Texte intégral
Q - Le CETA, cet accord de libre-échange, conclu entre l'Union européenne et le Canada, est entré en vigueur il y a plus de six ans maintenant, en tout cas en grande partie, et pourtant il n'a jamais été totalement ratifié par la France. Bonsoir, Franck Riester.
R - Bonsoir.
Q - Vous êtes le ministre délégué chargé du commerce extérieur, de l'attractivité, de la francophonie et des Français de l'étranger, invité éco de France Info, ce soir. Le CETA a été signé en 2016, ratifié par l'Assemblée nationale à l'été 2019, mais il n'est jamais arrivé dans la chambre haute. Il arrive donc ce jeudi devant le Sénat, à l'initiative des communistes. Craignez-vous qu'il soit rejeté ?
R - Oui, mais il est encore temps de convaincre les sénateurs de la pertinence de cet accord, qui est un bon accord. Vous savez, moi, je ne suis pas favorable aux accords de libre-échange pour être favorable aux accords de libre-échange par principe, par idéologie. Nous regardons si ce sont des bons accords ou de mauvais accords...
Q - et donc vous dites que c'est un bon accord.
R - C'est la raison pour laquelle nous soutenons cet accord CETA, et nous nous opposons à l'accord avec les pays du Mercosur. Pourquoi c'est un bon accord...
Q - Les communistes promettent un coup de tonnerre.
R - Oui, parce que c'est un accord qui, aujourd'hui, a de nombreuses vertus, qui est mis en oeuvre de façon provisoire, vous l'avez rappelé, depuis plus de six ans, et qui a des résultats concrets positifs pour notre économie, pour nos entreprises, dans tous les secteurs ; parce que nous avons augmenté massivement nos exportations de plus de 33% en six ans. Nous avons dans certains secteurs d'activité comme le textile, comme la chimie, comme les cosmétiques, des évolutions à deux ou trois fois les activités précédentes en termes d'exportations. Et nous avons dans le secteur, sensible en ce moment, de l'agriculture aussi de très bons résultats, avec des exportations en très forte hausse dans les vins et spiritueux, pour les biens alimentaires, et notamment je pense aux produits laitiers, à commencer par les fromages, qui ont vu leurs exportations augmenter de 60%, pour deux raisons : d'abord parce que nous avons dans cet accord permis de protéger nos AOP, vous savez ce qui protège notre Cantal, notre Reblochon, notre Brie de Meaux, mais aussi les pruneaux d'Agen ou le foie gras du Sud-Ouest, qui préservent finalement une partie de notre identité française, avec ces produits qualitatifs qui, avant, pouvaient être copiés au Canada, et qui aujourd'hui ne peuvent plus l'être, d'où l'augmentation des exportations. La deuxième raison, c'est qu'on a baissé massivement... puisqu'il n'y a plus de droits de douane aujourd'hui pour les exportations de fromages, alors qu'il y avait jusqu'à 220% de droits de douane à l'époque.
Q - Et pourtant. Franck Riester, une manifestation est déjà prévue, jeudi matin, devant le Sénat à l'initiative de la Confédération paysanne.
R - Oui, parce qu'il y a toujours, avancée par certains, la peur faite de dire que cela va toucher négativement nos filières sensibles agricoles, comme par exemple le boeuf. Or, cet accord a démontré que, finalement, les filières sensibles n'étaient pas touchées.
Q - On craignait la déferlante de boeuf aux hormones, notamment.
R - Le fameux boeuf aux hormones. Et donc, vous savez, on a beaucoup parlé dans les discussions de la crise agricole, de la nécessité de mettre en oeuvre des mesures miroirs. Nous soutenons cette idée-là, nous y travaillons avec nos partenaires européens ; et il y a une mesure miroir qui a été mise en oeuvre depuis longtemps, qui permet - ces mesures miroirs, vous savez, permettent d'exiger les mêmes normes sanitaires ou environnementales aux producteurs des pays tiers de l'Union européenne que ce que nous demandons à nos propres producteurs - et il y a une mesure miroir qui a été mise en oeuvre depuis longtemps, qui est la mesure miroir sur les hormones utilisées comme facteur de croissance pour le boeuf, qui est en activité et qui permet justement de bloquer l'entrée de boeuf aux hormones depuis le Canada. Et c'est pour cela qu'il n'y a pas d'exportation de boeuf depuis le Canada vers l'Union européenne, parce que, aujourd'hui, beaucoup d'élevages au Canada utilisent les hormones comme facteur de croissance. Et donc, c'est la démonstration que ce qu'on dit, que ces mesures miroirs sont utiles. Il n'y a pas à avoir peur, puisque...
Q - Mais ce que vous dites, c'est que cet accord de libre-échange conclu avec le Canada, c'est un bon accord pour les agriculteurs français,
R - Oui.
Q - Et pourtant une partie d'entre eux s'y opposent. Que se passe-t-il, Franck Riester, si cet accord, le CETA, n'est pas ratifié, jeudi, par le Sénat ? Que se passe-t-il concrètement ?
R - Ce serait un mauvais coup pour la ratification de cet accord...
Q - Mais parce qu'il est entré en vigueur, il y a plus de six ans ; qu'est ce qui se passe s'il s'arrête ?
R - De façon provisoire,
Q - Est-ce que ça s'arrête ?
R - Alors, écoutez, je me concentre d'abord sur faire voter le texte, et ensuite...
Q - Là, vous nous avez démontré que c'était un bon accord, notamment pour les agriculteurs français. Mais si votre message ne passe pas et si jeudi les sénateurs rejettent cet accord ?
R - Ce sera un mauvais coup donné à la ratification de cet accord ; nous verrons quelle est la suite du processus législatif pour la ratification, ou pas, de cet accord, et si effectivement nous devons ratifier cet accord, parce qu'il a été ratifié par le Parlement européen, il doit être maintenant ratifié par les parlements nationaux. Il a été voté à l'Assemblée. Il faut qu'il soit voté au Sénat. S'il n'est pas voté au Sénat, ce que j'espère éviter, pour toutes les raisons qu'on a évoquées...
Q - D'où votre présence ici notamment ce soir.
R - Voilà. Eh bien, il faudra voir de quelle manière le processus parlementaire continue. Mais vous savez, ce serait un terrible message envoyé à tous nos exportateurs français, nos viticulteurs, nos producteurs de lait, qui sont contents de trouver les débouchés au Canada, un très mauvais signal pour notre industrie qui utilise par exemple les minéraux critiques achetés au Canada, comme l'uranium ou le lithium, dont nous avons besoin pour nos batteries, notre transition écologique, qui sont grâce à cet accord achetés au Canada. Je pense au pétrole qui est aujourd'hui acheté au Canada, alors qu'il était acheté à la Russie précédemment. Et je pense à toutes ces entreprises qui exportent au Canada, qui exportaient beaucoup moins, et qui exportent grâce à cet accord.
Q - Pourquoi est-ce qu'il faut ratifier le CETA et, dans le même temps, il faut stopper les négociations sur le Mercosur, donc cet accord qui était sur le point d'être signé, d'être conclu entre l'Union européenne et quatre pays de l'Amérique latine, à commencer par le Brésil et l'Argentine ? C'est paradoxal.
R - Mais non, ce n'est pas paradoxal. Sinon il n'y aurait qu'un seul accord général pour tous les pays du monde. C'est parce que, à chaque fois, il y a des accords différents, il y a des conditions différentes.
Q - Mais il était déjà conclu cet accord, Franck Riester, vous le savez.
R - Attendez, c'est parce qu'il y a des conditions différentes qu'on a des accords différents à signer avec telle ou telle zone du monde. Avec l'accord CETA, c'est un bon accord, on le disait, et d'ailleurs pas que nous, François Hollande, Mathias Fekl, qui ont négocié cet accord, ont toujours dit que c'était un accord positif. Donc j'espère aussi que les socialistes seront en phase avec François Hollande, les leaders socialistes à l'époque...
Q - Mais vous, Franck Riester, au Commerce extérieur, il y a quelques années, vous disiez que le Mercosur était un bon accord.
R - Non, non, moi, je n'ai jamais dit ça. Mais nous pouvons dire très clairement que cet accord du CETA est un bon accord. En revanche, le Mercosur, celui avec les pays du Mercosur, qui est en cours de négociation, ne nous convient pas. Nous l'avons dit, je pense que nous avons été clairs. Non seulement nous ne l'avons pas validé, mais nous ne le validerons pas. Pourquoi ? Parce que les conditions, qui sont différentes de celles du CETA, sont mauvaises pour notre agriculture notamment, avec des quotas d'importation très importants et un certain nombre de productions qui ne peuvent pas être bloquées à l'entrée du marché européen parce que nous n'avons pas encore toutes les mesures miroirs, les fameuses dont je parlais tout à l'heure, qui sont mises en application en Europe.
Q - Merci beaucoup. Franck Riester, ministre délégué chargé notamment du commerce extérieur, invité éco de France Info ce soir.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 mars 2024