Texte intégral
Bonjour à tous,
Nous sommes réunis ce matin autour d'un sujet décisif pour la nation française : la lutte contre le narcotrafic.
La drogue est une gangrène pour l'ensemble notre tissu social.
Les agents de cette propagation, ce sont les trafiquants.
Le remède, c'est une tolérance 0, appliquée avec des moyens à la hauteur de l'enjeu.
Le président de la République en a fait une priorité nationale. Ma détermination est totale.
Quel est l'état des lieux des drogues en France ?
A. Nous faisons face à une présence massive de drogues
Le narcotrafic concerne 200 000 personnes et représente un chiffre d'affaires annuel de 3,5 Md€ dans notre pays.
Le cannabis reste de très loin la drogue la plus consommée, avec 1,3 millions d'usagers réguliers et 5 millions de Français qui touchent au moins une fois un " joint " chaque année. Ces chiffres nous placent à la triste première place des pays européens.
Ce cannabis provient pour près de 70% du Maghreb, après avoir traversé la mer Méditerranée, l'Espagne et les Pyrénées.
Il est de plus en plus fort, puisque son taux de THC, responsable des effets psychotropes et de l'addiction, a été multiplié par 7 en 20 ans.
Vient ensuite la cocaïne, dont la consommation a été multipliée par 4 en Europe en 20 ans. Ce « tsunami blanc » n'épargne pas la France : 2 millions de nos compatriotes en ont déjà fait l'usage.
Nous devons cette explosion au double effet d'une hausse de la production et d'une saturation du marché nord-américain, foyer historique de consommation de cocaïne. Pour trouver de nouveaux débouchés, les trafiquants ont décidé de cibler notre continent.
Cette cocaïne, qui provient à 90% de Colombie et du Pérou, traverse l'Atlantique par bateau ou par avion. Produite au coût de 1000 €/kilo, elle est revendue au détail à 32000 €/kilo, soit 32 fois plus.
Il s'agit par conséquent d'une drogue très rentable, qui enrichit considérablement les trafiquants.
Enfin, la troisième forme de drogues qui nous inquiète, ce sont les drogues de synthèse (métamphétamine, ecstasy, GHB) et les opïodes (morphine, fentanyl, tramadol).
Ces drogues font déjà des ravages aux Etats-Unis. Au cours de la seule année 2023, 120 000 Américains sont morts d'une overdose.
Ces drogues arrivent désormais en Europe. Comment ?
Des agents chimiques comme des solvants ou des acides, qui peuvent être utilisés légalement dans l'industrie chimique, sont importés en provenance de Chine et Hong-Kong.
Ils sont ensuite détournés et transformés sous la forme de drogues particulièrement addictives, vendues quelques euros.
En résumé : nous sommes confrontés à des produits de plus en plus nocifs et de plus en plus accessibles.
B. Cette présence de drogues en France est renforcée par deux évolutions
Première évolution : les trafiquants de drogues ont désormais des moyens comparables à ceux des Etats.
Je pense à leur arsenal technologique :
• Aux sous-marins, grâce auxquels ils transportent la drogue sans être repérés ;
• Aux balises et aux caméras, qu'ils positionnent notamment dans les conteneurs de stupéfiants, afin de mieux les tracer ;
• Aux téléphones cryptés, qui leur permettent de communiquer sans craindre d'être écoutés.
Je pense aussi à leurs méthodes :
• Corruption des agents portuaires ;
• Menace contre le personnel politique, comme nous l'avons vu récemment aux Pays-Bas.
Nous ne sommes plus face à des réseaux quasi-artisanaux, qui cherchent simplement à écouler leurs marchandises.
Nous sommes face à des systèmes mafieux ultra-professionnels. Ils ne craignent plus les Etats et cherchent même à les terroriser.
Faisons en sorte que la peur change de camp.
Deuxième évolution : l'endogénéisation de la production de drogue, qui progresse sur le sol européen et sur le sol français.
La drogue est un commerce.
Nous assistons en matière de narcotrafic à ce à quoi nous assistons pour toutes les autres formes de commerce : le passage de la globalisation à la relocalisation.
Il y a bien une régionalisation des chaînes de valeur des stupéfiants, y compris en Europe.
Dans un espace qui favorise la circulation des marchandises, les situations de nos voisins ont nécessairement un impact sur nous.
Nous regardons attentivement deux pays.
Les Pays-Bas tout d'abord, qui sont en train de devenir pour la production de drogues de synthèse ce que la Colombie est à la production de cocaïne.
Débarqués par les ports d'Amsterdam et de Rotterdam, les composants chimiques à double usage sont directement acheminés dans des laboratoires à proximité. Là, ils sont transformés en drogue et diffusés par les axes routiers dans le reste du continent.
Si rien ne change, nous risquons donc de voir apparaître de nouveaux Medellin au coeur de l'Europe.
L'Espagne ensuite, qui produit de plus en plus de cannabis mais aussi des drogues de synthèse, sous l'impulsion de chimistes mexicains arrivés récemment.
S'il n'y a pour l'instant de production à un niveau industriel en France, nous restons très vigilants. Nous commençons notamment à voir s'implanter des trafiquants étrangers venus de cartels sud-américains. Il faut agir vite car il sera bientôt trop tard.
Voilà pour l'état des lieux.
Je suis lucide : le narcotrafic représente un danger majeur pour notre sécurité nationale, que je considère avec la même gravité que le danger terroriste.
Il représente 315 homicides ou tentatives d'homicides en 2023, dont 47 homicides rien qu'à Marseille.
Il appelle à une réponse intraitable à tous les niveaux.
J'assume cette responsabilité, car je suis à la tête d'un ministère qui est en première ligne.
Quels sont les moyens dont dispose le Ministère de l'Economie et des Finances ?
A. Nous contrôlons les frontières
Je rends ici hommage au travail exceptionnel accompli par les services des douanes et leur agence de renseignement, la Direction Nationale du Renseignement et des Enquêtes Douanières.
L'année dernière, les douaniers ont procédé à près de 16 000 saisies.
Ils ont récupéré un total de 92 tonnes de drogue, pour une valeur marchande de 855 M€ – ce qui représente 70% du total des saisies de stupéfiants dans notre pays.
B. Nous luttons contre le blanchiment d'argent
Le blanchiment consiste à dissimuler l'origine de fonds obtenus illégalement, afin qu'ils paraissent avoir été obtenus légalement.
Dans les cas qui nous occupent, il consiste à réinjecter l'argent de la drogue dans le circuit courant.
Mais qu'est-ce cela recoupe en pratique ?
L'argent est collecté par les trafiquants sous la forme d'espèce, de cryptoactifs, de cartes prépayées ou encore de virements dans des comptes éphémères proposés par des néo-banques.
Il est ensuite intégré à la comptabilité d'un bar à chicha ou d'un garage automobile, dont on va faire augmenter artificiellement le chiffre d'affaires.
Il peut aussi être dépensé dans l'achat d'un bien immobilier de luxe ou dans des jeux d'argent. Pour être très concret : un trafiquant préfère perdre une partie de ses gains illégaux en jouant, pour récupérer légalement une somme même inférieure. C'est le prix à payer du blanchiment.
Traquer ce blanchiment d'argent, c'est le rôle des services de Tracfin et de ses 220 agents.
Quel bilan depuis sept ans ?
Notre ministère a considérablement renforcé ses moyens humains, matériels et juridiques de lutte contre le narcotrafic.
Sur les moyens humains.
Depuis 2017, les effectifs de surveillance des douanes ont été augmenté de 287 équivalents temps plein, et ceux de Tracfin ont presque doublé : de 125 agents en 2017 à 220 aujourd'hui et 235 à la fin de l'année 2024.
Sur les moyens matériels.
Nous avons modernisé les équipements et moyens de détection des douanes, avec le « Plan stup » de 2019 et le " Plan port " de 2023.
Les douanes mobilisent ou mobiliseront bientôt :
• Leurs 120 lecteurs automatiques de plaques d'immatriculation – LAPI –, qui permettent de traquer les trafiquants sur les routes ;
• Leurs " camionnettes scanners ", qui seront prochainement positionnées au sein même des terminaux sensibles pour détecter les cargaisons ;
• Un algorithme de détection des stupéfiants envoyés par colis postaux, qui est en train d'être expérimenté.
Sur les moyens juridiques.
L'arsenal juridique des douanes a été renforcé avec la " loi douanes " de 2023, qui comprend :
• L'assouplissement des procédures de saisies des agents chimiques nécessaires aux drogues de synthèse. Concrètement, nous saisissons dès que nous avons un doute sur le caractère illégal de l'utilisation d'un solvant ;
• L'élargissement du recours aux techniques spéciales d'enquête comme la captation d'images ou la sonorisation ;
• La retenue temporaire de sommes d'argent en liquide à l'intérieur du territoire, en cas d'indices de liens avec une activité criminelle.
Beaucoup reste à faire mais les résultats sont là : l'équivalent de 664 tonnes de drogues ont été saisies depuis 2017, pour une valeur marchande de plus de 5 Md€.
C'est la preuve de notre détermination et de notre efficacité croissantes.
1. L'impératif est maintenant d'augmenter encore le niveau de notre posture
Tout doit être mis sur la table, y compris des mesures susceptibles de rogner sur certaines libertés publiques, comme nous avons pu le faire face au terrorisme.
Aucun Français n'acceptera que son enfant puisse risquer de prendre une balle perdue à la suite d'un règlement de compte, parce que nous n'avons pas pris les mesures nécessaires.
Au niveau du renseignement.
Il faut permettre à nos services douaniers d'accéder au maximum de données et de les croiser. Concrètement, ils ont besoin d'obtenir plus d'informations des grandes compagnies de transport maritime et de la logistique afin de pouvoir rapidement déceler les conteneurs suspects.
Je réunirai prochainement les représentants de ces grandes compagnies pour avancer avec eux sur ce sujet.
Il nous faut également renforcer la coopération internationale. C'est l'objet de l'« Alliance européenne des ports » promue par la Commission européenne et dont nous soutenons l'idée.
La lutte contre le narcotrafic doit se faire en même temps et avec la même intensité à Rotterdam, Anvers, Gênes ou Le Havre.
Au niveau des moyens technologiques, qui sont liés à cette question du renseignement.
Face à la diffusion des techniques de chiffrements des téléphones, l'avantage que nous avions en matière d'écoutes et d'interceptions s'est renversé. Il est nécessaire d'investir afin de réaliser un saut technologique et de pouvoir récupérer notre avance.
Les Etats-Unis sont aujourd'hui capables de pénétrer les applications les plus sécurisées. Il est hors de question qu'elles nous échappent.
Au niveau administratif.
Nous devons simplifier et accélérer les procédures pour taper plus efficacement les trafiquants au portefeuille.
Concrètement, la réponse juridique, d'ordre répressive, avec un magistrat qui ordonne de confisquer les avoirs d'un trafiquant condamné, ne suffit plus.
Il faut ajouter une lame préventive, celle de la procédure administrative.
Dès que nous avons des indices graves, il nous faut passer à l'action et geler instantanément les avoirs des têtes de réseau et de leurs lieutenants. Ce gel s'appliquera à l'ensemble des gestionnaires financiers et gérants d'actifs – banques, assurances, notaires et agents immobilier.
Ce gel administratif n'existe pas pour l'instant, nous allons le mettre en place.
C'est ce que nous faisons déjà pour le terrorisme.
À menace similaire, réponse similaire.
Conclusion
Je voudrais conclure sur une note plus personnelle.
Si j'ai toujours redouté la drogue plus que tout, en tant que responsable politique, en tant qu'individu et en tant que père de famille, je m'inquiète de voir certains relativiser ce danger.
Le cannabis est en train d'être banalisé. Le cannabis n'est pas récréatif mais destructeur. Il crée des troubles du comportement, en particulier chez les plus jeunes consommateurs, allant jusqu'à la schizophrénie.
La cocaïne est en train de devenir chic. C'est pourtant un poison qui ruine votre vie.
Les drogues de synthèse sont perçues comme un problème strictement américain. C'est manquer de voir que ce qui se passe là-bas est sur le point d'arriver ici.
Toute la société a une responsabilité à jouer, et je ne voudrais pas terminer sans évoquer les consommateurs.
Certains consommateurs ont une responsabilité directe. Quand on achète de la drogue, on alimente les trafics, on nourrit le crime. Ils le savent et le font pour leur " plaisir " supposé.
D'autres consommateurs sont véritablement malades. Ils souffrent. Il faut les traiter et les accompagner pour les aider à sortir de leur dépendance.
Je ne me résoudrais jamais à banaliser la drogue ou à considérer que la bataille est perdue d'avance.
Source https://www.economie.gouv.fr, le 5 avril 2024