Déclaration de Mme Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse sur l'enseignement privé sous contrat (modalités de contrôle de l'État et équité des moyens vis-à-vis de l'enseignement public), le 6 mars 2024.

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Circonstance : Débat, organisé à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, sur le thème : « Enseignement privé sous contrat : quelles modalités de contrôle de l'État et quelle équité des moyens vis-à-vis de l'enseignement public ? », le 6 mars 2024.

Texte intégral

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, sur le thème : « Enseignement privé sous contrat : quelles modalités de contrôle de l'État et quelle équité des moyens vis-à-vis de l'enseignement public ? ».

Nous allons procéder au débat sous la forme d'une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je rappelle que l'auteur de la demande dispose d'un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

À l'issue du débat, l'auteur de la demande dispose d'un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

(…)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice Monier, la liberté de l'enseignement constitue l'un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, auxquels la Constitution de 1958 a conféré valeur constitutionnelle.

Il en résulte que, si l'organisation d'un enseignement public gratuit et laïque est évidemment un devoir de l'État, cela ne saurait exclure l'existence de l'enseignement privé, non plus que l'octroi d'une aide de l'État à celui-ci. C'est ce qu'a indiqué le Conseil constitutionnel dans une décision bien connue de 1977.

Je remercie donc le groupe SER d'avoir pris l'initiative de l'organisation de ce débat, qui doit nous permettre de clarifier un certain nombre de points relatifs aux moyens et aux modalités de contrôle des établissements d'enseignement privé sous contrat. Ce sujet est important. Il fait parfois l'objet de polémiques, avec des développements tantôt réalistes, tantôt approximatifs, tantôt excessifs. Il convient donc d'objectiver – c'est le mot que vous avez utilisé, madame la sénatrice – l'ensemble des données.

Donc la liberté d'enseignement existe, mais cette liberté n'est pas absolue : elle s'exerce, bien entendu, dans le respect de la Constitution, de la loi et de principes essentiels, tels que celui du droit de l'enfant à l'instruction. Le contrôle des établissements ayant passé un contrat avec l'État est ainsi prévu par le code de l'éducation et s'exerce sur le plan tant pédagogique que financier.

Alors que des financements publics profitent à l'enseignement privé sous contrat et que les enseignants y sont dans leur immense majorité des agents de l'État, il est en effet normal que ce dernier veille à ce que les engagements pris soient respectés.

Au cours des dernières années, nous avons souhaité renforcer ce contrôle sur les établissements privés sous contrat, afin d'en assurer l'effectivité. Cela était, me semble-t-il, attendu, et l'organisation de ce débat nous rappelle justement l'exigence démocratique en la matière. Cette démarche, qui est destinée à conforter ce contrôle et doit être poursuivie, se traduit de manière très concrète. Nous avons ainsi constitué, en 2023, un renfort de 60 équivalents temps plein (ETP) dans les académies, pour permettre la montée en puissance du contrôle des établissements sous contrat. Cet effort n'est pas faible.

Le contrôle que nous assurons sur ces établissements est assuré par des hommes et des femmes qui veillent d'abord au respect des exigences pédagogiques. Celles-ci doivent être évaluées dans des conditions comparables à celles qui existent pour l'enseignement public. En outre, ces hommes et ces femmes veillent aussi au respect de la liberté de conscience des élèves – vous y avez fait allusion –, qui doit demeurer absolument garantie. Nous sommes, de manière générale, particulièrement attentifs au bien-être et à l'épanouissement des élèves, dans l'enseignement tant public que privé ; en ce sens, l'enseignement privé doit aussi agir en matière de prévention et de lutte contre le harcèlement. En un mot, nos inspecteurs s'assurent que le contrat soit bien respecté, et je tiens d'ailleurs à saluer ici leur engagement.

Ce contrôle par la puissance publique est d'autant plus nécessaire que l'enseignement privé bénéficie lui aussi de financements de la part de l'État. C'est un principe ancré dans notre système scolaire depuis la loi dite Debré du 31 décembre 1959 sur les rapports entre l'État et les établissements d'enseignement privés, dans le respect d'un principe de parité avec l'enseignement public.

Aussi, en réaction à l'intitulé de votre débat, qui mentionne d'équité des moyens, permettez-moi de rappeler simplement quelques chiffres, que vous avez d'ailleurs repris en partie. En 2023, les dotations de l'État représentaient 55 % des ressources financières des écoles privées du premier degré et 68 % de celles des écoles du second degré. En comparaison, 59 % des financements des écoles primaires publiques et 74 % de ceux des collèges et lycées publics proviennent de l'État.

Dans les classes sous contrat simple ou d'association, l'État prend en charge – je me contenterai d'une brève énumération – la rémunération et la formation continue des enseignants, les aides directes aux élèves, comme les bourses et le forfait d'externat, ou encore certaines dépenses de fonctionnement.

Le financement des établissements privés fonctionne selon un principe de parité dit « 20-80 ». Le nombre d'élèves scolarisés dans les classes sous contrat représentant environ 20 % de l'ensemble des effectifs scolarisés – c'est en réalité un peu moins, 17 % –, on retient un taux de financement de 20 %, calqué sur ce ratio. Cela correspond au rapport démographique constaté entre l'enseignement privé et l'enseignement public depuis maintenant plusieurs rentrées.

Ces crédits, qui relèvent du programme 139 « Enseignement privé du premier et du second degrés » du budget de l'État, s'élèvent dans la loi de finances initiale pour 2024 à 9 milliards d'euros. Nous veillons de près à ce que ces fonds publics soient utilisés uniquement dans l'intérêt des élèves et dans le respect absolu des principes de la République.

Je souhaite également, comme vous, madame la sénatrice, dire un mot de l'exigence de mixité sociale et scolaire, qui est l'un des objectifs assignés au service public de l'éducation. Nous le voyons en comparant les indices de position sociale (IPS) des deux secteurs, les différences en la matière restent très nettes entre privé et public. Ainsi, à la rentrée scolaire de 2023, l'IPS moyen des collégiens dans le public, hors réseaux d'éducation prioritaire (REP), s'élevait à 106,1, alors qu'il était de 124,1 dans le privé sous contrat ; en outre, cet écart – il faut bien le constater – s'accroît depuis quelques années.

M. Pierre Ouzoulias. C'est bien de le reconnaître…

Mme Nicole Belloubet, ministre. Mais je dis les choses telles qu'elles sont, monsieur le sénateur.

Ce n'est toutefois pas une fatalité, c'est pourquoi nous nous travaillons sans relâche en faveur de la mixité, notamment en la prenant en compte dans la répartition interacadémique des moyens pour le privé. À ce titre, le protocole d'accord sur la mixité signé en mai 2023 par mon prédécesseur, M. Pap Ndiaye, décline un ensemble d'actions qui sont en cours de mise en oeuvre et qui seront prochainement évaluées. Cela est essentiel, car la France reste l'un des pays de l'OCDE où les déterminismes sociaux pèsent le plus sur la réussite scolaire des élèves.

Enfin, disons-le clairement, contrairement à ce qui peut être lu ici ou sous-entendu là, l'État ne favorise pas l'enseignement privé par rapport à l'enseignement public. J'en veux pour preuve l'ensemble des actions et des indicateurs que nous mettons en oeuvre : citons par exemple l'amélioration constante de la qualité de l'encadrement dans le secteur public, sous l'effet des politiques volontaristes menées par le Gouvernement et la majorité, ou encore le développement d'offres de formation attractives dans de nombreux établissements publics, notamment dans des secteurs défavorisés, ce qui permet de faire progresser l'IPS des établissements concernés. Je pense par exemple à des sections internationales de collèges implantés en REP, qui permettent des évolutions positives, ou encore au dédoublement des classes.

Voilà ce que je souhaitais vous dire en propos liminaire, mesdames, messieurs les sénateurs. Le Gouvernement est extrêmement attentif à la parité du financement comme à l'exercice effectif des contrôles.

(M. Dominique Théophile remplace Mme Sylvie Robert au fauteuil de la présidence.)


PRÉSIDENCE DE M. Dominique Théophile
vice-président

Débat interactif

M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique.

Le Gouvernement dispose pour répondre d'une durée équivalente. Il aura la faculté, s'il le juge nécessaire, de répondre à une réplique pendant une minute. L'auteur de la question disposera alors, à son tour, du droit de répondre pendant une minute.

Dans le débat interactif, la parole est à M. Martin Lévrier.

M. Martin Lévrier. S'il est un objectif que nous partageons tous, c'est bien la lutte contre les inégalités de destin. Vous avez d'ailleurs récemment affirmé, madame la ministre, que vous refuseriez tout système de tri social dans notre école ; je salue vos propos. En effet, l'une des conditions pour que notre école fonctionne, pour que nos élèves non seulement acquièrent un savoir académique, mais encore apprennent à construire des liens sociaux, c'est que la mixité sociale soit garantie.

Une note d'analyse de France Stratégie révélait récemment : « Dès la petite enfance, on observe une empreinte massive des caractéristiques “héritées” sur les acquis et les performances, empreinte que n'effacent ni l'accueil des jeunes enfants ni le passage par l'école primaire. Au collège se produisent les premières bifurcations de trajectoires. Puis les orientations en fin de troisième amplifient [l]es divergences. […] Aux inégalités d'accès et de niveau de diplôme se superposent au lycée des inégalités liées à la nature et aux spécialités des formations, dont les choix sont eux-mêmes fortement dépendants de l'origine sociale et du genre des élèves. »

Si l'enseignement privé sous contrat doit justifier en toute transparence l'utilisation des subventions ou du forfait d'externat, par la mise en place d'une comptabilité analytique spécifique, par l'obligation de faire valider ses comptes par un commissaire aux comptes ou encore en communiquant l'ensemble du bilan et du compte d'exploitation à la préfecture pour publication, son implication dans la mixité sociale ne paraît pas aujourd'hui soumise à de tels outils de contrôle ou d'évaluation.

S'il est vrai que certains établissements privés sous contrat font le choix d'une forme d'élitisme, au même titre d'ailleurs que certains établissements publics, la grande majorité d'entre eux s'implique fortement dans cette volonté d'accueil de tous, voire des plus fragiles. Pour avoir été secrétaire général d'un lycée privé sous contrat pendant trente ans, je sais combien cette volonté est nationale et s'inscrit dans le projet pédagogique de l'immense majorité des établissements.

Ma question, madame la ministre, est donc simple : comment agir pour que la mixité sociale soit une réalité et comment proposer des critères objectifs, qui permettront une plus grande transparence des efforts des uns et des autres dans cette démarche d'accueil de tous nos jeunes ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur Lévrier, en effet, nous pensons que l'ensemble des établissements privés, qu'ils soient confessionnels ou laïques, est concerné par les enjeux de mixité sociale et scolaire.

Depuis plusieurs années, le ministère développe avec ses différents réseaux une politique que nous souhaitons très active en faveur de cette mixité. En particulier, le travail conduit avec le secrétariat général à l'enseignement catholique (Sgec), qui représente 96 % des établissements sous contrat, a conduit cet organisme à attribuer aux établissements les plus actifs en matière de mixité une dotation horaire complémentaire. Il a également doté son plan pour les réussites éducatives de plusieurs dizaines d'emplois.

L'État s'est par ailleurs engagé avec le Sgec, comme je le disais à l'instant à la tribune, dans une politique volontariste pour renforcer la mixité sociale. Le protocole signé en 2023 dont j'ai parlé prévoit plusieurs axes, dont les trois principaux sont : améliorer l'information des parents d'élèves sur les caractéristiques des établissements privés sous contrat ; renforcer la mixité sociale, en favorisant notamment la modulation des tarifs en fonction des revenus des parents – 50 % des établissements relevant de l'enseignement catholique devront ainsi proposer sur cinq ans des tarifs modulés – ; enfin, renforcer l'accueil des élèves à besoins éducatifs particuliers. Nous aurons les premiers résultats de la mise en oeuvre de ce protocole au mois de septembre prochain, comme le Sgec s'y est engagé.

En outre, la méthode d'allocation des moyens publics aux académies en matière d'enseignement privé est fondée sur la prise en compte des taux d'encadrement, des évolutions d'effectifs et de l'indice de position sociale, avec une forte pondération qui permet de favoriser les académies qui présentent les IPS les plus bas.

Au fond, cette méthode de répartition interacadémique des moyens correspond au modèle utilisé pour l'enseignement public ; elle prend non seulement en compte les besoins des académies, mais aussi les indicateurs de mixité sociale.

Voilà quelques éléments issus de l'ensemble des actions conduites par le ministère pour parvenir aux fins que vous évoquez, monsieur le sénateur.

M. le président. La parole est à M. Adel Ziane. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Adel Ziane. Madame la ministre, l'enseignement privé sous contrat est tenu par un contrat d'association qui garantit en théorie des engagements de sa part, en contrepartie d'un large financement de la part de l'État, vous l'avez rappelé. Ce contrat prévoit d'importantes prérogatives en matière de contrôle sur l'utilisation de l'ensemble des moyens accordés.

Toutefois, la Cour des comptes, dans son rapport de juin 2023 portant sur l'enseignement privé sous contrat, a dressé un constat alarmant : les mécanismes de contrôle de l'État sont pour le moins limités, voire inexistants.

J'évoquerai à ce titre les trois types de contrôle.

Tout d'abord, le contrôle financier de l'État, censé être assuré par les directions départementales et régionales des finances publiques, est pointé du doigt, car il est largement inappliqué. Rares sont les établissements qui adressent leurs comptes aux directions territoriales des finances publiques dans les trois mois qui suivent la clôture de leur exercice et ces directions ont indiqué, dans le cadre de l'enquête de la Cour, que leurs services n'effectuaient pas ces contrôles.

Ensuite, le contrôle pédagogique réalisé par des inspecteurs académiques est jugé « minimaliste » par la Cour des comptes. Les professeurs délégués, équivalents des professeurs contractuels du public, représentent 17 % des enseignants sous contrat, mais ils sont rarement inspectés, ce qui compromet la qualité de l'enseignement dispensé. Par ailleurs, aucun inspecteur du second degré n'est chargé de vérifier les emplois du temps des élèves.

Enfin, le contrôle administratif, qui relève de l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGÉSR) et des recteurs, est trop sporadique pour être efficace. Un contrôle est destiné, par exemple, à vérifier qu'un professeur rémunéré par l'État n'enseigne pas sur son temps de service à des élèves d'une classe hors contrat, ou encore que les emplois du temps des élèves respectent les termes du contrat.

J'en viens à un dernier point : la Cour des comptes note que le suivi des contrats se révèle peu rigoureux, certains rectorats ne possédant même pas les documents sur la base desquels les sommes, pourtant importantes, sont versées.

Madame la ministre, le Gouvernement doit mettre en oeuvre, à l'échelon des rectorats, un programme de contrôle des établissements sous contrat, en lien avec les directions régionales ou départementales des finances publiques. De surcroît, les responsables de l'enseignement privé se montrent favorables au contrôle prévu par la loi. Que compte donc faire le Gouvernement pour mettre en place, dans les plus brefs délais, les contrôles dans l'enseignement privé sous contrat, contrôles déjà strictement encadrés par plusieurs articles détaillés du code de l'éducation ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur, je vous remercie de votre question, qui pointe de réelles difficultés.

Je l'ai dit précédemment, nous progressons dans la mise en oeuvre de ces contrôles et, comme je l'indiquais, en 2023, nous avons recruté 60 équivalents temps plein à cette fin.

Vous avez raison, il y a essentiellement trois types de contrôles. Le contrôle financier est a priori exclu du champ de compétences du recteur ; toutefois, en application de l'article R. 442-15 du code de l'éducation, les « inspecteurs généraux de l'éducation, du sport et de la recherche disposent des pouvoirs d'investigation financière nécessaires ». Nous mettons en oeuvre ce contrôle de manière progressive lorsque nous prenons en charge le contrôle d'un établissement. Les contrôles augmentent, comme vous l'avez peut-être constaté dans l'actualité.

Quant aux contrôles pédagogiques, ils sont mis en oeuvre essentiellement autour des rendez-vous de carrière des enseignants, puisque cette obligation s'impose au privé comme au public. C'est dans le cadre de ces rendez-vous, imposés pour le suivi de ces enseignants, que nous effectuons ces contrôles.

En ce qui concerne les contrôles financiers – j'aurais pu le préciser tout à l'heure –, nous commençons à mettre en place une programmation. Pour l'année 2023, une dizaine de contrôles sont programmés.

En matière de contrôle pédagogique, je précise que nous avons élaboré un vade-mecum pour donner des éléments très précis à nos corps d'inspection, afin qu'ils puissent effectuer très concrètement ces contrôles.

Enfin, le contrôle administratif est également mis en oeuvre de manière progressive. Comme je vous le disais tout à l'heure, il faut sans doute faire monter en puissance l'ensemble des contrôles. De ce point de vue, nous entendons prendre pleinement nos responsabilités et assumer nos prérogatives.

M. le président. La parole est à M. Max Brisson. (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Max Brisson. Mes chers collègues, l'intervention de Mme Monier m'a fait un petit peu de peine (Oh ! sur les travées du groupe SER.), parce que j'ai pour elle beaucoup de respect et que j'ai souvent apprécié de travailler avec elle.

Pour réduire un peu la caricature, je veux prendre l'exemple des Pyrénées-Atlantiques. Dans ce département, dont je suis élu, parmi les dix collèges présentant l'IPS le plus bas, cinq sont des établissements privés catholiques sous contrat.

M. Pierre Ouzoulias. Ce n'est pas le cas chez moi…

M. Max Brisson. Dans ce département, sur les dix lycées présentant l'IPS le plus bas, trois sont des établissements privés catholiques sous contrat.

M. Pierre Ouzoulias. Là non plus…

M. Max Brisson. Voilà qui tempère quelque peu la caricature souvent entendue… Oui, les situations sont très différentes d'un département à l'autre. Tout n'est pas tout noir ou tout blanc.

Madame la ministre, pour ma part, je n'ai jamais conçu les différentes formes d'enseignement comme une menace pour l'enseignement public, tant je suis convaincu, comme Victor Hugo en son temps, de la hauteur du principe républicain de la liberté d'enseignement, à condition que l'école publique soit belle.

Dans le respect de tous, ne croyez-vous pas que l'on pourrait tous s'améliorer en s'inspirant des réussites des uns et des autres ? Ne serait-il pas temps de mettre un terme, pour de bon, à une certaine caricature et de réaffirmer enfin avec force le principe fondateur de la liberté d'enseignement ? Ne serait-il pas temps d'étudier avec objectivité les modalités de réussite de l'enseignement privé sous contrat ? Alors, sans idéologie ni dogmatisme, nous y trouverions peut-être quelques clés qui pourraient profiter à notre enseignement public. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur Brisson, vous évoquez la situation de l'enseignement privé dans le département dont vous êtes élu. Il se trouve que, ayant été rectrice de l'académie de Toulouse, j'ai pu aussi mesurer la diversité des situations, tant dans l'enseignement public que dans l'enseignement privé. Il est vrai que certains établissements privés accueillent des élèves dans des situations scolaires ou sociales parfois difficiles, nous pouvons nous accorder sur ce point.

Notre souci, c'est de traiter ces établissements, comme je le précisais tout à l'heure, de manière paritaire en matière de financement. Les règles que j'ai exposées, fondées sur le rapport 20-80, nous donnent des éléments d'appréciation objectifs. Notre souci est aussi d'assurer le contrôle pédagogique – je le disais précédemment –, comme nous le faisons pour les établissements d'enseignement public.

Toutefois, il est vrai qu'il existe dans l'enseignement privé des innovations qui méritent d'être regardées avec intérêt, d'être promues ou d'être soulignées, en vue d'un potentiel déploiement. De ce point de vue, je reconnais avoir pu constater, plusieurs fois, que des établissements privés sous contrat mettaient en oeuvre des pratiques pédagogiques innovantes.

En tout état de cause, j'y insiste, mesdames, messieurs les sénateurs, je ne veux en aucun cas opposer les secteurs d'enseignement. Je m'inscris complètement dans le cadre du respect de la liberté d'enseignement, principe à valeur constitutionnelle, je le répète. Nous nous attachons à appliquer le principe de parité en vigueur, tant pour les moyens que pour le contrôle ; c'est ainsi que nous pourrons garantir l'efficacité de notre système éducatif. Nous sommes très attentifs au fait de traiter tous les établissements de manière équitable, en tenant compte des spécificités de chaque régime, mais en veillant à ce que les élèves bénéficient des meilleurs enseignements possible.

M. le président. La parole est à M. Max Brisson, pour la réplique.

M. Max Brisson. Nous progressons, même si ce n'est peut-être pas dans le sens souhaité par les auteurs de cette demande de débat…

Oui, nous pouvons nous inspirer de ce qui se fait de bien dans les différents systèmes. Oui, l'enseignement privé sous contrat contribue aussi, dans certains territoires, à la mixité sociale et à une offre scolaire de proximité.

Merci, madame la ministre, d'avoir rétabli certains équilibres.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Lermytte.

Mme Marie-Claude Lermytte. Madame la ministre, lorsque des enfants sont scolarisés dans une école privée sous contrat d'association, la commune a l'obligation de participer aux dépenses de fonctionnement de l'école.

Le principe de parité entre l'enseignement privé et l'enseignement public mentionné à l'article L. 442-5 du code de l'éducation implique la prise en charge obligatoire des dépenses de fonctionnement des classes élémentaires et maternelles des établissements d'enseignement privé sous contrat « dans les mêmes conditions que celles des classes correspondantes de l'enseignement public ». Ainsi, les communes doivent verser aux écoles privées sous contrat un forfait égal au coût moyen d'un élève scolarisé dans une école publique.

Souvent, en se fondant sur des estimations erronées, les organismes de gestion de l'enseignement catholique (Ogec) réclament des montants bien plus importants que les montants alloués à l'enseignement public. À titre d'exemple, la commune de Beaucamps-Ligny, qui compte 857 habitants, contribue, pour le public, à hauteur de 240 euros pour un élève en classe élémentaire et de 700 euros pour un élève en classe maternelle, contre 2 000 euros par élève dans le privé. Annuellement, le forfait s'élève donc à 100 000 euros, alors que la commune dispose d'un budget de 500 000 euros ; cela se passe de commentaires…

Je tiens également à souligner le grand changement opéré en matière de finances publiques depuis la fixation de l'obligation de scolarisation dès l'âge de 3 ans. Jusqu'en 2019, le forfait communal était appliqué pour les seules classes élémentaires. L'intégration des classes maternelles a fait s'envoler le montant du forfait et les communes, en particulier les plus petites, se trouvent dans une situation budgétaire fragilisée et de moins en moins soutenable.

Aussi, madame la ministre, envisagez-vous de modifier les règles de participation des communes aux frais de fonctionnement des écoles privées sous contrat accueillant des enfants résidant dans leur territoire ? Quelles mesures comptez-vous prendre pour garantir véritablement le respect du principe de parité dans le calcul du forfait communal ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Pierre Ouzoulias. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice Lermytte, nous avons parlé du principe de parité, je n'y reviens pas.

Les classes sous contrat d'association au service public de l'éducation doivent être prises en charge dans les mêmes conditions que les classes correspondantes de l'enseignement public. La participation de la commune est calculée par élève et par an, en fonction du coût de fonctionnement relatif à l'externat des écoles publiques ; en cas d'absence d'école publique dans la commune, sa contribution est égale au coût moyen dans les classes publiques du département.

Il me paraît important de préciser que seules les dépenses de fonctionnement sont prises en compte et non les dépenses d'investissement, qui, vous le savez, sont exclues du forfait communal. Il appartient aux communes de rappeler ces règles et ces principes aux établissements privés sous contrat qui souhaiteraient obtenir des financements plus importants que ceux qui sont prévus par les textes.

Je rappelle également que c'est la collectivité qui fixe, par une délibération, le montant du forfait, conformément à la loi. Il existe donc une délibération de l'organe délibérant.

Aussi, madame la sénatrice, il me semble qu'il faut non pas nécessairement modifier la règle, mais plutôt vérifier le respect de son application. Votre exemple m'a quelque peu étonnée. Vous le citez, il est donc véridique, mais je ne comprends pas très bien comment a été obtenu un tel montant, si ce n'est par une délibération de l'organe délibérant. Comment en arriver là, autrement ?

S'il y a un désaccord avec l'Ogec, la préfecture peut intervenir au titre de son contrôle de légalité. Il est aussi possible de prendre attache avec les services du ministre de l'intérieur pour sensibiliser les préfets à ce sujet, si vous pensez que nous devons le faire.

Vous avez évoqué l'instruction obligatoire dès l'âge de 3 ans et la surcharge financière que cela induirait pour les communes. Ces mesures sont issues de la loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance. Je rappelle que l'État s'est engagé à compenser les surcoûts pour les communes, à condition que celles-ci puissent justifier d'une augmentation des dépenses et du nombre d'élèves. L'instruction des demandes est faite par les rectorats. En cas de contestation, nous pouvons reprendre cette instruction à l'échelon central, au ministère. Ainsi, 46 millions d'euros sont prévus en 2024 pour cette prise en charge spécifique.

M. le président. La parole est à Mme Annick Billon. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Annick Billon. Madame la ministre, les établissements privés sous contrat sont subventionnés à 73 % par l'État. Ils bénéficient également du financement des collectivités territoriales. Un élève dans le privé sous contrat est source d'économies pour les comptes publics. Comment ? Dans le premier degré, l'élève du privé coûte à l'État 55 % du coût d'un élève du public et, dans le second degré, 68 %.

Outre ce constat, des inégalités importantes de moyens persistent entre le public et le privé sous contrat. Si certaines peuvent s'entendre, d'autres ne sont absolument pas acceptables, d'autant qu'elles peuvent avoir des conséquences graves sur l'élève et sa santé.

Plusieurs chefs d'établissements vendéens m'ont récemment fait part des difficultés qu'ils rencontrent. Je vous livre un exemple : un élève du public ayant besoin de faire un bilan psychométrique sera pris en charge par le psychologue scolaire. Dans le privé sous contrat, sa famille devra débourser entre 300 et 400 euros. Ce coût pousse certaines familles à y renoncer.

Plus largement, en 2011, lors de son audition par la Cour des comptes, la direction générale de l'enseignement scolaire (Dgesco) a reconnu qu'en matière de médecine scolaire l'enseignement privé sous contrat constituait une sorte d'« angle mort des politiques publiques ».

Plus de dix ans après, un rapport parlementaire de 2023 sur la médecine scolaire et la santé à l'école précise que le ministère de l'éducation nationale ne dispose toujours pas de données sur la couverture médicale de ces établissements.

Alors que 2 millions d'élèves sont scolarisés dans l'enseignement privé sous contrat, devrons-nous attendre dix ans de plus avant d'obtenir des données consolidées sur la prise en charge de leur santé ? Comment le ministère compte-t-il enfin répondre à cette distorsion et rééquilibrer les moyens d'accompagnement alloués à la santé scolaire dans les établissements privés sous contrat ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. En effet, madame la sénatrice Billon, j'en conviens, nous n'avons pas de données consolidées sur les questions de santé scolaire pour les élèves des établissements privés sous contrat.

Les obligations de l'État concernant la médecine scolaire sont fixées par la loi. La mission de protection et de promotion de la santé en milieu scolaire incombe au ministère de l'éducation nationale. En l'absence de distinction entre les établissements publics et privés, les élèves qui sont inscrits au sein d'un établissement privé sont également inclus dans ce dispositif global de promotion et de protection de la santé en milieu scolaire, au même titre que les élèves des établissements publics.

Par ailleurs, la circulaire du 12 janvier 2001 relative aux orientations générales pour la politique de santé en faveur des élèves, qui a pour objet de fixer le cadre de cette politique, prévoit une application à l'ensemble des élèves scolarisés dans les écoles, les établissements publics d'enseignement, les établissements publics locaux d'enseignement (EPLE) et les établissements privés sous contrat. Le recteur doit définir les objectifs et les modalités de mise en oeuvre de cette politique dans son académie, en tenant compte des axes définis à l'échelon national et, bien sûr, du contexte local.

Bien évidemment, des personnels médicaux de l'éducation nationale interviennent ponctuellement dans les établissements privés sous contrat, notamment dans le cadre des bilans obligatoires, des campagnes de vaccination obligatoire ou bien à la demande des chefs d'établissement en cas de difficulté particulière nécessitant l'intervention d'une équipe pluridisciplinaire.

Les établissements privés sous contrat peuvent toutefois disposer de personnels médicaux de droit privé, sur lesquels nous n'avons pas de visibilité. Pour être parfaitement honnête avec vous, madame la sénatrice, j'ai actuellement en tête les difficultés de la médecine scolaire, dans sa globalité. Nous sommes en train d'élaborer un plan visant à renforcer la médecine scolaire et l'attractivité de ces métiers. Ce dispositif concernera bien évidemment les établissements tant publics que privés.

M. le président. La parole est à Mme Annick Billon, pour la réplique.

Mme Annick Billon. Je vous remercie, madame la ministre, de cette réponse sincère concernant aussi bien les constats que les réponses à apporter. Vous l'avez confirmé, il n'existe pas de données consolidées en la matière.

La caricature dessinée précédemment sur cette question était loin de décrire la réalité des établissements privés sous contrat.

M. Pierre Ouzoulias. Non !

M. le président. La parole est à Mme Monique de Marco.

Mme Monique de Marco. Les faits décrits dans le rapport d'inspection concernant l'établissement Stanislas sont préoccupants, et tout d'abord pour les enfants scolarisés dans cet établissement. Surtout, il frappe par l'opacité de la procédure, ce qui suscite de nombreuses inquiétudes pour tous les établissements privés sous contrats.

Pour que ces faits nous parviennent, il aura fallu un rare alignement des planètes.

Il aura d'abord fallu la résolution personnelle d'un ancien ministre de l'éducation, Pap Ndiaye, pour mettre en place une enquête administrative. Est-il d'ailleurs pertinent que cette décision d'enquête dépende du ministre lui-même, alors qu'il existe 4 870 écoles privées sous contrat et 2 870 établissements secondaires, qui nécessiteraient des contrôles ?

Il aura fallu ensuite la scolarisation des enfants de la ministre de l'éducation dans ce même établissement.

Il aura fallu enfin un enchaînement médiatique et la publication du rapport d'inspection, par voie de presse !

In fine, le maire de Paris a pu prendre connaissance de ce rapport et suspendre ses financements, en attendant que la direction de cet établissement prenne les mesures nécessaires, comme la loi le prévoit. Aussi ai-je demandé à la commission de la culture du Sénat une commission d'enquête visant à mesurer l'efficacité du contrôle de l'État sur le respect des obligations des établissements scolaires privés sous contrat.

Vous avez affirmé tout à l'heure, madame la ministre, que vous aviez progressé pour ce qui concerne les contrôles. Pouvez-vous nous dire comment ces contrôles sont décidés ? Y a-t-il une procédure de contrôle précisément définie de ces établissements, avec publicité des enquêtes, transmission aux collectivités qui financent, transmission au procureur en cas d'infraction pénale et engagement d'une procédure de déconventionnement ? Avez-vous prévu de consolider certaines mesures spécifiques, afin de revoir les modalités des contrôles et de les renforcer ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice de Marco, vous évoquez l'ensemble des événements récents concernant l'établissement Stanislas. Même si je n'étais pas en fonction à ce moment-là, je ne peux pas ignorer ce qui s'est passé.

En ce qui concerne ce collège, une enquête administrative a été diligentée, vous le savez, par l'inspection générale et les autorités, en raison des alertes données et des dysfonctionnements observés. Les conclusions de cette enquête ne constituent pas une mise en demeure, mais elles présentent un ensemble de recommandations extrêmement précises à suivre. Nous les suivons pas à pas. En l'occurrence, il me semble que nous avons exercé le contrôle que nous devions exercer.

Pour ce qui concerne la généralisation de ces contrôles, comme je le disais tout à l'heure, un effort considérable a été accompli. J'ai évoqué des recrutements de personnel, à hauteur de 60 ETP, ainsi que la transmission d'un vade-mecum aux inspecteurs, afin que le contrôle soit systématisé et effectué sur le fondement d'un ensemble de critères objectifs.

Vous avez également affirmé que la procédure était opaque. Je ne le pense pas. Ce que je viens de vous indiquer – les recrutements et l'établissement du vade-mecum – montre que ce n'est pas vrai.

Vous avez en outre évoqué les conséquences de ces procédures de contrôle : les rapports sont-ils publiés ? sont-ils transmis à la collectivité qui finance ou au procureur ? Outre le programme courant d'inspections, les inspections sont systématiquement diligentées en cas de signalement. Du reste, nous n'hésitons pas à appliquer l'article 40 du code de procédure pénale s'il y a des faits pénalement répréhensibles. Dans ce cadre, il y a transmission au procureur, si cela s'avère nécessaire.

M. le président. Veuillez conclure, madame la ministre.

Mme Nicole Belloubet, ministre. Nous ne sommes donc absolument pas dans une optique d'entre-soi ou de refus de transparence. Tout au contraire, ce processus de contrôle mérite la plus grande transparence.

M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.

M. Pierre Ouzoulias. Madame la ministre, ma question s'adresse à la ministre, mais également à l'ancienne professeure de droit public que vous êtes.

L'article 1er de la loi Debré éclaire la situation : « L'établissement sous régime du contrat est soumis au contrôle de l'État. L'établissement, tout en conservant son caractère propre, doit donner son enseignement dans le respect total de la liberté de conscience. » Ces dispositions sont reprises à l'article L. 442-1 du code de l'éducation, selon lequel l'enseignement est dispensé « selon les règles et programmes de l'enseignement public ».

La difficulté d'ordre juridique et presque philosophique réside dans l'articulation entre les obligations de service public et cette notion de « caractère propre », qui n'est pas définie par la loi.

L'enseignement catholique, dans son statut de 2013, en a une définition extensive. Permettez-moi d'en citer l'article 30, selon lequel « l'école catholique […] constitue en elle-même une société ». Aux termes de son article 183, « la tutelle veille à ce que les projets éducatifs soient explicitement fondés sur l'Évangile ». Certains établissements confessionnels demandent même aux parents de signer une charte par laquelle ils acceptent que « le message de l'Église catholique soit présenté et promu comme chemin de croissance et de vérité auprès des élèves ».

La catéchèse est parfois complètement incluse dans le cursus et présentée comme comparable aux enseignements sur le fait religieux du programme national, qui sont fondamentalement critiques, au sens de la critique historique.

Ma question, peut-être un peu complexe, madame la ministre, est la suivante : comment pouvez-vous nous garantir que le « caractère propre » de ces établissements n'entre pas en conflit avec le respect de la laïcité et de la liberté de conscience des élèves et des enseignants ? Pouvez-vous nous donner l'assurance que l'État ne subventionne pas des tâches relevant du caractère propre de l'établissement, ce qui entrerait en totale contradiction avec le principe de la séparation des Églises et de l'État ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur Pierre Ouzoulias, vous le savez, la liberté de l'enseignement est un principe à valeur constitutionnelle, qui fonde l'existence de l'enseignement privé.

Le caractère propre des établissements privés, notamment pour ceux qui revendiquent un caractère propre confessionnel, est bien reconnu par la loi. L'article L. 442-1 du code de l'éducation, que vous avez cité, y fait référence, en établissant que les établissements scolaires privés sous contrat, tout en conservant leur caractère propre, sont tenus de faire preuve d'une certaine neutralité et doivent respecter les programmes de l'éducation nationale et les valeurs de la République. Je le dis ici clairement, les valeurs de la République sont premières ; le caractère propre est un élément qui caractérise l'établissement, mais, au sein de celui-ci, les valeurs de la République sont premières.

M. Pierre Ouzoulias. Très bien !

Mme Nicole Belloubet, ministre. Les écoles et les établissements scolaires privés sous contrat sont donc tenus de faire partager à leurs élèves les valeurs de la République, parmi lesquelles figure la laïcité, que les élèves de tous ces établissements doivent apprendre à respecter. Peuvent s'y ajouter des options autour de ce que le caractère propre d'établissement confessionnel peut porter.

La loi du 2 mars 2022, qui vise à combattre le harcèlement scolaire, a désormais inscrit à l'article L. 111-6 du code de l'éducation une obligation de moyens de lutte contre le harcèlement dans tous les établissements d'enseignement privé ; cela a à voir avec ce dont nous parlons. De manière très concrète, le double respect du caractère propre de l'établissement et des valeurs de la République conduit par exemple à ne pas imposer l'affichage de la charte de la laïcité dans les établissements privés sous contrat, puisque cela relève de la vie scolaire. Toutefois, les établissements doivent respecter, je le répète, les valeurs de la République ; c'est pour moi tout à fait essentiel.

En matière de signes d'appartenance religieuse, c'est le chef d'établissement et le règlement intérieur de l'établissement qui pourront être utilisés pour tolérer ou, au contraire, prohiber certains signes en fonction du caractère de l'établissement.

M. le président. La parole est à M. Bernard Fialaire.

M. Bernard Fialaire. Le lundi 16 octobre 2023, à 11 heures, j'avais un rendez-vous pris longtemps à l'avance dans un collège privé sous contrat de mon territoire. Or il se trouve que, ce jour-là, était prévu un hommage, à 14 heures, au professeur Dominique Bernard, disparu trois jours auparavant. Je me suis enquis auprès du personnel de cet établissement des conditions dans lesquelles cet hommage national serait rendu. On m'a répondu qu'il n'aurait pas lieu parce qu'il avait été remplacé par une prière le matin même. Je souhaite donc savoir si ce type d'initiatives prises de bonne foi, pour ainsi dire (Sourires sur les travées des groupes RDSE et SER.), est connu, courant, recensé et accepté.

Pour ma deuxième question, je souhaite revenir sur le financement par les communes des écoles privées installées sur leur territoire et sur la contribution par élève, fondée sur la moyenne des dépenses des élèves scolarisés dans le public. Lorsqu'une petite commune voit partir des élèves des classes de l'école publique vers l'établissement privé, pour des raisons qui peuvent ne pas dépendre d'elle – je pense par exemple à de l'absentéisme non remplacé, ce que les membres du Gouvernement peuvent comprendre –, la commune est immédiatement et mathématiquement pénalisée, puisque les charges sont alors divisées par un nombre moins important d'élèves. Or le coût du chauffage, qu'il y ait 20 élèves ou 25 élèves dans une classe, reste le même ! La commune subit donc une double peine : elle paie pour davantage d'élèves et, surtout, elle paie plus cher par élève. Ne pourrait-on pas réviser le mode de calcul, en se fondant sur le nombre de places proposées par l'école et non sur le nombre de places occupées ? (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et SER.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. Techniques, ces dernières questions…

M. Pierre Ouzoulias. Vous êtes au Sénat, madame la ministre ! (Sourires.)

Mme Nicole Belloubet, ministre. Absolument, je reconnais bien là la technicité des sénateurs et sénatrices !

En évoquant la façon dont un établissement privé a rendu hommage à Dominique Bernard, vous soulevez la question de ce qui relève du caractère propre d'un l'établissement. Le ministère a diffusé à l'ensemble des réseaux d'enseignement privé sous contrat des recommandations pour organiser un temps de recueillement et d'hommage à Dominique Bernard, comme dans les établissements publics. Toutefois, en vertu de leur caractère propre, les établissements privés sous contrat peuvent bien entendu s'exprimer librement sur tout ce qui ne relève pas du strict respect des programmes scolaires ou des valeurs de la République. Tel est le sens de la loi Debré. Par conséquent, ils ne pouvaient pas être juridiquement contraints d'organiser un hommage national à Dominique Bernard selon les modalités que nous précisions dans nos recommandations. Dans ce cadre, la prière ne pouvait pas avoir lieu sur les temps d'enseignement, car le contrat n'eût alors pas été respecté, elle ne pouvait être organisée que dans le cadre du caractère propre, donc optionnel, lié à l'enseignement religieux. Telle peut être la ligne de partage.

Les écoles et établissements scolaires, qu'ils soient publics ou privés, sont évidemment tenus de faire partager à l'ensemble de leurs élèves, je l'ai dit tout à l'heure, les valeurs de la République, dont la laïcité, que tous ces élèves doivent apprendre à respecter. Ils sont tenus de le faire dans le cadre des enseignements qu'ils doivent dispenser. Les établissements sont également dans l'obligation de veiller au respect de la liberté de conscience, ce qui signifie que cette prière ne pouvait être que facultative, l'instruction religieuse devant toujours rester facultative.

M. le président. Veuillez conclure, madame la ministre.

Mme Nicole Belloubet, ministre. Je reviendrai plus tard sur la question du financement.

M. le président. La parole est à Mme Karine Daniel. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Karine Daniel. Ma question s'inscrit dans la droite ligne des interventions de mes collègues Lermytte et Fialaire, ce qui permettra de répondre, madame la ministre, sur le problème du financement par les communes des écoles privées.

Le code de l'éducation prévoit la participation des communes aux frais de fonctionnement des écoles privées sous contrat avec l'État. Cette participation financière est calculée en fonction du coût par élève, que nous avons précédemment évoqué.

Il a été évoqué pour ce qui concerne les situations particulières en matière de niveau, mais je veux pour ma part insister, comme mon collègue Fialaire, sur les difficultés qu'entraîne ce mode de calcul au regard de la dynamique, à un moment où les effectifs baissent dans certaines écoles publiques, en raison d'effets démographiques ou du transfert du public vers le privé de certains élèves. Par conséquent, le coût par élève augmente, sous le double effet de l'augmentation des charges de fonctionnement et de la baisse des effectifs. Ce n'est pas technique, c'est une simple histoire de dénominateur et de numérateur, et de proportionnalité !

Or les communes subissent ces choix ! Vous avez dit qu'elles adoptent des délibérations, mais celles-ci sont totalement contraintes, puisqu'elles sont liées aux coûts de fonctionnement, qui s'imposent à elles ; je pense notamment au coût de l'énergie, sur lequel les communes n'ont pas de prise.

Pour les communes qui n'ont pas d'école publique, la dotation est calculée sur le fondement d'un coefficient départemental, mais les maires et les fonctionnaires de l'éducation nationale nous expliquent que ce calcul est inadapté.

Madame la ministre, nous attendons des réponses à ce sujet. J'ai compris qu'elles ne seraient pas forcément données ce soir, car tout n'est peut-être pas encore au point, mais vous serez obligée de reconsidérer cette question, notamment en raison de la dynamique démographique, notamment dans les communes rurales. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice, je suis parfaitement au point, même si, parfois, je peux évoluer en fonction des préconisations que vous faites.

Pour ce qui concerne le financement de l'enseignement privé par les collectivités, nous nous appuyons sur le principe de parité, selon lequel la participation de la commune est calculée par élève et par an en fonction du coût de fonctionnement de l'externat des écoles publiques.

Je l'ai dit précédemment et je le répète, seules les dépenses de fonctionnement sont prises en compte, non les dépenses d'investissement. Par ailleurs, les avantages consentis par les collectivités pour le fonctionnement des classes sous contrat ne peuvent pas être supérieurs à ceux qui sont consentis par les mêmes collectivités et dans le même domaine aux classes de l'enseignement public.

Pour répondre directement à votre question, mais également à celle de M. le sénateur Fialaire, s'il est vrai que certaines dépenses sont directement corrélées au nombre d'élèves et de classes, d'autres, en revanche, ne le sont pas. Je pense notamment aux dépenses de chauffage.

Dès lors, les variations d'effectifs à la hausse ou à la baisse au sein de l'enseignement public d'une commune peuvent conduire selon les années à une diminution ou à une augmentation du coût moyen par élève. Il me semble que ces variations peuvent engendrer un effet pervers, comme l'a pointé M. Fialaire, avec une augmentation du forfait par élève du fait du moindre nombre d'élèves dans le public. Toutefois, cet effet pourrait aussi jouer en sens inverse.

Dès lors, l'équilibre trouvé pour le calcul du forfait me paraît difficile à remettre en cause. Cependant, je suis prête à rediscuter de ce sujet avec vous, pour mieux comprendre les éléments que vous avancez.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Belrhiti.

Mme Catherine Belrhiti. Madame la ministre, le thème du débat de ce jour me touche particulièrement. Ayant enseigné au sein d'établissements privés sous contrat pendant trente-cinq ans, j'en connais les avantages et les inconvénients, tout comme les critiques dont le modèle peut faire l'objet.

Il faut, je le crois, rappeler d'emblée une évidence : l'enseignement privé sous contrat est un acteur essentiel du service public de l'éducation de ce pays. Représentant près de 20 % des effectifs scolarisés, il offre une liberté de choix aux parents qui souhaitent, pour des raisons qui leur sont propres, scolariser leurs enfants dans un établissement plutôt que dans un autre.

Notons que la proportion d'enfants scolarisés dans le privé est stable depuis quelques années, tout comme d'ailleurs le financement de ces établissements. Le débat, à mon sens, porte donc non pas sur les moyens investis par l'État, mais véritablement sur les obligations qui incombent à ces établissements, en contrepartie de ces moyens.

J'insiste souvent, au sein de la commission de la culture et de l'éducation, sur le fait que, en tant que citoyens français, nos droits sont nécessairement complétés par des devoirs. C'est là, je le pense, la condition du maintien de notre équilibre démocratique et social. La situation de l'enseignement privé sous contrat doit s'analyser au travers du même prisme. La loi du 31 décembre 1959, dite loi Debré, n'a cherché ni à priver l'État d'un droit de regard ni à priver les établissements privés de devoirs.

L'objectif du contrat d'engagement était au contraire de dégager un compromis permettant de maintenir la liberté d'enseignement tout en instaurant un véritable contrôle de l'État. À l'aune de ce débat, c'est bel et bien ce contrôle qui semble défaillant. À la suite des récents événements, je vous demande donc, madame la ministre, quelles mesures entend prendre concrètement le Gouvernement pour renforcer le contrôle des établissements privés sous contrat, afin de les maintenir dans le cadre légal et les valeurs instaurées par la loi Debré.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. Je vous remercie de votre question, madame la sénatrice. Je serai sans doute conduite à me répéter, dans la mesure où vous avez évoqué l'insuffisance des contrôles, en insistant sur les obligations résultant du contrat d'association.

Je rappelle d'ailleurs ici que ce contrat, très souvent, n'est pas matérialisé : il s'agit non pas d'un papier signé, mais de l'application de la loi.

Selon vous, notre système de contrôle est insuffisant. Je le répète, nous avons pris conscience de ces difficultés, nous avons recruté des agents, en leur donnant des objectifs clairs matérialisés dans un vade-mecum et nous avons des programmes d'inspection. En outre, je le précise, les établissements privés sous contrat sont évalués par le Conseil d'évaluation de l'école. Ce système d'évaluation complète ainsi l'ensemble du dispositif.

Nous sommes donc en train de faire monter ces contrôles en puissance, que nous souhaitons développer dans les trois champs que nous avons évoqués précédemment : financier, administratif et, surtout, pédagogique. J'ajoute également le champ des valeurs de la République, qui relèvent d'obligations importantes.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Belrhiti, pour la réplique.

Mme Catherine Belrhiti. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre. Nous suivrons avec intérêt une telle évolution.

M. le président. La parole est à M. Yan Chantrel. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Yan Chantrel. Tout le monde finance l'enseignement privé par ses impôts, mais, les chiffres l'indiquent, tout le monde n'y a pas accès.

La proportion d'élèves très favorisés dans les collèges privés est de 40 %, soit le double de ce qu'elle est dans le public. L'écart s'est creusé de près de dix points en vingt ans, alors même que les effectifs sont stables. La part des élèves boursiers dans le secondaire est trois fois plus faible dans le privé que dans le public. Il y a là un véritable séparatisme, contre lequel nous devons lutter avec acharnement.

Pis, une étude de 2014 menée par trois chercheurs au moyen d'une expérience contrôlée, inspirée de la méthode du testing, a démontré qu'il existe à l'entrée des établissements scolaires privés une sélection ethnique. Malgré tous les protocoles, rien ne change. De fait, nous n'avons pas, aujourd'hui, les moyens de savoir comment les établissements privés sélectionnent leurs élèves ni de contrôler les efforts qu'ils font, ou pas, en faveur d'une plus grande mixité.

L'extension de l'application Affelnet ou la mise en place d'une plateforme d'inscription dans les établissements privés, à l'entrée en sixième et en seconde, permettrait d'avoir des données précises sur le profil des élèves qui se portent candidats et sur celui de ceux qui sont effectivement retenus par les établissements privés. Une telle plateforme donnerait aussi les moyens à l'État de contraindre l'enseignement privé sous contrat à respecter ce contrat, en accueillant tous les enfants sans distinction d'origine, d'opinion ou de croyance.

Madame la ministre, y êtes-vous favorable ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. J'y suis bien sûr favorable, monsieur le sénateur !

Le constat est partagé : je rappelais dans mon propos introductif les IPS des établissements privés sous contrat, qui sont effectivement plus élevés que ceux des établissements publics hors REP. Cela n'est pas contradictoire avec ce que j'indiquais précédemment à M. Brisson, puisqu'il existe des établissements privés qui accueillent des élèves dont les parents appartiennent à des professions et catégories socioprofessionnelles (PCS) défavorisées. Néanmoins, nous partageons le constat d'un écart entre les IPS.

Certes, le principe de la liberté de choix des familles existe, il découle des exigences liées à la liberté d'enseignement, mais il ne saurait y avoir de ségrégation ethnique. Un établissement ne peut pas refuser d'accueillir un candidat pour des motifs tenant à je ne sais quel critère. Si une telle ségrégation existait, elle serait pénalement répréhensible. Je crois d'ailleurs savoir que certains établissements ont été condamnés pour avoir refusé d'accueillir des élèves qui présentaient un profil refusé par le chef d'établissement. Nous devons être extrêmement vigilants sur ce sujet.

Je ne reviens pas sur ce que j'ai indiqué précédemment sur le protocole lié à la mixité.

M. le président. La parole est à M. Yan Chantrel, pour la réplique.

M. Yan Chantrel. Il y a pourtant une recherche, menée par des chercheurs sérieux, qui montre l'inverse ! Avec ce que je propose, vous avez la possibilité d'exiger de telles données.

Je tiens à le rappeler, la France est le seul pays, avec le Chili de l'ère Pinochet – inspiré par l'école ultralibérale de Chicago –, à subventionner les écoles privées sans exiger aucune contrepartie de mixité sociale scolaire.

À un moment, il faut agir ! Or vous avez la possibilité de contraindre les établissements privés, en exigeant ces données. Dès lors, vous ne pourrez plus dire que vous ne savez pas ou que cela n'existe pas. Je vous le dis, cela existe ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nicole Belloubet, ministre. Bien qu'il ne s'agisse pas d'une contrainte, le premier point du protocole sur la mixité conclu avec l'enseignement catholique porte sur la constitution d'une base de données partagée. J'ai eu l'occasion de rencontrer très récemment le secrétaire général de l'enseignement catholique. La base est constituée, elle sera opérationnelle à compter du mois de septembre prochain. Nous disposerons alors des éléments incluant les indicateurs que vous avez évoqués et que nous contribuerons à renseigner au sein du ministère de l'éducation nationale.

M. le président. La parole est à M. Yan Chantrel.

M. Yan Chantrel. Ce protocole a deux ans, madame la ministre.

Mme Nicole Belloubet, ministre. Il est de mai 2023, monsieur le sénateur : il n'a pas un an.

M. Yan Chantrel. C'est un de vos prédécesseurs, M. Pap Ndiaye, qui l'a mis en place.

Vous vous engagez à nous communiquer des données que nous pourrons partager avec le monde universitaire, afin que les chercheurs puissent les exploiter : oui, la publicité de ces informations est indispensable. Nous pourrons ensuite revenir vers vous pour vous demander, sur le fondement de telles données, de prendre des mesures à l'endroit de l'enseignement privé,…

Mme Nicole Belloubet, ministre. Bien sûr.

M. Yan Chantrel. … c'est-à-dire de le contraindre à respecter la trajectoire définie. Nous savons déjà, en effet, que telle sera la conclusion de ce cheminement, car nous disposons d'ores et déjà des informations utiles, grâce aux recherches menées sur le sujet. Je les partagerai volontiers avec vous, d'ailleurs : vous y trouverez de quoi appuyer les décisions que vous serez conduite à prendre. Ainsi pourrez-vous cette fois faire pleinement respecter le protocole d'accord en y contraignant les établissements ; car il ne sert à rien de signer des protocoles si, au bout du compte, on s'assoit dessus, s'il ne se passe jamais rien, si la mixité n'est jamais au rendez-vous.

Nous comptons sur vous, madame la ministre. (Mme Colombe Brossel applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Anne Ventalon.

Mme Anne Ventalon. Madame la ministre, au mois de décembre dernier, Gabriel Attal annonçait, pour la rentrée 2024, la mise en place de trois groupes de niveau en français et en mathématiques pour les élèves de sixième et de cinquième. Cette réforme nécessite de recruter de nouveaux professeurs. Pour ce qui est de l'enseignement public, la création de 2 330 postes a été annoncée. Qu'en est-il pour l'enseignement privé ? Aucune dotation n'est prévue pour le moment, alors que ses établissements scolarisent, comme vous l'avez dit, près de 20 % des élèves.

Seule la suppression de l'heure de sixième actuellement dédiée à l'approfondissement du français et des mathématiques contribuera au financement, ce qui est loin de couvrir les besoins. Et ce sont donc les moyens ordinaires consacrés par le privé à la création d'options ou de filières ou à des ouvertures de classes qui devront être utilisés ; voilà qui n'est pas acceptable.

Madame la ministre, comment financerez-vous les groupes de niveau dans le privé ?

Par ailleurs, depuis l'entrée en vigueur de la loi dite Debré de 1959, les chefs d'établissement et leurs équipes définissent ensemble leur organisation et un projet éducatif spécifique, pourvu qu'ils respectent les programmes de l'éducation nationale. Pour ce qui concerne les groupes de niveau, les établissements semblent donc les mieux à même de définir leurs besoins. Je rappelle que, dans le privé sous contrat, les collégiens en difficulté en français représentent 15 % des effectifs de sixième, contre, dans le public, 25 % hors éducation prioritaire et 52 % en éducation prioritaire renforcée. On ne saurait donc appliquer la même règle à tous.

Aussi ma deuxième question est-elle la suivante : les établissements privés sous contrat conserveront-ils, en vertu du principe d'autonomie, leur liberté de choix dans l'application de la réforme ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice, je vous remercie de votre question. J'ai eu l'occasion de le dire, nous partageons, avec le Premier ministre et avec l'ensemble du personnel éducatif, privé ou public, une ambition, celle d'élever le niveau scolaire de nos élèves. Nous considérons qu'à cet égard la possibilité de travailler en groupe, en sixième et en cinquième, sur les matières fondamentales que sont le français et les mathématiques constitue l'une des méthodes pédagogiques qui permettent d'élever le niveau de tous les élèves, mais également de prendre en compte la spécificité de chacun d'entre eux.

Pour ce qui est du financement de ces groupes en sixième et en cinquième, nous avons adopté pour le privé la même méthode de répartition que pour le public : d'une part, nous avons redéployé la vingt-sixième heure, dans le privé comme dans le public ; d'autre part, nous avons considéré qu'en fonction des situations propres à chaque établissement des dotations supplémentaires pouvaient ou non être accordées.

Je le disais, j'ai rencontré le secrétaire général de l'enseignement catholique voilà quelques jours. Nous avons évoqué ensemble les difficultés que les établissements qui relèvent de cet enseignement peuvent rencontrer ici et là ; ce sont à peu près les mêmes que dans l'enseignement public. Je veillerai à ce que, dans un cas comme dans l'autre, les groupes puissent être mis en place, car ils sont l'un des éléments qui permettront de garantir le respect et l'effectivité des programmes, dans le privé comme dans le public.

Madame la sénatrice, vous évoquez la liberté des établissements privés, sujet dont il a été beaucoup question cet après-midi. Ma conviction, je le répète, est que le privé et le public partagent une ambition, celle de mieux faire réussir nos élèves. Dès lors, les groupes doivent absolument remplir leur office dans tous les établissements, aussi bien publics que privés, donc être partout mis en place ; je m'y attache résolument.

M. le président. La parole est à Mme Anne Ventalon, pour la réplique.

Mme Anne Ventalon. Je vous remercie, madame la ministre. Peut-être ces groupes de niveau pourraient-ils devenir des « groupes de besoin », selon la situation des établissements, afin que la même règle ne s'applique pas à tous, mais qu'au contraire, le cas échéant, les spécificités de leurs publics soient prises en compte.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nicole Belloubet, ministre. Dans le privé comme dans le public, je fais confiance aux établissements, c'est-à-dire aux équipes pédagogiques : je souhaite évidemment que tous puissent disposer, en fonction des réalités locales, d'un peu de souplesse pour mettre en place ces groupes. Reste que ceux-ci doivent absolument être mis en place ; nous y veillerons.

M. le président. La parole est à M. Stéphane Piednoir.

M. Stéphane Piednoir. N'en déplaise à certains, dans notre pays, plus de 2 millions d'enfants sont scolarisés dans les établissements privés du premier et du second degré, soit environ un élève sur six.

Nous n'en avons pas beaucoup parlé cet après-midi, mais certains établissements font le choix de rester sous le régime des établissements privés hors contrat, qui avait fait l'objet, en 2018, sur l'initiative de notre collègue Françoise Gatel, d'une loi visant à mieux encadrer leur ouverture et leur contrôle.

D'autres, en revanche, saisissent la possibilité, après un minimum de cinq années d'existence, de solliciter un contrat avec l'État, soit sous la forme d'un contrat simple soit sous celle d'un contrat d'association.

Quelle est la nature exacte de ce contrat ? Celui-ci produit des droits, à savoir essentiellement le paiement des salaires des enseignants par l'État et la participation des collectivités territoriales, à des degrés divers, selon la forme du contrat, aux dépenses de fonctionnement. Mais il impose aussi des devoirs, en particulier celui de dispenser les enseignements par référence aux règles et aux programmes de l'enseignement public, ou encore celui d'accueillir les enfants sans distinction d'origine, d'opinion ou de croyance.

Dès lors, nonobstant certaines réactions – il faut le dire – un peu épidermiques et quelques névroses idéologiques que le temps a décidément bien du mal à soigner, ce contrat repose sur un équilibre qui concilie confiance entre les acteurs et contrôle par l'État. Nous savons, du reste, que le contrôle des établissements sous contrat – simple ou d'association – est particulièrement strict ; il inclut par exemple l'évaluation des enseignants, organisée à peu près de la même façon que dans l'enseignement public, ainsi que, depuis l'entrée en vigueur de la loi du 24 août 2021, la garantie du respect des valeurs de la République.

Je n'ai aucun doute sur les faits que d'éventuels manquements à ces engagements puissent être identifiés et signalés, dans le privé comme ailleurs.

Madame la ministre, vous avez plusieurs fois fait état, durant ce débat, des moyens dont dispose votre ministère pour effectuer ces contrôles selon une périodicité raisonnable. Pouvez-vous nous communiquer des chiffres un petit peu plus précis quant aux manquements identifiés dans l'exercice des fonctions des enseignants et des directeurs d'établissement de l'enseignement privé au cours des dernières années ? Pouvez-vous nous indiquer également, le cas échéant, de quelle nature sont lesdits manquements ?

M. Pierre Ouzoulias. Il n'y a aucune remontée des chiffres !

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur, pour information, et bien qu'en effet cela ne soit pas le sujet de notre débat, je vous signale qu'en matière de contrôle des établissements hors contrat nous avons beaucoup progressé : ces établissements sont désormais systématiquement contrôlés la première année. Le nombre de contrôles y a été multiplié par trois en cinq ans. L'effort est donc massif et 20 % des contrôles débouchent sur des mises en demeure, qui peuvent donner lieu à fermeture administrative, comme récemment à Nice.

Pour ce qui est du contrôle des établissements privés sous contrat, je ne reviens pas sur tout ce que j'ai dit, car je craindrais de vous lasser. Je vais en revanche vous décevoir : je ne dispose pas de données chiffrées sur les manquements relevés dans le cadre des enseignements dispensés dans ces établissements. Je ne sais d'ailleurs même pas si mon ministère est en possession de tels chiffres ; il faudrait interroger les académies, ce que nous n'avons pas fait : nous n'avons pas centralisé les données qui remontent des académies.

Je ne peux donc pas vous répondre, monsieur le sénateur ; j'en suis confuse. Cette centralisation des informations peut sans doute être organisée, mais, au moment où je vous parle, elle fait défaut.

M. le président. La parole est à Mme Sabine Drexler.

Mme Sabine Drexler. Alors que nous occupent cet après-midi les sujets du contrôle de l'enseignement privé et de l'équité des moyens entre celui-ci et l'enseignement public, la question que pour ma part je me pose, et que d'autres se posent avec moi, est plutôt de savoir si l'engouement croissant pour les écoles privées, dont nous parlons depuis l'ouverture de notre débat, n'est pas le miroir des faiblesses actuelles de l'école publique.

M. Pierre Ouzoulias. Bien sûr !

Mme Sabine Drexler. Madame la ministre, tant que l'État n'investira pas davantage dans son école publique, tant que l'on continuera à fermer des classes sans apporter de réponses claires et fermes aux crises successives que vivent trop d'établissements, les familles seront toujours plus nombreuses à se poser la question du public ou du privé et à faire le choix de scolariser leurs enfants en école privée.

Il est question, dans ce débat, d'équité et de moyens ; mais qu'en est-il de l'équité territoriale ? La ruralité, quant à elle, ne peut pas se payer le luxe de la guerre scolaire, comme le rappelle souvent Max Brisson ; or toutes les politiques publiques qui s'y rapportent se fondent sur des logiques comptables qui ne tiennent pas compte de ses spécificités. Depuis quelques années, on y ferme un à un tous les services publics et une à une toutes nos classes, jusqu'à l'abandon pur et simple de nos écoles de campagne. On crée des regroupements pédagogiques intercommunaux (RPI), qui sont bientôt fusionnés à leur tour pour créer des regroupements pédagogiques concentrés (RPC), des établissements neufs, rationalisés, dans lesquels on continue pourtant encore et toujours à fermer des classes.

Comment, dans ce contexte, ne pas se poser la question de la fiabilité de ce modèle ? En éloignant l'école des habitants, on a petit à petit porté atteinte à la qualité de vie dans nos campagnes et réduit l'attractivité de nos territoires.

Afin de répondre aux attentes des Français, qui sont plus attachés que jamais à leur ruralité, et face au désengagement de l'État, beaucoup de maires prennent aujourd'hui position pour recréer en milieu rural une offre scolaire de proximité, privée ou associative, car ils savent que c'est essentiel pour donner à leurs jeunes l'envie d'y rester et d'y faire leur vie.

Madame la ministre, ma question est simple : que comptez-vous faire pour rapprocher l'école rurale publique des habitants de ces territoires ? (Applaudissements sur des travées des groupes SER et GEST.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice Drexler, le Gouvernement est particulièrement attaché à la place de l'école dans la ruralité. Lorsque j'étais rectrice de l'académie de Limoges – c'était il y a très longtemps –, cette question comptait parmi mes préoccupations majeures.

À la rentrée 2023, près de 18 % des élèves français étaient scolarisés dans 14 800 écoles publiques situées en zone rurale ; ces chiffres vous donnent une idée de la densité de notre maillage scolaire territorial. Les taux d'encadrement y sont favorables et s'améliorent d'année en année, en raison de la déprise démographique. Le nombre moyen d'élèves par classe est à ce jour de 19,4 dans les communes rurales éloignées et de 21,5 dans les autres communes rurales ; ces chiffres sont bas, inférieurs au ratio national, qui est, hors éducation prioritaire, de 22,7 élèves par classe.

Des politiques dédiées aux écoles rurales sont mises en oeuvre ; elles ont été renforcées depuis 2018.

Je tiens ici à rappeler que le Président de la République s'est engagé à ce qu'aucune école rurale ne soit fermée sans l'accord du maire de la commune.

M. Jean-Michel Arnaud. L'engagement portait sur les fermetures de classes !

Mme Marie-Pierre Monier. Non, sur les fermetures d'écoles.

Mme Nicole Belloubet, ministre. L'engagement du Président de la République a bien trait aux fermetures d'écoles.

Je pense également au développement des regroupements pédagogiques intercommunaux – vous les avez cités, madame la sénatrice – ou des réseaux d'écoles. Nous avons pris un certain nombre d'engagements qui tous visent à maintenir la présence des écoles dans la ruralité.

Je rappelle en outre qu'un plan d'action pour notre école dans les territoires ruraux a été lancé par Élisabeth Borne et confirmé via le déploiement du plan France ruralités. C'est dans ce cadre qu'a été créée une instance de dialogue et de coordination entre l'État et les élus, l'Observatoire des dynamiques rurales.

Bref, un véritable effort est consenti pour maintenir la place de l'école publique dans les territoires ruraux. Nous devons bien entendu continuer et je veillerai notamment à ce que, dans les années à venir, les procédures de carte scolaire soient mieux préparées et fassent l'objet d'une anticipation de plus long terme, afin de prévenir les difficultés que vous évoquez.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Do Aeschlimann.

Mme Marie-Do Aeschlimann. Cela a été dit, au cours des derniers mois, plusieurs dysfonctionnements au sein de certains établissements privés sous contrat ont été mis au jour. Cette réalité ne doit pas être éludée : s'il existe des torts, il faut les redresser, sans tomber dans la caricature ni relancer la guerre scolaire.

L'intitulé de ce débat est optimiste : s'interroger sur les modalités de contrôle de l'État, c'est déjà admettre que ce contrôle existe. Le code de l'éducation le prévoit, certes, mais ce contrôle est-il bien effectif partout ? Il semble que non ; or, pour beaucoup, cette situation suffit à instruire sans nuance le procès de l'enseignement privé.

Pourtant, ses établissements n'ont jamais refusé de se prêter à un tel contrôle, comme l'a récemment rappelé le secrétaire général de l'enseignement catholique. De surcroît, les éléments comptables utiles sont à la disposition des élus locaux, le code de l'éducation disposant que des représentants de la collectivité locale compétente siègent au conseil d'administration.

Or, dans son rapport de juin 2023, la Cour des comptes relevait que ce contrôle reste « largement inappliqué ». Les responsabilités sont probablement partagées, et les établissements qui ne respectent pas leurs obligations doivent être rappelés à l'ordre. Il y a aussi matière, sans doute, à améliorer le recrutement des chefs d'établissement pour le rapprocher des exigences qui prévalent dans le public.

Quoi qu'il en soit, il faut traiter les défaillances. Renforcer le contrôle permettra certainement de démontrer aussi que de nombreux établissements peinent à joindre les deux bouts, qu'ils consentent des efforts importants en faveur de l'inclusion et contre le décrochage scolaire, que certains d'entre eux ont déjà créé des caisses de solidarité pour accueillir tous les élèves ou instauré une modulation de la contribution des familles en fonction du revenu des parents pour respecter leurs obligations d'accueil.

Au total, le coût pour l'État d'un élève du privé représente la moitié de celui d'un élève du public. Autrement dit, sans les établissements privés sous contrat, la charge publique supplémentaire serait supérieure à 9 milliards d'euros.

Le contrôle est la contrepartie de la liberté d'enseignement et de l'autonomie reconnue à ces établissements, qui concourent sans but lucratif au service public de l'éducation. Madame la ministre, comment comptez-vous renforcer ce contrôle pour rénover le partenariat entre l'État et les établissements privés, qui est fondé à la fois sur le respect de leur engagement et sur une relation de confiance réciproque ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice, je vous remercie de votre question. Je crains vraiment de vous lasser, car j'ai eu l'occasion à plusieurs reprises de le dire : nous allons renforcer les contrôles financiers et pédagogiques. Nous souhaitons, afin d'organiser leur montée en puissance, programmer un plan d'inspections.

L'un des éléments qui nous permettront de mieux prendre en compte la situation réelle des établissements découle du protocole d'accord qui a été signé avec le secrétaire général de l'enseignement catholique sur la mixité sociale des établissements d'enseignement privés sous contrat. La mise en oeuvre de ce protocole va en effet nous doter d'une base de données partagée ; nous devrions pouvoir, dès le mois de septembre prochain, obtenir des informations sur les modalités de différenciation des contributions demandées par ces établissements aux familles ou sur les mesures à caractère social qu'ils mettent en oeuvre. Nous disposerons également d'un état des lieux relatif aux indicateurs de mixité.

Nous partagerons toutes ces données – je m'y suis engagée auprès de M. le sénateur Chantrel ; elles nous permettront non pas, en l'espèce, de contrôler, mais de mieux savoir, sur la base d'éléments objectifs, ce que sont et ce que font les établissements privés sous contrat.

La mise à disposition des données dont je vous parle s'ajoute donc au déploiement et au développement des contrôles ; ces deux mesures fortes vont nous permettre d'objectiver la situation de ces établissements.

M. le président. La parole est à M. Jean Hingray.

M. Jean Hingray. M. le Premier ministre était, il y a quelques jours, dans le département des Vosges. Au coeur de son déplacement : le travail, le mérite, l'envie d'apprendre, d'apprendre à l'école, comme le voulait Jules Ferry ; ce n'est d'ailleurs pas pour rien que M. le Premier ministre s'est arrêté à Saint-Dié-des-Vosges pour rendre hommage à ce célèbre Vosgien.

Et pourtant, non loin de là, comme dans de nombreuses communes rurales et de montagne, à Girmont-Val-d'Ajol, l'école a fermé il y a bientôt vingt ans, et ce malgré l'action des municipalités successives. S'agit-il désormais d'une enclave sans école ? Non, car un projet d'école alternative a vu le jour depuis lors. Cette école n'est pas reconnue par l'État, mais elle respecte scrupuleusement les programmes académiques. Elle ne reçoit pas un centime de subvention, mais elle permet à de nombreux enfants de retrouver le chemin de l'enseignement.

Une étude de 2018 du Centre national d'étude des systèmes scolaires (Cnesco) sur les inégalités scolaires d'origine territoriale met en lumière l'inégalité d'accès à l'école due aux temps de transport : des temps de trajet trop longs peuvent être préjudiciables à la réussite scolaire.

Ainsi, madame la ministre, en application du principe de continuité du service public et compte tenu de la nécessité de maintenir une offre scolaire de proximité, ne faudrait-il pas envisager d'adapter la carte scolaire aux réalités territoriales, notamment dans les zones de montagne ? Pouvons-nous envisager la mobilisation de la loi Montagne (loi du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne, modifiée par la loi du 28 décembre 2016 de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne) pour éviter la suppression de postes et de classes dans ces zones ?

Je me permettrai pour conclure, madame la ministre, de relayer une proposition de l'Association des maires ruraux de France, qui préconise, au nom des principes d'égalité et d'inclusion, la création dans les communes de moins de 3 500 habitants de réseaux d'éducation prioritaire ruraux dotés de classes de plusieurs niveaux et disposant des mêmes droits que les réseaux d'éducation prioritaire. Qu'en dites-vous ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Sabine Drexler applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur Hingray, c'est un paradoxe que nous vivons : il y a quelque 35 000 communes et nous avons 48 220 écoles. Évidemment, à lire ces chiffres, on a le sentiment que l'adéquation pourrait être atteinte en matière de répartition des établissements. Pourtant, vous avez raison de le souligner, l'accès à l'enseignement dans les zones rurales et de montagne est un enjeu auquel nous devons nous montrer attentifs.

Des réponses adaptées aux territoires ruraux, qui ne sont certes pas complètement parfaites, ont été élaborées au cours des dernières années. Je pense notamment – j'en parlais tout à l'heure – à l'allocation progressive des moyens, qui tient compte de l'indice d'éloignement ; je pense également au programme Territoires éducatifs ruraux, dont bénéficient des écoliers et des collégiens ; je pense enfin – j'y reviens – à l'engagement du Président de la République. Voici ce qu'a déclaré Emmanuel Macron lors d'une conférence de presse le 25 avril 2019 : « Nous devons […] ne plus avoir, d'ici à la fin du quinquennat, de nouvelles fermetures, ni d'hôpitaux ni d'écoles, sans l'accord du maire. » Il y a là autant de mesures de soutien à la ruralité et aux zones de montagne.

Je rappelle également que, toujours au bénéfice de la ruralité, nous avons requalifié 3 000 places d'internat pour faciliter la scolarisation des élèves habitant dans les zones les plus reculées du territoire. Du reste, la loi Montagne prévoit des modalités spécifiques d'organisation scolaire dans les départements qui comprennent des zones de montagne.

Nous travaillons donc, dans chaque département concerné, à identifier les écoles ou les réseaux – vous en parliez, monsieur le sénateur, et votre proposition me semble tout à fait intéressante – qui justifient, parce qu'ils se situent en zone rurale ou de montagne, l'application de modalités spécifiques d'organisation ou l'allocation de moyens spécifiques.

C'est ainsi que nous essayons – avec, je l'espère, quelque chance de succès – de garantir l'égalité des chances entre l'ensemble des élèves.


Source https://www.senat.fr, le 18 mars 2024