements comme avec toutes les autres collectivités, pour compenser, grâce au filet de sécurité, certaines hausses de dépenses liées à l'augmentation des prix de l'énergie, de l'électricité et du chauffage urbain.
Enfin, l'État est encore au rendez-vous pour accompagner les départements avec des mesures ciblées adoptées dans cadre de l'examen du budget pour 2024.
Parmi elles, je citerai le renforcement significatif du budget de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), à hauteur de 150 millions d'euros, afin de mieux couvrir les dépenses d'aide à l'autonomie des départements.
Face à l'enjeu que représente la prise en charge des mineurs non accompagnés, là aussi l'État accompagne les départements, en augmentant de moitié son soutien budgétaire à ce titre, pour lui faire atteindre près de 100 millions d'euros en 2024.
Dans cette période d'inflexion pour les finances des départements, la question des recettes est, je le sais, particulièrement sensible.
J'ai évoqué la situation des DMTO et les mécanismes à l'oeuvre pour amortir les effets de leur contraction. Mais il me faut aborder la question de la compensation des différentes et récentes réformes de la fiscalité locale, sujet que vous avez évoqué, monsieur le sénateur, qui a consacré la TVA comme composante essentielle du panier de ressources des départements. Cette taxe représente ainsi désormais plus de 30% des recettes de fonctionnement des départements.
En 2023, cela équivaut à quelque 22 milliards d'euros de recettes, marquées par un dynamisme de plus de 4% ; car c'est un prélèvement dynamique. De même, le produit de la taxe spéciale sur les conventions d'assurances (TSCA) qui leur est affecté a crû de près de 7% en 2023. C'est aussi ce qui permet d'amortir le recul des DMTO.
Surtout, dans le cadre de la réforme de la taxe d'habitation, la loi de finances pour 2020 a introduit un mécanisme de versement d'une fraction de TVA supplémentaire, d'un montant de 250 millions d'euros, à destination des départements exposés à un reste à charge au titre des allocations de solidarité. Il s'agit là d'un levier supplémentaire pour soutenir les départements en difficulté.
Enfin, je veux dire un mot plus général du contexte dans lequel s'inscrit la situation des départements. L'État sera certes toujours aux côtés de ceux-ci, mais nous sommes néanmoins dans un moment où les efforts doivent être partagés : entre l'État, qui a beaucoup protégé et prend ses responsabilités, et les collectivités locales, y compris les départements.
Le premier allié de nos finances publiques est la croissance et, avec elle, l'activité et l'emploi. Or le contexte international et européen est incertain et peu favorable, marqué par la poursuite des chocs géopolitiques au Moyen-Orient et en mer Rouge, de la guerre en Ukraine et par le ralentissement de l'activité chez nos partenaires européens.
Nous avons dû, comme d'autres pays partenaires, vous le savez, revoir nos prévisions de croissance pour 2024. Nous faisons face à des prévisions de recettes en baisse, ce qui nous a conduits à prendre la décision d'annuler 10 milliards d'euros dans le budget de l'État.
Ces annulations nécessitent un effort de tous les ministères sur l'ensemble de leurs dépenses de fonctionnement, sur la maîtrise de la masse salariale, sur le décalage d'un certain nombre de projets. Contrairement à ce qui est parfois affirmé, l'État prend sa part dans les efforts consentis pour le redressement de nos finances publiques.
En cohérence, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, et je terminerai ainsi mon propos, j'en appelle à une responsabilité partagée : tout doit être mis en oeuvre pour assurer le respect de notre trajectoire de finances publiques, notamment sur les dépenses de fonctionnement.
M. Bruno Belin. Il serait temps !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Je sais que les élus locaux, dans leur immense majorité, partagent cet esprit de responsabilité. Nous avons tous les finances publiques en partage. Je veux redire la nécessité de ne pas opposer l'État et les collectivités locales dans ce vaste chantier qui nous attend, celui du redressement de nos finances publiques. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
- Débat interactif -
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique.
Le Gouvernement dispose pour répondre d'une durée équivalente. Il aura la faculté, s'il le juge nécessaire, de répondre à la réplique pendant une minute supplémentaire. L'auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.
Dans le débat interactif, la parole est à Mme Laure Darcos. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme Laure Darcos. Monsieur le ministre, 100 millions d'euros ou 30%, c'est ce que représente pour le département dont je suis élue, l'Essonne, la diminution du montant des droits de mutation à titre onéreux en 2023. À l'échelle nationale, les départements auront perdu 3,9 milliards d'euros entre 2022 et 2023.
Les dépenses relatives aux allocations individuelles de solidarité – APA, PCH et RSA – pèsent pour plus de 18 milliards d'euros, avec un reste à charge de 50% pour nos collectivités. Songez également que les dépenses au titre de l'aide sociale à l'enfance représentent, à elles seules, près de 10 milliards d'euros.
Les départements doivent en outre assumer les conséquences d'une politique migratoire hors de contrôle, avec notamment l'arrivée de mineurs non accompagnés. La prise en charge de ces derniers leur coûte plus de 2 milliards d'euros, avec une compensation de 6% seulement.
Leur situation financière est devenue d'autant plus critique que les dépenses supplémentaires imposées par l'État, soit 2,5 milliards d'euros de plus en deux ans, n'ont, une fois encore, pas été compensées.
Jusqu'à présent, vous aviez beau jeu de dire que, pour faire face à ces dépenses nouvelles, les départements pouvaient s'appuyer sur leurs recettes de DMTO supplémentaires, devenues stratégiques. Mais, aujourd'hui, ces dernières ont disparu et les recettes sont revenues à leur niveau d'avant-covid, alors que les dépenses, elles, subsistent.
Non, monsieur le ministre, la crise des finances départementales n'est pas une vue de l'esprit. Depuis la réforme de la taxe d'habitation, les départements ne disposent plus de levier en matière de fiscalité.
L'investissement et l'aide aux communes ne doivent pas devenir la variable d'ajustement de leurs budgets. Nombre de départements mènent en effet des politiques volontaristes de péréquation et d'équilibre entre le monde rural et les territoires urbains. Nous ne voulons pas renoncer à ces politiques vertueuses par nécessité budgétaire.
Oui, nos départements revendiquent une autonomie fiscale pour mener à bien les missions qui leur sont confiées par le législateur.
Monsieur le ministre, ma question est la suivante : quand le Gouvernement va-t-il enfin prendre la mesure de la gravité de la situation et déterminer un panier de ressources permettant aux départements de faire face à leurs charges, comme le demande depuis longtemps le Sénat ? (M. Pierre Jean Rochette applaudit.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Madame la sénatrice, nous partageons le constat que vous dressez sur l'inquiétude suscitée par l'évolution des recettes – vous avez cité les DMTO –, d'une part, et celle des dépenses, d'autre part, dont certaines sont dynamiques, à l'image d'un certain nombre de dépenses sociales.
D'une certaine manière, vous en appelez à une nouvelle autonomie fiscale des départements. Or ceux-ci disposent déjà d'un panier de recettes fiscales très importantes, puisque, vous le savez, sur l'ensemble de leurs recettes, les trois quarts sont des recettes fiscales. Les DMTO sont souvent évoqués, mais sachez que, désormais, les départements perçoivent la taxe sur la valeur ajoutée : c'est une bonne nouvelle pour eux ! (Mme Laure Darcos et M. Philippe Grosvalet ironisent.)
Lorsque la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) a été progressivement supprimée, les régions se sont vu confier une part du produit de la TVA. Aucune d'entre elles n'accepterait de revenir en arrière. (M. Bruno Belin proteste.) La TVA est en effet un impôt dynamique, beaucoup plus prévisible que la CVAE. (Non ! sur les travées du groupe Les Républicains. – Protestations sur de nombreuses travées.)
M. le président. Mes chers collègues, la parole est à M. le ministre délégué et à lui seul !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Au-delà du débat que suscite ma référence à la TVA,…
M. Jean-François Husson. C'est normal, il y a des erreurs et, quand il y a des erreurs, on les corrige !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. J'entends le rapporteur général du budget qui souhaite s'inviter dans le débat ; j'en suis très heureux !
Au-delà de ce débat sur la TVA, disais-je, je souhaite préciser, madame la sénatrice, qu'il existe d'ores et déjà un panier de recettes, puisque la TSCA en fait partie.
La question est de savoir comment accompagner les quatorze départements qui sont dans les situations les plus difficiles. À cet égard, le Gouvernement a mis en place un fonds de solidarité et doublé l'abondement de l'État.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous le répétez très souvent ici même, au Sénat : les collectivités sont à ce point différentes les unes des autres qu'il ne saurait y avoir des mesures générales applicables à l'ensemble des départements. Il faut pouvoir cibler les départements le plus en difficulté. D'ailleurs, certains ont mis en réserve une partie de leurs ressources, pour faire face justement au retournement du cycle immobilier. Mais les DMTO ne sont pas les ressources principales des départements.
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jean-Michel Arnaud. Monsieur le ministre, cela a été rappelé, on constate une contraction forte de l'épargne brute des départements, conséquence de l'inflation soutenue, de la revalorisation du point d'indice, de la chute des recettes de DMTO, de l'insuffisance de la compensation des allocations individuelles de solidarité, des dépenses imprévues, comme celles qui sont liées à l'accueil des MNA, et ce en l'absence, contrairement à ce que je viens d'entendre, de toute autonomie fiscale et même financière des départements.
Je souhaite vous interroger tout particulièrement sur les dépenses de personnel.
Chacun le sait, l'augmentation du point d'indice ne dépend en aucun cas de la volonté des collectivités locales ; c'est l'État qui la fixe. Les revalorisations sectorielles définies dans le cadre du Ségur de la santé, même si elles ne sont pas contestables, altèrent fortement le niveau des dépenses de personnel. L'ajustement des régimes indemnitaires et des avantages sociaux, mis en oeuvre pour conserver l'attractivité des employeurs publics, dans un contexte de crise sur le marché de l'emploi, mine également les collectivités locales que sont les départements.
Monsieur le ministre, comment le Gouvernement compte-t-il accompagner les départements, notamment lorsque c'est l'État qui décide de rehausser fortement le point d'indice sans concertation avec les collectivités locales ?
J'évoquerai un second point, le financement de la protection civile, qui devient évidemment essentiel dans un contexte où les départements et les territoires, notamment de montagne, sont exposés aux aléas climatiques.
Des négociations sont actuellement menées à l'échelon européen à propos du statut des sapeurs-pompiers volontaires, qui pourraient être assimilés à des salariés de droit commun. Cela amplifierait encore davantage les conséquences budgétaires que nous subissons déjà aujourd'hui. Comment le Gouvernement, notamment dans le cas de l'accompagnement des départements, qui financent en grande partie les services départementaux d'incendie et de secours (Sdis), envisage-t-il de faire face à une telle augmentation des coûts ?
La contribution au Sdis du département des Hautes-Alpes, dont je suis élu, était de 7 millions d'euros en 2021 ; elle est dorénavant de 8,5 millions d'euros. Vous voyez bien que les départements ne pourront plus assumer durablement cette hausse des charges non maîtrisée.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, vous avez posé de nombreuses questions, mais je répondrai plus particulièrement à vos deux interpellations portant sur le point d'indice et le financement de la protection civile.
Sur le point d'indice, il n'aurait pas été, à mon sens, responsable de ne pas proposer aux agents publics de mesures face au choc inflationniste que nous avons rencontré. La demande était également de protéger les fonctionnaires contractuels, car l'augmentation de l'inflation érode leur pouvoir d'achat.
Les collectivités territoriales sont des employeurs publics. Nous n'allons pas commencer à créer un système compensatoire dans lequel l'État couvrirait chaque augmentation du point d'indice. S'engager dans cette voie serait admettre que les collectivités n'ont plus de responsabilités en tant qu'employeurs, et il nous faudrait alors aussi évoquer la décorrélation du point d'indice. Dans ce cadre, plus aucune mesure générale ne s'appliquerait et les collectivités territoriales seraient, en l'absence d'un point d'indice commun, pleinement responsables de leur politique salariale. Si vous souhaitez vous engager dans cette voie, soit, mais alors allons au bout des choses ; pour ma part, je suis prêt à en débattre.
En tout état de cause, il n'est pas sain, selon moi, d'entrer dans un système de compensation automatique des collectivités territoriales à la moindre revalorisation du point d'indice.
En ce qui concerne le financement de la protection civile, monsieur le sénateur, vous savez qu'une fraction très dynamique de la TSCA est affectée aux départements en vue de financer les Sdis. Celle-ci s'est élevée à 1,4 milliard d'euros en 2023, contre 900 millions d'euros initialement. En dix ans, cette fraction a augmenté de plus de 36%.
Le département des Hautes-Alpes a ainsi perçu plus de 3 millions d'euros, contre 2 millions d'euros dix ans plus tôt. À l'occasion du débat sur le projet de loi de finances, nous avons d'ailleurs émis un avis favorable sur un amendement présenté par le rapporteur général, Jean-François Husson, pour augmenter de 50 % la part de la TSCA affectée au financement, notamment, du bataillon de marins-pompiers de Marseille et pour créer une participation de 3,6 millions d'euros en faveur du financement du Sdis de Mayotte.
M. le président. Il faut conclure, monsieur le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Nous avons donc réussi à construire, ensemble, les bases d'un renforcement des moyens à destination du financement de la protection civile.
M. le président. La parole est à M. Grégory Blanc.
M. Grégory Blanc. Monsieur le ministre, regarder la situation des départements, ce n'est pas uniquement s'intéresser à l'effet de ciseaux financier actuel ou à la fiscalité, c'est aussi, comme l'évoquait mon collègue précédemment, considérer la pente des dépenses.
De ce point de vue, je veux, pour illustrer mon propos, m'arrêter sur la protection de l'enfance.
Le nombre des mesures engagées au titre des enfants placés à l'échelle nationale a quasi doublé en vingt ans, avec une accélération brutale depuis 2019. Dans le département dont je suis élu, la part du budget de fonctionnement consacrée à la protection de l'enfance représente 160 millions d'euros, sur un total de 640 millions d'euros ; elle était de 100 millions d'euros voilà huit ans.
Si, en France, notre société va globalement bien, la proportion de ceux qui vont mal est de plus en plus forte, et les statistiques sont là pour le prouver. Sur le plan psychiatrique, considérant la tranche d'âge de 18 à 24 ans, un jeune garçon sur huit et une jeune fille sur quatre ont connu un épisode dépressif au cours de l'année écoulée. Cette statistique est constante depuis le covid. Pour les plus jeunes, la proportion est équivalente.
Depuis les vagues de décentralisation, la forme d'intervention de l'État social a éclaté en morceaux. Elle n'est toujours pas clarifiée. Départements, caisses d'allocations familiales (CAF), agences régionales de santé (ARS), tribunaux, éducation nationale, communes, quelquefois même établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) : l'État social est protéiforme, non coordonné. Il n'y a toujours pas de chef de file réel sur la protection de l'enfance. Les financements et les acteurs sont chacun dans leur couloir, chacun avec leur chefferie.
Monsieur le ministre, face à la hausse exponentielle des dépenses à venir dans les prochaines années, comment le Gouvernement compte-t-il accompagner les départements ? Envisage-t-il une réforme structurelle, avec l'affirmation du rôle de chef de file ? Ou entend-il procéder à une recentralisation, comme l'évoquait Charlotte Caubel lorsqu'elle était secrétaire d'État ? Quelle est la position du Gouvernement de ce point de vue ?
Du point de vue financier, comment compte-t-il absorber le choc de l'éclatement des familles ? Quel regard portera-t-il sur les excédents constatés chaque année de la branche famille de la CAF, notamment en matière de prévention sur le terrain ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, les questions relatives à la protection dans l'enfance sont autant de préoccupations partagées, je le sais. D'ailleurs, un rapport d'information du Sénat a montré que les mesures liées à l'aide sociale à l'enfance ont connu une progression de 29 % entre 2007 et 2021.
Pour accompagner cette demande supplémentaire, l'État et les départements sont au rendez-vous. Sachez que l'État a augmenté, pour 2024, son soutien à hauteur de plus de 314 millions d'euros.
Un certain nombre de dispositifs ont ainsi été mis en oeuvre. Les contrats départementaux de prévention et de protection de l'enfance ont été augmentés de 140 millions d'euros. Le budget de la prévention des sorties sèches des jeunes majeurs de l'aide sociale à l'enfance (ASE) est abondé de 50 millions d'euros. L'État participe aux revalorisations salariales dans les centres de protection maternelle et infantile (PMI) pour 34 millions d'euros. Pour l'accompagnement des mineurs non accompagnés, à la suite d'une demande très importante de Départements de France, l'État a majoré son financement à hauteur de 100 millions d'euros.
Bref, pour toutes ces politiques publiques difficiles, sur lesquelles une forte demande existe, l'État se tient toujours aux côtés des départements. Les chiffres que je viens de vous présenter l'illustrent.
Monsieur le sénateur, vous posez ensuite une autre question : celle de l'enchevêtrement des compétences et de la complexité de notre action publique territoriale, en particulier sur la question sociale. Le Président de la République a confié à Éric Woerth une mission sur la décentralisation, afin de faire des propositions permettant d'aller le plus loin possible dans la simplification des compétences, ce à quoi je suis très favorable. Il faut que, derrière chaque compétence, il y ait une collectivité chef de file, pleinement en responsabilité. Je vous invite à participer aux travaux de la mission Woerth, qui rendra prochainement ses conclusions.
M. Jean-François Husson. Nous sommes assez grands pour savoir quoi faire !
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le ministre, partageons la vérité. Dans un rapport publié en décembre dernier, le Conseil des prélèvements obligatoires formulait le souhait que soit engagée une réflexion sur « le niveau et l'affectation des DMTO visant à moins taxer l'acquisition de logements et à compenser le manque à gagner pour les finances publiques ». L'hypothèse d'une suppression pure et simple des DMTO est même avancée dans la conclusion de ce rapport !
Cela a été dit, les départements sont confrontés à une chute sans précédent de leurs recettes, avec 7,5 milliards d'euros de perte en 2024. Dans leur histoire, ils n'ont jamais été autant tributaires de la double tutelle de l'État, via les dotations et l'affectation d'une fraction des recettes de la TVA.
Selon vous, monsieur le ministre, l'affectation de la TVA serait une bonne nouvelle, mais l'article 72-2 de la Constitution est balayé par cette affectation d'une fraction de la TVA ; c'est la fin de l'autonomie !
La démocratie locale s'en trouve altérée et menacée. Les services publics départementaux constituent encore le premier levier de la redistribution, le plus fidèle soutien des communes et le meilleur outil de cohésion territoriale. Or, du fait de la double tutelle que vous leur imposez, les départements doivent soit revoir à la baisse leurs prestations, soit rehausser le coût des services publics pour les usagers.
On est ainsi en train de porter atteinte au dernier levier fiscal de l'échelon départemental. Je vous le demande : abandonnez purement et simplement l'idée de cette suppression.
Par ailleurs, si vous soulevez l'argument de la fragilité des DMTO, quelles sont alors vos propositions concrètes pour créer de nouveaux leviers fiscaux garantissant la pérennité des services publics départementaux ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, permettez-moi tout d'abord de vous rassurer : il n'y a pas de projet de suppression des DMTO.
M. Pascal Savoldelli. Mais si !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Un rapport du Conseil des prélèvements obligatoires, c'est un rapport du Conseil des prélèvements obligatoires, ce n'est pas une proposition du Gouvernement !
M. Pascal Savoldelli. Oh, pardon… (Sourires sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Je vous l'affirme, il n'y a pas de projet de suppression des droits de mutation à titre onéreux : j'espère que cela vous rassure.
Pour autant, vous abordez un sujet important, qui n'est d'ailleurs pas nouveau – nous en avions déjà débattu lors de l'examen du projet de loi de finances –, à savoir la distinction entre l'autonomie fiscale et l'autonomie financière.
Qu'est-ce qui garantit la libre administration des collectivités territoriales ? C'est l'autonomie financière, c'est-à-dire par la capacité d'avoir des ressources et de les employer librement.
M. Laurent Somon. Pas toujours !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. L'autonomie fiscale, c'est la capacité de moduler le taux d'un impôt. Mais au service de quel projet ? Celui de renforcer la concurrence territoriale ? (Exclamations sur les travées des groupes CRCE-K, UC et Les Républicains.) Car c'est bien de cela qu'il s'agit ! Est-il plus important d'avoir une autonomie financière ou une autonomie fiscale ?
Mme Anne-Catherine Loisier. Les deux !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Que garantit la Constitution ? Elle garantit l'autonomie financière ! Je vous invite d'ailleurs à lire la récente communication sur l'autonomie financière et fiscale des collectivités territoriales du rapporteur général du budget à l'Assemblée nationale, Jean-René Cazeneuve, qui permet de constater leur évolution dans le temps. L'autonomie financière des départements a progressé, tandis que, naturellement, l'autonomie fiscale des collectivités a régressé, je vous le concède. Mais c'est l'autonomie financière qui est la plus importante pour la libre administration des collectivités. Quel est le projet, derrière l'autonomie fiscale ? C'est la mise en concurrence entre les territoires. Est-ce véritablement de cela que nous avons besoin pour garantir l'unité du pays et le bon aménagement du territoire ?
M. François Bonneau. Les choses ne fonctionnent pas ainsi !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. J'espère vous avoir rassuré, monsieur le sénateur : nous ne projetons pas de supprimer les DMTO, et nous défendons l'autonomie financière des départements.
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour la réplique.
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le ministre, si je ne doute pas de votre sincérité personnelle, je doute en revanche de votre sincérité politique. En effet, c'est votre gouvernement qui a supprimé la CVAE et la taxe d'habitation, sans prévenir !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. C'est faux !
M. Pascal Savoldelli. Par ailleurs, qui vous croira, dans cet hémicycle ? Il n'y a pas d'autonomie financière en dehors de l'autonomie fiscale pour les collectivités territoriales ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, Les Républicains et UC, ainsi que sur des travées du groupe SER. – M. Grégory Blanc applaudit également.)
Mme Anne-Catherine Loisier. Eh non !
M. Pascal Savoldelli. En ouverture du débat, vous parliez de dépenses partagées et de responsabilité partagée. Mais monsieur le ministre, dans le Val-de-Marne, il y a 100 000 demandeurs de logements sociaux depuis 2010, il y a 43 000 allocataires du RSA, et ce chiffre augmentera avec la création de France Travail, et 27 communes sont classées à risque d'inondation. Voyez-vous quelles sont les responsabilités de nos collectivités ?
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Pascal Savoldelli. Oui, monsieur le ministre, il faut partager les responsabilités : autonomie fiscale et autonomie financière sont pour les départements un couple indéfectible ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et GEST, ainsi que sur des travées des groupes SER, UC et Les Républicains. – M. Ahmed Laouedj applaudit également.)
M. Jean-François Husson. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Michel Masset. (Applaudissements sur les travées du groupe du RDSE.)
M. Michel Masset. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je salue l'organisation de ce débat sur les finances des départements, particulièrement affectées par la conjoncture économique et sociale.
Anticipant la baisse du produit des DMTO, de nombreux départements ont heureusement eu la prudence de mettre en réserve des recettes exceptionnelles. Cependant, ces ressources fondent comme neige au soleil en raison de la contraction économique, car elles amortissent la hausse exponentielle des dépenses sociales, l'inflation ou encore la lutte contre les aléas climatiques.
L'effet de ciseaux tant décrié par les départements est devenu une constante budgétaire et chaque nouvelle annonce alourdit un peu plus cet effet " de sécateur ".
La suppression de l'allocation de solidarité spécifique (ASS), au-delà de son caractère inique du point de vue social, correspond en réalité à un transfert de charges d'environ 2 milliards d'euros – coquette somme – vers les collectivités départementales.
Autre exemple : les quinze heures de bénévolat que France Travail prévoit pour les allocataires du RSA ne pourront pas se faire sans accompagnement humain. Rien qu'à l'échelle du Lot-et-Garonne, cela représente 600 000 heures par mois…
Sans autonomie fiscale, l'impossibilité de prévoir ces coûts pour les collectivités se traduira par un recul de l'investissement public, pourtant au coeur des missions des départements en faveur de la solidarité territoriale.
Monsieur le ministre, vous connaissez le rôle de pilier que jouent les départements dans notre équilibre institutionnel. Le moment n'est-il pas venu, alors qu'une mission sur la décentralisation est en cours, d'instaurer des clauses de revoyure sur les compensations financières de l'État envers les départements, en matière tant de suppression des recettes que de transferts de charges ? (Applaudissements sur les travées du groupe du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Nous devons mener jusqu'au bout le chantier de la décentralisation, dans le cadre de la mission confiée à Éric Woerth. Nous avons besoin de clarifier les responsabilités et les compétences de chaque échelon territorial, mais aussi de poser la question du financement. Le mandat confié à la mission dirigée par Éric Woerth est large, il porte à la fois sur les compétences et sur les financements des collectivités territoriales.
Vous l'avez indiqué, les départements exercent des compétences particulières dans le champ social et, d'une certaine manière, les compétences des départements et de l'État en matière d'emploi et de politiques sociales sont complémentaires.
Quand l'État affecte, dans le cadre de la mise en place de France Travail, 300 millions d'euros supplémentaires pour mieux accompagner les demandeurs d'emploi, mais aussi les bénéficiaires du RSA, il joue le jeu des départements : mieux accompagner les bénéficiaires du RSA, c'est les aider à retrouver plus facilement un emploi et donc réduire les dépenses des départements. Activer la politique de l'emploi permet aux départements de faire des économies. D'où notre intérêt à garantir la meilleure collaboration possible entre le service public de l'emploi, France Travail, et les départements. Accompagner un maximum de personnes vers le retour à l'emploi constitue donc un enjeu fondamental, tant pour les départements que pour l'État ou les finances publiques.
Soyez assurés que la question de la fin programmée de l'ASS n'est pas directement un sujet pour les départements, car on souhaite en même temps accélérer le retour à l'emploi d'un certain nombre de bénéficiaires du RSA. (Mme Pascale Gruny proteste.)
Enfin, je souhaite revenir sur la question de la dynamique fiscale. Les recettes de la TVA ont toujours été plus dynamiques que celles de la CVAE ou de la taxe foncière. Il s'agit d'une bonne ressource, dynamique, pour les départements, je le répète. J'en veux pour preuve le fait que l'affectation d'une fraction de TVA aux régions a eu sur les finances de ces dernières un effet plutôt positif, par rapport au rendement de la CVAE, imprévisible et difficile à piloter dans le temps.
M. le président. La parole est à M. Didier Rambaud.
M. Didier Rambaud. Monsieur le ministre, si nous partageons le constat que 2023 a constitué une année délicate pour les finances des départements, permettez-moi d'insister sur deux points.
D'une part, la situation est hétérogène : la conjoncture immobilière dégradée en 2023 provoque une réduction de 20 % du montant des droits de mutation à titre onéreux, l'une des principales recettes des départements, mais l'impact de la crise immobilière n'est pas le même selon les territoires. Par ailleurs, le montant global des dépenses en matière d'action sociale varie également selon les collectivités. Ces deux facteurs expliquent pourquoi certains départements se portent financièrement moins bien que d'autres.
D'autre part, permettez-moi de rappeler que, lors des années antérieures à 2023, l'évolution des finances des départements avait été favorable. La direction générale des collectivités locales déclarait en octobre dernier qu'après une amélioration de leur situation financière en 2021, les départements avaient affiché en 2022 des résultats globalement favorables. Les évolutions positives des recettes de fonctionnement et l'augmentation du point d'indice ont permis à l'épargne brute des départements de croître de 5,3% en 2022.
Si les résultats de 2023 restent préoccupants, je rappelle que le Gouvernement a tenu, dans la loi de finances pour 2024, à soutenir les départements. En effet, un abondement de l'État a été décidé afin de doubler le montant du fonds de sauvegarde et de le faire atteindre un montant global de 106 millions d'euros.
Tout à l'heure, j'entendais affirmer que ce montant n'était pas suffisant, mais sortons de nos contradictions ! Un jour, on se plaint à juste titre de la dérive de nos finances publiques et le lendemain on ne rate pas l'occasion de demander plus ! Monsieur le ministre, quelle sera l'ampleur du soutien accordé et quels départements en bénéficieront-ils ?
Enfin, dans une période où les élus locaux exigent davantage de décentralisation, je préfère moi aussi parler d'autonomie financière que d'autonomie fiscale. Sans assiette, sans base, l'autonomie fiscale ne sert à rien !
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Didier Rambaud. Rappelons que les départements mettent en oeuvre, au-delà de leurs compétences sociales 12 milliards d'euros d'investissement. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, vous avez dressé le bon constat, celui de l'hétérogénéité de la situation des départements. Nous pouvons tous en convenir, nous le voyons dans nos territoires : certains départements sont plus affectés par la crise que d'autres, parce qu'ils sont plus dépendants de la situation immobilière ou parce que le nombre de bénéficiaires du RSA y est en hausse. Au lieu de répondre de la même manière pour tous les départements, il faut faire du cousu main. C'est précisément ce que nous avons fait avec le fonds de sauvegarde, alimenté à hauteur de 300 millions d'euros par la TVA et pour lequel l'État a doublé sa part pour accompagner les départements, oui, doublé !
M. Jean-François Husson. Incroyable ! (Sourires.)
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Quatorze départements sont ainsi accompagnés par une mobilisation du fonds de solidarité, ceux qui ont connu une baisse très importante de leur épargne nette ou brute. Deux d'entre eux ont une épargne négative : le Val-de-Marne et la Gironde. L'enjeu, c'est de mobiliser le fonds de solidarité en fonction de la situation. (M. Pascal Savoldelli s'exclame.)
Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2024, nous sommes convenus d'apporter une réponse concrète, cousue main. J'ai toujours défendu cette idée : n'ayons pas une vision homogène des collectivités territoriales, car nos territoires sont tous différents, vous êtes bien placés pour le savoir, mesdames, messieurs les sénateurs. Adoptons donc des réponses circonstanciées, adaptées. Je crois à la logique du fonds de solidarité, que nous avons " dopé " dans le budget 2024.
M. Jean-François Husson. Aucune solution !
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Briquet.
Mme Isabelle Briquet. Monsieur le ministre, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2024, le Sénat avait décidé un soutien de 100 millions d'euros au profit des départements confrontés à une forte dégradation de leur situation financière.
Malgré les difficultés que cet échelon territorial indispensable à nos concitoyens rencontre, le Gouvernement persiste à aggraver ses charges en supprimant sans aucune concertation l'allocation de solidarité spécifique.
Monsieur le ministre, vous ne pouvez pas ignorer les conséquences financières que cette décision impose aux départements. En plus de la baisse des DMTO, de l'augmentation des charges de personnels et des dépenses sociales, cette décision met en péril l'équilibre budgétaire déjà fragile de nos départements.
Le basculement des 320 000 bénéficiaires de l'ASS vers le RSA coûterait plus de 2 milliards d'euros aux départements. Pour la seule Haute-Vienne, le coût financier dépasserait 7 millions d'euros. Cette réalité économique met en lumière une situation déjà délicate. Sans mesures compensatoires, les départements devront renoncer à autant de politiques publiques pourtant essentielles à la vie de nos concitoyens.
Compte tenu de la pression qui existe sur les ressources des collectivités locales, de quelle manière l'État compensera-t-il la suppression de l'ASS imposée aux départements ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Madame la sénatrice, je vous remercie de rappeler que nous avons mis en place le fonds de solidarité à destination des départements. Nous en avons doublé l'enveloppe afin d'éviter l'effet de ciseaux entre la baisse des recettes – même si, je le répète, les DMTO ne sont pas la principale ressource des départements – et l'augmentation des dépenses de solidarité.
Avant d'évoquer la question de l'ASS, je rappelle que les dépenses des départements relatives au versement du RSA sont couvertes à 97,5% par l'État. J'entends parfois certains parler de non-compensation des dépenses des départements par l'État, mais ce taux est historique.
Les travaux de concertation démarrent afin de déterminer l'impact de la suppression de l'ASS sur nos politiques publiques et sur les bénéficiaires du RSA. Cette suppression ne doit pas être considérée de manière isolée, car elle s'inscrit dans une politique plus globale qui défend le retour au travail, à l'emploi, et l'accompagnement vers l'activité de tous ceux qui en ont été éloignés, parfois pendant très longtemps. (Mme Silvana Silvani s'exclame.)
Notre objectif, c'est le plein emploi. Pour l'atteindre, il faut mieux accompagner les bénéficiaires du RSA. C'est à cela que vise la création de France Travail. Si nous attribuons 300 millions d'euros supplémentaires à cet organisme, afin notamment qu'il travaille mieux avec les conseils départementaux, c'est parce que ce défi est " gagnant-gagnant " pour les départements et l'État : si l'on accompagne mieux les bénéficiaires du RSA, cela fera moins de dépenses liées au RSA et à l'ASS. (Protestations sur les travées du groupe CRCE-K.)
D'ailleurs, la réforme de l'ASS se fera progressivement. Comptez sur notre détermination à travailler avec les départements pour mieux accompagner les bénéficiaires du RSA et limiter les dépenses des départements au titre de cette politique.
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Briquet, pour la réplique.
Mme Isabelle Briquet. Monsieur le ministre, je crains de ne pas partager votre optimisme. Je ne crois pas à l'emploi magique.
Au-delà du problème financier, votre réforme provoquera une réduction des droits sociaux et la paupérisation de citoyens déjà fragiles. Je le rappelle, il est aujourd'hui possible de cumuler l'ASS et l'allocation aux adultes handicapés (AAH). Cela ne sera plus le cas si l'ASS est supprimée au profit d'un meilleur accompagnement des bénéficiaires du RSA.
Plus de 300 000 personnes, pour moitié âgées de plus de 50 ans, sont mises en danger par cette réforme. Pour ces femmes et ces hommes, l'ASS était non seulement une aide financière, mais aussi un moyen d'acquérir des trimestres de retraite. Cette suppression revient à accroître la précarité pour bon nombre de nos concitoyens et pour nos départements. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)
M. le président. La parole est à Mme Valérie Boyer. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Valérie Boyer. Monsieur le ministre, le nombre de MNA intégrant les dispositifs de protection de l'enfance a été pratiquement multiplié par quatre entre 2014 et 2023, passant de 5 000 à 19 370 personnes.
Les MNA représentent aujourd'hui entre 15% et 20% des mineurs pris en charge par l'ASE. Le coût moyen de la prise en charge au titre de l'ASE, couvrant le logement, la nourriture, les frais d'éducation et de formation, est estimé en moyenne à 50 000 euros par mineur et par an.
L'État demande en réalité aux collectivités départementales de gérer un problème qui relève du domaine régalien. L'association Départements de France tire donc la sonnette d'alarme, car la situation devient critique, pour ne pas dire dramatique. Les dispositifs de l'ASE, longs à se mettre en place, sont aujourd'hui menacés par cet afflux trop important et non maîtrisé.
Est-ce faire preuve d'humanité que d'enrichir toujours plus les filières mafieuses ou criminelles avec de tels trafics d'êtres humains ? Il est en effet clair que les MNA n'entrent jamais seuls, mais sont aux mains de trafiquants d'êtres humains qui prospèrent sur l'exploitation sexuelle, l'esclavage domestique, la contrainte à commettre des délits, l'exploitation au travail, la mendicité forcée ou la participation aux trafics de drogue.
Ils sont inexpulsables, pris en charge matériellement, et profitent du regroupement familial ainsi que d'un accès facilité à la nationalité française. Aujourd'hui, le dispositif MNA est devenu une filière d'immigration illégale que nous devons stopper afin de protéger l'ASE, donc l'enfance en danger.
L'ASE est un principe de solidarité qui honore la France et mérite d'être défendu. Malheureusement, ce principe est aujourd'hui mis en péril à cause du déséquilibre existant entre la part des mineurs français pris en charge et les MNA, qui sont trop souvent de faux mineurs, à plus de 55%, et sont en réalité des migrants économiques ou des délinquants membres de réseaux favorisant le trafic d'êtres humains ; j'insiste sur cette notion de trafic.
Monsieur le ministre, que comptez-vous faire face à cette situation de plus en plus dramatique pour les jeunes Français relevant de l'ASE et pour nos départements, qui ont déjà tiré la sonnette d'alarme à plusieurs reprises ?
M. Bruno Sido. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Madame la sénatrice, vous demandez ce que le Gouvernement compte faire à propos des MNA. Je me permettrai de vous rappeler ce que nous avons déjà fait à ce sujet.
Vous avez raison, cette préoccupation est exprimée dans un grand nombre de territoires, car les départements sont en première ligne. Conjointement et de manière globale, l'État et les départements ont renforcé leur politique d'aide sociale à l'enfance ; j'ai cru comprendre qu'il s'agissait de l'une de vos préoccupations. Entre 2007 et 2021, les mesures à destination de l'ASE ont progressé de près de 30% : l'État et les départements se sont mobilisés face au phénomène que vous décrivez.
Permettez-moi de rappeler quelques chiffres. Le dispositif de soutien de l'État aux départements au titre de la protection de l'enfance représente 214 millions d'euros. Les contrats départementaux de prévention et de protection de l'enfance, au coeur des problèmes que vous indiquez, représentent 140 millions d'euros. Pour la prévention des sorties sèches de jeunes majeurs de l'ASE, qui se retrouvent parfois livrés à eux-mêmes, nous avons renforcé les moyens à destination des départements.
Enfin, pour ce qui a trait aux mineurs non accompagnés, nous avons augmenté le financement de l'État de 30%, à hauteur de 100 millions d'euros en 2024, afin de soutenir la mise à l'abri, l'évaluation de la minorité et de mettre en place une contribution exceptionnelle aux dépenses relatives à l'ASE des départements.
Bref, vous le voyez, madame la sénatrice, nous sommes mobilisés depuis déjà plusieurs années sur ce sujet, avec une coopération exigeante entre l'État et les départements, sans laquelle il n'y a pas de politique publique efficace.
M. le président. La parole est à Mme Jocelyne Antoine. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Jocelyne Antoine. Monsieur le ministre, les dernières mesures du Gouvernement relatives au RSA ont un impact considérable sur les dépenses des départements, qui financent ce dispositif, mais n'ont pas été consultés. Le Gouvernement estime que 34% des personnes ayant droit au RSA ne le demandent pas. Ce sont donc 3,5 milliards d'euros qui s'ajoutent au montant de plus de 10 milliards d'euros déjà versé déjà par les départements. Monsieur le ministre, je doute de l'exactitude de vos chiffres, selon lesquels le financement du RSA serait compensé à 97,5% par l'État.
Cela ne s'arrête pas là : avec le basculement vers le RSA de près de 300 000 bénéficiaires de l'ASS, jusqu'alors financés par l'État, nos départements devront financer 2,1 milliards d'euros supplémentaires. L'État délègue, mais il ne compense pas. Lors de la séance de questions d'actualité au Gouvernement de la semaine dernière, vous reconnaissiez vous-mêmes que les recettes des départements étaient " à la peine ; je vous cite.
Cet effet de ciseaux ne peut pas durer. Comment comptez-vous aider les départements à mobiliser les 5,5 milliards d'euros nécessaires à ce transfert ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Vincent Louault applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Madame la sénatrice, j'insisterai sur un point, celui de notre vigilance concernant le taux de couverture des dépenses du RSA. Je l'affirme, en 2022, ce taux de couverture s'élevait bien à 97,5% ; en 2020, il s'élevait à 85%. Nous l'avons donc amélioré. Pour six départements, à la demande de ces derniers, nous avons procédé à la recentralisation du RSA.
L'un des chantiers qui nous attendent pour aller vers la bonne maîtrise des dépenses des départements est celui de la solidarité à la source, qui affecte directement les départements. L'enjeu est de lutter contre le non-recours au RSA, mais également de simplifier la lutte contre les fraudes. Le préremplissage des demandes de RSA constitue notamment l'un des chantiers majeurs, afin de garantir que ces demandes sont faites avec les bonnes informations relatives aux ressources.
Nous travaillons main dans la main avec les départements sur ce chantier. Nous afficherons le revenu social sur le bulletin de paie, et à compter d'octobre 2024 nous expérimenterons le préremplissage des déclarations trimestrielles, à partir des ressources sociales nettes issues du dispositif de ressources mensuelles (DRM), avant de le généraliser à compter de mars 2025.
Ce grand chantier de la solidarité à la source devra aussi permettre de mieux maîtriser notre dépense, d'éviter les erreurs et de garantir un bon taux de recours. Il s'ajoute à l'autre grand chantier que j'évoquais tout à l'heure, celui de France Travail, dans lequel les départements joueront un rôle clé.
M. le président. La parole est à Mme Jocelyne Antoine, pour la réplique.
Mme Jocelyne Antoine. Monsieur le ministre, je voulais vous faire comprendre que certains départements éprouvent bien plus de difficultés que d'autres. Vous avez parlé des quatorze départements qui bénéficient d'une attention plus particulière au titre du fonds de sauvegarde, mais parmi ces départements de nombreuses nuances existent. Une lecture nationale ne suffit plus, car dans cette liste figurent à la fois des départements très peuplés, comme la Gironde ou les Hauts-de-France, et d'autres comme la Meuse, qui compte 180 000 habitants. Il ne me semble pas que ces départements jouent dans la même cour…
Les départements les plus fragiles, les moins peuplés – ceux que j'appelle les ultraruraux –, doivent être considérés à l'aide d'un prisme différent. Vous avez indiqué dans votre propos liminaire être prêt à vous rendre dans les territoires. En tant que conseillère départementale, je vous accueillerai donc dans la Meuse avec grand plaisir, afin de vous montrer plus précisément les difficultés particulières des départements ultraruraux. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jean-François Husson. Cela va le changer, le Girondin !
M. le président. La parole est à M. Vincent Éblé.
M. Vincent Éblé. J'associe à ma question nos collègues Corinne Narassiguin et Adel Ziane, sénateurs de Seine-Saint-Denis, ainsi que le président de ce département, Stéphane Troussel.
Nos départements sont confrontés à une hausse sans précédent de la demande sociale de la part de nos concitoyens. Pourtant, les réformes successives n'ont fait que réduire leurs marges de manoeuvre financières et accroître la dépendance de leurs ressources à la conjoncture économique : gel des dotations de fonctionnement, transfert de la taxe foncière aux communes, suppression de la CVAE. Cette dépendance financière fragilise leur rôle d'amortisseur de crises, lequel devrait plutôt conduire l'État à les doter d'une structure financière stable et solide.
L'année 2023 illustre la fragilité des budgets départementaux, en raison de la chute généralisée et sans précédent des droits de mutation, pour près d'un quart entre 2022 et 2023. Les situations sont beaucoup plus dégradées pour certains départements, notamment en Île-de-France, où les départements, excepté Paris, ont globalement perdu 800 millions d'euros.
En parallèle, la croissance de la fraction de la TVA affectée aux départements connaît un fort ralentissement : après une forte dynamique en 2022, sa croissance réelle est inférieure à 3% en 2023.
Dans ce contexte, plusieurs départements ont dû fortement réduire leurs investissements pour 2024 et les années suivantes. Pourtant, les collectivités territoriales jouent un rôle majeur pour atteindre les objectifs fixés par la stratégie nationale bas-carbone. Elles devront investir au moins 12 milliards d'euros par an à l'horizon de 2030, soit le double de ce qu'elles dépensent actuellement. Pour la seule rénovation thermique de leurs bâtiments, les besoins sont colossaux, de l'ordre de 3 milliards d'euros par an.
Afin de faire face à ce mur d'investissement, l'État a certes mis en place le fonds vert, qui permet d'apporter un financement complémentaire à certains projets, mais les élus départementaux ne peuvent que constater que cet outil ne répond que très partiellement à l'ampleur des besoins face à l'urgence climatique. Or les départements doivent engager ces investissements dès maintenant : après, il sera trop tard !
Monsieur le ministre, vous le voyez, l'équation est insoluble.
Alors qu'en raison de leurs compétences les départements sont en première ligne pour affronter les grands défis sociaux de notre époque, ils doivent aussi être en mesure d'accélérer drastiquement leurs investissements en matière de transition écologique. Comment comptez-vous les aider structurellement à répondre à ces impératifs de société ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. En ce qui concerne la dépendance financière – je le répète, au risque d'empêcher l'émergence d'un consensus plein et entier dans cet hémicycle –, l'autonomie financière des collectivités territoriales, et singulièrement des départements, a progressé.
En effet, la question pertinente est bien plutôt celle des ressources et de leur libre emploi que celle des ressources fiscales. D'une certaine manière, une ressource fiscale ne garantit rien, surtout si elle est extrêmement variable.
Au risque de me répéter, la TVA est l'impôt le plus dynamique ; elle est plus prévisible que la CVAE, plus protégée des cycles économiques que les DMTO, et elle croît d'année en année. Elle est donc suffisamment dynamique…
M. Jean-François Husson. Et le rabot ?
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Je vous avais prévenus en disant craindre de ne pas être suffisamment convaincant cet après-midi ! (Sourires.) Cependant, les chiffres sont têtus : le basculement vers la TVA est une bonne réponse,…
M. Jean-François Husson. Chat échaudé craint l'eau froide…
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. … elle est une ressource plus dynamique.
Au-delà, nous avons mis en place le fonds vert. Quels que soient les efforts demandés aux services de l'État, nous consacrons 2 milliards d'euros à ce fonds.
M. Jean-François Husson. Ça baisse !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Ce n'est peut-être pas assez selon vous, monsieur le sénateur (M. Jean-François Husson le confirme. – Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.), mais c'est nouveau ! Aucune majorité n'avait créé un fonds vert avant nous. Ce budget vert, dont nous avons débattu ici, est le budget le plus important en faveur de la transition écologique.
M. Bruno Belin. Quel est le rapport ?
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Peut-être faudrait-il faire plus, mais cet effort est historique et personne ne l'avait fait avant nous ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
En outre, je le répète, quels que soient les efforts que nous demandons à chacun, le montant de 2 milliards d'euros du fonds vert est maintenu. Cet effort en faveur des collectivités territoriales est historique (Mêmes mouvements.), afin qu'elles réussissent leur transition écologique et la renaturation en ville, et qu'elles développent des mobilités douces. Cet engagement sera tenu. D'ailleurs, les départements peuvent en bénéficier directement, vous le savez.
M. le président. La parole est à M. Christian Bruyen. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Christian Bruyen. Ce qui conduit très vite tous les départements dans une impasse, c'est l'effet de ciseaux que vous-même évoquez.
Les mesures adoptées pour faire face aux difficultés sont bien insuffisantes : moins de 800 millions d'euros d'après mes calculs ; et encore ! j'inclus la péréquation de solidarité des départements, dite péréquation horizontale.
J'ose dire " moins de ", car, si la somme est importante, nous sommes bien loin des 9 milliards d'euros de reste à charge liés aux allocations individuelles de solidarité (AIS) que les départements doivent supporter, soit 50% de leur coût global.
Cette asphyxie méthodique des départements par des décisions gouvernementales inappropriées ne date peut-être pas d'aujourd'hui, mais ce phénomène s'est vertigineusement, dangereusement, accéléré ces dernières années ; et les ennemis de la décentralisation peuvent ainsi affirmer que les missions de solidarité humaine ne sont pas exercées comme on pourrait l'attendre. Ce n'est pas parce que les décisions sont prises depuis la capitale qu'elles sont mieux adaptées à tous les territoires ou qu'elles coûtent moins cher, bien au contraire !
Je vois deux issues : soit il est temps d'avouer qu'il s'agit d'une stratégie visant à faire des départements de simples opérateurs de l'État, en faisant fi du principe de libre administration des collectivités ; soit il faut urgemment redonner des marges de manoeuvre et une salutaire capacité d'agir à cet échelon départemental, au profit des solidarités humaines et de l'équilibre des territoires.
Monsieur le ministre, je vous pose de nouveau – sait-on jamais ? – la question : êtes-vous prêt ou non à discuter des modalités de rétablissement d'un vrai levier fiscal pour les départements ? Il ne s'agit pas de créer un impôt supplémentaire ; peut-être pourrions-nous par exemple envisager une forme de contribution sociale généralisée (CSG) plutôt qu'une fraction de TVA, mais d'autres solutions sont possibles.
Dans tous les cas, il faut redonner un vrai pouvoir de taux, car c'est en cela que consiste la libre administration des collectivités et non en l'autonomie financière. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Franck Menonville et Vincent Louault applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Nous sommes manifestement en désaccord dans ce débat entre autonomie financière et autonomie fiscale. Nous devons en tout état de cause absolument veiller – c'est ce que nous faisons – à bien respecter un principe de valeur constitutionnelle. Or quel est ce principe ? Celui de l'autonomie financière, vous en conviendrez !
M. Christian Bruyen. Non !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Mais si, je vous le promets ! Il s'agit bien d'un principe de valeur constitutionnelle, raison même de notre vigilance !
Cette autonomie financière progresse-t-elle ? Oui ! Et l'autonomie fiscale ? Non, pas du tout ! Elle a même régressé pour un certain nombre de collectivités territoriales. Mais, au fond, qu'y a-t-il de plus important ? De pouvoir modifier les taux d'imposition dans un territoire, au risque d'organiser une compétition fiscale entre les territoires eux-mêmes… (Vives protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Je vous pose la question ! Nous sommes en train de débattre ! Le plus important est-il donc de risquer d'organiser une compétition fiscale entre territoires, pour attirer qui les entreprises, qui les contribuables, ou bien de garantir, comme nous le faisons en leur octroyant une fraction de TVA, des ressources dynamiques aux collectivités, notamment aux départements, ce qui leur permet de passer au-dessus des cycles économiques et d'éviter les effets de ciseaux ?
Les DMTO sont très sensibles à la conjoncture. La TVA, elle, est très prévisible. Nous avons eu l'occasion de débattre de la CVAE : ce prélèvement est extrêmement cyclique ! Des ressources plus prévisibles ne sont-elles pas préférables ?
L'enjeu de notre débat, le combat que nous menons, c'est que les collectivités disposent de paniers de ressources prévisibles dans le temps. Voilà ce que demandent les élus, afin de pouvoir prendre des décisions d'investissement pour les deux, trois, quatre ou cinq prochaines années.
Comment engager les grands chantiers de la transition écologique avec des ressources variables ? Comment faire quand on ne sait comment évolueront les ressources fiscales d'une année sur l'autre ?
M. le président. La parole est à M. Christian Bruyen, pour la réplique.
M. Christian Bruyen. On nous a endormis avec la loi 3DS. Il aurait été plus simple de ne pas aller si loin dans l'alphabet et d'imaginer une loi 3C : confiance, confiance, confiance ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. David Ros. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. David Ros. À la suite de la déclaration de politique générale du Premier ministre du 30 janvier dernier, nous assistons, hélas, à une baisse drastique des aides sociales dans nos territoires. Mme Briquet vous a déjà alerté, en vous donnant des montants globaux, avec précision et justesse, notamment au sujet de l'ASS.
Puisque vous aimez cette expression, monsieur le ministre, permettez-moi, avec Mme Espagnac, sénatrice des Pyrénées-Atlantiques, de vous inviter à un voyage, à un voyage d'Évry à Biarritz, un voyage non pas pour découvrir les charmes et les richesses du patrimoine de nos deux départements, mais un voyage pour vous montrer à quel point les problématiques de terrain sont identiques et prégnantes dans des territoires pourtant différents.
Ainsi, les ex-bénéficiaires de l'ASS vont, dès 2025, se retrouver dans une situation de précarité intenable. Ils devront alors se tourner légitimement vers les aides potentielles des départements. Le coût induit représente près de 30 millions d'euros dans l'Essonne, alors même que la situation financière y est déjà inquiétante. Il en va de même dans les Pyrénées-Atlantiques.
Nous subissons un effondrement drastique des recettes de DMTO : de 30% dans l'Essonne, soit près de 100 millions d'euros, et de 20% dans les Pyrénées-Atlantiques. Simultanément, le nombre des demandes de RSA reste très élevé : 30 000 en Essonne et 15 000 dans les Pyrénées-Atlantiques.
Monsieur le ministre, le Gouvernement va-t-il participer et compenser tout ou partie des pertes de ressources des départements et participer à l'effort de solidarité ? Sinon, comment envisager que les départements puissent investir dans la transition écologique, sur le réseau routier ou dans les équipements destinés aux pompiers ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Des voyages d'Évry à Biarritz, j'en fais déjà au cours de mes déplacements ! Je me suis d'ailleurs récemment rendu dans le territoire de Mme Espagnac, à l'occasion d'un déplacement à Biriatou.
Certes, des problématiques sont communes, mais – les chiffres le démontrent – certains départements sont dans des situations très différentes. Ainsi, pourquoi aidons-nous quatorze départements avec ce fonds de solidarité exceptionnel ? Parce qu'ils font face à une situation financière que les autres départements ne connaissent pas. Il faut pouvoir adapter notre réponse, sans quoi vous me reprocherez immédiatement, et avec raison, d'apporter des réponses uniformes depuis Paris et de ne pas comprendre la variété, l'hétérogénéité, des territoires.
Je préfère donc les réponses, construites ensemble, qui identifient les départements le plus en difficulté, en fonction de leurs caractéristiques territoriales. Je pense que nous pouvons nous retrouver sur la nécessité de proposer des dispositifs adaptés.
Au sujet de l'ASS, il faut replacer la réforme de ce dispositif dans le cadre de l'objectif plus global d'atteinte du plein emploi. Ce qui est bon pour les départements, c'est le fait que nous avons réussi, depuis plusieurs années, à briser le chômage de masse dans notre pays, à ramener le taux de chômage à 7,4%, à réduire le nombre de demandeurs d'emploi et de bénéficiaires du RSA. (Mme Gréaume s'exclame.)
Notre combat commun, c'est atteindre durablement l'objectif du plein emploi. Plus personne n'en parle, comme si cela était une évidence, mais rappelez-vous les années de débat sur le chômage de masse !
Je lie donc également la réforme de l'ASS à celle de France Travail, qui consiste à accompagner plus de bénéficiaires du RSA, pour qu'ils sortent plus rapidement du chômage et reprennent une activité. Ce sera bon pour eux et bon pour les départements.
M. le président. La parole est à M. David Ros, pour la réplique.
M. David Ros. Je vous remercie, monsieur le ministre. J'entends dans vos propos que vous êtes prêt, dans le cadre de la réforme territoriale, à réexaminer la question de l'autonomie fiscale des départements, pour tenir compte des caractéristiques de chaque territoire.
Vous avez fait disparaître 10 milliards d'euros, vous proposez de faire réapparaître le plein emploi : nous serions ravis si vous pouviez prêter votre baguette magique aux départements ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Fabien Genet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Fabien Genet. Beaucoup de choses ont déjà été dites, de nombreux sujets abordés. Monsieur le ministre, je souhaite saluer le caractère toujours euphorisant de vos explications sur l'état des finances locales, puisque vous nous donnez l'impression, chaque fois, que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, ce qui laisse dubitatifs un certain nombre d'élus départementaux.
En effet, la réalité est bien différente. Beaucoup de mes collègues l'ont déjà décrite. Votre « cousu main », monsieur le ministre, a un petit arrière-goût de tutelle de l'État sur les collectivités locales. En cette période de fashion week, permettez-moi d'observer que le corset imposé aux départements est bien trop serré et qu'il étouffe le budget de nos collectivités. Laissez-les donc respirer !
Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains. De l'air !
M. Fabien Genet. Nous devons laisser les départements respirer, eux qui, comme la Saône-et-Loire, sont capables d'innover et d'inventer les solutions dont nous avons besoin. Je pense par exemple au financement du très haut débit, au soutien du monde rural ou au financement de grandes infrastructures ou de projets innovants, tels que le Centre départemental de santé, créé par ce département.
Je souhaite vous interroger sur un point précis : la situation financière de nos établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes publics (Ehpad). Dans certains départements vieillissants, la situation est particulièrement inquiétante.
En 2023, parmi les 56 Ehpad du département dont je suis élu, 50 présentaient un déficit de la section dépendance, pour un total de 7,8 millions d'euros, et 36 présentaient également un déficit de la section hébergement, pour un total de 7,9 millions d'euros. À l'échelon national, nous constatons la même dégradation, tant de la proportion des établissements déficitaires que de l'ampleur des déficits.
Face à l'inflation, à la hausse des prix de l'énergie et à l'explosion des matières premières, les départements sont obligés de mettre en place des boucliers tarifaires pour ne pas augmenter le prix de la journée.
Quelles solutions proposez-vous ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Qu'il n'y ait pas d'ambiguïté, je ne nie pas que la situation financière des départements soit difficile en ce moment. Je l'ai reconnu dès mon propos liminaire : il y a des problèmes de ressources et les dépenses sont dynamiques. Simplement, il faut éviter de porter un regard uniforme sur des départements qui sont objectivement dans des situations différentes. Mais en aucun cas je ne nie les difficultés du moment.
D'ailleurs, je vous invite à porter sur les départements un regard différent de celui que vous portez sur les autres niveaux de collectivités territoriales. Les départements ont des caractéristiques particulières liées à leur mission de solidarité et à la nature de leurs ressources, les DMTO, ressources particulièrement affectées par l'évolution des prix de l'immobilier.
Je souhaite aussi féliciter les départements qui ont mis en réserve une partie de leurs recettes de DMTO. Certains départements ont su anticiper le retournement de la bulle immobilière et ont compris que l'on ne pouvait durablement mettre en oeuvre des politiques publiques en se fondant sur l'hypothèse d'une augmentation continue, chaque année, des prix de l'immobilier, et que la conjoncture, un jour, pourrait se retourner.
Un montant de 1 milliard d'euros a été mis en réserve par les départements, dans un grand esprit de responsabilité. La péréquation entre les départements représente 250 millions d'euros. S'ajoutent en outre des dispositifs particuliers de soutien par l'État, je n'y reviens pas.
Pour ce qui concerne les Ehpad, à la suite de la publication du rapport remis par la députée Mme Pires Beaune à la Première ministre, nous avons mis en place l'année dernière un fonds de secours exceptionnel, de 100 millions d'euros, pour accompagner les Ehpad les plus en difficulté. Nous avons également décidé un abondement exceptionnel de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) de 150 millions d'euros, directement pour les départements. Enfin, sur le fondement de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2024, nous expérimentons une réforme structurelle – les Ehpad ont en effet besoin d'une telle réforme – avec la fusion des sections soins et hébergement. Un certain nombre de territoires sont expérimentateurs volontaires et souhaitent aller le plus loin possible en la matière.
M. le président. La parole est à M. Fabien Genet, pour la réplique.
M. Fabien Genet. En ce qui concerne les expérimentations, plutôt que de tout confier à l'agence régionale de santé, nous pourrions aussi faire confiance aux départements. Ils sont un certain nombre à demander d'expérimenter la gestion totale des Ehpad. Il faudra en reparler.
M. le président. La parole est à M. Clément Pernot. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Clément Pernot. C'est également encore en tant que président du conseil départemental du Jura (Sourires.) que je m'exprime, pour vous rappeler, la peine au coeur, ce qu'ont subi les départements au cours des dernières années.
Il y a d'abord eu l'amputation, par les lois NOTRe et Maptam, de compétences stratégiques – notamment le transport, l'économie et l'agriculture, excusez du peu… –, au nom d'une prétendue plus grande efficacité de gestion des grandes régions. Nous voyons le résultat de cette catastrophique technocratie.
Il y a ensuite eu la suppression de tout lien fiscal avec nos administrés, à la suite de la perte du foncier bâti, remplacé par une dépendance à des dotations d'État plafonnées, non indexées sur l'inflation. Nous n'avons plus aucune marge de manoeuvre et nous prenons de plein fouet l'effondrement du marché de l'immobilier. Vous ne pourrez plus, monsieur le ministre, parler d'autonomie financière ; j'ose du moins l'espérer.
En outre, l'augmentation de la rémunération du personnel – sans concertation préalable –, la hausse du RSA et les revalorisations dans le médico-social – sans vision de long terme – détruisent nos capacités financières. Bientôt, la solidarité à la source et la fin de l'allocation de solidarité spécifique nous achèveront.
Dans le même temps, nous subissons l'explosion de nos dépenses sociales liées à la montée des précarités. Les Ehpad sont en difficulté, la protection de l'enfance sature et nous devons faire face à la hausse des flux migratoires, avec l'accueil des mineurs non accompagnés.
Ici même, devant la délégation aux collectivités territoriales du Sénat, le président de l'Assemblée des départements de France, M. François Sauvadet, a parlé d'une véritable asphyxie, avec des conséquences désastreuses sur l'aide au monde rural et sur les communes. Ce constat, que vous connaissez et que donc vous assumez, est analysé par beaucoup comme une condamnation à mort des départements.
Ma question, monsieur le ministre, est donc simple : souhaitez-vous contredire ces affirmations ? Quelles réponses, à la hauteur de la situation, apporterez-vous pour soutenir enfin l'action des départements ?
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Clément Pernot. Jusqu'à présent, vous avez été brillamment habile dans vos réponses, mais je crains que vous n'ayez pas su apporter les réponses structurelles adaptées. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur – ou monsieur le président (Sourires.) –, permettez-moi de commencer en exprimant un désaccord : notre organisation territoriale ne donne pas satisfaction ; c'est le sens du lancement de la mission confiée par le Président de la République à M. Éric Woerth. Ce partage des compétences, cette illisibilité de l'action publique, nous les payons, car parfois tout le monde fait un peu la même chose. Derrière le ruban, nous sommes six ou sept élus. Tout prend du temps et tout cela est, parfois, coûteux pour les finances publiques. Vous le savez, monsieur le sénateur, nous pourrions faire parfois plus vite et moins cher.
Je crois à la nécessité de la réforme de l'organisation de notre action publique locale. Derrière la mission confiée à M. Éric Woerth se dessine la perspective de trouver une organisation plus simple, plus responsabilisante, notamment pour les élus locaux.
M. Fabien Genet. Si c'est Bercy qui décide…
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Ainsi, nous retrouverons de l'air, de la lisibilité et de la confiance dans l'action publique. Nos citoyens ne s'y retrouvent pas ! Ils jugent sévèrement l'action publique, quand ils constatent que chaque démarche demande beaucoup plus de temps que par le passé.
Permettez-moi de vous dire également que la réforme de la fiscalité ne vient pas asphyxier les départements ; il n'y a aucune intention en ce sens ! (M. Laurent Somon proteste.) Je souhaite vous rassurer à ce sujet, monsieur le sénateur. Grâce à la réforme, nous avons remplacé la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) par une fraction de TVA. Or la TVA est, oserai-je dire une nouvelle fois ? un impôt plus dynamique que la taxe foncière et, dans le cadre de cette réforme, vous avez d'ailleurs bénéficié de 250 millions d'euros supplémentaires, grâce au dynamisme de cette taxe. La TFPB n'a pas été remplacée par des dotations.
Bref, il n'existe aucune volonté, monsieur le sénateur, d'empêcher les départements. En revanche, nous souhaitons pouvoir avancer avec les élus et la représentation nationale vers une organisation plus efficace et plus lisible. Je suis convaincu que nous pouvons nous retrouver autour de cet objectif.
M. Fabien Genet. Il y a de quoi s'inquiéter…
M. le président. La parole est à M. Rémy Pointereau. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Rémy Pointereau. Ma question porte sur le soutien de l'État aux départements en matière de gestion de l'eau, domaine dans lequel nous faisons face à une situation d'insécurité juridique croissante et à des défis techniques considérables.
Dans le cadre de notre récente mission d'information portant sur la gestion qualitative et quantitative de l'eau, M. Hervé Gillé et moi-même avons relevé que, à la suite de la suppression de la clause générale de compétence, sur le fondement de la fameuse loi NOTRe, seuls quelques départements ont pu maintenir leur engagement financier et en ingénierie dans le grand cycle de l'eau, créant ainsi une disparité dans la gestion de cette ressource vitale.
Cette technicité et la perte de compétences engendrent un écart entre les ambitions d'une gestion démocratique de l'eau et la réalité. Elles exacerbent les besoins, urgents, face au mur d'investissement que représente la maintenance du petit cycle de l'eau ; et je ne parle pas des bassins d'écrêtement de crue, qui relèvent de la compétence gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (Gemapi) et sont parfois dans le domaine départemental.
Face à une telle situation, les départements comme le Cher ont pris des initiatives louables, à l'image de l'organisme Concert'eau 18, qui oeuvre en matière d'animation du territoire pour une gestion durable de l'eau. Cependant, la réussite et la généralisation de ces initiatives dépendent d'un appui financier et législatif de l'État.
Monsieur le ministre, outre les aides des agences de l'eau, qui, compte tenu des obligations qui incombent à ces dernières, fondent comme neige au soleil, quelles aides financières précises le Gouvernement envisage-t-il de proposer pour soutenir les départements dans leurs projets de politique de l'eau, afin qu'ils assurent une gestion durable et équilibrée de cette ressource essentielle, tout en surmontant les obstacles juridiques actuels ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Lors de nos échanges sur le projet de loi de finances pour 2024, une réponse a été apportée à cette question, qui était posée de manière plus générale, sur ce que l'État était prêt à faire pour accompagner les politiques de l'eau, essentielles pour nos territoires, je vous rejoins sur ce point.
Tel était l'objet du plan Eau et de la réforme des redevances de l'eau. Le débat avait été un peu difficile au sein de cet hémicycle, puisque vous aviez rejeté les articles qui visaient à réformer la politique et les redevances de l'eau pour accompagner un certain nombre d'investissements.
La compétence de l'eau ressortit essentiellement au bloc communal. Les communes peuvent néanmoins contractualiser avec les départements ; les exemples existent et témoignent de collaborations fructueuses entre des départements, qui peuvent financer des travaux d'alimentation en eau, des communes et l'État. En effet, ce dernier, au-delà même du financement des agences de l'eau, est extrêmement présent aux côtés des collectivités territoriales, notamment pour des dépenses d'équipement, grâce à la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), au fonds vert et au fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA).
Grâce au plan Eau, porté par M. Christophe Béchu, nous souhaitons assurer un financement croissant de cette politique, qui reste prioritaire dans de nombreux territoires tels que le vôtre, monsieur le sénateur.
M. le président. La parole est à M. Hervé Reynaud. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Hervé Reynaud. Les différentes interventions en témoignent, le constat est sans appel. De nombreux indicateurs des finances départementales sont dans le rouge. Cette situation conduit les collectivités à jouer sur la variable des investissements. Cependant, il n'y a pas d'autonomie de gestion sans autonomie financière, cela est très clair.
Cette vérité est structurelle. Les recettes des DMTO furent favorables aux départements au cours des dernières années, elles sont maintenant en baisse ; toutefois, c'est bien de manière structurelle que les départements recherchent un certain nombre de produits fiscaux.
Dans la Loire, département dont je suis élu, lors d'une enquête menée auprès des communes, 84 % des maires ont répondu que leurs projets d'aménagement ou de développement de services n'auraient pas pu voir le jour sans le soutien financier du département, qui constitue un échelon de proximité extrêmement efficace.
Le fonds de sauvegarde créé en 2020 n'est plus à la hauteur de la situation des finances des départements et les restes à charge, au gré des transferts de compétences, sont toujours plus importants.
Monsieur le ministre, les départements veulent, en plus d'assumer les dépenses sociales contraintes qui leur incombent, pouvoir continuer à agir et à participer au développement, notamment économique, de leur territoire. Les solidarités humaines en dépendent également.
Nous espérons que, dans le cadre de la mission confiée à M. Éric Woerth, que nous avons pu entendre en audition et lire cette semaine dans Le Journal du dimanche, la recherche d'une véritable autonomie financière permettra aux départements de retrouver une pleine capacité d'action. Cette clarification des compétences ne doit pas faire du département une agence sociale de l'État. Nous espérons que le processus de déconcentration ne finira pas par concentrer l'ensemble des financements dans les mains des préfets et sous-préfets. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, je suis heureux que, au travers de cette question nous puissions esquisser un point de consensus, puisque vous parlez de la " recherche d'une véritable autonomie financière ". Et vous avez raison, c'est précisément ce que nous recherchons. Vous avez sciemment parlé d'autonomie financière, et non d'autonomie fiscale, car nous partageons l'idée que l'enjeu est bien de garantir la libre administration des collectivités territoriales dans leurs missions essentielles, notamment pour ce qui concerne les départements.
L'enjeu est de disposer de ressources stables et prévisibles pour les élus. En effet, comment pouvez-vous investir si vous ne savez pas quelles seront vos ressources au cours des deux ou trois prochaines années ? Il s'agit donc de bâtir ce panier de ressources.
Aujourd'hui, les ressources des départements sont, aux trois quarts, nourries par des ressources fiscales. Il s'agit d'un mélange de DMTO, de taxe de solidarité additionnelle (TSA) et de TVA. Vous jugez le fonds de sauvegarde insuffisant ; il est pourtant porté à 350 millions d'euros et la contribution de l'État a été doublée dans le projet de loi de finances pour 2024, ce qui représente un effort considérable, alors qu'il est nécessaire – votre groupe y est attaché – de redresser nos finances publiques. Ce doublement du fonds de sauvegarde des collectivités représente donc un effort considérable consenti par l'État.
Permettez-moi de fonder les mêmes espoirs que ceux que vous avez exprimés au sujet de la mission confiée à M. Éric Woerth, pour que nous bâtissions une action publique plus lisible, plus efficace et garantissant – je n'ai pas peur de le dire – l'autonomie financière des collectivités territoriales, corollaire de l'exercice de leurs missions.
M. le président. La parole est à M. Hervé Reynaud, pour la réplique.
M. Hervé Reynaud. J'espère que nous pourrons nous rejoindre. Nous avons eu l'occasion d'échanger dans le passé et vous nous aviez alors dit : " On ne se comprend pas. " J'espère donc que nous nous comprendrons. L'effort partagé, pour paraphraser une certaine personne, ce n'est pas dire " Ce qui est à moi est à moi et ce qui est à toi est négociable ", c'est permettre aux départements, demain, d'avoir une autonomie financière réelle et concrète.
Source https://www.senat.fr, le 18 mars 2024