Déclaration de M. Thomas Cazenave, ministre délégué, chargé des comptes publics, sur la proposition de loi visant à renforcer la justice patrimoniale au sein de la famille, à l'Assemblée nationale le 23 mai 2024.

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Circonstance : Commission mixte paritaire

Texte intégral

Madame la Présidente,
Monsieur le Président de la Commission des Lois,
Madame la Rapporteure,
Mesdames et Messieurs les Députés,


Je suis particulièrement heureux d'être parmi vous aujourd'hui pour la lecture des conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à renforcer la justice patrimoniale au sein de la famille, suite à l'adoption définitive du texte au Sénat hier soir.

Lors du Projet de loi de finances pour 2024, nous avions examiné des amendements, visant à revoir les conditions d'examen des demandes de décharge de responsabilité solidaire, portés par nombre d'entre vous. Je m'étais engagé à travailler rapidement sur le sujet. C'est chose faite.

Ce travail, mené notamment par le groupe Démocrate et auquel nous avons collaboré dès le mois de décembre, a été enrichi par l'Assemblée nationale et le Sénat, ce qui nous permet aujourd'hui d'examiner les conclusions de la Commission mixte paritaire et ainsi d'enregistrer des avancées notables, en particulier pour les femmes victimes de violences conjugales.

Le texte qui nous est présenté aujourd'hui est l'aboutissement d'un riche travail transpartisan à l'Assemblée comme au Sénat puis en Commission mixte paritaire.

Je veux tout particulièrement ici saluer le travail de Perrine GOULET et Hubert OTT mais aussi de la rapporteure du texte au Sénat Isabelle FLORENNES, qui ont beaucoup oeuvré pour que nous puissions aboutir à une CMP conclusive.


Ce texte propose d'abord des avancées en matière de droit civil et je vous prie ici d'excuser l'absence du Garde des Sceaux, retenu par une contrainte d'agenda.

Ce texte vient en effet combler une grave carence de notre droit des régimes matrimoniaux.

C'est l'ambition de l'article premier, qui s'attaque directement aux violences conjugales.

En effet, en l'état actuel du droit, pour la situation d'un époux qui a provoqué ou tenté de provoquer la mort de son conjoint, il n'existe pas de disposition spéciale dans le droit matrimonial.

Pour ne citer qu'un funeste exemple, un époux meurtrier peut bénéficier de la clause d'attribution intégrale de la communauté, qui lui permet de jouir de la pleine propriété, au décès de son conjoint, de l'ensemble des biens communs.

Cette lacune est aussi injuste qu'insupportable !

En créant le régime de la " déchéance matrimoniale ", cette proposition de loi transpose très concrètement aux régimes matrimoniaux cet adage dont nous avons fait une devise : " le crime ne paie pas ".

Désormais, l'époux qui a provoqué ou tenté de provoquer la mort de son conjoint ne pourra plus tirer profit des avantages matrimoniaux qui n'auraient pas eu d'effet si la victime n'était pas décédée avant lui.

Cette déchéance s'appliquera automatiquement en cas de condamnation pénale pour homicide conjugal.

Elle s'appliquera également, sur décision du juge, pour d'autres actes particulièrement graves, notamment la torture, le viol ou les violences sur conjoint.

Le Sénat a renforcé ce mécanisme nouveau, et le travail en CMP a permis de parfaire le dispositif, en prévoyant notamment qu'en cas d'apport à la communauté de biens propres par l'époux décédé, la communauté lui devra récompense. Ce qui concrètement permettra aux héritiers de récupérer lesdits biens, en valeur ou en nature.

La proposition de loi répond également à d'autres formes d'injustices patrimoniales au sein de la famille.

Elle vient en particulier modifier l'article 265 du code civil, qui prévoit que les avantages matrimoniaux sont révoqués en cas de divorce.

Cela concerne, par exemple, la clause par laquelle les biens professionnels de l'un des époux sont exclus du calcul de la créance due à l'autre époux au moment de la liquidation du régime matrimonial.

Aujourd'hui, les époux peuvent contrer cette révocation de plein droit en prévoyant, dans la convention de divorce, que l'avantage matrimonial produira ses effets même après le divorce.

Demain, grâce à cette proposition de loi, ils pourront aussi le prévoir dans le contrat de mariage.

Cette modification, que nous saluons, permettra de sécuriser les conventions matrimoniales et d'améliorer la prévisibilité et la sécurité juridique de ces mécanismes.

Je tiens à rassurer certains praticiens qui ont pu s'inquiéter sur la portée de ce texte : l'article 1397 du code civil qui permet aux époux de modifier leur régime matrimonial tout au long du mariage trouvera à s'appliquer. Autrement dit, les époux qui auront convenu de l'irrévocabilité des avantages matrimoniaux dans leur contrat de mariage pourront toujours revenir sur leur décision durant le mariage.


En ce qui concerne le Ministère dont j'ai la charge et sur les sujets fiscaux, ce texte constitue une avancée majeure pour les personnes victimes de la solidarité fiscale. Je suis fier de la voir aboutir aujourd'hui.

Former un couple, vivre ensemble et payer ses impôts : cela peut virer au cauchemar pour certaines personnes lorsque son conjoint commet une fraude fiscale. Au drame personnel vient alors s'ajouter la détresse financière. Nous le savons, ce sont avant tout des femmes qui sont concernées.

Or, malgré le dispositif actuel de décharge de responsabilité solidaire, aujourd'hui encore, l'Administration peut réclamer les dettes contractées par un conjoint fraudeur. Une maison, un véhicule, les économies d'une vie peuvent être saisis. C'est injuste et inhumain, nous allons y mettre fin.

Pour protéger les personnes victimes de cette solidarité fiscale, une évolution du droit était indispensable, c'est ce que permet ce texte en prévoyant d'annuler la dette fiscale. C'est bien le sens de ce que je demande à l'administration fiscale de faire : ne pas ajouter de l'inhumanité à la détresse.

En la matière, je me félicite du compromis auquel la commission mixte paritaire est parvenue et qui vous est proposé. Il reprend le choix fait par l'Assemblée de s'appuyer sur le dispositif de remise grâcieuse, comme proposé par Hubert OTT et Perrine Goulet en commission.

C'est donc le fruit d'un travail collectif qui vous est présenté aujourd'hui, que nous avons mené de concert avec le Parlement et les acteurs associatifs engagés et en particulier le Collectif des femmes divorcées victimes de la solidarité fiscale que je veux saluer et remercier. Il permet d'apporter une solution concrète et opérationnelle supplémentaire en plus de la décharge de responsabilité solidaire.

Comme vous le savez, cette solution permet à l'administration fiscale de déclarer tiers à la dette les personnes victimes de la solidarité fiscale. En l'adoptant, j'ai conscience que la commission mixte paritaire a témoigné de sa confiance à l'égard de cette faculté et de la présentation que j'ai pu vous en faire. Cette confiance, nous saurons en être à la hauteur pour faire la preuve, dès les prochaines semaines, de la portée du dispositif.

Laissez-moi vous détailler les conditions dans lesquelles elle sera mise en oeuvre par l'administration fiscale.

Premièrement, la portée large que vous avez accepté de lui donner, en permettant le dépôt de demandes de remises gracieuses aux personnes s'étant vu refuser l'octroi d'une décharge de responsabilité solidaire non définitivement jugée, devrait nous permettre de disposer rapidement de plusieurs demandes. Ces demandes seront désormais traitées en lien étroit avec l'administration centrale de la Direction Générale des Finances Publiques, pour s'assurer de l'harmonisation des réponses apportées et de la bonne prise en compte de la façon dont nous souhaitons que le nouveau dispositif soit appliqué.

C'est mon deuxième point : en parallèle du traitement des premiers dossiers, nous allons rapidement finaliser la doctrine, à savoir l'interprétation retenue par l'administration fiscale pour l'application de cette faculté, qui lui est opposable. J'en prends l'engagement : la doctrine sera publiée d'ici le mois d'octobre et nous consulterons les acteurs impliqués sur le sujet en amont pour qu'ils puissent nous faire part de leurs éventuelles observations.

Enfin, au-delà des avancées sur la remise gracieuse, je n'en oublie pas la volonté qui s'est exprimée sur ces bancs pour mieux protéger les personnes qui demandent une décharge de responsabilité solidaire. Je ne reviens pas sur les discussions que nous avons eues sur le sujet, mais je vous confirme une évolution sur laquelle je m'engage : désormais, les biens issus d'un héritage ne seront plus recherchés par l'administration fiscale dans la phase de recouvrement de la dette fiscale.


Mesdames et Messieurs, la lutte contre les violences faites aux femmes et pour l'égalité entre les femmes et les hommes est, depuis bientôt 7 ans, une priorité du Président de la République et des Gouvernements successifs.

Notre enjeu est désormais que la solidarité fiscale ne soit plus un fardeau pour les femmes. Avec ce texte, nous conjuguons encore un peu plus la fiscalité avec l'égalité.

Grâce à l'action du Garde des Sceaux et celle de tous les parlementaires, nous mettons fin à un monde dans lequel un homme qui tue sa femme peut récupérer, au décès de son conjoint, l'ensemble des biens qui leur appartenaient.

Ce texte est donc une avancée majeure au service des droits des femmes. Nous pouvons en être fiers.


Je vous remercie.


Source https://www.economie.gouv.fr, le 24 mai 2024