Déclaration de M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de l'Europe, sur la révision des traités européens, à l'Assemblée nationale le 2 avril 2024.

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Mme la présidente
L'ordre du jour appelle la suite des questions sur le thème : " Conséquences pour la France de la résolution du Parlement européen du 22 novembre 2023 sur les projets du Parlement européen tendant à la révision des traités ".
La parole est à M. Alain David.

M. Alain David (SOC)
Le monde a profondément changé, et lorsque le monde change, l'Europe a la responsabilité de changer également. Cette adaptation est d'autant plus nécessaire que le processus d'élargissement s'est relancé vers l'Ukraine et la Moldavie, ainsi que vers la Géorgie et les Balkans occidentaux. Au Parlement européen, cette nouvelle donne a inspiré des travaux approfondis et opiniâtres afin de doter l'Union de nouvelles règles plus efficaces et plus démocratiques : certaines, comme l'ambitieux plan de relance ou la création décisive d'eurobonds et d'une dette commune, ont pu s'appliquer dans le cadre actuel, d'autres nécessitent une réforme des traités.
Les parlementaires européens issus du Rassemblement national ont, sans surprise, refusé la résolution adoptée le 22 novembre, qui demandait au Conseil européen d'engager le processus de révision des traités avant tout nouvel élargissement. La résolution va pourtant dans le bon sens en réclamant, entre autres, le renforcement des compétences du Parlement, l'augmentation du nombre de domaines dans lesquels les actions sont décidées à la majorité qualifiée, une plus grande participation citoyenne au processus décisionnel, une nouvelle ambition pour une politique commune de défense et une lutte ambitieuse contre les paradis fiscaux. Pour ces raisons, les députés socialistes français qui siègent au Parlement européen, comme la quasi-totalité de leurs collègues du groupe des socialistes et démocrates, ont évidemment soutenu l'adoption de cette résolution.
On comprend sans mal que le RN souhaite monter ce texte en épingle dans la perspective de l'élection européenne, mais restons objectifs : en l'état, il n'a rien de contraignant et de nombreuses étapes restent à franchir avant une éventuelle réforme des traités européens. La demande de révision sera transmise au Conseil européen, qui devra convoquer une convention, puis une conférence ; les représentants des vingt-sept pays européens devront valider l'ensemble avant que nous soyons consultés pour ratifier la révision des traités.

Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué chargé de l'Europe.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de l'Europe
Je ne peux que souscrire à l'essentiel de ce que vous avez dit. Je retiens de vos propos l'idée qu'à traités constants, l'Europe a réussi, lorsque la situation l'exigeait, à faire des pas considérables en avant : je pense à l'emprunt commun, qui a permis de soutenir la résilience et la relance grâce à l'Union européenne.
L'ouverture de la réflexion sur la réforme des traités est bienvenue, mais cette réforme n'aura lieu que si nous franchissons un certain nombre d'étapes. Elle devra notamment être acceptée à l'unanimité par le Conseil puis, une fois les traités révisés, être soumise à la ratification démocratique chaque État membre.

Mme la présidente
La parole est à M. Gérard Leseul.

M. Gérard Leseul (SOC)
Dans ce débat, comme à son habitude, le RN a voulu faire entendre sa petite musique populiste et attiser les peurs plutôt que de proposer des améliorations concrètes à la construction européenne. Comme nous l'avons constaté avec la crise du covid et comme nous le constatons encore avec la guerre qui fait rage à nos portes : au lieu de nous recroqueviller sur nous-mêmes, nous avons besoin d'Europe, pour notre sécurité, pour notre industrie, pour notre agriculture, pour nos emplois et pour nos enfants.
Cependant, l'Europe doit cesser d'être une construction chimérique pour de nombreux citoyens qui se sentent éloignés voire exclus de sa gouvernance. Nous avons besoin d'une Europe plus démocratique, d'une Europe où les citoyens puissent exprimer plus directement leur voix par le mandat confié aux députés européens. Nous voulons une Europe plus transparente, mieux comprise et mieux soutenue par les peuples, une Europe plus ambitieuse et plus efficace qui, par ses réponses collectives, apporte une plus-value incontestable pour tous ses habitants.
La résolution du Parlement européen propose de renforcer la démocratie européenne en donnant un rôle plus important au Parlement européen dans la nomination des commissaires, dans les discussions budgétaires ou encore en matière d'initiative législative. Dans le même objectif de renforcer l'exercice démocratique au sein de l'Union, elle propose aussi d'accroître le pouvoir des parlements nationaux dans le contrôle de subsidiarité ou encore de confier au Parlement européen un rôle de législateur commun. Les députés socialistes souhaitent que la première étape de la révision des traités soit limitée à deux questions essentielles : l'élargissement du champ de la majorité qualifiée et les droits du Parlement européen, qui doit disposer, sans doute mieux encore que notre parlement national, de l'initiative législative, c'est-à-dire de la capacité à proposer des lois européennes, qui est encore un monopole de la Commission. Il doit également exercer un véritable pouvoir budgétaire pour décider, d'égal à égal avec le Conseil, des taxes et impôts européens ainsi que du budget et des ressources propres de l'Union.
Qu'envisage le Gouvernement pour faire du Parlement européen la force centrale de l'Union ?

Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué
Il est vrai que nous sommes réunis à l'initiative du Rassemblement national, qui est certes présent ce soir, mais pas en grand nombre.

M. Grégoire de Fournas
Ils sont deux chez Renaissance !

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué
Pour rendre l'Europe plus démocratique, il faut que nous prenions tous notre part de responsabilité. Si vous êtes présents ce soir, c'est que vous avez jugé opportun de questionner le Gouvernement sur ses intentions. Ce type d'exercice – je prêche pour ma paroisse – gagnerait à être multiplié, notamment à l'approche d'échéances au cours desquels la France défendra, au Conseil européen par exemple, un certain nombre de positions. C'est ainsi qu'à travers leurs parlementaires nationaux, les Français se réapproprieront pour partie l'Europe, qu'ils jugent trop éloignée d'eux.
J'en viens aux deux points que vous avez soulevés, à commencer par la majorité qualifiée. J'ai déjà rappelé que la vision de la France ne consiste pas à exclure par principe toute extension du champ de la majorité qualifiée, même s'il existe sans doute des domaines dans lesquels elle ne serait pas pertinente – je pense aux questions de sécurité et de défense. Peut-être y a-t-il des domaines où elle le serait davantage, mais cela suppose d'avoir préalablement défini les politiques européennes que nous voulons mener pour qu'ensuite, les règles de gouvernance puissent s'y adapter.
Quant au Parlement européen, le Gouvernement est ouvert au développement de l'initiative parlementaire dont il dispose. Comme vous le savez, les parlementaires européens peuvent d'ores et déjà proposer des résolutions mais ne peuvent pas être à l'initiative directe de textes. Ce sujet mériterait d'être examiné en détail.
Enfin, rappelons que les parlements nationaux peuvent donner des cartons jaunes sur les textes en cours d'examen au Parlement européen. C'est une faculté qu'ils ne connaissent pas toujours ; ils peuvent pourtant peser dans les discussions européennes.

Mme la présidente
La parole est à Mme Julie Laernoes.

Mme Julie Laernoes (Écolo-NUPES)
L'Union européenne sacrifiée sur l'autel du populisme : voilà l'objet du débat proposé par le Rassemblement national. Méconnaissant profondément et depuis longtemps le fonctionnement même de l'Union européenne, l'extrême droite continue de taper de manière bête et méchante sur son bouc émissaire favori.

M. Grégoire de Fournas
Visiblement, ça marche !

Mme Julie Laernoes
Opposé par principe à la construction européenne, le nationalisme populiste a toujours fait son beurre électoral sur le dos de l'Europe, quitte à raconter tout et son contraire : un jour il est pour le Frexit et le retour au franc, puis plus rien le lendemain ; un jour les problèmes de l'agriculture, c'est la faute de l'Europe, et le lendemain, il approuve la politique agricole commune – la PAC – et les traités de libre-échange. Et la liste est encore longue.
Malheureusement, la Macronie n'est pas en reste : bien loin de la posture proeuropéenne que vous affichez, l'Europe, c'est vraiment quand cela vous arrange. Ainsi, vous vous félicitez de faire adopter le paquet énergie-climat et la directive sur les énergies renouvelables, mais quand il s'agit de les mettre en œuvre sur notre sol, vous êtes aux abonnés absents. Pire, une crise agricole survient et vous voilà devenus les meilleurs relais des éléments de langage anti-écologiques de l'extrême droite : l'écologie, comme l'Union européenne, serait à l'origine de tous les maux. Et je passe sur votre double discours et vos volte-face sur les traités de libre-échange.
Pourtant, nous avons plus que jamais besoin de davantage d'Europe, car c'est à cette échelle-là que nous pouvons agir de manière collective face aux défis de notre siècle, qui ne connaissent pas de frontières : le réchauffement climatique et l'effondrement de la biodiversité. Et devant les troubles sociaux qui s'accentuent, c'est aussi à l'échelle européenne que nous aboutirons à un véritable pacte social. N'oublions pas, enfin, ce que nous devons à l'Europe dans l'histoire : elle est et restera le seul échelon capable de garantir la paix et la sécurité.
N'avez-vous pas compris qu'en reprenant les slogans nauséabonds de l'extrême droite, vous enterrez définitivement tout le sens du projet européen que vous êtes supposé défendre ?

Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué
Sur les questions écologiques – réduction de l'empreinte carbone et préservation de la biodiversité notamment –, l'Europe a démontré qu'à traités constants, elle était capable d'avancer plus vite que toutes les autres régions du monde.

M. Pierre Dharréville
Ce n'est pas vrai.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué
La proposition du Parlement européen visant à faire des questions écologiques une compétence exclusive de l'Union me paraît à ce stade excessive puisque le Pacte vert pour l'Europe a été adopté sans qu'il soit nécessaire d'étendre cette compétence.
Par ailleurs, vous attaquez le Gouvernement sur son prétendu double discours. À tort, car la France a soutenu l'intégralité des dispositions du Pacte vert, à une nuance près : nous considérons que si une transition aussi importante que la transition écologique est perçue par certains de nos concitoyens comme injuste, alors elle a toutes les chances d'échouer. C'est la raison pour laquelle, puisque vous évoquez l'agriculture, des concessions importantes ont été demandées à la Commission afin qu'elle simplifie les processus en vue de répondre aux attentes des agriculteurs. Ils comprennent l'objectif de réduction de l'empreinte carbone, avec pour objectif la neutralité carbone à l'horizon 2050, mais ils ont le sentiment que nous avançons très vite et refusent de porter sur leurs épaules l'essentiel du fardeau. C'est cet équilibre que l'Europe doit trouver sans nécessairement avoir à modifier ses traités.

Mme la présidente
La parole est à Mme Cyrielle Chatelain.

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES)
Merci, monsieur le ministre, pour votre réponse très concrète, qui souligne néanmoins nos points de divergence.
En premier lieu, peut-être l'Europe avance-t-elle plus vite que les autres, mais elle ne va pas assez vite. Nous nous trouvons dans un monde où le réchauffement climatique atteint trois degrés, alors que notre objectif, notre obsession dirais-je même, est de le limiter à deux degrés. Le satisfecit a des limites.
En second lieu, nous estimons que nous avons enregistré un recul considérable sur le Pacte vert, précisément parce que dans son application, il n'y a pas assez de justice. On demande aux agriculteurs de faire des efforts alors que 18% d'entre eux vivent sous le seuil de pauvreté. L'argent de la PAC va aux plus gros : il profite essentiellement aux membres du syndicat partenaire de ce gouvernement – comme il l'a été des précédents –, à savoir la FNSEA, la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles. Examinons donc la question jusqu'au bout et engageons une révision de la PAC, pour plus de justice. Si l'on crée un fonds pour la transition et que l'on accompagne les agriculteurs vers des pratiques moins intensives et plus respectueuses de leur travail, comme nous le proposerons jeudi en séance, ils nous suivront – mais nous nous éloignons de l'objet du débat, qui est la révision des traités européens.
Nous pensons qu'il faut que la France se batte pour la révision de la PAC, mais nous avons en outre l'impression que l'Union européenne s'est éloignée des citoyens et qu'il y a un problème de démocratie en son sein, problème d'autant plus saillant qu'un État comme la Hongrie de Viktor Orbán peut bloquer toute avancée en matière démocratique ou écologique. La question de la révision des traités, c'est celle de la démocratie au sein de l'Union européenne. Comment la faire progresser ? Comment faire en sorte qu'un seul État membre ne bloque pas tout ? Quelle est la position du Gouvernement sur le sujet ?

Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué
Je ne reviendrai pas sur la politique écologique et sur la réforme de la PAC, étant précisé que la France considère qu'avant de modifier les traités, il convient d'ajuster les politiques européennes à nos objectifs et de veiller à ce que l'Europe soit en mesure de relever les grands défis du monde actuel et de se préparer à l'élargissement, c'est-à-dire à construire un avenir en commun avec des pays candidats.
Sur la nécessité de construire une Europe plus démocratique, je vous rejoins, même s'il convient de rappeler que le Parlement européen est une instance éminemment démocratique,…

Mme Julie Laernoes
C'est de la Hongrie et du Conseil européen qu'il est question !

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué
…d'une part, parce qu'il est élu à la proportionnelle – vu vos publications récentes, ce n'est pas vous qui me contredirez –, d'autre part, parce qu'il exerce sur la Commission un contrôle bien plus strict, en particulier pour les nominations, que celui qu'exerce dans notre pays le Parlement sur l'exécutif.

Mme Cyrielle Chatelain
À notre grand regret !

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué
S'agissant des modalités de décision au sein du Conseil, en particulier le passage à la majorité qualifiée, la France est ouverte à ce que, dans le cadre d'une éventuelle réforme des traités, le sujet soit mis sur la table, sous réserve néanmoins que, pour les décisions relatives à l'élargissement ou à la politique de défense et de sécurité, la règle de l'unanimité soit conservée. Sur d'autres sujets, une extension du vote à la majorité qualifiée pourrait être envisagée, notamment parce que, contrairement à ce que répète à l'envi le Rassemblement national, la souveraineté française peut s'exprimer de manière plus puissante au travers d'une décision prise à la majorité qualifiée que par un vote à l'unanimité, où celui qui n'est pas d'accord peut exercer un chantage sur les autres.

Mme la présidente
La parole est à M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Dharréville (GDR-NUPES)
La résolution adoptée le 22 novembre 2023 par le Parlement européen appelle à des réformes institutionnelles, notamment dans le but d'augmenter « le nombre de domaines dans lesquels les actions sont décidées par un vote à la majorité qualifiée et selon la procédure législative ordinaire » et – ce qui n'est pas le moindre des problèmes – de mettre en place " une union de la défense comprenant des unités militaires et une capacité permanente de déploiement rapide, sous le commandement opérationnel de l'Union ". Alors que les dépenses militaires ne cessent de croître, que l'ONU est affaiblie et que nous nous trouvons dans un contexte de vives tensions internationales, la voix des peuples qui s'opposent aux opérations militaires serait ainsi plus facilement contournée. Ce n'est pas tout à fait – vous en conviendrez, monsieur le ministre – l'Europe de la paix ! Le Gouvernement soutient-il cette orientation ?
Plus largement, il n'est pas si simple d'établir de bonnes formes de coopération démocratique. Pousser les feux de l'intégration, au lieu de ceux de la coopération dont nous aurions besoin, affaiblirait plus encore les parlements nationaux et, surtout, serait une entreprise de désintégration démocratique, de désintégration des souverainetés populaires.
L'Europe avance, dites-vous. Elle prend certes de bonnes décisions, comme la directive relative aux travailleurs des plateformes, mais elle se trompe aussi souvent de direction – je pense au dumping social et à la casse des services publics.
En 2005, les Français ont très majoritairement rejeté le traité constitutionnel, critiquant ainsi cette logique antidémocratique et les politiques libérales forcenées. Il n'en a été tiré aucune leçon. Par exemple, bien que le Ceta, l'Accord économique et commercial global, n'ait toujours pas été adopté par le Parlement français, il s'applique. Je crains qu'en ne transmettant pas ce texte à notre assemblée, en refusant le vote, vous n'alimentiez le trouble. Quand donc allez-vous le transmettre ? (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES et Écolo-NUPES.)

Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué
Vous avez mentionné la directive relative aux travailleurs des plateformes mais, dans la législature qui s'achève, on pourrait citer d'autres avancées qui ont contribué à renforcer l'Europe sociale : ainsi, la directive relative à des salaires minimaux adéquats, celle visant à renforcer l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre les femmes et les hommes ou la récente interdiction des produits issus du travail forcé. Progressivement, l'Europe sociale se construit, ce qui est une bonne chose pour les travailleurs, notamment ceux qui résident dans les pays membres les plus récents, qui bénéficient de l'élévation des normes sociales que l'Europe impulse et que nous soutenons.
Le ministre délégué chargé du commerce extérieur vous a fait connaître la position du Gouvernement sur le Ceta : il sera examiné en temps utile.

M. Nicolas Sansu
Le temps utile, c'est maintenant !

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué
Je répéterai ce que j'avais répondu dans cette enceinte à Sébastien Jumel : si je sais que les communistes sont opposés aux accords de libre-échange – et je respecte leur position –, je souhaite vivement que certaines forces politiques qui ont pu susciter, soutenir ou signer de tels accords fassent le même constat que nous, à savoir que le Ceta a plutôt bénéficié aux filières agricole et industrielle françaises. Il avait de manière embryonnaire déjà incorporé des mesures de réciprocité, mesures que nous voulons désormais imposer dans tous les accords commerciaux que la Commission européenne signe en notre nom avec d'autres blocs régionaux. Nous nous opposerons ainsi à l'accord avec le Mercosur tant qu'il ne prévoira pas de telles mesures.

Mme la présidente
La parole est à M. Jean-Marc Tellier.

M. Jean-Marc Tellier (GDR-NUPES)
La résolution du Parlement européen du 22 novembre 2023 suscite des inquiétudes légitimes au sein de la société française. Si cet acte n'a aucune valeur contraignante, les préoccupations qu'il formule indiquent une volonté claire du Parlement européen de renforcer le pouvoir politique de l'Union européenne au service d'un projet belliciste et austéritaire. Malgré son caractère progressiste apparent, qui se traduit par des recommandations visant à garantir l'accès à une éducation gratuite et universelle ou à renforcer la reconnaissance et la sanction de certains types de discrimination, cette résolution ne répond pas aux attentes des peuples européens ni du peuple français.
Si la volonté du Parlement européen était d'aller vers la construction d'une Union plus démocratique, au service des classes populaires européennes, la résolution aurait prévu la révocation du traité de Lisbonne ou du pacte de stabilité et de croissance. Nous dénonçons également les préconisations relatives au marché unique, qui insistent sur le respect de la libre circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux dans l'ensemble des États membres de l'Union européenne. Ces normes ne garantissent aucunement la protection sociale des travailleurs à l'échelle européenne et sont à l'origine d'un dumping social.
Alors que la réforme des règles budgétaires a réaffirmé la persistance des politiques d'austérité au niveau européen, que l'augmentation des taux imposée par la Banque centrale européenne (BCE) a enchéri l'emprunt et diminué la consommation et l'investissement, comment la France peut-elle garantir la persistance de son modèle social ? (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR-NUPES.)

Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué
À la liste des avancées sociales que j'évoquais en réponse à la question de Pierre Dharréville, j'en ajouterai une, très importante, qui a été récemment adoptée après être née dans cet hémicycle à l'initiative de Dominique Potier : il s'agit du devoir de vigilance. En vous écoutant, je me disais que l'Europe permet à la France – dont le modèle social est probablement l'un des plus ambitieux au monde – d'exporter ce modèle chez ses partenaires européens. S'agissant du devoir de vigilance, cela va plus loin encore, puisque nous imposons désormais certaines normes auxquelles nous tenons non seulement aux entreprises établies en Europe mais aussi à toute leur chaîne de fournisseurs. Il y a bien là quelque chose qui relève d'une exportation du modèle français.
Il est vrai que l'Europe peut parfois paraître un peu austère mais il faut rappeler que, pour ce qui concerne la politique monétaire, en 2011-2012, au moment de la crise des dettes souveraines et alors que la spéculation sur les marchés financiers risquait de provoquer l'effondrement de l'économie européenne, le président de la BCE, Mario Draghi, avait déclaré qu'il soutiendrait l'économie européenne « whatever it takes », quoi qu'il en coûte. La BCE a joué son rôle et permis à l'Europe d'absorber le choc.
Ensuite, sur le plan budgétaire, l'une des grandes avancées de la législature qui s'achève est le lancement d'un emprunt commun, auquel nous avons rallié nos amis allemands. Cet emprunt a permis de financer à hauteur de 40 milliards d'euros notre plan de relance national ; convenez que nous sommes loin de l'austérité.
Je n'ai peut-être pas exactement répondu à votre question sur le pacte de stabilité et de croissance, mais j'espère avoir démontré que l'Europe sait soutenir son économie lorsqu'il le faut.

Mme la présidente
La parole est à M. Michel Castellani.

M. Michel Castellani (LIOT)
La conférence sur l'avenir de l'Europe, qui a débouché sur des propositions citoyennes et sur la résolution du Parlement européen dont nous parlons ce soir, a constitué un événement démocratique majeur. Elle a manifesté la volonté des Européens de faire des choses en commun. De multiples propositions sont motivées par la quête d'une Europe démocratique et, si possible, puissante. Personnellement, je souscris à cette résolution, même si elle apparaît inévitablement comme un fourre-tout.
Eu égard à la situation internationale, l'urgence me semble être la défense et la diplomatie. Nous sommes dans un monde incertain et dangereux. On va certainement vers un renforcement des compétences au niveau européen. La France fera-t-elle de la sécurité européenne une cause prioritaire ?
S'agissant de l'adhésion citoyenne à l'Union, quelles mesures pourraient assurer une meilleure convergence fiscale et sociale, condition sine qua non d'un fonctionnement économique et social équitable – ce qui n'est pas le cas actuellement ? Comment mieux prendre en considération les diversités régionales ? Prenons l'exemple de la Corse : elle est considérée par l'Europe comme privilégiée par rapport aux standards de l'Europe de l'Est, alors qu'elle est socialement, sinon à la dérive, du moins à la traîne par rapport aux autres régions françaises ; son insularité est mal appréhendée bien qu'elle place les entreprises corses en situation d'infériorité par rapport à la concurrence continentale ; et je ne parle pas de la spéculation foncière et de l'érosion culturelle, qui sont complètement ignorées par l'Europe.
Quelles mesures pour une Europe moins technocratique et plus proche des réalités quotidiennes, des entreprises et des citoyens ?

Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué
La première de vos questions porte sur la sécurité européenne, point essentiel depuis que la guerre d'agression russe en Ukraine a bousculé bien des certitudes. Ce conflit nous concerne directement puisqu'en luttant contre l'envahisseur russe, les Ukrainiens ne font pas que défendre l'intégrité de leur territoire : ils se battent aussi pour la sécurité européenne.
De ce point de vue, les récentes décisions sur le financement de l'industrie européenne de défense constituent l'une des avancées majeures de l'Europe ces dernières années, au même titre que le grand emprunt dont on vient de parler ou la production de vaccins.
Dans votre deuxième question, vous demandez pour l'Europe un fonctionnement économique et social qui soit équitable, qui tienne compte des spécificités régionales et qui soit le moins technocratique possible. Dans les années qui viennent, nous avons la possibilité de réviser certaines politiques de l'Union européenne, comme la politique de cohésion et la PAC.
Dans ce cadre, il faudra bien sûr tenir compte de la spécificité des territoires – et la France s'illustre par la diversité des siens. Il faudra aussi amener la Commission à débureaucratiser ses processus. Ces derniers mois, elle a démontré qu'elle le pouvait puisque, sous la pression des agriculteurs et de la France, elle a présenté un train de mesures inédites simplifiant l'accès aux aides de la politique agricole commune. Si la Commission l'a fait dans ce domaine, elle doit sans doute pouvoir y parvenir aussi dans d'autres. Nous allons l'y encourager.

Mme la présidente
La parole est à M. Paul Molac.

M. Paul Molac (LIOT)
Notre semaine de contrôle nous amène à traiter de l'Europe, un sujet qui tient au cœur des Bretons. La Bretagne est la région de France où le sentiment européen est le plus fort. D'après un sondage réalisé par TMO Régions en 2019, 72% des Bretons se considèrent comme des citoyens européens, contre 64% pour l'ensemble des Français. Bretons, français, européens : nous n'avons pas de problème avec la diversité.
Certains dans cet hémicycle considèrent que l'État français pourrait tout faire sans se préoccuper du reste du monde : avoir une stratégie géopolitique, gérer le marché unique, lutter contre le réchauffement climatique. C'est ce que j'appelle le syndrome Brexit. La solution est ailleurs, dans le plein respect du principe de subsidiarité.
Polonais, Irlandais, Corses, Roumains, Maltais, Basques, Bretons, Catalans, qui que nous soyons et quel que soit l'État qui nous gouverne, nous avons, en tant qu'Européens, un destin à assumer et des politiques à mener ensemble. Or la règle de l'unanimité nous conduit parfois à l'impuissance. Ainsi, nous n'avons toujours pas réussi à instaurer une taxe européenne sur les transactions financières, alors que nous aurions bien besoin de cette ressource.
J'accueille donc très favorablement la résolution du Parlement européen visant à renforcer son rôle pour lui donner une vocation supraétatique. C'est nécessaire pour qu'il ait les moyens d'agir sans subir les freins des États. Au reste, cette résolution émane des députés européens, qui sont, comme nous ici, les représentants du peuple. Je m'inscris pleinement dans cette ligne favorable à une évolution vers une Europe fédérale.
Ne pensez-vous pas qu'il serait opportun de sortir la France du schéma ultracentralisé que notre pays subit et de donner un peu plus de compétences au Parlement européen et aux collectivités locales, qui le demandent à grands cris ?

Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué
Merci pour cette brillante leçon de subsidiarité, principe central de la construction européenne. C'est un même élan qui a poussé à la décentralisation dans notre pays et à la construction de l'Europe, les mêmes hommes et les mêmes femmes considérant qu'il n'y avait aucune bonne raison que le pouvoir soit concentré à Paris. Vous me retrouverez toujours à vos côtés pour défendre le principe de subsidiarité, lequel signifie aussi qu'il y a des sujets dont l'Europe ne doit pas s'occuper. (M. Paul Molac acquiesce.)
À propos de l'objectif de rendre l'Europe plus démocratique, le Gouvernement est disposé à évoquer la question du vote à l'unanimité ou à la majorité qualifiée, le moment venu, si la réforme des traités est discutée. Toutefois, ainsi que je l'ai déjà indiqué, nous souhaitons d'abord nous coordonner, avec nos partenaires européens, sur les objectifs à donner à l'Europe.
Ensuite, comme vous y avez fait allusion, il s'agira de se donner les moyens – c'est-à-dire les recettes et le budget – d'atteindre ces objectifs. Et, enfin, de lever les freins de gouvernance qui pourraient subsister, notamment les règles d'unanimité sur certains sujets. Une fois ces étapes franchies, la France sera disposée, dans le domaine fiscal que vous avez cité, à envisager l'extension de l'usage de la majorité qualifiée, par exemple en matière de lutte contre la fraude sociale.

Mme la présidente
La parole est à Mme Danielle Brulebois.

Mme Danielle Brulebois (RE)
Les traités européens n'ont pas été révisés depuis la ratification de celui de Lisbonne en 2009. Or, après une décennie de bouleversements profonds hélas aggravés depuis le 24 février 2022, le monde a changé. L'Union européenne doit s'adapter à un nouveau contexte de guerre et d'insécurité, tant géopolitique qu'économique. Elle doit aussi se préparer à l'adhésion de futurs membres.
Plus que jamais, nous avons besoin d'une Europe plus ouverte, plus efficace, plus unie, plus solidaire et, surtout, plus forte.

M. Pierre Cordier
C'est l'Europe des Bisounours !

M. Maxime Minot
Ou des Télétubbies !

Mme Danielle Brulebois
En accord avec cet objectif, la résolution adoptée le 22 novembre 2023 vise à augmenter le nombre de domaines dans lesquels les décisions seraient prises plus facilement en étant soumises à une majorité qualifiée plutôt qu'à l'unanimité. Rappelons que cette résolution est le résultat d'un vote et qu'il est légitime que les citoyens européens, à travers le parlement qui les représente, s'expriment sur l'Europe qu'ils veulent. Mais rappelons aussi qu'elle n'a aucun effet contraignant ni valeur juridique. Ce n'est qu'un avis, comme les résolutions que l'Assemblée nationale adopte parfois.
Ces derniers mois, on a entendu des affirmations fausses ou trompeuses sur une prétendue perte de souveraineté de la France au profit de l'Union. Sur l'étiquetage, par exemple, des affabulations ont été proférées, selon lesquelles on pourrait manger des insectes sans en être averti. Pour contrer ses mensonges, pouvez-vous, monsieur le ministre, nous réaffirmer que cette résolution n'a pas supprimé le droit de veto des États membres ?

M. Pierre Cordier et M. Maxime Minot
N'importe quoi !

Mme Danielle Brulebois
Messieurs Minot et Cordier, vous êtes vraiment désagréables !

M. Ugo Bernalicis
J'aurais dit taquins !

M. Emmanuel Mandon
Plutôt détestables !

M. Ugo Bernalicis
Ou « relous » !

Mme Danielle Brulebois
Le chemin vers une révision des traités, qui ne peut avoir lieu qu'après un vote unanime des États membres, est donc encore long. Pouvez-vous nous indiquer quelle est la position de la France sur les propositions de la résolution et sous quelles conditions le Gouvernement serait-il prêt à entrer dans un processus d'amélioration du fonctionnement de l'Union européenne ? (L'oratrice se tourne vers MM. Minot et Cordier.) Encore une fois, vous êtes tout à fait désagréables !

M. Ugo Bernalicis
N'est-ce pas, Tic et Tac ?

M. Sébastien Delogu
Nous sommes d'accord, chère collègue !

Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué
Vous avez rappelé une chose très importante : la résolution dont nous discutons a été votée par une majorité de députés européens, dont un nombre significatif d'élus français. Il faut donc la respecter pour ce qu'elle est, c'est-à-dire l'expression d'une forme de souveraineté européenne.
Il faut aussi la mettre en perspective. Par le vote de sa résolution, le Parlement européen invite le Conseil à se saisir du projet de révision des traités. Ce n'est qu'une étape car une révision des traités nécessiterait d'abord l'unanimité au sein du Conseil puis, à l'issue du processus, une ratification démocratique dans chacun des États.

M. Ugo Bernalicis
Comme en 2005 ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué
La France est ouverte à ce qu'une révision des traités puisse avoir lieu. Il n'y a ni totem ni tabou en la matière. En revanche, nous souhaitons qu'au préalable soient bien définis les objectifs politiques fixés à l'Union européenne et les moyens – les recettes, les budgets, etc. – qui leur seraient consacrés. Les questions de gouvernance et de modalités de décision, ne devront venir qu'ensuite.
En effet, en examinant la période récente, on voit que des choses qu'on ne pensait pas possibles en Europe – comme l'emprunt commun, la fabrication de vaccins ou, maintenant, de munitions – le sont devenues à traités constants. Il ne faut donc pas réformer les traités pour réformer, mais le faire si cela s'impose pour atteindre des objectifs précis.

Mme la présidente
La parole est à Mme Brigitte Klinkert.

Mme Brigitte Klinkert (RE)
L'ADN de notre majorité, c'est l'Europe. Cet engagement européen est incarné par le Président de la République. Il affiche depuis 2017 une ambition réformatrice pour l'Europe, que nous avons mise en œuvre en brisant des tabous. Réforme du travail détaché, souveraineté industrielle et énergétique, autonomie stratégique : alors que la législature européenne se termine, notre bilan, au Conseil européen avec Emmanuel Macron comme au Parlement avec nos eurodéputés, est considérable.

M. Pierre Cordier
Nous verrons cela le 9 juin…

Mme Brigitte Klinkert
Sans la France, il n'y aurait pas eu l'endettement commun pour l'achat de vaccins,…

Mme Danielle Brulebois
Exactement !

Mme Brigitte Klinkert
…la régulation des géants du numérique,…

Mme Danielle Brulebois
Eh oui !

Mme Brigitte Klinkert
…la maîtrise de l'asile et de la migration à l'échelle européenne ni, bien sûr, le Pacte vert.

M. Marc Le Fur
C'est maîtrisé, ça ?

Mme Brigitte Klinkert
Nous avons transformé l'Europe de manière inédite et, en tant que députée alsacienne, je suis fière d'appartenir à une majorité clairement proeuropéenne. Pour faire tout cela, nous n'avons pas eu besoin de réviser les traités mais, désormais, pour agir face aux puissances hostiles, pour éviter l'impuissance, nous devons réformer les institutions européennes.
Nous avons la conviction que nous devons réformer l'Europe avant tout élargissement. La résolution du 22 novembre 2023 dessine des pistes intéressantes, notamment la fin de l'unanimité au profit de la majorité qualifiée ou le renforcement du Parlement – c'est-à-dire de la voix des citoyens – dans le système institutionnel européen. Quelle est la position de la France sur cette résolution, en particulier sur le droit d'initiative législative du Parlement et sur les réformes de l'exécutif européen qu'elle propose ? Quelle est votre position sur la tenue d'une convention de révision des traités ?

Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué
En effet, le discours du Président de la République à la Sorbonne en 2017 abordait de nombreux projets qui, à l'époque, paraissaient inaccessibles pour l'Europe et qui, depuis, sont devenus des réalités : le salaire minimum, la régulation du travail détaché, la taxe carbone aux frontières, la régulation des géants du numérique, la création d'universités européennes, la maîtrise de l'asile et des migrations, l'Europe de la défense, la réciprocité dans les accords commerciaux, la politique industrielle.
Voilà autant de tabous qui ont été pris à bras-le-corps par le Président de la République et la majorité depuis 2017 puis par les députés européens élus en 2019. Mais peut-être y a-t-il un élément plus important encore. Un concept a longtemps été interdit d'usage ; il figurait dans le discours de la Sorbonne et il est désormais entré dans la grammaire européenne courante. Il s'agit de la souveraineté européenne,…

M. Alexandre Portier
Il n'y a pas de souveraineté européenne !

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué
…c'est-à-dire de la capacité pour l'Europe de se doter de ses propres outils, de n'être plus dépendante des grandes puissances, d'être libre et indépendante. Il n'était pas possible d'utiliser cette expression car l'Union européenne n'était peut-être pas tout à fait prête à se l'approprier. Au contraire, désormais, elle traduit un sentiment et un élan pleinement partagés.
Oui, nous sommes ouverts à réviser les traités, si nécessaire et le moment venu. Mais auparavant, il nous faut poursuivre ce programme de souveraineté européenne, dans le domaine industriel, dans le domaine numérique, dans le domaine de la santé, de manière à être libres et à faire entendre, face au monde qui se disloque, une voix singulière dans le concert des nations.

M. Ugo Bernalicis
C'est si beau, presque poétique !

Mme la présidente
La parole est à Mme Véronique Besse.

Mme Véronique Besse (NI)
La résolution du Parlement européen suscite chez moi plusieurs interrogations, et je serai sans doute en désaccord avec M. le ministre. Est-ce le moment de transformer profondément le processus décisionnel au sein de l'Union européenne ? Dans un monde où les crises internationales se multiplient, à une époque où l'Europe se doit d'être plus forte car l'allié américain risque de s'éloigner, est-il sérieux de faire perdre du poids aux États membres en passant, dans plusieurs domaines, du vote à l'unanimité au vote à la majorité qualifiée ? Il semble insensé, voire inconscient, de dissoudre un peu plus notre souveraineté nationale.
La résolution propose d'augmenter considérablement le nombre de domaines dans lesquels les actions seront décidées par un vote à la majorité. Ainsi en serait-il pour la procédure prévue à l'article 7 du Traité sur l'Union européenne, relatif à la protection de l'État de droit. La perte, en la matière, du principe de l'unanimité poserait un vrai problème de souveraineté et créerait un nouvel ordre européen dans lequel les pays se retrouveraient en danger. Qui nous dit que, demain, la France ne sera pas à son tour menacée par une décision prise en vertu de l'article 7 ? Une majorité qualifiée et la Cour de justice pourraient interpréter en notre défaveur le respect des valeurs communes de l'Union.
Autrement dit, le processus d'extension du vote à la majorité qualifiée laisse planer un doute : où l'Union européenne s'arrêtera-t-elle dans cette voie ? Quels garde-fous y a-t-il pour le maintien du veto des États membres ? Les veto nationaux sont la sécurité des États et protègent les populations européennes. Le vote à l'unanimité est la garantie d'une Europe des nations, où chaque membre reste libre. Oui à l'Europe des nations, non à l'Europe fédérale !
Si une telle révision des traités devait voir le jour au niveau européen, tiendrez-vous compte, avant de la ratifier, de l'avis des Français ? Organiserez-vous un référendum à ce sujet ?

Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué
Bien évidemment, une éventuelle révision des traités serait ratifiée dans notre pays de manière démocratique, par voie parlementaire ou par voie référendaire, si tel était le choix du Président de la République.
Je reviens quelques instants sur votre démonstration. Vous affirmez en particulier que le mode de décision à l'unanimité est systématiquement plus favorable à l'expression de la souveraineté que le vote à la majorité qualifiée. Or ce n'est pas toujours vrai.

M. Romain Daubié
Bien sûr !

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué
C'est Jean-Louis Bourlanges, le président de la commission des affaires étrangères, qui l'explique le mieux. À bien des moments, la France aurait voulu obtenir une décision européenne, en entraînant avec elle, par la conviction, d'autres États membres. Or elle n'a pas pu le faire, car elle s'est heurtée au chantage…

M. Romain Daubié
De la part de petits pays, qui plus est !

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué
…d'un seul État membre, qui s'y opposait pour des raisons tout à fait éloignées du sujet en question. Passer de la règle de l'unanimité à celle de la majorité qualifiée, c'est passer du régime du chantage à celui de la conviction. Dans certaines situations, cela peut présenter des avantages.
Vous avez évoqué l'article 7 du Traité sur l'Union européenne. Je souhaite de tout mon cœur que la France ne tombe jamais sous le coup de l'article 7, qu'il n'en soit même jamais question, car il sanctionne, je le rappelle, les violations de l'État de droit ! Pour ma part – et je suis sûr que c'est le cas d'autres personnes ici présentes –, je me battrai pour que cela n'arrive jamais.
En tout cas, quand un État membre de l'Union européenne en vient à violer des règles fondamentales qui sont au cœur du contrat qui lie les peuples européens entre eux, à savoir le respect absolu de l'État de droit, de la séparation des pouvoirs, de l'indépendance de la justice et de la liberté de la presse, il arrive que la règle de l'unanimité soit quelque peu contraignante. Elle empêche alors le fonctionnement de la procédure prévue, en réalité conçue pour être dissuasive. Certains gouvernements s'autorisent dès lors à prendre les libertés et à revenir sur l'État de droit, ce qui est évidemment inacceptable et compromet l'avenir de l'Union.

M. Romain Daubié
Très juste ! La réponse est claire !

Mme la présidente
Nous en avons terminé avec les questions sur la révision des traités européens.


Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 4 avril 2024