Texte intégral
Q - Bonjour, Franck Riester.
R - Bonjour.
Q - Commerce extérieur, attractivité, francophonie et Français de l'étranger ; c'est le périmètre exact de votre ministère. Merci d'être avec nous.
R - Merci à vous.
Q - À quelques heures de ce vote sur la ratification du CETA, vote à l'initiative des sénateurs communistes et, on vient de l'entendre, en pleine campagne pour les européennes après le mouvement de colère des agriculteurs, eh bien, ils semblent faire mouche - les communistes - puisqu'ils ont rallié à ce camp du refus du CETA, les sénateurs LR, votre ancienne famille politique. Bruno Retailleau, leur chef de file, dit vouloir envoyer un double message, au Gouvernement et à la Commission européenne, en refusant de ratifier le texte. Vous craignez ce matin, Franck Riester, un rejet du texte ? Vous l'envisagez en tout cas ?
R - J'espère l'éviter, mais j'ai l'impression effectivement que les sénateurs de droite, d'une façon sidérante, vont se joindre aux communistes, qui historiquement n'ont pas la même stratégie politique économique que la droite, pour ne pas ratifier.
Q - Pourquoi le font-ils d'après vous ?
R - Effectivement, cet accord du CETA, dont le résumé des points très positifs a été très bien fait par l'éditorialiste, juste avant - on voit bien pourquoi, parce que c'était, comme cela a été dit, une période électorale - et donc on veut instrumentaliser un accord, bon pour nos agriculteurs, bon pour nos entreprises, bon pour notre économie, à des fins électoralistes. J'appelle les sénateurs à mettre entre parenthèses, pendant quelques heures, la campagne électorale et de défendre l'intérêt général au service de nos compatriotes.
Q - Mais c'est vrai, et vous semblez vous y attendre, que les mathématiques ne sont pas trop pour. En tout cas, si la discipline de parti et de groupe politique est respectée, 348 sénateurs, 133 LR ; on y ajoute les communistes 18, plus probablement les socialistes 64, les écologistes 16, clairement, l'arithmétique n'est pas du côté d'une adoption.
R - Non, c'est vrai. C'est pour cela que j'appelle à la fois les sénateurs de droite, les sénateurs LR, à défendre plutôt l'intérêt, encore une fois, de notre pays et des agriculteurs et des entreprises de ce pays qui s'exportent et qui trouvent des débouchés pour, par exemple les viticulteurs, pour les fabricants de fromages, pour les producteurs de lait, plutôt que de jouer la politique. J'appelle aussi les socialistes, sénateurs socialistes, à être cohérents avec eux-mêmes. Ce sont les mêmes qui ont soutenu François Hollande, Président de la République, quand il négociait avec les Canadiens, ce texte - c'est sous François Hollande que ce texte a été négocié - donc chacun doit être cohérent par rapport à cela. J'aimerais en fait peut-être que le Sénat soit fidèle à sa tradition, cette tradition de sagesse, en étant un petit peu déconnecté des tensions politiques du moment, et de ne pas utiliser, de ne pas faire de cet accord finalement un bouc émissaire aussi des problèmes agricoles. Il y a des problèmes agricoles, nous devons les regarder en face, mais ne pas priver nos agriculteurs, justement, de débouchés utiles au Canada.
Q - Si le Sénat dit non, le CETA repasse devant les députés. Là encore, adoption litigieuse puisqu'il n'y a pas de majorité franche en faveur du Gouvernement. Cela concerne en fait l'ensemble des 27, Franck Riester ; puisque si un pays dit non, en principe, l'accord, l'application de l'accord est suspendue ailleurs. Même si on a vu, par exemple, que les Chypriotes, eux, n'ont pas signalé, n'ont pas notifié le refus de leur parlement aux autorités européennes et que, du coup, malgré le refus là-bas, l'accord reste en vigueur.
R - C'est un accord mixte à la fois économique, commercial, mais aussi politique, qui nécessite non seulement la ratification par le Parlement européen, mais aussi par les parlements nationaux. C'est pour cela qu'ils sont saisis, le temps d'un processus assez long. C'est d'ailleurs pour cela aussi qu'il y a une mise en oeuvre provisoire qui vise à pouvoir donner le temps à tous les Etats membres de ratifier et, en même temps, de donner des éléments de preuve, si je puis dire, sur les conséquences de la mise en oeuvre de cet accord. En l'occurrence, on voit bien que depuis sept ans, cet accord qui est mis en oeuvre est un bon accord. Chaque parlement va donc s'exprimer. En ce qui concerne la France, j'appelle une nouvelle fois les sénateurs à le ratifier, comme l'Assemblée nationale l'a fait, parce qu'il en va, non seulement de l'intérêt général économique, mais aussi des bonnes relations avec le Canada. Regardez dans ce monde instable dans lequel nous sommes, avec des impérialismes qui s'affirment partout, avec des régimes autoritaires qui ont recours à des pratiques déloyales. Nous devons pouvoir bâtir des partenariats solides avec des partenaires qui sont une grande démocratie, francophones, grands amis et alliés de la France. C'est une occasion formidable de tisser des liens encore plus forts avec nos amis canadiens.
Q - Un mot encore de ce traité, avant d'en venir à la Francophonie, Franck Riester. Vous dites évidemment qu'il n'a fait que bénéficier à la France, que les exportations françaises ont bondi. Ses détracteurs, malgré tout, avancent plusieurs arguments. Le premier, c'est de dire que si jusqu'ici, effectivement, le boeuf canadien n'a pas envahi les marchés européens, à l'avenir, si les éleveurs canadiens s'adaptent, si des portes se ferment pour eux, par exemple vers leur marché naturel - les Etats-Unis - ils peuvent venir sur ce marché européen, la porte est ouverte.
R - Ils peuvent venir s'ils respectent les normes françaises et européennes. C'est ce qu'on appelle des mesures miroirs. Et il y a justement des...
Q - Mais ça n'est peut-être qu'une question de temps.
R - Oui, mais attendez, il y a des mesures miroirs qui empêchent le boeuf canadien aux hormones de venir sur le marché européen. C'est la réglementation française et, demain, européenne, cette mesure miroir sur le boeuf élevé avec des antibiotiques comme facteurs de croissance, qui empêche les Canadiens de venir exporter sur le marché français. Vous le voyez, ce sont donc des sécurités, contrairement à ce qui est dit, qui éviteront dans l'avenir que ces concurrences-là, déloyales d'une certaine façon, puissent venir impacter nos marchés. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle aujourd'hui, d'ores et déjà, les Canadiens n'exportent pas vers la France et vers l'Europe.
Q - En un mot, l'argument environnemental, ce que le Canada exporte vers l'espace européen, ce sont notamment des produits pétroliers. Ce n'est pas un très bon signe dans la période actuelle ?
R - Pardon, mais si, c'est un bon signe, on préfère... On a besoin de pétrole encore, même si on a une stratégie de décarbonation de notre économie, de sortie des hydrocarbures, nous en avons encore besoin. Il vaut mieux plutôt s'approvisionner au Canada qu'en Russie en matière de pétrole, mais aussi en matière de métaux critiques ; je pense par exemple à l'uranium, je pense au lithium demain, je pense au cuivre. Nous avons besoin justement d'avoir des ressources naturelles, que nous n'avons pas en France, depuis le Canada plutôt que de les acheter en Russie ou dans je ne sais quel pays qui est un régime autoritaire.
Q - Je voudrais qu'on parle francophonie puisque c'est aussi, Franck Riester, je le disais, dans votre périmètre, alors que la France ne cesse de céder du terrain dans les pays francophones d'Afrique de l'Ouest. Cette francophonie a-t-elle encore un sens politique, ou est-elle devenue, à vos yeux, simplement un espace d'échanges économiques ?
R - Non. L'espace francophone est une grande chance pour la France, c'est une grande chance pour les francophones qui se retrouvent autour de leur langue, autour de valeurs aussi, bien souvent communes, et qui leur permet de créer, d'innover, d'échanger, d'un point de vue économique, mais d'un point de vue culturel, d'un point de vue scientifique. Nous devons investir encore davantage dans la francophonie. C'est d'ailleurs l'année pour le faire, puisque vous savez que la France va accueillir à l'automne le Sommet de la francophonie, à Paris et Villers-Cotterêts. Hier, c'était la Journée de la francophonie. Saisissons-nous de ces opportunités exceptionnelles que nous offre la francophonie pour innover, créer, entreprendre. C'est vrai avec le Canada, c'est vrai avec l'Afrique francophone, mais c'est vrai avec tous les pays francophones.
Q - Mais vous reconnaissez qu'il y a des brouillages politiques, en quelque sorte. Hier, en RDC, premier pays francophone, on n'a pas célébré cette journée parce qu'on reproche à la Secrétaire générale de l'OIF, Louise Mushikiwabo, d'être peut-être trop pro-rwandaise dans le conflit qui a lieu en ce moment dans l'Est. Il y a ces brouillages-là aussi dans l'espace francophone.
R - Il peut y avoir des tensions, ici ou là, la francophonie n'exclut pas toutes tensions potentielles. Mais enfin, quand même, cela permet de se parler, cela permet de se comprendre, cela permet de partager des choses que l'on ne partage pas avec des gens qui ne parlent pas la même langue. Donc misons sur cette capacité peut-être à régler plus facilement des conflits, s'il y en a. Cela nous permet aussi d'aller de l'avant, d'entreprendre. Et au moment où on échange, y compris en France, toujours des idées pour diviser, pour créer des distances entre les gens, eh bien, la francophonie rapproche.
Q - Un tout petit mot, Franck Riester, d'Aya Nakamura, artiste francophone annoncée pour l'ouverture des JO de Paris ? Cela a suscité un vent de protestations sur les réseaux sociaux. En un mot, c'est aussi votre choix ? Vous le défendez, vous ?
R - C'est une formidable idée, ce serait une formidable opportunité que cette star internationale puisse interpréter un monument de la chanson populaire française, une chanson d'Edith Piaf, au moment des Jeux olympiques. Quel beau symbole, quelle belle représentation de la diversité de la France, de la diversité de la création artistique française. Et donc c'est une idée que je soutiens avec beaucoup de force et de conviction.
Q - Merci, Franck Riester, d'avoir été avec nous, ce matin.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 mars 2024