Texte intégral
Mme la présidente
L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Les conditions d'accueil des enfants placés à l'aide sociale à l'enfance ».
Ce débat, organisé à la demande du groupe Écolo-NUPES, se tient dans la salle Lamartine afin que des personnalités extérieures puissent être interrogées. La conférence des présidents a décidé d'organiser le débat en deux parties d'une heure chacune.
Nous commencerons par une table ronde avec les personnalités invitées. Ensuite, nous entendrons l'intervention liminaire du Gouvernement, avant de procéder à une nouvelle séquence de questions-réponses. La durée des questions et des réponses sera limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
(…)
Mme la présidente
La séance est reprise.
La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles.
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles
La question des conditions d'accueil des enfants placés nous réunit, après le premier débat consacré aux défaillances de l'aide sociale à l'enfance. Cette question est essentielle et suscite beaucoup de questions, comme le prouve l'ordre du jour de cette semaine de contrôle de l'Assemblée. Vous avez auditionné des enfants anciennement accueillis ou placés à l'aide sociale à l'enfance, qui ont partagé leur histoire, leur parcours, leurs épreuves. Je mesure leur courage, tant il est difficile de témoigner. Leur parole doit guider nos actions. Dès ma nomination, je me suis entretenue avec un certain nombre d'entre eux ; je continuerai à le faire, car c'est essentiel dans le cadre de ma mission. Leur parole et leurs propositions comptent.
Au-delà des rencontres avec les associations ou les fédérations qui accompagnent les enfants accueillis, je m'entretiendrai prochainement avec le rapporteur de la mission La parole aux enfants, qui est lui-même un ancien enfant placé et qui a réalisé un travail particulièrement étayé.
Comme la France s'y est engagée, en ratifiant la Convention du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale, je souhaite qu'on nous associions davantage les enfants à la réflexion sur les sujets qui les concernent. Nous devons entendre collectivement leur parole pour mieux décider. Prochainement, j'inaugurerai avec la présidente du CNPE – Conseil national de la protection de l'enfance –, le nouveau collège des enfants placés. Je crois beaucoup au partage d'expérience entre les enfants et les anciens enfants placés et accueillis. Leur présence et leur mobilisation sont essentielles.
Le nombre de placements augmente fortement alors même que les capacités d'accueil des départements saturent et que, je le répète, le secteur traverse une crise aiguë d'attractivité. Dans le domaine de la protection de l'enfance l'accueil peut être assuré dans un lieu, un établissement, au sein d'une famille ou auprès d'un tiers. Mais il implique surtout un accompagnement socio-éducatif qui doit être adapté aux besoins fondamentaux des enfants.
Selon un proverbe populaire, il faut tout un village pour élever un enfant. Ce village, c'est un ensemble de maillons et de personnes qui doivent protéger et accompagner l'enfant qui grandit, et parfois le soigner. Nous devons tout cela aux enfants. Lorsque les parents ne sont plus capables de remplir ces missions ou lorsqu'ils ne reçoivent pas le soutien dont ils ont besoin pour élever leur enfant, celui-ci est en danger. Si l'ASE ne remplit pas son devoir de protection et d'assistance, alors l'enfant est plus que jamais vulnérable, voire exposé à des situations de maltraitance et de violence – cela a été dit dans les témoignages que j'ai écoutés.
Si les signalements en cas de mauvais traitements ne sont pas faits au bon moment ou si les personnes qui constatent des signes de maltraitance ne réagissent pas, alors les situations s'aggravent. La peur, la solitude, la méconnaissance des procédures ou même, parfois, la volonté de fermer les yeux peuvent contribuer à maintenir des enfants dans des situations dangereuses, ce qui n'est pas acceptable. La lutte contre ces comportements est également à l'origine de l'organisation de ce débat.
Enfin, si le système éducatif ne parvient pas à détecter les signes de maltraitance ou à fournir un soutien approprié aux enfants en difficulté, alors les risques de maltraitance augmentent. Les enseignants et les professionnels du milieu scolaire jouent un rôle crucial pour détecter des problèmes de manière précoce et orienter les enfants vers des ressources nécessaires. Un seul acteur ne peut être responsable de l'éducation et du bien-être des enfants, qui nécessitent l'engagement et la mobilisation de l'ensemble de la nation. C'est pourquoi, plus que jamais, nous devons former des personnes à ces missions.
Nous avons décidé de confier la protection de l'enfance aux départements, car nous étions convaincus qu'ils étaient plus proches des réalités des familles, voire des besoins spécifiques de chaque enfant. Mais l'État doit garantir l'application d'une politique commune, en définissant un cadre et en vérifiant son application. Les départements sont compétents pour appliquer cette politique au plus près des territoires, avec les structures associatives. Je mettrai tout en œuvre pour installer un dialogue de qualité, exigeant et constructif entre les acteurs et un partenaire engagé, l'État. Il ne s'agira jamais de faire endosser des responsabilités à certains pour se défausser, mais d'être au rendez-vous des enfants. Telle sera la boussole qui me guidera ; rien ne pourra me détourner de cet objectif.
Le village ne peut pas fonctionner correctement si ses habitants ne se font pas confiance. Mon premier objectif est bien de rétablir la confiance en notre système, car elle a disparu. C'est aussi à cette condition que nous nous réunirons. D'abord, il est nécessaire de redonner confiance aux enfants placés à l'ASE. Leur placement peut parfois constituer un arrachement mais peut aussi être une promesse de se reconstruire, en parcourant un chemin pour soi, sans se sentir seul. Les enfants souhaitent faire entendre leur voix. Nous devons être là pour l'accueillir et l'écouter.
Ensuite, nous devons redonner confiance aux parents fragilisés, qui, parfois, n'osent pas demander de l'aide de peur d'être jugés. Le travail avec les parents est fondamental. Il faut trouver les moyens de renforcer la participation des parents d'enfants confiés. C'est pourquoi j'ai demandé au CNPE de faire des propositions sur la place et le rôle des parents dans le domaine de la protection de l'enfance.
Il est nécessaire de redonner confiance aux professionnels, en priorité, qui œuvrent au quotidien en supportant une énorme charge mentale. Il faut redonner confiance à la société civile. Certains disent que le rôle de l'ASE est de leur prendre leurs enfants. Or la société civile doit accompagner les enfants qui sont en danger ; je n'accepte pas qu'ils aient moins de chance que les autres. J'en donne un exemple : la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants, dite loi Taquet, a instauré le mentorat et le parrainage.
La restauration de la confiance passera par l'application totale de la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance, de la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfant et de la loi Taquet, qui tentent de mieux encadrer l'accueil des enfants et d'apporter des réponses complémentaires à la crise aiguë que nous vivons.
Au fond, notre système doit être au rendez-vous pour redonner des chances aux enfants et leur offrir un cadre qui les protège. Dès ma nomination, je me suis attelée à prendre le plus vite possible les quatre décrets d'application de la loi de 2022 relatifs au parrainage, au mentorat, au contenu du projet d'établissement et à l'hébergement des jeunes en hôtel. J'ai la conviction que, pour mieux accueillir, il faut offrir à chaque enfant la place la mieux adaptée, c'est-à-dire celle qui répond à ses besoins en matière de protection et d'accompagnement. Notre système n'est pas fluide, il crée de violentes ruptures. Il ne faut donc pas considérer le travail achevé une fois que les enfants sont accueillis ; il est nécessaire de les accompagner vers une nécessaire autonomie.
De quoi parle-t-on quand on parle d'accueil ? Un tiers de confiance peut accueillir l'enfant. Je souhaite qu'on se donne les moyens d'appliquer l'article 1er de la loi de 2022, qui prévoit la recherche systématique d'un tiers de confiance, afin de s'appuyer, chaque fois que cela est possible, sur des personnes appartenant à l'environnement de l'enfant. Par conséquent, le placement en structure devient subsidiaire.
L'accueil doit être plus professionnalisé ; dès lors, la question de la formation se pose. L'accueil familial est un mode protecteur et adapté. Lorsqu'il est assuré dans de bonnes conditions, il garantit la sécurité affective des enfants, notamment des plus petits, dans de nombreux cas. Près de 50 % des assistants familiaux partiront à la retraite d'ici à 2033. La loi de 2022 apporte plusieurs réponses : la revalorisation salariale de ces professionnels, l'amélioration de leurs conditions de travail, la garantie d'une rémunération au Smic dès l'accueil du premier enfant, l'octroi d'un week-end par mois de répit, la reconnaissance de leur place dans les équipes pluridisciplinaires. Ces mesures restent insuffisantes. Pour élargir les recrutements et renforcer l'attractivité de ces métiers, je souhaite ouvrir le chantier de la réforme du statut des assistants familiaux et des modalités d'exercice de cette profession, afin de leur donner des moyens. Je lancerai également des travaux avec les départements sur le cumul d'emplois, en réponse à une demande forte.
Parfois, l'accueil en établissement s'avère nécessaire. Il doit être de qualité et répondre aux besoins des enfants. Il existe plusieurs types d'établissement : foyers de l'enfance, maison d'enfants à caractère social (Mecs), lieux de vie et d'accueil. Ils doivent répondre à des exigences que j'ai renforcées récemment dans le décret du 29 février 2024 relatif au projet d'établissement ou de service des établissements et services sociaux et médico-sociaux, qui complète leur cahier des charges. Dès ma nomination, j'ai également pris le décret du 16 février 2024 qui prévoit l'interdiction stricte de l'hébergement en hôtel à compter du 1er février 2024.
Depuis deux ans, se déroulent des échanges autour du projet de décret relatif au taux d'encadrement. Je souhaite que les travaux reprennent prochainement, afin que l'on converge et que paraisse ce décret sur les normes, comportant des standards et des minimums.
Les lois successives de 2007, 2016 et 2022 ont réaffirmé qu'il était important que l'enfant soit au cœur de toutes les interventions de la protection de l'enfance.
Je m'attacherai en particulier à ce que le projet pour l'enfant (PPE) personnalisé soit mis en œuvre partout et pour tous les enfants, quel que soit leur mode d'accueil. En 2020, il n'en existait que dans dix-sept départements sur soixante-quinze.
Je serai également attentive à la tenue systématique de l'entretien à 17 ans, qui a vocation à préparer les jeunes à l'autonomie. Ce qui est en place aujourd'hui n'est pas suffisant, ni sur le fond ni dans les faits.
Dans le cadre de la loi du 7 février 2022, des commissions d'accès à l'autonomie des jeunes peuvent compter sur la mobilisation des services de l'État pour aider les départements à accomplir cette mission. Les départements qui ne se sont pas encore emparés de cet outil crucial pour le suivi de l'enfant doivent le faire ; c'est indispensable.
Dix comités départementaux de protection de l'enfance ont été installés : ils permettront de nourrir le dialogue tripartite entre le département, l'État et la justice. Je souhaite qu'ils soient généralisés.
L'amélioration de la qualité de l'accueil passera aussi par une plus grande fluidité des parcours. En amont, le nombre d'enfants placés doit se stabiliser puis diminuer grâce à la prévention et grâce à des mesures d'accompagnement au domicile. Durant l'accueil des enfants, en les accompagnant cette fois vers un retour au domicile, s'il est possible et s'il est dans leur intérêt, ou en accomplissant un travail d'accès à l'autonomie.
La prévention, c'est une autre de mes convictions, doit devenir une priorité. Un travail en amont, en soutien de la parentalité, est plus que jamais nécessaire, et il faut des mesures à domicile de qualité et un repérage plus précoce des dangers.
Je salue le travail de mon prédécesseur, Adrien Taquet, et sa politique d'accompagnement des 1 000 premiers jours, que je souhaite poursuivre et amplifier. Nous devons proposer un parcours de soutien à la parentalité de 0 à 18 ans. Être parent d'un tout-petit n'est pas évident, mais être le parent d'un préadolescent ou d'un adolescent non plus.
J'ai demandé à la commission scientifique sur la parentalité de reprendre ses travaux, sur la base d'une lettre de mission qui a fait l'objet de clarifications. Ses membres ont accepté, je m'en réjouis : nous devons avancer main dans la main avec tous les acteurs, afin de relever le défi consistant à proposer aux parents un parcours d'accompagnement clair et digne de confiance.
Concernant les violences, en particulier la lutte contre la prostitution des mineurs, vous m'avez sans doute entendue rappeler les contours de notre stratégie. Un enfant qui se prostitue est d'abord un enfant en danger. Avec la secrétaire d'État chargée du numérique, Marina Ferrari, je me montrerai intraitable contre les réseaux sociaux et les plateformes numériques qui ne s'engagent pas avec détermination à contrôler l'accès des mineurs. Je n'oublie pas non plus les travaux de la commission sur l'usage des écrans.
La lutte contre les violences faites aux enfants fait l'objet d'un nouveau plan pluriannuel. Je mettrai en place un comité de suivi avec l'ensemble des parties prenantes. Nous avons, collectivement, la responsabilité de ne rien laisser passer. Plus tôt nous repérons les violences, plus tôt nous protégeons les enfants en créant un cadre sécurisant.
Prévenir les placements d'enfants passe par le renforcement des interventions au domicile des parents. Les mesures en milieu ouvert, lorsqu'elles sont intensives et adaptées aux besoins des uns et des autres, sont une réponse, laquelle n'est ni unique ni exclusive. Nous devons réunir les conditions de la réussite en la matière et résoudre la question de l'attractivité. Nous engagerons un travail avec le Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE) afin de proposer des mesures et un cadre solide.
Pour mener ces chantiers à bien, j'ai une méthode, qui se définit par deux mots-clés, communiqués à mes différents interlocuteurs dès mon entrée en fonction : dialogue et coconstruction.
Le dialogue, je souhaite le mener avec l'ensemble des parties prenantes, en accordant une place centrale aux enfants. Je l'ai relancé avec les départements, mettant en place sans délai sept groupes de travail avec le président du conseil départemental de la Côte-d'Or, François Sauvadet, et la présidente du conseil départemental de Maine-et-Loire, Florence Dabin.
La coconstruction que j'envisage ne sera pas réservée à l'État et aux départements. Des pistes peuvent émerger par exemple des travaux de votre délégation aux droits des enfants.
Cette vision constitue un cadre, destiné à ce que l'ensemble des acteurs en contact avec les enfants placés puissent œuvrer avec davantage de confiance. La parole se libère. C'est une très bonne chose. Saisissons-la ! Regardons en face les difficultés, les violences, et apportons des solutions.
Je répondrai sans naïveté à vos questions. Ces enfants, ce sont les nôtres. Nous avons la responsabilité de les accompagner vers l'autonomie et de les protéger. J'espère que nous aurons un débat serein, car nous sommes réunis pour trouver des solutions, au profit des enfants comme de l'ensemble des acteurs. La confiance permettra de mobiliser l'ensemble des ressources de notre pays.
Mme la présidente
Nous en venons aux questions à la ministre.
La parole est à Mme Marie-Charlotte Garin.
Mme Marie-Charlotte Garin (Écolo-NUPES)
Je relaie des questions de personnes qui ont été prises en charge par l'ASE – certaines sont présentes en tribune aujourd'hui. Je vous invite donc à tenir une liste de ces nombreuses interrogations pour pouvoir répondre à chacune d'entre elles.
Quelques semaines après votre nomination, vous avez enfin pris le décret interdisant le placement d'enfants dans des hôtels, tel que le prévoyait la loi Taquet. Ce décret reste cependant très insatisfaisant : d'abord parce que le placement en hôtel reste possible pour les enfants de plus de 16 ans ; ensuite parce qu'il reste flou sur les taux et les normes d'encadrement, ainsi que sur la qualification des professionnels qui assurent une permanence dans les structures d'accueil. Quand comptez-vous prendre un décret pour interdire purement et simplement le placement en hôtel des enfants de l'ASE ?
Depuis 2012, la loi impose aux départements de faire remonter au niveau national des données clés sur chaque jeune suivi par l'ASE, afin de permettre à l'État d'avoir une vision d'ensemble de la situation, et de faciliter le partage d'informations comme le suivi des dossiers. Ce dispositif est crucial lorsque les enfants changent de département. Or on a appris, grâce à une enquête du Monde parue en février 2024, qu'une dizaine de départements à peine se conforment à cette obligation chaque année et que plus de la moitié n'ont jamais fait remonter la moindre donnée en dix ans, ce qui rend impossible le suivi des enfants à l'échelle nationale après leur prise en charge par l'ASE. Quelles mesures le Gouvernement prévoit-il pour garantir le respect de la procédure de recueil des données personnelles par les départements, d'une part, et pour garantir la protection des données inscrites dans ce logiciel, d'autre part ?
La question du taux d'encadrement nécessaire revient fréquemment : il faudrait huit postes à temps plein pour six enfants de moins de 6 ans, ou pour dix enfants de 6 ans. Comment allez-vous parvenir à ces taux d'encadrement qui sont nécessaires au bon fonctionnement de l'ASE ?
Pouvez-vous ensuite nous expliquer la différence entre l'APJM – l'accueil provisoire jeune majeur – et le CJM – le contrat jeune majeur –, qui créent un certain nombre de confusions sur le terrain ?
Enfin, le 5 mars 2024, sur France Bleu, deux éducateurs travaillant dans deux foyers hébergeant une centaine d'enfants dénonçaient une hausse des agressions sexuelles et des viols entre mineurs. Le département concerné, dépassé par la situation, a appelé l'État à l'aide : qu'avez-vous fait ?
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
J'ai effectivement sorti le décret relatif à l'hébergement dans les hôtels, qui interdit le placement des enfants de l'ASE à l'hôtel, sauf dérogations dont la liste a fait l'objet de débats : pas pendant plus de deux mois, pas pour les enfants de moins de 16 ans, aucune vulnérabilité…
Mme Ségolène Amiot
Enfin ! Ce sont des enfants de l'ASE : ils sont tous vulnérables !
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
La vulnérabilité désignait en particulier le handicap : aucun enfant en situation de handicap ne peut être accueilli dans un hôtel.
Mme Ségolène Amiot
C'est honteux !
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
Concernant la qualification et la formation nécessaires des personnels, le décret sera évalué et clarifié. Je m'y suis engagé, mais il vient de sortir.
Concernant les données clés, vous avez raison, on ne peut pas piloter une politique publique sans données. Or elles manquent et on ne peut donc ni consolider ni anticiper. Un groupe de travail formé des départements et du groupement d'intérêt public (GIP) France enfance protégée doit élaborer un système d'information pour pallier ce manque de données.
Concernant les taux d'encadrement, je m'engage à publier le décret. Dans une période de crise profonde de l'attractivité des métiers, il faut peut-être instaurer des paliers, avec des rendez-vous de contrôle, à trois ou six ans ; plutôt que de publier un décret qui ne sera pas applicable, sortons un décret comprenant un calendrier et des étapes.
Concernant la différence entre APJM et CJM, le flou persiste aussi au sein de mes équipes… (Sourires sur les bancs des groupes LFI-NUPES et Écolo-NUPES.) J'éviterai de vous dire quelque chose qui n'est pas clair. Cela prouve la pertinence de votre question.
La dernière question concernait…
Mme Marie-Charlotte Garin
La hausse des violences et des agressions sexuelles dans un département qui a appelé l'État à l'aide.
Mme la présidente
Merci, madame la ministre déléguée.
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
J'essaie de répondre à toutes les questions. (Mme la présidente coupe le micro de l'oratrice, dont le temps de parole est écoulé.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Laure Miller.
Mme Laure Miller (RE)
« Nous n'avons jamais connu une telle situation. » Voilà ce que me disent les services du département de la Marne comme les professionnels de l'aide sociale à l'enfance. Évidemment, comme ailleurs, le covid a aggravé la situation. Il a entraîné des difficultés de repérage. Si nous avons davantage d'enfants placés aujourd'hui, c'est sans doute dû aussi – et c'est positif – à un meilleur repérage par les forces de l'ordre et par la justice des violences conjugales et des conséquences de ces dernières sur les enfants.
L'accueil subit une pression inédite dans mon département. Or le métier d'assistant familial reste peu attractif, malgré les avancées de la loi de 2022 relative à la protection des enfants – des délais incompressibles sont notamment nécessaires pour créer des Mecs.
Dans la Marne, depuis un an, une vingtaine d'enfants font l'objet d'une décision de justice ordonnant leur placement. Ces décisions ne sont pas encore exécutées. Ces enfants sont ainsi contraints de rester dans leur famille, continuant potentiellement à subir de mauvais traitements. Dans mon département, 45 % des enfants font l'objet d'un suivi psychologique et psychiatrique ; c'est énorme. La défaillance de la pédopsychiatrie accroît la déshérence de l'ASE : les professionnels de l'aide sociale à l'enfance peinent à prendre en charge correctement ces enfants, lesquels peuvent par ailleurs se retourner contre les autres enfants ou contre eux-mêmes, sans être acceptés pour autant dans des IME – instituts médico-éducatifs –, ou des Itep.
Les prises en charge hospitalières des enfants handicapés ou souffrant d'un trouble psychiatrique lourd ne sont pas toujours à la hauteur. Encore une fois, les équipes de l'ASE se retrouvent à devoir gérer des crises très complexes. Les anciens enfants de l'ASE, qui s'exprimaient plus tôt lors de la table ronde, ont évoqué un manque de soins et de suivi psychologique et psychiatrique durant leur enfance.
Les acteurs réclament une plus grande coordination entre les services de l'ASE et les services de soins, notamment avec l'ARS – agence régionale de santé. Comment l'État pourrait-il soutenir davantage l'ASE en matière de soins psychiatriques afin de mieux accompagner les jeunes en souffrance ?
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
Je partage tout à fait votre constat : la mauvaise coordination des soins, l'absence d'accès aux soins ou le manque de soins adaptés sont des enjeux primordiaux. Concrètement, il faut penser en termes de santé globale des enfants, laquelle est aujourd'hui particulièrement dégradée. Le dispositif « santé protégée » a ainsi vocation à être généralisé à partir de janvier 2025 : un forfait financier permettra de soutenir les départements, pour qu'un enfant ou un adolescent protégé puisse bénéficier d'un suivi médical régulier par des médecins généralistes ou des pédiatres volontaires – c'est la priorité –, recevoir un soutien psychiatrique, ou psychologique selon les cas – la solution n'étant pas forcément médicamenteuse – ainsi que des soins psychologiques ou psychiatriques précoces.
Pour améliorer la coordination des soins, je souhaite aussi généraliser le programme expérimental Pegase à destination des enfants plus petits – âgés de moins de 5 ans – qui sont accueillis en pouponnière : il comporte un bilan de santé initial – nécessairement standardisé pour permettre l'égalité des chances partout sur le territoire ; dix-neuf bilans réguliers jusqu'à l'âge de 7 ans – un âge crucial ; et enfin un recueil continu des données sociales et de santé tout au long du développement de l'enfant sur une plateforme dédiée – ce qui pose la question de la sécurité des données que l'on me posait précédemment.
Mme la présidente
La parole est à M. Frédéric Cabrolier.
M. Frédéric Cabrolier (RN)
La relation entre la famille et l'ASE n'a-t-elle pas nécessairement besoin d'une institution ou d'une personne tierce – ou en tout cas indépendante de l'ASE – lorsque des violences sont constatées et que la famille ne s'entend pas par exemple avec l'ASE ? Il faudrait que les familles puissent s'adresser à une autorité de contrôle neutre ou à des intervenants agréés lorsque leur enfant placé dans une structure d'accueil subit des violences ou des maltraitances, ou en cas de litige sérieux avec les services de l'ASE. Qu'en pensez-vous ? Cette question m'a été posée par des travailleurs sociaux que j'ai rencontrés. Ils ont constaté que les familles étaient souvent démunies en pareils cas.
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
Au premier abord, j'aurais tendance à vous répondre qu'il faut pouvoir avoir confiance dans tous les acteurs, tous les adultes qui entourent l'enfant. Mais votre question porte sur les situations de maltraitance qui surviennent dans les structures d'accueil et non sur celles qui ont conduit à protéger un enfant. À cet égard, le recours à un tiers de confiance me semble être une bonne idée. Bien entendu, il est toujours possible de saisir le juge des enfants. Je pense également aux pairs, c'est-à-dire aux anciens enfants placés, qui s'organisent en associations et qui sont un soutien pour ceux qui sont encore à l'intérieur des dispositifs.
Je ne peux pas vous apporter une réponse parfaite, mais la possibilité de saisir un tiers identifié me semble aller dans le sens de la fluidité et de l'amélioration des relations. Il est certain, en tout cas, qu'il ne faut pas briser les échanges, mais créer de la confiance. Lorsqu'un enfant placé est en danger ou violenté à l'intérieur de l'institution, il doit pouvoir avoir confiance dans la personne à qui il va parler, et il faut qu'il se passe quelque chose.
J'ai entendu un certain nombre de témoignages de jeunes dont le dépôt de plainte n'a pas été suivi d'effet. On peut comprendre que, dans ce cas, la confiance dans l'ensemble du système soit rompue. Dans une telle situation, les choses ne peuvent en rester là. C'est pourquoi j'ai indiqué tout à l'heure, en réponse à la présidente de la délégation aux droits des enfants, que les jeunes ou les familles doivent pouvoir saisir un administrateur ad hoc ou un avocat, pour qu'ils les accompagnent et les soutiennent. Ce sont des pistes de réflexion ; ma réponse est imparfaite. Quoi qu'il en soit, je suis plutôt favorable à une réflexion sur la question du tiers.
Mme la présidente
La parole est à Mme Marianne Maximi.
Mme Marianne Maximi (LFI-NUPES)
Madame la ministre, vous prenez vos fonctions alors que le secteur de la protection de l'enfance subit un effondrement total. Il va vous falloir être à la hauteur, car les ministres passent et la situation se dégrade. Après Mme Caubel, qui, pendant quelques mois, a beaucoup parlé mais peu agi, voire pas du tout, Mme Bergé a lancé un grand tour de la prévention mais est partie après la première étape.
Être à la hauteur, c'est commencer par faire appliquer la loi, notamment en publiant les décrets d'application. En ce qui concerne la loi Taquet, il en manque encore sept. À ce propos, j'observe que les lois relatives à l'enfance, en particulier aux enfants placés, sont celles que l'on met le plus de temps à appliquer. Ainsi, un décret d'application de la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance n'a toujours pas été publié.
Par ailleurs, lorsque vous prenez un décret, il faut veiller à ce qu'il ne déroge pas à la loi elle-même, comme c'est le cas de celui qui porte sur le placement en hôtel. Vous nous dites qu'il proscrit l'hébergement des enfants vulnérables à l'hôtel, mais, par définition, tous les enfants protégés par l'aide sociale à l'enfance sont particulièrement vulnérables !
Il en va de même pour les sorties sèches de l'ASE. De fait, les départements ne jouent pas le jeu : ils dérogent, eux aussi, à la loi en proposant, par exemple, de manière assez cynique, des contrats jeune majeur d'une durée de quinze jours. La durée moyenne de ces contrats est de deux à quatre mois ; ce n'est pas du tout suffisant. En fait, on s'aperçoit que les enfants placés sont victimes d'une bataille entre l'État et les départements : ce rapport de force leur est toujours défavorable.
Mes questions sont simples. Allez-vous publier les décrets d'application ? Allez-vous mettre en œuvre, dans les départements, des contrôles des structures plus nombreux et plus précis ?
En ce qui concerne la formation, allez-vous étudier l'exclusion des instituts régionaux de travail social de Parcoursup, qui est un véritable frein pour la sélection et la formation des éducateurs ? La question revêt une importance particulière au regard notamment de l'attractivité des métiers.
Enfin, nous savons qu'un rapport sur la décentralisation est en cours d'élaboration, mais nous aimerions connaître l'avis de la ministre que vous êtes : allez-vous explorer les pistes d'une recentralisation ?
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
Je vais m'efforcer de répondre à chacun de vos questions.
Premièrement, j'ai été très claire : la vulnérabilité dont il est question dans le décret prévoyant des dérogations à l'interdiction de l'hébergement à l'hôtel renvoie uniquement aux enfants en situation de handicap.
Deuxièmement, la situation qui prévaut en matière de contrats jeune majeur ne me convient pas. Certains de ces contrats ne sont même pas appliqués ! Il doit y avoir des contrôles. La loi prévoit un accompagnement dans le cadre du contrat jeune majeur, lequel doit avoir une durée minimale afin que les jeunes ne soient pas soumis à des règles aléatoires, car ce n'est pas du tout satisfaisant.
Troisièmement, je publierai les sept décrets d'application de la loi Taquet qui ne sont toujours pas sortis. Dès la semaine prochaine, celui qui a trait au fichier des agréments des assistants familiaux sera présenté au CNPE. C'est trop long – je ne peux pas le dire autrement. C'est pourquoi j'ai fait pression pour que le décret soit soumis ensuite au Conseil d'État, puis mis en application.
S'agissant de la formation, le socle de compétences requises pour chaque métier fait l'objet d'une large réflexion avec ma collègue Catherine Vautrin. Quant à l'exclusion de Parcoursup des formations au travail social, j'y suis favorable, pour vous répondre très clairement, car on mesure à présent les conséquences de cette procédure sur les inscriptions, donc sur les profils des étudiants.
Enfin, en ce qui concerne la recentralisation, vous comprendrez que j'attende les propositions de la mission Woerth, chargée de mener une réflexion sur la décentralisation. Mais, à titre personnel, je crois que la question de la collégialité doit se poser. Par ailleurs, le renforcement du pilotage par le GIP France enfance protégée est une hypothèse. Je ne peux pas aller plus loin, par respect pour les travaux en cours.
Mme la présidente
La parole est à Mme Perrine Goulet.
Mme Perrine Goulet (Dem)
En matière de protection de l'enfance, on ne peut pas, j'en suis convaincue, continuer à opposer l'État et les départements. Nous avons, au contraire, besoin de les faire travailler ensemble, car un enfant est un tout qui ne peut pas se diviser pas en fonction des compétences de l'un et des autres. Au demeurant, certaines politiques définies au niveau national rencontrent également des difficultés ; la recentralisation n'est donc pas forcément la solution.
En matière de prise en charge, certains des dispositifs prévus dans la loi – le tiers digne de confiance, que vous avez évoqué brièvement, ou l'accueil durable bénévole – ne sont pas déployés alors qu'ils contribuent à amoindrir la rupture pour les enfants. Comment pouvons-nous favoriser le recours à ces dispositifs de désinstitutionnalisation par les départements et les juges, dont la coordination est nécessaire ?
Par ailleurs, je veux être certaine de bien comprendre : est-il possible pour les assistants familiaux de cumuler leur activité avec un travail ? Il est nécessaire d'avoir de multiples types de places : tous les enfants n'ont pas besoin d'un assistant familial à temps plein. Certains d'entre eux peuvent, par exemple, déjeuner à la cantine ou aller à la garderie, comme tous les autres. Le cumul permettrait d'ouvrir des places d'accueil supplémentaires.
Nous devons, je crois, renforcer le projet pour l'enfant : l'État, notamment l'éducation nationale, doit participer à son élaboration. Il est aberrant que l'on propose à des jeunes une orientation qui ne correspond pas à leurs possibilités scolaires. Or l'éducation nationale a un rôle majeur à jouer dans ce domaine, pour mettre fin à l'assignation de ces jeunes aux filières courtes. Grâce au dispositif de bourse que nous avons adopté et à la possibilité qu'ils ont de se loger pendant les douze mois de l'année, les enfants de l'aide sociale à l'enfance peuvent poursuivre leurs études – il faut le rappeler.
Enfin, que pensez-vous de la possibilité pour les enfants de bénéficier d'une prise en charge à 100 % des soins psychologiques de ville ? Souvent, ils sont obligés d'attendre qu'une place en centre médico-psychologique se libère alors qu'ils pourraient consulter un praticien en ville si les frais étaient entièrement pris en charge.
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
Opposer l'État et les départements ne correspond pas à ma philosophie. Je crois, au contraire, que nous avons besoin de tout le monde – État, départements, associations, professionnels et travailleurs sociaux, éducation nationale, PJJ et, bien entendu, les parents eux-mêmes – pour sortir de la crise aiguë que nous traversons.
Vous avez évoqué l'accueil durable bénévole. J'estime qu'il n'est pas suffisamment accompagné ; l'allocation, par exemple, n'est pas à la hauteur. J'irai, à titre personnel, un peu plus loin : il faut, pour conforter la sécurité affective, aller jusqu'à envisager l'adoption simple.
Quant à la possibilité pour les assistants familiaux d'avoir un travail, j'y crois. Il faut autant de profils que possible, et sortir de la vision historique du temps plein exclusif. Des familles d'accueil dans lesquelles les assistants familiaux exercent un temps partiel ou ont un autre emploi peuvent accueillir un ou deux enfants – pas forcément trois à chaque fois. Les enfants n'ont pas tous les mêmes besoins. Donc, mille fois oui ! Certains départements – le Nord, je crois – avancent dans ce domaine, mais nous pouvons aller beaucoup plus loin. Il nous appartient de sécuriser ces parcours. Mes services, que j'ai interrogés afin de comprendre pourquoi cela ne marche pas aussi bien, ont mentionné des obstacles liés notamment à la fonction publique. Cependant, je ne crois pas que ce soit une source de blocages. En tout cas, il faut y aller !
Je suis d'accord pour que l'éducation nationale participe à l'élaboration des PPE. Mon triple rattachement – au garde des sceaux, à la ministre de l'éducation nationale et à la ministre du travail, de la santé et des solidarités – doit nous permettre de la solliciter à ce sujet. Les enfants accueillis dans le cadre de l'aide sociale à l'enfance ne sont pas condamnés à faire des études courtes. Cela nous ramène à la question du contrat jeune majeur : le choix des jeunes ne peut pas dépendre de la durée garantie de l'accompagnement. Il faut permettre à chacun de ne pas s'interdire un certain type d'études.
Mme la présidente
Je vous remercie, madame la ministre.
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
Enfin, je suis favorable également à la prise en charge à 100 % des soins psychologiques dispensés dans le secteur libéral.
Mme la présidente
La parole est à Mme Soumya Bourouaha.
Mme Soumya Bourouaha (GDR-NUPES)
L'aide sociale à l'enfance est, hélas ! en souffrance, notamment dans la prise en charge des mineurs non accompagnés. Or le Conseil d'État a jugé, en 2019, que le refus d'assurer dans les plus brefs délais un accueil d'urgence de ces mineurs constituait une carence caractérisée des autorités de chaque département. Je regrette que certains hommes et femmes politiques prennent prétexte de la nationalité de ces jeunes pour justifier que l'État ne leur vienne pas en aide, alors qu'ils sont avant tout des enfants en danger qui ont besoin d'être protégés.
Aussi, je m'interroge sur les initiatives que vous avez prises, au nom de l'État, afin d'imposer le respect de la loi aux collectivités qui s'en affranchissent et choisissent de laisser ces enfants à l'abandon. N'y aurait-il pas là matière à renforcer les contrôles et à faire respecter les obligations ?
Les contrats jeune majeur concernent 10 % des personnes suivies, soit environ 35 000 jeunes âgés de 18 à 21 ans. On comprend mal pourquoi les jeunes étrangers présents sur notre sol ne pourraient pas bénéficier de ces contrats. La loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration du 27 janvier 2024 a supprimé l'obligation de prendre en charge dans ce cadre ceux qui font l'objet d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Pourtant, le rapport de la Cour des comptes de janvier dernier souligne que le très grand nombre de procédures enclenchées « engorge les préfectures », qui « délivrent parfois des OQTF à des personnes insérées dans la société » ou qui « ne peuvent pas être éloignées », par exemple les ressortissants des pays en guerre. Comptez-vous mettre fin à cette discrimination en ouvrant les contrats jeune majeur aux mineurs non accompagnés, qui ont souvent la volonté de s'intégrer dans notre société ?
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
Ce qui est certain, c'est qu'un enfant doit être accueilli et protégé, quelle que soit sa nationalité. Nous devons aux mineurs non accompagnés le même accueil et le même accompagnement qu'aux autres. Certes, la loi « immigration » supprime l'obligation pour les départements de prendre en charge, dans le cadre d'un contrat jeune majeur, les jeunes sous OQTF. Mais les présidents de conseil départemental conservent la possibilité de le faire.
Par ailleurs, je serai au rendez-vous de l'accompagnement des départements qui veulent s'investir pour trouver des solutions. Quant à ceux qui ne le souhaitent pas ou qui défendent des positions politiques en la matière, une instruction, en cours de rédaction, sera adressée aux préfets pour rappeler que la France est un État de droit et qu'il est le même pour tout le monde : on ne pioche pas dans le droit en fonction de ce que l'on veut faire. Nous favoriserons donc les déférés contre les délibérations des conseils départementaux qui n'accueillent pas de MNA dont la minorité a été reconnue : parce que ces derniers sont des enfants, ils doivent être accueillis et protégés. Il arrive, m'a-t-on rapporté, que personne ne soit là pour accueillir à la gare des mineurs qui descendent de leur train. Je ne suis pas naïve. Les déférés engageront la responsabilité des départements devant les tribunaux administratifs.
Mme la présidente
La parole est à Mme Béatrice Descamps.
Mme Béatrice Descamps (LIOT)
Je me permets d'aborder les difficultés que peuvent rencontrer nos départements, en prenant l'exemple de celui du Nord. Si le budget de la collectivité a augmenté, notamment dans le cadre du plan d'urgence de 2022 – ce qui est bienvenu –, un décalage demeure entre le rythme des décisions de justice et celui de la création des places d'hébergement. Ainsi, pour dix places créées, quinze nouveaux enfants ont besoin d'être protégés. La situation de ces jeunes est de plus en plus dégradée, leurs besoins de plus en plus spécifiques et les professionnels, départementaux ou associatifs, de moins en moins nombreux.
Nous constatons aussi une augmentation du nombre de placements d'enfants âgés de 0 à 3 ans, et ce malgré les multiples actions de prévention précoces qui sont menées, ou encore le déploiement du programme des 1 000 premiers jours.
Le besoin en infrastructures spécialisées pour les enfants en situation de handicap est également grand, dans la mesure où les structures classiques ne constituent plus une réponse suffisante. En effet, sur les 1 590 enfants valenciennois confiés à l'ASE, 25,5 % d'entre eux font l'objet d'une notification de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH). Les lieux de placement sont saturés et ne parviennent plus à répondre aux besoins des enfants aux parcours les plus complexes, particulièrement dans un contexte où l'offre médico-sociale et sanitaire est également saturée.
Madame la ministre, je sais que vous avez conscience de la situation que je viens de décrire rapidement et de l'engagement du département du Nord. Quelle réponse et quel accompagnement pouvez-vous lui apporter ?
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
La situation du Nord est effectivement encore plus grave que celle d'autres départements. J'ai d'ailleurs été directement sollicitée par le président de ce département, ainsi que par ceux des quatre autres de la région Hauts-de-France. Comme je l'ai fait avec d'autres présidents de conseil départemental qui le souhaitaient, je les recevrai prochainement.
Je le répète, il s'agit de trouver des solutions immédiates, comme la mobilisation les agences régionales de santé ARS si nécessaire. Je le sais, car cela m'a été rapporté et parce que nous sommes intervenus : il y a parfois des incompréhensions avec les ARS lorsqu'elles refusent des projets quelque peu expérimentaux des Itep ou des IME. L'accompagnement des enfants en situation de handicap est tendu partout, mais nous devons une prise en charge spécifique à ceux qui sont accueillis dans le cadre de la protection de l'enfance.
Concernant les 1 000 premiers jours, il s'agit d'une bonne politique qu'il faut poursuivre. La maison des 1 000 premiers jours d'Arras, par exemple, accomplit de très bonnes choses. Nous pouvons aller plus loin, sachant que je m'inscris dans la continuité des travaux qui ont déjà été entrepris. Le soutien à la parentalité doit être renforcé, et je m'y attelle.
Quant aux placements judiciaires, nous pouvons vraiment nous demander pourquoi le déséquilibre avec les placements administratifs est aussi important, les premiers représentant 80 % des décisions et les seconds 20 %.
Il y a manifestement un problème d'adhésion des parents, sans laquelle on ne peut procéder à un placement administratif. Cela étant, je le répète, personne n'a jamais pris la peine de réfléchir aux moyens de la susciter, ni de se demander pourquoi nous attendons autant et pourquoi le taux de judiciarisation est si élevé.
Pour les présidents de département, cela pose la question du manque de pilotage et, parfois, du délai avant la prise de décision. Ce délai dégrade la situation des enfants qui, au bout du compte, sont bien les victimes de cette situation. J'y insiste : une telle attente va à l'encontre de leurs propres intérêts.
En définitive, il faut commencer par répondre aux spécificités territoriales, car il y en a et il faut les considérer, puis travailler à l'adhésion des familles, afin de rééquilibrer autant que possible les décisions, en veillant à ce que la protection judiciaire de la jeunesse soit au rendez-vous.
Mme la présidente
La parole est à Mme Eva Sas.
Mme Eva Sas (Écolo-NUPES)
J'ai déjà eu l'occasion de le dire, 25 % des personnes sans domicile fixe nées en France sont d'anciens enfants placés, un chiffre qui atteint les 40 % s'agissant des SDF de moins de 25 ans. C'est une honte et le signe d'un échec.
La puissance publique ne parvient pas à accompagner ces jeunes pour leur donner, à leur majorité, les moyens de s'épanouir et de s'insérer dans la société. Une fois leur dix-huitième bougie soufflée, il leur reste à appeler le 115, ou plutôt, faute de places disponibles, à se contenter du bitume ou d'un banc comme seul refuge.
Pour éviter cette rupture de l'accompagnement, les dispositifs d'accueil provisoires jeunes majeurs, souvent appelés contrats jeune majeur, doivent être massivement soutenus, car les sorties sèches se poursuivent, par manque de moyens.
Lors de l'examen du dernier projet de loi de finance, nous proposions de créer un fonds de 1 milliard d'euros. Cela aurait constitué un geste fort de l'État en direction des départements : le coût de l'accompagnement des jeunes de plus de 18 ans aurait été partagé à parts égales. Cependant, notre amendement n'a pas été soutenu par la majorité.
Ce matin, en commission des finances, nous avons auditionné le président de l'Assemblée des départements de France, François Sauvadet. Le constat est très clair : les départements ont perdu 3,9 milliards d'euros de droits de mutation à titre onéreux (DMTO), tandis que leurs dépenses sociales ont explosé, augmentant de 2,5 milliards d'euros. Au total, quatorze départements ne sont déjà plus en mesure de boucler leur budget et une majorité d'entre eux – même si leur situation est variable – ne peuvent plus faire face aux besoins de la protection de l'enfance. Déjà grave, la situation risque donc de se dégrader encore davantage dans le courant de l'année.
Ma question sera simple : quels moyens l'État compte-t-il apporter aux départements pour la protection de l'enfance ? Plus particulièrement, quels moyens êtes-vous prête à débloquer pour les contrats jeune majeur ? Soyons clairs, ce dispositif ne se développera pas sans soutien financier de l'État, et les jeunes issus de l'ASE continueront de finir dans la rue si vous ne prenez pas vos responsabilités.
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
Vous m'avez déjà interrogée sur les contrats jeune majeur, ainsi que sur la précarité de ceux qui peuvent se retrouver à la rue. Comme je l'ai dit, j'ai entendu des témoignages de jeunes expliquant qu'ils avaient appelé le 115. Soyons très clairs, ce n'est pas la promesse que nous devons à ces enfants.
Pour être concrets, car c'est l'objet de notre rencontre, les contrats jeune majeur ne doivent être ni aléatoires, ni à la carte, ni sources d'autant d'inégalités d'une personne à l'autre. C'est la raison pour laquelle il nous faut établir un référentiel minimal, c'est-à-dire une base commune pour le contenu de tous les contrats.
Se pose ensuite la question de l'autonomie. Une sortie sèche est dramatique : il s'agit de la perte de chances la plus complète qui soit. C'est pourquoi il nous faut être au rendez-vous de l'entretien d'autonomie obligatoire à 17 ans, et de celui qui doit avoir lieu six mois après la sortie de l'ASE. À cet égard, l'opportunité d'un accompagnement jusqu'à l'âge de 25 ans a été évoquée tout à l'heure : je n'y suis pas du tout opposée.
La question des moyens se posera bien sûr.
Mme Eva Sas
C'est toute ma question !
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
Cela ne vous étonnera pas que je ne puisse à cet instant accepter ou refuser un amendement à ce sujet.
Mme Mathilde Panot
Vous l'avez déjà torpillé, madame la ministre !
Mme Ségolène Amiot
Le Gouvernement lui a donné un avis défavorable !
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
L'enjeu est celui des inégalités, car si certains départements sont très impliqués, d'autres font beaucoup moins. La responsabilité politique de ceux qui disposent de la compétence de la protection de l'enfance est donc aussi en question.
Pour ma part, je ne m'habituerai pas à de telles inégalités d'un département à l'autre. Je le répète, le contrat jeune majeur, et le référentiel qui doit l'accompagner, est essentiel. Il nécessitera certainement des moyens supplémentaires, madame la députée. Avec les départements, je m'efforcerai de répondre aux besoins.
Mme Mathilde Panot
Vous avez torpillé l'amendement !
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
Encore une fois, je ne nie pas les inégalités. Les enfants n'ont pas choisi de se trouver dans un département plutôt que dans un autre. Il nous revient de garantir l'égalité,…
Mme Ségolène Amiot
C'est pour ça que nous avons besoin de moyens !
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
…travail pour lequel j'ai besoin des départements.
Mme la présidente
La parole est à Mme Béatrice Roullaud.
Mme Béatrice Roullaud (RN)
Nous avons constaté tout à l'heure, au travers des différentes interventions, la nécessité de désigner un avocat pour accompagner les enfants, ce à quoi vous aviez été plutôt sensible, madame la ministre.
Je vous relaterai un cas que j'ai hélas eu à connaître au cours de ma vie professionnelle : celui d'une maman qui exerçait des maltraitances, d'ailleurs graves et même vicieuses, sur ses enfants. Je vous épargnerai les détails, mais je pourrai vous les communiquer par courrier si cela vous intéresse. Cette mère avait comparu devant le tribunal correctionnel en étant assistée d'un avocat commis d'office, alors que ses enfants, eux, n'étaient pas accompagnés. Fort heureusement, compte tenu de la gravité des faits, la juge avait demandé le renvoi du dossier devant la cour d'assises. Une instruction avait alors été menée et les enfants avaient reçu le conseil d'un avocat.
Plus généralement, nous savons bien qu'un avocat n'est pas toujours présent. J'ajoute qu'en cas de conflit entre un parent maltraitant et son enfant, la nomination d'un administrateur ad hoc prend du temps, ce dernier ne désignant d'ailleurs pas toujours un avocat. Il y a donc des trous dans la raquette.
En conséquence, ne pourriez-vous pas agir auprès des ministres chargés de la justice et des finances pour faire droit à la présence automatique d'un avocat aux côtés des mineurs lors des procédures civiles et pénales ? Cette demande figurait dans le programme présidentiel de Marine Le Pen… (Murmures sur plusieurs bancs.)
Mme Catherine Couturier
Oh là là !
Mme Marianne Maximi
C'est bon, elle l'a citée !
Mme Béatrice Roullaud
Merci de respecter les autres.
Je l'avais défendue par voie d'amendements lors de l'examen du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, mais ils avaient été rejetés.
Je sais que cette proposition coûte de l'argent, mais si nous voulons renforcer la protection des mineurs, ce sont bien les premières personnes qu'il faut accompagner.
Mme la présidente
Veuillez conclure, chère collègue.
Mme Béatrice Roullaud
Dans la mesure où vous êtes sensible à cette question, madame la ministre, pourriez-vous insister en ce sens ?
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
Vous posez la question importante de l'accompagnement des enfants par un avocat. Rappelons d'abord que la loi du 25 février 2022 donne la possibilité au juge des enfants d'ordonner l'assistance d'un avocat en cas d'absence de discernement de l'enfant. Une expérimentation plus large est actuellement conduite : je suis pour ma part favorable à ce dispositif, car j'estime qu'il est important que les enfants soient accompagnés par un avocat en pareilles circonstances.
Cela étant, la question de la systématisation de cette présence se pose. Je reste très à l'aise sur ce sujet. Outre l'aspect financier, d'autres points seraient à éclaircir. Dans le cas d'une fratrie, par exemple, faudrait-il nommer un avocat par enfant ou un seul pour l'ensemble des frères et sœurs ? Cette question n'est probablement pas la plus difficile à résoudre.
De plus, il conviendrait de clarifier les rôles respectifs de l'administrateur ad hoc, lorsque l'un d'eux a été nommé, et de l'avocat – élément qui ne me semble pas non plus bloquant.
Enfin, une généralisation de la présence d'un avocat nécessiterait de s'interroger sur les moyens à accorder aux plus petits barreaux pour les aider à faire face aux demandes.
Les concertations avec le ministère de la justice sont en cours. Pour ma part, je suis favorable à cette présence systématique, l'expérimentation me paraissant concluante. Resterait donc à réfléchir à l'application concrète d'un tel dispositif et à éviter que celle-ci ne soit inégale d'un territoire à l'autre. Encore une fois, c'est l'intérêt supérieur de l'enfant qui doit primer. Il est certain que ce n'est pas la même chose d'être accompagné par un professionnel de la justice ou de ne pas l'être.
Mme la présidente
Madame la ministre, je vous remercie.
Le débat est clos.
Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 5 avril 2024