Texte intégral
Mme la présidente
L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « La place dans la société et dans le droit des familles monoparentales ».
Ce débat a été inscrit à l'ordre du jour à l'initiative du groupe Gauche démocrate et républicaine-NUPES. À la demande de ce dernier, il se tient en salle Lamartine, afin que des personnalités extérieures puissent être auditionnées.
La conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties. Nous commencerons par une table ronde, en présence de personnalités invitées, d'une durée d'une heure. Puis nous procéderons, après avoir entendu une intervention liminaire du Gouvernement, à une nouvelle séquence de questions-réponses, d'une durée d'une heure également. La durée des questions et des réponses sera limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
(…)
Mme la présidente
La séance est reprise.
La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles.
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles
Je remercie le groupe GDR d'avoir inscrit à l'ordre du jour de cette semaine de contrôle un débat sur les familles monoparentales : ce sujet crucial est au coeur de l'actualité et je suis ravie, en tant que ministre déléguée à l'enfance, à la jeunesse et aux familles, de voir qu'il suscite tant d'engagement et d'intérêt. En témoignent la proposition de loi visant à lutter contre la précarité des familles monoparentales, déposée par Pierre Dharréville, mais aussi les propositions de loi sur la défiscalisation de la pension alimentaire présentées par différents groupes de l'Assemblée et le travail des députés Philippe Brun et Sarah Legrain sur la création d'un statut de parent isolé. Cet intérêt est partagé par le Président de la République depuis le début de son premier quinquennat. Plus récemment, le Gouvernement a confié à votre collègue Fanta Berete et au sénateur Xavier Iacovelli la mission d'identifier les mesures qui permettraient de mieux accompagner les mamans solos et d'impliquer davantage le père ou le deuxième parent.
Les familles monoparentales sont une réalité incontournable de notre pays. Elles représentent une famille sur quatre et concernent un enfant sur cinq. La monoparentalité pose trois défis en particulier : celui de la pauvreté, parce que ces familles y sont particulièrement exposées – 33 % d'entre elles vivent sous le seuil de pauvreté – ; celui de l'égalité des chances, car 41 % des enfants de ces familles vivent au-dessous du seuil de pauvreté, contre 21 % de l'ensemble des enfants ; celui de l'égalité entre les femmes et les hommes, le parent isolé étant une femme dans plus de 80 % des cas, et une femme confrontée plus que les autres à la difficulté de concilier sa vie familiale et sa vie professionnelle.
Face à cette réalité, le Gouvernement a pris des mesures ambitieuses dès 2017 pour soutenir ces familles et faciliter leur quotidien. Sous le précédent quinquennat, une avancée majeure a été accomplie avec la création du service public des pensions alimentaires, en réponse à une demande exprimée lors du grand débat. Ce nouveau service permet d'assurer le versement des pensions alimentaires lorsqu'il fait défaut. Depuis octobre 2020, nous avons reçu pas moins de 136 000 demandes d'intermédiation financière, ce qui démontre l'ampleur du problème et l'urgence qu'il y avait à y répondre. Pour aller encore plus loin, le 1er janvier 2023, nous avons rendu automatique ce dispositif dès lors qu'une pension alimentaire est fixée. Cette mesure vise à garantir la sécurité financière des familles monoparentales en assurant le versement régulier des pensions alimentaires.
Nous avons également augmenté de 50 % l'allocation de soutien familial (ASF), passée de 123 à 184 euros par mois et par enfant. Cette allocation, qui correspond à la pension alimentaire minimale, bénéficie à plus de 1,3 million d'enfants et ne sera pas prise en compte dans le calcul du RSA. Nous renforçons ainsi le soutien aux familles monoparentales les plus vulnérables.
Nul ne peut nier que ces différentes mesures améliorent significativement les conditions de vie des familles monoparentales et réduisent les inégalités qui les menacent plus que d'autres, quoiqu'insuffisamment. Je suis consciente de la responsabilité qui m'incombe et de l'immense chantier qui nous attend pour accompagner ces enfants, ces jeunes, dont le potentiel est immense, et leurs familles vers un avenir meilleur. Permettez-moi donc de vous présenter ma feuille de route et mes priorités.
Tout d'abord, je souhaite accompagner la montée en puissance de l'Aripa. Nous ne pouvons tolérer que des familles se retrouvent dans des situations précaires en raison du non-versement des pensions alimentaires. Je veillerai à ce que cette agence dispose des ressources nécessaires pour remplir sa mission de manière efficace et équitable. Dans un monde où concilier vie professionnelle et vie familiale est une gageure pour chacun d'entre nous, les parents solos sont exposés à des défis encore plus complexes car ils disposent moins souvent de relais familiaux, amicaux ou de voisinage pour prendre en charge leurs enfants avant ou après l'école, pendant les petites et les grandes vacances. Afin de faciliter l'accès des familles monoparentales à un mode de garde, le complément de libre choix du mode de garde (CMG) sera étendu jusqu'aux 12 ans de l'enfant à compter du 1er septembre 2025 pour ces familles. Cette mesure vise à alléger leur fardeau financier et à leur offrir un soutien concret au quotidien.
Tel est également le sens du développement des crèches à vocation d'insertion professionnelle (Avip), que je souhaite accélérer. Je saisis cette occasion pour saluer le travail de la députée Marie-Pierre Rixain, qui a obtenu leur sanctuarisation dans la loi du 24 décembre 2021 visant à accélérer l'égalité économique et professionnelle. Ces crèches jouent un rôle essentiel en proposant aux parents, en particulier aux mamans solos engagées dans un parcours d'insertion professionnelle, un accès rapide et facilité à une place pour leur enfant. Mon objectif est clair : d'ici à 2027, nous visons l'ouverture de 1 000 crèches Avip supplémentaires en métropole et dans les territoires d'outre-mer.
Les entreprises ont aussi un rôle à jouer pour mieux accompagner les salariés dans l'adaptation de leur temps de travail et dans la conciliation de leur vie professionnelle et de leur vie personnelle. Lorsqu'on est parent solo, les réunions tôt le matin, tard le soir, les imprévus et les jours de maladie sont plus difficiles à assumer : on doit s'organiser seul, parfois au prix de sa carrière. Au-delà de l'enjeu de l'efficacité au travail, la question du rôle social de l'entreprise est ici posée.
Outre les aspects financiers et d'organisation du travail propres à la situation des familles monoparentales, nous savons que la séparation fragilise les liens familiaux. Les enfants de parents séparés voient deux fois moins leur père que leur mère une fois adultes. Cette réalité doit nous interpeller. Je souhaite développer la politique d'accompagnement à la parentalité et la rendre plus accessible aux parents. Favoriser la coparentalité et garantir un environnement familial stable et équilibré, y compris en cas de séparation des parents, sont des objectifs de ma feuille de route, au nom de l'intérêt supérieur de l'enfant.
Je l'ai dit en introduction, le Premier ministre a confié une mission à la députée Fanta Berete et au sénateur Xavier lacovelli afin d'améliorer les dispositifs d'aide aux familles monoparentales. Leur expertise et leur connaissance du terrain en font les meilleurs ambassadeurs de ces hommes et de ces femmes avec lesquels ils vont construire des solutions concrètes, pragmatiques et surtout adaptées aux besoins quotidiens des familles : accès aux droits et au logement, cohérence du système des prestations sociales, prise en compte de la résidence alternée, exercice réel de la coparentalité – autant d'enjeux que nous ne manquerons pas d'aborder dans quelques instants. Je suis convaincue que notre débat ouvrira de nouvelles pistes pour mieux accompagner les familles monoparentales. Mesdames et messieurs les députés, je suis à votre écoute !
Mme la présidente
Nous en venons aux questions. Je vous rappelle que leur durée est limitée à deux minutes, tout comme celle des réponses.
La parole est à Mme Karine Lebon, dont le groupe est à l'initiative de ce débat.
Mme Karine Lebon (GDR-NUPES)
La monoparentalité est désormais un modèle familial incontournable : une famille française sur quatre est monoparentale ; dans 82 % des cas – 97 % à La Réunion –, le parent est une femme. Ce modèle familial est plus représenté dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) et dans les outre-mer. D'après les chiffres de 2023, il représente 25 % des familles dans l'Hexagone, 36 % à La Réunion et 59 % en Martinique. Absence de statut spécifique, prestations sociales insuffisantes, fiscalité inadaptée : le statut des mères seules est particulièrement précaire, sans parler des difficultés qu'elles rencontrent pour faire garder leur enfant, trouver un emploi ou accéder au logement. La majorité des familles monoparentales sont confrontées à ce même cercle vicieux, ce qui explique que 41 % des enfants concernés vivent sous le seuil de pauvreté.
Les politiques publiques en vigueur sont malheureusement obsolètes et inadéquates. Ainsi, l'ASF, versée sous conditions par la CAF à une personne qui élève seule son enfant, est interrompue dès que cette personne se remet en couple, qu'il s'agisse d'un mariage, d'un pacs ou même d'un concubinage. A contrario, le versement de la pension alimentaire au parent gardien se poursuit lorsqu'il se remet en couple : c'est logique puisque la pension alimentaire est destinée à l'enfant. L'interruption de l'ASF revient donc à considérer que le rôle du parent absent doit être assumé par le nouveau conjoint. Ce raisonnement ne tient pas compte de l'intérêt de l'enfant. Les schémas d'emprise économique au sein de certains couples sont pourtant connus.
Au même titre que l'allocation aux adultes handicapés (AAH), récemment déconjugalisée, l'ASF a pour objectif d'améliorer le niveau de vie et de garantir le droit à la dignité des enfants concernés. Leur développement et leur qualité de vie ne peuvent dépendre d'un nouvel arrivant dans le foyer. Il est donc important de maintenir le versement de l'ASF au moins douze mois après la formation du nouveau couple – telle est du moins ma proposition. Cette transition permettrait d'assurer la stabilité financière de la famille. Cette proposition fait écho à la recommandation no 3 du rapport d'information de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes du Sénat sur les familles monoparentales. Madame la ministre déléguée, qu'en pensez-vous ?
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
Des réponses existent mais, vous l'avez dit, elles ne sont pas encore suffisantes. Ce qui est certain, néanmoins, c'est que des mesures fiscales et un accompagnement social permettent de réduire la précarité des familles monoparentales, lesquelles sont très diverses, que ce soit sur le plan de leur situation sociale ou sur celui de la nature des relations, conflictuelles ou non, qu'entretiennent les deux parents. Quoi qu'il en soit, ces familles bénéficient d'un filet de sécurité qui permet de diminuer de 30 % leur situation de pauvreté. Ce modèle a le mérite d'exister, mais il doit être amélioré.
Je ne vais pas éluder votre question. Il y a deux façons d'envisager les choses : soit l'ASF est liée à l'enfant, et son versement doit perdurer quelle que soit l'évolution de la composition familiale ; soit elle est liée à la monoparentalité elle-même ou, plus exactement, à l'isolement du parent – il est essentiel, à ce propos, de clarifier la définition de la famille monoparentale – et son versement dépend de la situation conjugale de ce dernier. Se pose alors la question du rôle du beau-parent – qu'il soit le concubin du parent ou qu'il lui soit lié par un pacs – dans le cadre d'une famille recomposée. Si l'on estime qu'il n'a ni obligation alimentaire ni responsabilités éducatives vis-à-vis des enfants de son partenaire, alors l'ASF – je vous rejoins sur ce point – peut être liée à l'enfant. Le débat est ouvert ; je n'ai pas de position dogmatique à ce sujet.
Je rappelle, par ailleurs, que le montant de l'ASF augmenté de 50 %, ce qui doit être salué : c'était nécessaire pour lutter contre la précarité.
La question que vous soulevez est donc essentielle : soit on réforme l'ASF, soit on définit le statut et les responsabilités du beau-parent, lesquelles doivent s'accompagner de droits.
Mme la présidente
La parole est à M. Olivier Serva.
M. Olivier Serva (LIOT)
En préambule, je tiens à remercier à mon tour Karine Lebon pour sa très belle initiative.
Comme le rappelle feu Jacob Desvarieux, bassiste du groupe Kassav', dans un recueil de témoignages publié en hommage à la femme créole, celle-ci est « la personne qui protège les autres, et ma mère a été cette personne. […] Elle a fait tout ce qu'elle pouvait pour […] me permettre de manger tous les jours, que je sois habillé et que je puisse aller à l'école ».
En Guadeloupe, 52 % des familles avec enfant sont monoparentales, contre 25 % des familles avec enfant vivant dans l'Hexagone. Les deux tiers des enfants qui naissent aux Antilles et en Guyane ne sont pas reconnus par le père, contre 10 % des enfants qui naissent dans l'Hexagone. Or, souvent, le schéma familial monoparental exacerbe la précarité. Ainsi, en Guadeloupe, 17 % des membres d'une famille monoparentale sont en situation de grande pauvreté, contre 4 % des personnes qui vivent en couple avec enfant.
Les travaux menés par les sociologues Nadine Lefaucheur, en Martinique, et Stéphanie Mulot, en Guadeloupe, relèvent que, pour expliquer la matrifocalité, on avance souvent l'hypothèse selon laquelle « l'esclavage et son code noir auraient formaté des familles dans lesquelles le père aurait été rendu accessoire, voire périphérique, du fait du rapport de domination et de propriété exercé par les maîtres sur les esclaves et leur progéniture. Cette histoire a contribué à construire l'image […] de femmes virilisées dans leur capacité de résistance, mais violentées moralement et physiquement ».
Ce triste tableau étant dressé, je me dois de vous alerter sur l'inégal déploiement des politiques de soutien à la parentalité dans les territoires ultramarins. Si l'action des CAF doit être saluée, les associations locales manquent bien souvent de moyens financiers et de travailleurs sociaux. Je souhaiterais donc savoir quelles sont les actions concrètes que vous comptez mener pour améliorer les dispositifs en vigueur au profit des familles monoparentales ultramarines.
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
Puisque vous avez évoqué la maman de Jacob Desvarieux, je peux parler de la mienne : j'ai moi-même fait partie, un temps, à la suite du divorce de mes parents, de l'une de ces familles monoparentales qui représentent un quart de l'ensemble des familles. Ma mère a donc vécu les mêmes galères que beaucoup d'autres : une situation conflictuelle, une pension alimentaire difficile à récupérer… Puis la conflictualité s'est apaisée et les choses sont rentrées dans l'ordre, mais ce n'est pas toujours le cas.
En tout état de cause, la responsabilité du second parent est essentielle. Mais son rôle ne peut se construire que si on le pense dès le début, c'est-à-dire, concrètement – et cela est peut-être plus important encore dans les outre-mer, compte tenu de ce que vous en avez dit –, dès la grossesse, puis lors des 1 000 premiers jours – je compte d'ailleurs relancer avec force la politique conçue par Adrien Taquet dans ce domaine. Deux parents sur cinq estiment ne pas être suffisamment soutenus dans leur parentalité.
Plus que jamais, je crois, il faut prendre en compte la spécificité ultramarine. C'est pourquoi je me suis donné pour règle d'adopter un regard ultramarin sur chacune des politiques sociales qui relèvent de ma responsabilité – je connais mieux, pour avoir eu la chance de travailler dans ce territoire, le bassin caribéen, mais chaque territoire est spécifique. Ainsi, la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise), que j'ai réinstallée cette semaine, comprend un représentant des outre-mer.
La pauvreté étant plus importante, la question des moyens de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) se pose. Or les crédits qui lui sont alloués dans le cadre de la convention d'objectifs et de gestion (COG) n'ont jamais été aussi importants : ils ont augmenté de 6 milliards d'euros. Nous avons donc des moyens financiers ; ils doivent à présent se traduire par des mesures en faveur de l'accompagnement et du soutien à la parentalité. C'est pourquoi 100 emplois ont été créés ; je vous tiendrai informé de l'arrivée dans les territoires de ces agents ; ils ont pour mission d'accompagner la parentalité et de tenter de rompre avec les inégalités socioculturelles héritées de l'histoire, qui influencent la conception que les parents ont de leur rôle.
Mme la présidente
La parole est à Mme Fanta Berete.
Mme Fanta Berete (RE)
Je remercie à mon tour Mme Lebon pour l'organisation de ce débat.
Je souhaite avant tout réitérer mes remerciements pour la mission sur le soutien aux familles monoparentales que le Gouvernement m'a confiée ainsi qu'au sénateur Xavier lacovelli. Je ne reviendrai pas sur les chiffres clés : chacun les a en tête. Cette mission est un signal fort, qui montre que le Gouvernement est à l'oeuvre. Les mesures que nous préconiserons doivent reposer sur cinq piliers principaux : l'accès au droit et ses définitions dans le champ de la monoparentalité, la fiscalité et les aides, la coparentalité – lorsqu'elle est possible –, le logement et l'emploi.
Les chantiers sont nombreux, mais il en est un qui fait consensus : il est repris dans l'ensemble des travaux parlementaires, qu'il s'agisse de la proposition de loi transpartisane de mes collègues Philippe Brun et Sarah Legrain ou du récent rapport de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes du Sénat. Ce chantier, que j'ai fait mien en tirant un à un les fils des revendications des associations de terrain, est, vous l'aurez compris, celui de la création d'une carte parent solo.
À l'instar de la carte famille nombreuse, créée dans les années 1920, qui reflétait la réalité du paysage familial français de l'époque, la carte parent solo permettrait aux familles de bénéficier d'offres de service spécifiques ou de tarifs privilégiés. Avant le remaniement ministériel intervenu au mois de janvier, j'avais obtenu de la ministre Aurore Bergé la création de cette carte, et du ministre Clément Beaune une enveloppe financière qui permettrait à ses titulaires de bénéficier d'une remise importante sur les tarifs de la SNCF, et ce jusqu'à la dernière minute. Mise à jour chaque année, la carte attesterait le statut monoparental de la famille et permettrait ainsi à différents acteurs – employeurs, collectivités territoriales, entreprises privées – de mener des politiques de soutien à ces familles.
Saurez-vous prendre une telle mesure ? Si le Gouvernement a changé, les engagements, quant à eux, doivent rester les mêmes.
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
Je ne suis pas de ceux qui se défaussent. Une telle carte offrirait en effet un certain nombre de solutions. La mission qui vous a été confiée a notamment pour objet de définir les contours du dispositif, car il ne faut pas susciter de faux espoirs. Il s'agit donc d'identifier les besoins et de déterminer les droits qui pourraient être ouverts. Je conçois qu'il soit intéressant que les collectivités développent des politiques locales spécifiques, en s'inspirant de l'exemple de la carte famille nombreuse. Mais si une carte parent solo était créée, elle devrait être annualisée, car la situation du parent peut évoluer. Celui-ci peut d'ailleurs se trouver dans différentes situations : isolement total sans la participation de l'autre parent, coparentalité…
Toutes ces pistes méritent d'être explorées : il ne faut pas s'interdire de réfléchir aux différents moyens de mieux reconnaître les situations de monoparentalité. Ce qui m'importe, ce sont les mesures que vous préconiserez dans votre rapport pour développer le dispositif de manière matérielle et opérationnelle.
Compte tenu de la réflexion que vous menez depuis plusieurs années et de votre capacité à prendre en compte les différents travaux parlementaires – je pense en particulier à la proposition de loi des députés Legrain et Brun –, je suis certaine que vous parviendrez à créer un consensus et à apporter des réponses qui dépassent les clivages politiques.
Mme la présidente
La parole est à M. Jocelyn Dessigny.
M. Jocelyn Dessigny (RN)
Beaucoup a déjà été fait dans le domaine législatif en faveur des familles monoparentales. Pourtant, sur le terrain, l'application de la loi n'est pas à la hauteur. À l'heure où Bruno Le Maire annonce des coupes budgétaires dans l'ensemble des ministères, quel sort sera réservé au vôtre ? Comment pourrez-vous mettre en oeuvre, avec moins de moyens, des dispositifs qui peinent déjà à répondre aux attentes ?
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
Le Parlement a adopté de nombreuses avancées législatives, qu'il s'agisse de l'extension du complément de libre choix du mode de garde, de la garantie du versement de la pension alimentaire ou, concernant les assistantes maternelles, de la sécurisation du versement du salaire en cas d'impayés. Toutefois, des difficultés demeurent, qui nous imposent de mobiliser, au-delà des évolutions législatives, l'ensemble des parties prenantes : entreprises, collectivités territoriales, opérateurs de transport… C'est en effet en mobilisant tout le monde que l'on parviendra à apporter un certain nombre de réponses. Par exemple, ce sont souvent les difficultés d'accès aux modes de garde qui compliquent l'accès à l'emploi.
La situation actuelle nous oblige, c'est vrai, à consentir des efforts budgétaires. Mais le périmètre qui relève de ma responsabilité, celui de l'accompagnement des familles, est plutôt préservé, au titre des priorités retenues par le Gouvernement. L'engagement qui a été pris en faveur de l'accompagnement des plus vulnérables et des plus précaires sera tenu. Au reste, des financements ont déjà été alloués, dans le cadre de la COG, à la Cnaf, donc à la branche famille, qui permettront de financer, au plus près des territoires, via les CAF, un certain nombre de prestations sociales.
J'espère que ma réponse est suffisamment claire. En tout cas, je suis plutôt rassurée.
Mme la présidente
La parole est à Mme Sarah Legrain.
Mme Sarah Legrain (LFI-NUPES)
Les experts réunis par la table ronde à laquelle nous venons de participer confirment toutes les alertes lancées par les familles monoparentales, qui représentent le quart des familles françaises et subissent des inégalités spécifiques ainsi qu'une très forte précarisation.
Je pourrais dresser une liste des mesures revendiquées par les collectifs de mères isolées pour corriger ces inégalités : adaptation du droit fiscal, des prestations sociales et du droit du travail, accès prioritaire au logement social, aux modes de garde et aux services publics… Mais vous les connaissez très bien, et je connais déjà, quant à moi, votre réponse : la mission gouvernementale entendra tout le monde, puis des arbitrages seront rendus et des mesures seront ciblées en fonction de ce qui peut être financé.
Je connais également les réponses apportées jusqu'ici par votre camp. Vous venez d'ouvrir la porte à une déconjugalisation de l'ASF, mais vous avez refusé celle-ci en novembre lorsque je l'ai défendue dans le cadre de la niche du groupe La France insoumise. Quant à la défiscalisation de la pension alimentaire, elle a été adoptée par l'Assemblée en première lecture contre l'avis du Gouvernement, et elle est à présent bloquée au Sénat.
Nous avons donc des raisons d'être sceptiques quant aux mesures que le Gouvernement est prêt à prendre pour corriger ces inégalités.
Je suis d'autant plus sceptique lorsque je vois ce que le Gouvernement fait déjà pour aggraver la précarité. Les mères isolées ne sont pas moins actives, mais elles connaissent un risque plus élevé de chômage ; elles peinent à concilier recherche d'emploi et charge familiale. Avec votre réforme du RSA, qui impose quinze heures d'activité, et avec vos réformes de l'assurance chômage, qui réduisent les indemnités, en quoi les aidez-vous ?
Les mères isolées ont des carrières hachées, d'autant plus lorsqu'elles font face à un manque de places en crèche. Lorsque vous sapez les services publics, dégradez les conditions de travail des professionnels de la petite enfance, et imposez votre injuste réforme des retraites, en quoi les aidez-vous ?
Les mères isolées occupent davantage d'emplois en CDD, en temps partiel subi, mal rémunérés ou à horaires décalés. Dès lors, quand vous détricotez le code du travail et remettez en cause les 35 heures, quand vous refusez nos propositions de loi pour revaloriser les métiers féminisés, augmenter le Smic, indexer les salaires sur l'inflation et bloquer les prix alimentaires, en quoi pensez-vous les aider ?
Les familles monoparentales souffrent plus que les autres du mal-logement ; quand vous rabotez les aides personnalisées au logement (APL) et cassez la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains – dite loi SRU –, favorable au logement social, en quoi pensez-vous les aider ?
Enfin, quand vous profitez des révoltes urbaines pour affirmer que les mères isolées sont dépassées et que les familles monoparentales manquent d'autorité, quand vous les stigmatisez après les avoir tant précarisées, en quoi pensez-vous les aider ?
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
Madame Legrain, je suis étonnée par la diatribe que vous venez de prononcer. Vous êtes une députée connue et reconnue pour votre travail sur les familles monoparentales, et je ne pensais pas que dans le cadre de cette semaine de contrôle, vous mettriez en scène une accusation à charge si générale, au lieu d'aborder un point spécifique, qui m'aurait permis de vous apporter une réponse précise, comme j'ai pu le faire avec Mme Lebon. En vous livrant – c'est votre droit – à une telle accusation à charge sur tout, il n'y a en réalité de réponse possible sur rien, si ce n'est de dire que votre accusation est fausse.
La réalité est que le soutien apporté aux familles monoparentales a permis de baisser de plus de trente points leur taux de précarité. Ce soutien n'est certes pas suffisant, mais j'ai confiance dans le travail parlementaire, qui permettra de continuer à avancer. Nous avons ouvert le complément de libre choix du mode de garde jusqu'aux 12 ans de l'enfant pour les familles monoparentales, contre 6 ans normalement. Nous avons revalorisé la rémunération des emplois de la petite enfance de 150 euros net par mois en moyenne. Ce sont des avancées réelles, qui contredisent votre propos.
Sans reprendre point par point vos accusations, qui frisent la fausse information par leur généralité, je reste désireuse d'apporter des réponses aux députés qui posent des questions précises, sur le sujet des familles monoparentales qui nous réunit.
Mme la présidente
La parole est à M. Louis Boyard.
M. Louis Boyard (LFI-NUPES)
Madame la ministre, je suis à mon tour étonné de votre réponse. L'égalité entre les femmes et les hommes est censée être la grande priorité du quinquennat d'Emmanuel Macron ; les mères qui élèvent seules leurs enfants sont censées être la priorité de Gabriel Attal ; or, il faut le dire d'emblée, ni la politique du Gouvernement, ni le programme du Rassemblement national, ne sont capables de sortir ces personnes de leurs difficultés. Sur les 2 millions de familles monoparentales que compte notre pays, une sur trois vit dans la pauvreté ; huit familles monoparentales sur dix sont composées de mères s'occupant seules de leurs enfants – c'est d'elles que je veux parler.
Nous entendons Gabriel Attal et vous-même dire « les femmes, les femmes, les femmes »,…
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
Oui !
M. Louis Boyard
…et vous avez raison. Mais ce ne sont pas seulement des femmes, ce sont aussi des travailleuses. Or lorsqu'on constate que les femmes occupent 80 % des emplois à temps partiel et 60 % des postes en CDD, et que votre gouvernement vote contre l'augmentation de leur salaire, qu'il a voté une nouvelle réforme du code du travail en 2017, qu'il veut refaire une loi qui précarisera leurs conditions de travail, on se dit que vous vous attaquez non seulement à toutes les travailleuses, mais en particulier à celles qui sont des mères isolées.
Ces femmes subissent également le chômage, deux fois plus que la moyenne nationale. Or quand on voit que votre gouvernement a conditionné le versement du RSA à quinze heures hebdomadaires d'activité, sous peine de suspension de ce revenu – qui permet pourtant de nourrir les gosses ! –, on se dit que le Gouvernement s'est attaqué non seulement à toutes les personnes qui galèrent à trouver un emploi, mais particulièrement aux mères isolées qui en recherchent un.
Ces femmes sont aussi des citoyennes. Quand on voit que vous avez asséché le budget des communes, et que les maires de ma circonscription viennent m'expliquer qu'ils n'arrivent absolument pas à subvenir aux besoins en matière de petite enfance, on se dit que vous vous êtes attaqués non seulement à toutes les citoyennes, mais particulièrement à celles qui sont des mères isolées.
Que vous proposiez une aide spécifique, c'est très bien, nous sommes d'accord, il n'y a pas de souci ! Mais cette aide spécifique est nécessaire parce que ces femmes vivent dix fois plus violemment votre politique, qui est déjà très violente pour la majorité de la population. Comment pouvez-vous prétendre soutenir ces femmes, qui vivent dix fois plus fortement la violence que vous infligez à toutes les Françaises et à tous les Français ? Voilà quelle était la question posée par Sarah Legrain.
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
Les quinze heures d'activité imposées aux bénéficiaires du RSA sont une promesse d'insertion. Il n'y a rien de pire que de se retrouver isolé, dans la solitude la plus complète. Ces quinze heures seront quinze heures de lien, d'accompagnement,…
Mme Sarah Legrain
Sous peine de perdre son revenu !
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
…qui feront éviter le toboggan de la solitude. Ces quinze heures permettront aux femmes – aux mamans isolées, le cas échéant –, de bénéficier d'un accompagnement à la hauteur, conduit avec beaucoup d'intelligence, car individualisé.
Vous avez évoqué les plus petits salaires, or le Smic a été augmenté douze fois depuis 2017 ; il a crû de plus de 18 %.
Mme Sarah Legrain
Il a simplement suivi l'inflation !
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
Vous ne pouvez pas dire que rien ne se passe. J'ai donné l'exemple précis de la petite enfance, avec la revalorisation mensuelle de 150 euros net en moyenne, décision que j'ai prise il y a un mois à peine, et qui est actuellement mise en oeuvre, en particulier par la Cnaf.
S'agissant de l'insertion, il est évident que ces mamans ont davantage de difficultés que d'autres à trouver un emploi ou à le conserver, la conciliation avec la vie familiale ainsi que l'organisation des journées étant plus compliquées. Cependant, face à ce constat général, nous avons ouvert des places en crèches Avip – plus d'un millier seront créées d'ici à 2027. Cela permettra de réserver des places prioritaires aux familles monoparentales, c'est-à-dire aux mamans qui iront à un entretien d'embauche ou qui n'auront pas de moyen de garde parce que leur dossier n'a pas été examiné dans la bonne commission, à la bonne date. Telles sont les réponses concrètes que nous apportons.
Monsieur le député Boyard, je n'ai pas honte d'avoir une politique spécifique pour accompagner celles qui en ont le plus besoin ; c'est nécessaire.
M. Louis Boyard
Nous n'avons jamais dit le contraire !
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
Cette politique spécifique inclut le prolongement du complément de libre choix du mode de garde et des mesures particulières concernant les pensions alimentaires – car ces familles, plus fragiles, ont besoin d'un accompagnement dédié. Nous continuerons à oeuvrer dans ce sens. Les difficultés que rencontrent les familles monoparentales ne sont pas la conséquence d'une politique générale, mais la réalité de la vie. Ce n'est pas un drame, si chacun est au rendez-vous, comme nous souhaitons l'être.
Enfin, s'agissant des communes, sachez que la dotation globale de fonctionnement (DGF) n'a jamais autant augmenté que sous ce gouvernement.
Mme la présidente
La parole est à Mme Karine Lebon.
Mme Karine Lebon (GDR-NUPES)
Je souhaite aborder la précarisation des travailleurs qui accompagnent les familles monoparentales. Comme Marine Malberg l'a indiqué, « des précaires accompagnent des précaires », ce secteur d'activité étant très peu considéré en raison de sa féminisation. Il faut s'attaquer d'urgence à ce problème et garantir une meilleure rémunération à ces travailleurs sociaux, dont on manque aujourd'hui.
Se pose également la question des coupes budgétaires dans les subventions aux associations : celles-ci ne peuvent plus prendre en charge ni accompagner les femmes isolées avec leurs enfants. Comment leur redonner des moyens, et ainsi favoriser les actions d'aller vers ?
Par ailleurs, dans le domaine de l'aide à la parentalité, des coachs privés se développent. Un article publié dans Le Figaro du 12 octobre 2023 relaie le témoignage suivant : « Certaines CAF financent des coachs parentaux privés, ça nous arrive de récupérer des parents cassés parce qu'ils ont reçu des conseils inadaptés ». Quelle est votre position à l'égard des coachs privés ?
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
Le constat que vous dressez touche, en réalité, tous les métiers du lien : ceux de la petite enfance, ceux du travail social, et ceux de la protection de l'enfance. Ces métiers manquent d'attractivité. Il convient de leur apporter des revalorisations salariales et d'améliorer leurs conditions de travail, afin qu'elles soient plus dignes et cassent moins les vies. Nous pourrons nous appuyer sur le Livre blanc du travail social remis au Gouvernement par Mathieu Klein le 5 décembre 2023.
S'agissant des coupes budgétaires, la branche famille et les prestations qui lui sont liées – qui accompagnent en particulier les familles monoparentales – sont préservées. Il n'y a pas de coupes aveugles.
Mme Karine Lebon
Et les associations ?
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
En ce qui concerne les associations, je préfère vérifier ce qu'il en est auprès de la ministre déléguée compétente, Prisca Thevenot. Cependant, les associations qui soutiennent la parentalité, qui relèvent de mon ministère et sont financées par les CAF et la Cnaf, ne subiront pas de coupes budgétaires.
Quant aux coachs privés, vous avez raison : il y a des charlatans, qui font énormément de mal, en imposant des injonctions aux familles, parfois jusqu'à ce qu'elles craquent. Nous serons très vigilants. Deux questions se posent : celle de la régulation de l'accompagnement à la parentalité, qui peut se faire par l'instauration de diplômes, comme c'est le cas par exemple pour la médiation familiale ; et celle du développement de labels, comme le label P@rents, parlons numérique, développé avec l'Union nationale des associations familiales (Unaf), qui vise à répondre à la prolifération d'offres de mauvaise qualité. Ce label offre une meilleure sécurité à l'accompagnement des parents, d'autant qu'il est gratuit, financé par la Cnaf et les CAF.
Mme la présidente
La parole est de nouveau à Mme Karine Lebon.
Mme Karine Lebon (GDR-NUPES)
La tribune m'est offerte, j'en profite ! Emmanuel Macron a annoncé un congé de naissance mieux rémunéré, mais plus court, limité à six mois. Qu'en sera-t-il pour les familles monoparentales ? Que ce congé soit mieux rémunéré, c'est tant mieux : cela faisait partie des recommandations du rapport d'information sur les stéréotypes de genre que j'avais réalisé en 2021, avec notre ancien collègue Gaël Le Bohec. En revanche, qu'il soit plus court, alors qu'il n'y a pas assez de places en crèche, n'est-ce pas pousser les mamans solos à la démission ?
Par ailleurs, qu'en sera-t-il de leur indemnisation, de leur droit au chômage, et donc de leur précarisation ? Cela me semble être un angle mort de la mesure annoncée, même si elle n'a pas encore été détaillée. Je tenais à vous alerter dès à présent sur ce point, afin que les familles monoparentales, qui manquent de solutions de garde, soient prises en compte.
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
Cette alerte est tout à fait justifiée, et je vous rejoins sur ce point. Le congé de naissance est un droit nouveau, qui offrira davantage d'égalité. Le choix devra être laissé – c'est en tout cas l'option que je crois juste – entre le congé de naissance et la prestation partagée d'éducation de l'enfant (Prepare). Cela n'affectera pas le congé de maternité ni le congé de paternité et d'accueil de l'enfant, qui sont sanctuarisés. Le Gouvernement a d'ailleurs doublé la durée de ce dernier, la faisant passer de 14 à 28 jours. Au-delà des pères, cela a été favorable au deuxième parent – ils sont sept sur dix à y recourir.
Le congé de naissance sera effectivement plus court, mais comme le choix demeurera entre ce congé et la Prepare, les mamans solos qui le souhaitent pourront opter pour la seconde, et conserver ainsi un congé plus long. Il me paraît important de laisser cette liberté aux familles.
Le congé de naissance – qui concernera les deux parents – n'a de sens que s'il est déployé parallèlement au développement du service public de la petite enfance et à la création de places supplémentaires, grâce au plan pour l'accueil individuel des enfants de moins de 3 ans. Un soutien accru aux crèches est également nécessaire : la revalorisation salariale a constitué une première étape en ce sens ; les 6 milliards d'euros d'investissements massifs, prévus dans le cadre de la COG, en constitueront une seconde.
Il ne faut rien s'interdire : la création du congé de naissance sera l'occasion de mettre en avant la situation spécifique des familles monoparentales, et de poser la question d'une durée différente de ce congé pour les parents solos. Les diverses hypothèses de durée et de modalités d'application sont en cours d'évaluation, et je n'ai pas, à ce stade, connaissance de l'arbitrage définitif qui sera pris ; mais sur le principe, j'y suis favorable, même si je cherche encore le bon chemin pour son application technique. Dans tous les cas, je prends bonne note de votre alerte, qui est justifiée.
Mme Karine Lebon
Merci.
Mme la présidente
La parole est à Mme Sarah Legrain.
Mme Sarah Legrain (LFI-NUPES)
Je souhaite répondre aux accusations de la ministre, selon lesquelles je ne poserais pas de questions précises. Je sais, pour avoir assisté au lancement de la mission gouvernementale sur les familles monoparentales, que vous avez entendu toutes les alertes lancées par les mères isolées. Je pourrais vous en refaire la liste, mais vous me répondrez que vous devez d'abord procéder à des arbitrages et à des montages budgétaires. Vous n'aurez donc pas de réponse précise à nous apporter.
Cela étant, puisque la question du congé parental a été soulevée à juste titre par ma collègue Karine Lebon, je souhaiterais connaître votre position sur la question du congé de paternité. Pour ma part, je serais favorable à le renommer « congé d'accueil de l'enfant » et à lui donner la même durée, ainsi que le même caractère obligatoire que le congé de maternité, afin de permettre aux deux parents d'accueillir ensemble leur enfant.
Nous savons en effet que le congé de maternité n'est en aucune façon un congé de repos post-accouchement, mais un congé d'accueil de l'enfant, au cours duquel la mère se retrouve souvent isolée. Qu'elle soit ou non en situation de monoparentalité, elle est de fait confrontée à un isolement au plus tard vingt-huit jours après son accouchement.
J'ajoute qu'en cas de séparation entre les parents, l'inégalité des rôles se trouve renforcée, étant donné que, dès la naissance, ce sont les mères qui assument davantage la charge des enfants.
Le 12 mars dernier, j'ai déposé une proposition de loi « visant à créer un congé d'accueil de l'enfant identique et obligatoire pour les deux parents », et j'aimerais connaître votre opinion personnelle sur ce sujet, madame El Haïry, d'autant plus que votre nomination en tant que ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles est récente.
À cet égard, j'insiste sur l'importance de rendre obligatoire un tel congé d'accueil, car c'est de cette manière qu'il pourrait avoir un véritable effet sur le monde du travail. Les discriminations à l'embauche dont souffrent les femmes seraient atténuées dans la mesure où toute personne serait alors susceptible de bénéficier un jour de ce congé.
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
Vous me posez une question claire, madame Legrain : je vous répondrai avec beaucoup de conviction – même si ma position ne sera peut-être pas exactement celle que vous souhaitez.
Pour ma part, j'estime que le congé de maternité est spécifique et qu'il doit le rester, car il protège la maman au cours de la grossesse et après l'accouchement. Il faut le sanctuariser.
Vous avez évoqué le congé de paternité : comme vous, je serais plutôt favorable à en changer le nom. Dans le cas de ma propre famille, où nous sommes deux mamans, cette dénomination n'était typiquement pas la bonne. Il s'agissait davantage d'un congé d'accueil. Très personnellement et intellectuellement, une évolution du nom ne me surprendrait pas, je pense même qu'elle serait plutôt bénéfique.
Quoi qu'il en soit, rappelons que l'accroissement de la durée du congé de paternité de quatorze à vingt-huit jours a constitué une véritable avancée. Cette mesure a répondu à un besoin et les hommes utilisent ce congé allongé. En revanche, je n'ai jamais été très favorable à le rendre obligatoire dès la naissance, car il est bon de pouvoir le prendre quand on en a le plus besoin.
Pour moi, c'est plutôt le congé de naissance qui revêt un enjeu et qui doit faire l'objet d'un complément. Je suis plutôt favorable à ce qu'il soit partagé à parts égales entre les deux parents, afin de renforcer l'égalité dans le couple. La spécificité à considérer – vous l'avez évoquée – est celle d'une séparation des parents ou d'une situation de monoparentalité. Concernant ces cas de figure, comme je l'indiquais à Mme Lebon, il convient étudier la possibilité d'accorder un congé de naissance allongé au parent élevant seul l'enfant ou qui en a la garde, car la réalité de l'accueil est effectivement différente.
Je résume ma position : le congé de maternité doit être préservé, tout comme le congé de paternité, même si nous pourrions le renommer « congé d'accueil ». C'est plutôt le congé de naissance qui devrait évoluer en faveur d'une égalité de fait entre les parents, sauf dans le cas des familles monoparentales dès la naissance de l'enfant.
Mme la présidente
Le débat est clos.
Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 8 avril 2024