Texte intégral
Q - On a le plaisir d'accueillir Franck Riester. Bonsoir, Monsieur le Ministre.
R - Bonsoir.
Q - Chargé du commerce extérieur, de l'attractivité, de la francophonie et des Français de l'étranger - ça fait beaucoup.
(...)
Q - J'aimerais qu'on parle du CETA, le traité de libre-échange entre le Canada et l'Union européenne. Il doit être examiné par le Sénat. Je rappelle qu'il est déjà en application depuis 2017...
R - De façon provisoire, en attendant la ratification des différents Etats membres.
Q - Oui, mais en attendant, il est déjà appliqué chez nous depuis 2017...
R - Oui, d'une façon provisoire, oui.
Q - ... et ce sont les élus communistes qui ont profité de leur niche parlementaire au Sénat pour dire "il faut que le Sénat le vote". Pourquoi avoir attendu cette niche parlementaire ? Pourquoi ne pas l'avoir soumis au vote de la représentation nationale ?
R - Alors, il a été soumis au vote de la représentation nationale en 2019.
Q - De l'Assemblée.
R - L'Assemblée nationale, qui l'a voté. Il y a eu beaucoup de débats à l'époque, et il y eu beaucoup de craintes, des gens qui disaient "on ne veut pas soutenir cet accord parce qu'il y aura des catastrophes pour notre économie ". On s'est dit "il vaut mieux attendre" - et on n'est pas les seuls, il y a d'autres pays qui n'ont pas ratifié encore -, il vaut mieux attendre de voir les résultats pour pouvoir justifier de la pertinence de ce qu'on disait en termes de soutien à cet accord. Et les résultats sont au rendez-vous ! C'est clair : cet accord est bénéfique pour notre économie, bénéfique pour nos agriculteurs. C'est +33% d'exportations tous secteurs d'activité confondu. C'est un excédent commercial dans le secteur de l'agriculture et des biens agricoles qui a triplé en six ans, à presque 600 millions d'euros d'excédents. Ce sont les services qui ont explosé, avec +71% d'exportations. C'est une part de notre identité qui est protégée aussi, avec les AOP - vous savez, ces indications géographiques protégées (IGP) qui sont protégées au Canada pour protéger le Cantal, protéger le Roquefort, les pruneaux d'Agen, le Reblochon, le foie gras du Sud-Ouest -, ce qui évite que les Canadiens en fabriquent et qui évite qu'ils soient copiés et que le nom soit utilisé d'une façon illégale. Et tout ce qu'il y a dans cet accord est bénéfique à notre agriculture, et y compris pour les filières les plus sensibles, auxquelles évidemment on a un regard et une action toute particulière, à commencer par les élevages de viande bovine....
Q - Parce qu'on en importe beaucoup, quand même, de la viande bovine.
R - Eh non, justement, on n'en importe pas, on en importe très peu. On est en excédent. Alors, ce sont des petits volumes, mais on est en excédent ; nous exportons plus de viande bovine vers le Canada que nous en importons...
Q - Mais on en a importé 52 tonnes, non ?
R - 52 tonnes, mais ce n'est rien sur le marché français...
Q - Cela me paraît énorme, moi, mais bon...
R - Mais non, cela représente 0,0034% du marché français du boeuf. Et pourquoi il n'y a pas d'exportation ? Ce n'est pas parce que les exportateurs canadiens, les éleveurs canadiens ne veulent pas l'exporter en Europe, c'est parce qu'ils ne peuvent pas le faire.
Q - Parce que ce n'est pas aux normes ?
R - Parce que contrairement à ce que certains disent, il y a dans la législation européenne des dispositions, qu'on appelle des mesures miroirs, qui empêchent le boeuf aux hormones, les boeufs élevés avec des antibiotiques, de venir sur le marché français et européen. C'est pour ça qu'ils n'exportent pas. Donc on a bien là, ici, un très bon accord avec un grand pays francophone, une grande démocratie qu'est le Canada, grand ami de la France, et qui est très bénéfique pour notre pays à différents titres que je viens de rappeler. Ce qui est fou, c'est que les sénateurs de droite s'apprêtent, a priori, - après, j'espère encore les convaincre - de voter avec les communistes contre cet accord, au mépris de tout ce qu'ils ont défendu dans le passé. Et bien sûr on comprend pourquoi : parce qu'il y a les élections européennes, ils veulent faire un coup.
Q - Bah, ils veulent vous mettre en difficulté, oui...
R - Voilà, ils veulent faire un coup.
Q - Un peu faire de la politique.
R - Mais ce n'est pas nous que cela met en difficulté, ce sont les agriculteurs, ce sont les entrepreneurs qui exportent, ce sont les viticulteurs qui exportent au Canada que l'on va pénaliser et qu'on va mettre en difficulté. Je trouve qu'on ne doit pas instrumentaliser un accord qui est aussi bon à des fins électoralistes. Donc je me mobilise, avec d'ailleurs un certain nombre de sénateurs centristes de la majorité, mais aussi qui sont dans la majorité sénatoriale du groupe d'Hervé Marseille, de l'UDI, qui sont en soutien de cet accord. Et puis, je le dis aussi aux sénateurs socialistes, c'est François Hollande et ses équipes qui, à l'époque, ont conduit les négociations, ont soutenu avec force cet accord. Donc soyons en cohérence, soyez en cohérence avec celles et ceux, vos collègues, qui à l'époque ont négocié ce bon accord.
Q - Monsieur le Ministre, qu'est-ce qui se passe si le Sénat rejette le traité CETA ?
R - Ecoutez, moi, je vais vous dire, je me mobilise pour que d'abord ce soit voté...
Q - Bon, mais vous avez évidemment pensé au plan B !
R - Ecoutez, il y a un processus, on verra la suite du processus. Mais c'est un très mauvais coup qui serait donné à ce processus de ratification, parce que quand le Sénat vote contre, eh bien voilà, on est obligé évidemment d'en tenir compte. Et donc, j'appelle tous les sénateurs à se mobiliser et à essayer de défendre là l'intérêt général, et puis de mettre la campagne électorale entre parenthèses, et puis de la recommencer juste après le vote. Parce que là, il en va de l'intérêt de la France, il en va à l'intérêt des Français, il en va de l'intérêt aussi des bonnes relations avec le Canada qui est, vous le savez, aujourd'hui un pays ami francophone et avec qui on bâtit des partenariats, au-delà des partenariats économiques, qui sont des partenariats aussi de souveraineté. C'est eux qui nous fournissent du pétrole aujourd'hui de plus en plus, c'est eux qui nous fournissent des métaux critiques - je pense à l'uranium, demain peut-être le lithium -, plutôt que ça soit la Russie qui nous les fournisse.
(...)
Q - Mais au-delà du fait que je pense que c'est un bon accord, que je ne comprends pas comment les sénateurs LR effectivement peuvent perdre à ce point-là de vue l'intérêt de l'agriculture française et leur culture économique libérale, malgré tout se pose la question de la démocratie : est-il sain qu'un traité qui justement n'a pas été ratifié soit quand même appliqué depuis, à titre provisoire, depuis maintenant six ans ?
R - Ce sont les règles, et ce sont des bonnes règles parce que, justement, cela permet de dire : "avant de ratifier définitivement, laissons-le, voir quels sont les effets sur notre économie, et ensuite prenons les décisions définitives". Je trouve qu'au contraire, c'est une vraie étude d'impact en réel. Et là, l'étude d'impact est gagnante à tous points de vue pour notre pays. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle on a pris un peu de temps pour le transmettre au Sénat, enfin le mettre à l'ordre du jour du Sénat - il se trouve que ce sont les communistes qui l'ont mis, dont acte - et on verra quel sera le vote du Sénat. Mais au contraire, là, on peut juger sur pièce, pas simplement sur la base du traité en lui-même, pas sur la base de craintes ou de menaces qu'on peut comprendre, on peut toujours se dire "quelles seront les conséquences de ce qu'on vote ?" ; eh bien là, on les connaît, elles sont positives pour notre pays.
Q - Mais ça fait peur parce que ça rappelle le Mercosur. Voilà. On se dit "c'est la même chose"...
Q - Qui est un bon accord aussi le Mercosur, exactement pour les mêmes raisons.
R - C'est là où on n'est pas d'accord, c'est que nous, nous soutenons les accords qui nous paraissent très bons, et on ne signe pas les accords qui ne nous paraissent pas aller dans le sens de notre intérêt.
Q - En l'occurrence, le Mercosur.
R - Et c'est le cas pour le Mercosur, qui est une situation très différente. Ce sont les pays de l'Amérique du Sud, Brésil, Argentine notamment, qui n'ont pas le même niveau de développement économique, qui n'ont pas les mêmes secteurs d'activité que le Canada, qui sont les plus demandeurs d'exportation. Et donc on est, nous, à nous opposer à la signature de cet accord avec le Mercosur. Vous le voyez, ce n'est pas par idéologie qu'on soutient cet accord commercial, c'est parce qu'on pense que c'est bon. Il y en a qui sont positifs pour notre économie, on les soutient ; il y en a d'autres qui ne sont pas positifs, eh bien, on ne les signe pas.
Q - Monsieur le Ministre, donc vous vantez les mérites de cet accord, j'entends, effectivement, il y a des aspects positifs. Mais je ne peux pas imaginer, Monsieur le Ministre, que les communistes et les républicains vont voter contre simplement parce qu'il y a l'approche des élections. Il doit quand même y avoir quelques inconvénients à cet accord. Partagez-les aussi avec nous, soyez équilibré dans votre analyse. Il n'y a pas que du bon. Ce n'est pas possible.
R - Ecoutez, d'abord les communistes sont cohérents avec ce qu'ils défendent toujours : ils sont contre le libre-échange, ils sont contre les échanges commerciaux, et donc ils sont en cohérence. Ceux qui ne sont pas cohérents, ce sont les républicains.
Q - Mais pourquoi ?
R - Je vous le dis...
Q - Pour faire un coup politique !
R - Ils disent "ah bah oui, mais on ne peut pas accepter que l'agriculture, nos agriculteurs, soient face à des concurrents qui ne respectent pas les mêmes règles que les agriculteurs français". Je partage la même idée, on ne doit pas laisser nos agriculteurs face à une concurrence déloyale. Mais il se trouve que là, justement, les secteurs d'activité agricole canadiens qui pourraient être en concurrence directe avec nos éleveurs par exemple, sont couverts, si je puis dire, par la législation européenne, ces fameuses mesures miroirs dont on parle beaucoup.
Q - Oui, on en parle beaucoup. Comment ça s'applique concrètement ?
R - Ça s'applique : vous n'avez pas la possibilité d'exporter...
Q - Mais il y a des gens qui vont vérifier les normes là-bas ?
R - Oui, bien sûr ! Et c'est la raison d'ailleurs pour laquelle ils n'exportent pas. Pourquoi croyez-vous qu'ils n'exportent pas en France, les éleveurs canadiens ? Pourquoi vous croyez qu'ils attendent, soi-disant, la ratification de l'accord ? Non, ils pourraient le faire dès maintenant. Ils ne le font pas parce que la législation européenne les empêche de le faire, parce que c'est vrai que beaucoup d'élevages canadiens utilisent des hormones comme facteurs de croissance. Bah c'est interdit en France, c'est interdit en Europe.
Q - Mais ça doit être simple de convaincre les républicains, alors ? Avec vos arguments, franchement... Ça paraît tellement évident, ce que vous dites.
R - Mais évidemment, mais c'est ça qui est fou. Et je vous le dis, demain je le dirai aux sénateurs... Mais la sagesse du Sénat, où est-elle ? Les faits sont là. Ne soyez pas otage, finalement, de votre campagne électorale et ne prenez pas les agriculteurs et les entrepreneurs qui exportent au Canada en otage de votre campagne électorale.
Q - Le message est passé. J'aimerais qu'on parle de la francophonie, parce que vous êtes aussi le ministre de la francophonie. C'est aujourd'hui la Journée mondiale de la francophonie, 320 millions à peu près de francophones à travers le monde, essentiellement en Afrique, on est d'accord ? Le nombre de francophones grandit parce qu'il y a un fort taux de croissance démographique.
R - Oui, tout à fait.
Q - Mais en réalité en Europe, la francophonie, elle s'étiole au profit de l'anglais. Est-ce qu'il faut faire quelque chose pour soutenir la langue française ?
R - Oui, il faut soutenir la langue française, il faut soutenir la francophonie. D'ailleurs les Français n'ont pas suffisamment toujours conscience du fait qu'ils appartiennent à un espace très vaste, l'espace francophone, qui crée des liens, qui permet des ponts, qui permet de bâtir des partenariats, de créer, d'innover à travers des liens spécifiques qui sont ceux de la langue. Et justement, c'est cette journée qui permet de le redire. Le XIXème Sommet de la Francophonie qui sera organisé en France début octobre à Paris, à Villers-Cotterêts, permettra aussi de mettre en avant la francophonie. Et c'est vrai que pour la faire vivre, il faut des opérations, des événements comme ça. Et puis il faut que davantage de personnes parlent français dans le monde. Nous soutenons très fortement, le Président de la République l'a mis comme une de ses priorités en matière de francophonie, c'est de faciliter l'apprentissage du français. Il y a l'AEFE [Agence de l'enseignement français à l'étranger], 580 établissements dans le monde, 400.000 jeunes qui étudient dans les lycées français et écoles françaises. Ce sont les Alliances françaises, qui permettent à de nombreux apprenants dans le monde à apprendre le français. Ce sont tous ces enseignants qui, partout dans le monde, transmettent le français aux jeunes et aux moins jeunes. C'est donc une belle occasion aujourd'hui de dire : sachons, nous Français, saisir les opportunités, que nous offre la francophonie, qui sont extraordinaires.
Q - Et je note avec grand plaisir que vous venez dans Punchline, dont le titre est évidemment britannique, pour vendre la francophonie. Mais c'est vraiment plutôt à nous de...
R - Oui, peut-être que vous changerez prochainement de nom, on ne sait pas !
Q - Peut-être qu'on changera, on mettra "Les phrases fortes de l'actualité" plutôt que " Punchline ". J'aimerais vous faire écouter Rachida Dati qui a été entendue hier après-midi par la commission des affaires culturelles de l'Assemblée. Elle évoque la réécriture des grands classiques de la littérature à la lumière wokiste. Alors, je vous invite tous à participer au débat, mais ce qu'elle dit est assez intéressant.
(...)
Q - Vous êtes d'accord avec ce que dit la ministre de la culture ? Evidemment, on sait à quel point la culture vous est importante.
R - Oui, bien sûr. J'ai toujours défendu, quand j'étais ministre de la culture, la liberté de création, et tout ce qui est censure, évidemment, est à rejeter. Après, il y a certains ouvrages qui méritent peut-être parfois une contextualisation, mais sûrement pas une réécriture, ou des coupes, ou des résumés, bien évidemment.
(...)
Q - Il y a un autre sonore que je voudrais soumettre à notre débat. C'est Marine Le Pen qui, ce matin, a été interrogée sur le choix possible d'Aya Nakamura pour la cérémonie d'ouverture des JO. Elle y voit une provocation d'Emmanuel Macron.
(...)
Q - Et je précise, Marine Le Pen a condamné la banderole raciste qui avait été déployée à l'égard d'Aya Nakamura. Elle chante en français ?
R - Ce propos ressemble bien finalement à Marine Le Pen. C'est vraiment elle, là, on la voit, et on voit bien la différence justement avec celles et ceux qui soutiennent cette idée - on verra si elle se réalise - qu'Aya Nakamura puisse chanter Edith Piaf.
Q - Vous la soutenez, vous, cette idée ?
R - Mais bien sûr ! Ça serait formidable, et c'est sûr que c'est très différent de ce qu'est et défend Marine Le Pen, bien évidemment. Elle est dans la modernité, elle est dans la jeunesse qui veut rassembler par-delà les clivages, c'est une artiste formidable qui est une star dans le monde entier. Je peux vous assurer que, quand vous allez à un concert d'Aya Nakamura, c'est exceptionnel, il y a une ambiance formidable, il y a tous ces jeunes qui se retrouvent. Et qu'elle puisse reprendre une chanson du patrimoine de la chanson française, lors des Jeux olympiques, ce serait un formidable symbole de ce qu'est l'audace française, comme le disait très justement Bruno Le Maire. Je trouve que les propos de Marine Le Pen ne sont vraiment pas au niveau, et c'est un faible mot.
Q - Moi, j'ai hâte d'entendre Aya Nakamura revisiter Edith Piaf.
(...)
Q - Le fait de tendre à la France des débats qui la divisent, c'est la stratégie des gens qui veulent affaiblir la démocratie.
R - Mais cela ne devrait pas la diviser, cela devrait la rassembler. La France, elle est diverse, et c'est une grande fierté si elle pouvait chanter pour la France une chanson formidable du patrimoine français, pour les JO.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 mars 2024