Texte intégral
Mme la présidente
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif à l'accompagnement des malades et de la fin de vie (nos 2462, 2634).
Je remercie la présidente de la commission spéciale, Mme Agnès Firmin Le Bodo, pour la qualité des débats auxquels a donné lieu l'examen de ce texte. Je ne doute pas que les discussions dans l'hémicycle seront du même niveau.
La parole est à Mme la ministre du travail, de la santé et des solidarités.
Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé et des solidarités
C'est animée de sentiments d'humilité et de gravité, pleinement consciente de notre responsabilité, que je me tiens devant vous pour aborder une question qui résonne au plus profond de notre humanité, qui convoque les dimensions les plus intimes et parfois douloureuses de notre existence : la fin de vie.
Mesdames et messieurs les députés, j'ai l'honneur de vous présenter le projet de loi relatif à l'accompagnement des malades et de la fin de vie. C'est en effet de vie et de mort que nous allons débattre dans les prochains jours. Si la mort est consubstantielle à la condition humaine, nous l'évoquons rarement dans le cadre du débat politique et citoyen. Les échanges au sein de la commission spéciale ont montré que, comme d'autres textes portant sur de grands sujets sociétaux – je pense à la loi du 17 janvier 1975 relative à l'interruption volontaire de la grossesse, à celle du 22 décembre 1976 relative aux prélèvements d'organes, aux lois de bioéthique, aux précédentes lois consacrées à la fin de vie –, celui-ci marquera l'Assemblée nationale.
Dans les prochains jours, nous allons évoquer des états pathologiques très graves, des pronostics vitaux engagés, des souffrances que rien ne peut plus soulager, des désespérances qui nous placent face à notre finitude et nous plongent parfois dans un enrageant sentiment d'impuissance. Ces situations font apparaître les limites du savoir et des traitements en l'état actuel de la science. Nous allons évoquer les dilemmes les plus déchirants de notre existence. Nous toucherons à l'intime de chacun, à des souvenirs personnels parfois extrêmement lourds. Nous allons débattre de convictions qui touchent au cœur chacune et chacun d'entre nous. Pour autant, devons-nous légiférer sur de tels sujets seulement à partir du vécu ? Je ne le crois pas.
Le projet de loi, par sa portée, nous invite au dépassement de soi : nous devons aller au-delà de notre vécu, au-delà de l'appartenance à un groupe parlementaire, de nos idées préconçues, de la vie quotidienne. Il nous invite à répondre collectivement à des questions d'une profonde gravité. Quelle réponse éthique apporter à des souffrances inapaisables ? Pouvons-nous fermer les yeux sur des douleurs auxquelles ni la médecine ni la législation ne sont en mesure de remédier ? Pouvons-nous accepter que certains de nos concitoyens se rendent à l'étranger pour y finir leurs jours ? Pouvons-nous laisser des médecins seuls, démunis, face aux souffrances de leurs patients ?
J'en suis profondément convaincue : c'est l'honneur du Parlement que de s'emparer des sujets les plus graves, les plus bouleversants, qui traversent et parfois tourmentent la société. Il est de notre devoir, pour reprendre les mots du Président de la République, de regarder la mort en face. Au cours des dernières décennies, les progrès considérables de la médecine ont entraîné une médicalisation croissante de la fin de vie. Il subsiste toutefois des situations de grande vulnérabilité, qui confrontent les médecins à des souffrances intenses et persistantes, soulevant d'importantes questions médicales, de profondes questions éthiques, de lourdes questions juridiques. La main qui soigne accompagne le patient tout au long de son parcours, dans un colloque singulier, fait de respect et de confiance. Nous ne pouvons l'opposer à la notion de fin de vie dès lors que nous avons pris l'engagement d'entendre la volonté du patient à tous les stades de sa maladie.
Le Parlement a su trouver de premières réponses aux problèmes éthiques de la fin de vie. La loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, dite loi Kouchner, a permis à un patient de refuser les soins qui lui sont proposés. La loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, dite loi Leonetti, interdit qu'une obstination déraisonnable fasse poursuivre le traitement d'un patient en fin de vie et affirme le respect de la dignité des personnes malades. La loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, dite loi Claeys-Leonetti, institue un droit à « la sédation profonde et continue jusqu'au décès » pour des patients, atteints d'une maladie grave et incurable, dont le pronostic vital est engagé à court terme. Force est de constater pourtant que la législation en vigueur ne suffit pas. De l'avis de l'Académie nationale de médecine, nous ne sommes pas en mesure de répondre à l'attente des personnes en situation de détresse physique et psychologique, souffrant de maladies graves et incurables, dont le pronostic vital est engagé sans espoir à moyen terme.
La demande sociétale est claire : il faut un pas de plus. Cette attente ne relève ni d'un sondage, ni d'une impulsion ; elle exprime, au contraire, un mouvement profond et structuré de la société vers une évolution de la loi. Je le répète : le débat parlementaire a été précédé d'un débat de société d'une richesse remarquable. Le cheminement démocratique de ce texte, à n'en pas douter, fera référence. Il a permis de faire progresser notre réflexion, non vers une impossible unanimité, mais vers un consensus éclairé.
M. Pierre Dharréville
Ah bon ?
Mme Catherine Vautrin, ministre
Cette même demande sociétale est exprimée dans l'avis du Comité consultatif national d'éthique (CCNE), selon lequel il « existe une voie pour une application éthique d'une aide active à mourir, à certaines conditions strictes », et dans l'avis du Conseil économique, social et environnemental (Cese). Elle a été magnifiquement éclairée par les travaux de la Convention citoyenne sur la fin de vie, dont les recommandations ont largement inspiré les grands équilibres du projet de loi. Nos réflexions ont également été enrichies par nombre de savants, notamment ceux de l'Académie nationale de médecine, ainsi que par le professeur Franck Chauvin, qui a consacré un rapport à l'indispensable développement des soins palliatifs. Le Parlement s'est emparé du sujet avec l'initiative transpartisane d'Olivier Falorni en 2021 et, depuis, la forte mobilisation de nombreux députés de tous horizons.
Ce débat est loin d'être simplement français : il traverse, depuis des années, les sociétés du monde entier. Je parle de débat, car notre société est encore partagée. Parce que je respecte profondément l'ensemble des positions et des sensibilités, parce que je tenais à un projet de loi qui trouve le juste équilibre entre toutes,…
Mme Christine Pires Beaune
C'est à nous de le trouver !
Mme Catherine Vautrin, ministre
…j'ai beaucoup écouté, avec la même attention, avec le même respect, tous ceux qui font notre pays. J'ai entendu les associations de patients et les associations d'accompagnement de patients, notamment en soins palliatifs. J'ai entendu les élus locaux, les juristes, les philosophes. J'ai entendu les représentants des professionnels de santé médicaux et paramédicaux, leurs craintes face aux responsabilités qui leur incomberaient, le tourment que leur causent les souffrances de leurs patients, leur point de vue sur la procédure à inscrire dans le projet de loi et leur demande préalable d'un développement des soins palliatifs. J'ai entendu les représentants religieux : ils m'ont fait part de leurs inquiétudes devant le risque d'un changement de notre rapport à la mort. J'ai entendu les Français, lors de débats publics ou dans des services hospitaliers. J'ai entendu les membres de la commission spéciale, dont les débats ont été riches et constructifs. Au moment de commencer nos travaux, j'en retire une conviction : nos concitoyens attendent ce débat. La société nous demande une aide à mourir dans des situations précises, relevant de maladies graves ou incurables. Compte tenu de la sensibilité du sujet, nous avons le devoir, je le répète, de parvenir à une solution équilibrée.
Le Gouvernement a fait le choix d'une réponse éthique aux souffrances des personnes en fin de vie. Il ne s'agit pas d'un modèle euthanasique, puisqu'une personne extérieure intervient uniquement si le patient ne peut plus, physiquement, s'administrer le produit létal.
M. Thibault Bazin
Un amendement a fait évoluer cela, tout de même !
Mme Catherine Vautrin, ministre
Ce n'est pas une autorisation à se suicider, puisqu'il y a des conditions strictes et une décision médicale. Cette réponse n'est pas non plus un copier-coller des législations étrangères. Nous ne faisons pas le choix de la Belgique, des Pays-Bas ou du Canada, qui ouvrent l'aide à mourir aux mineurs et aux personnes souffrant de troubles mentaux. Nous ne faisons pas le choix de la Suisse et de l'État américain de l'Oregon, puisque nous nous assurons que le patient et son entourage seront accompagnés jusqu'au bout par un professionnel de santé. Nous ne faisons pas le choix des modèles espagnol et autrichien, puisque notre procédure prévoit des délais de réponse à la demande correspondant à l'engagement du pronostic vital à court ou moyen terme.
C'est bien une réponse française à la problématique de la fin de vie que propose le texte : une possibilité, une demande du patient validée par une réponse médicale. Cette aide à mourir est ouverte sous des conditions strictes et claires. Loin d'une rupture, elle s'inscrit dans la continuité des législations précédentes, auxquelles elle ajoute un nouveau chapitre. Le projet de loi est en effet guidé par les mêmes principes que les lois précédentes, inspirés de l'éthique médicale et centrés sur le patient : la recherche de l'apaisement du patient, la sauvegarde de la dignité des personnes, principe à valeur constitutionnelle, et le respect de l'expression de la volonté libre et éclairée du patient. Celui-ci se trouve au cœur du texte : c'est sa situation médicale qui déterminera s'il peut accéder à l'aide à mourir.
Lorsque nous évoquons l'accès à une aide à mourir, nous parlons de situations inscrites dans un périmètre précis : environ 4 000 personnes par an, majoritairement atteintes de cancer ou de fibrose pulmonaire en phase terminale, ou de maladies neurodégénératives graves à une phase très avancée, pouvant entraîner une paralysie des muscles impliquant la motricité ou la déglutition. Elles ne sont pas concernées en raison de leur âge ou de leur handicap, si lourd soit-il, mais du fait d'une pathologie grave, incurable, et d'un pronostic vital engagé.
M. Thibault Bazin
Ce n'est pas dans le texte !
Mme Catherine Vautrin, ministre
Certaines bénéficient de soins palliatifs, d'autres non. La première réponse proposée demain aux patients consistera en soins palliatifs, s'ils le souhaitent. Nous parlons de personnes qui connaissent des souffrances insupportables, inapaisables, intenables, parfois même indicibles. Nous parlons d'agonies, de fins de vie qui deviennent une survie. Nous parlons de « situations de supplice non soulagées », selon les termes de l'Académie nationale de médecine. Nous parlons de personnes trop affaiblies pour crier leur douleur, mais dont le simple regard exprime un vibrant appel à l'aide. Nous parlons de personnes qui demandent que l'on respecte leur choix à la fois libre, éclairé et réitéré. Nous parlons de proches, de familles, d'aidants profondément affectés et désemparés face au calvaire de celui ou de celle qu'ils aiment et accompagnent au quotidien. Nous parlons de ces moments qu'évoquait Victor Hugo, où « la crainte de la vie l'emporte sur la crainte de la mort ». Nous parlons de souffrances dont aucune conscience ne saurait se détourner. Devant de telles détresses, l'indifférence devient inhumaine. Comment pourrions-nous ignorer les souffrances des personnes en fin de vie, l'angoisse de nos concitoyens et de leurs proches, non seulement face à la mort, mais aussi face à ce qui peut la précéder ? Comment pourrions-nous ignorer la demande pressante, dans notre société, d'être accompagné à chaque instant, jusqu'au bout, jusqu'au moment d'éteindre la lumière ?
Ne rien faire, ce serait faillir à notre devoir de sollicitude, sacrifier notre devoir d'humanité et notre responsabilité devant autrui, évoquée par Emmanuel Levinas. Savoir qu'il existe une aide à mourir peut être un soulagement pour le patient, quand bien même il n'aurait pas recours à cette ultime solution. Aussi le Gouvernement choisit-il, à l'initiative du Président de la République et du Premier ministre, une réponse éthique à ces situations où la fin de vie est une agonie, en proposant d'inscrire dans la loi une aide à mourir accessible sous des conditions strictes et claires, je le répète, et selon une procédure encadrée. En réponse à une demande autonome de la personne malade, nous réaffirmons le principe de solidarité.
Nous disons ainsi aux patients que nous serons jusqu'au bout à leurs côtés, que nous ferons tout pour apaiser leurs souffrances et respecter leur volonté. Nous nous engageons auprès des malades à ne pas les abandonner, si leur état venait à se détériorer gravement et si leurs souffrances devenaient insupportables. Nous nous engageons auprès de la société à ce que le patient demeure l'acteur de sa vie : lui seul, dans un colloque singulier avec le médecin, peut signifier son choix. Nous nous engageons auprès des opposants au texte à ce que le patient seul exprime sa volonté, de manière libre, éclairée et réitérée.
Cette volonté libre et éclairée, sur laquelle repose tout le texte, initiera la procédure. Seul le patient formule la demande et la confirme ; à tout moment, il pourra se rétracter. Nous retrouvons la notion de volonté libre et éclairée qui, depuis Emmanuel Kant, fonde la philosophie occidentale : l'entendement engendre le discernement, la faculté intellectuelle de comprendre. Nous ouvrons une possibilité, dans des cas très précis, d'exercer cette liberté, comme une ultime affirmation de la dignité et de l'autonomie des patients face à la mort, face aux souffrances atroces qui la précèdent.
Nous touchons là au fondement du texte, à son principe cardinal, sur lequel nous ne pouvons transiger : le discernement du patient tout au long de la procédure, qui ne doit en aucun cas être enclenchée sans qu'il soit en mesure de confirmer sa volonté autonome jusqu'aux derniers instants. Ce projet de loi protégera les patients grâce aux conditions d'éligibilité qu'il prévoit : le Gouvernement est foncièrement attaché aux cinq critères cumulatifs initialement proposés comme garants de son bon équilibre.
M. Thibault Bazin
Il n'y en a plus que quatre !
Mme Catherine Vautrin
Ainsi, l'aide à mourir doit être ouverte uniquement aux personnes majeures ; de nationalité française ou résidant en France de manière stable et régulière ; atteintes d'affections graves et incurables, avec un pronostic vital engagé à court ou moyen terme ;…
M. Thibault Bazin
Ce n'est plus dans le texte !
Mme Catherine Vautrin
…souffrant de douleurs insupportables et réfractaires aux traitements ; qui en expriment la demande de manière libre et éclairée. Chacune de ces conditions garantit la protection des patients. Modifier ces critères serait rompre l'équilibre du projet de loi et courir le risque d'aller au-delà de l'application éthique de l'aide à mourir recommandée par le CCNE. Ils visent également à protéger les soignants : pour éclairer la pratique médicale, il est indispensable que la loi soit suffisamment précise, car chaque mot compte. Le médecin a, par exemple, besoin de pouvoir fonder sa décision sur la notion de pronostic vital engagé, qui, sans se substituer à son jugement, le guide et le protège. Accorder une place centrale aux médecins contribue également à la protection des patients. Exercée en tenant compte de l'avis d'autres professionnels de santé, l'expertise du médecin constitue le second pilier du projet de loi. Celui-ci vise à une réponse médicale et humaine à la demande du patient.
Mme Annie Genevard
Absolument, c'est la priorité !
Mme Catherine Vautrin
À la fin de leur vie, les patients ont besoin de présence et d'humanité : le texte leur garantit une solidarité, un accompagnement jusqu'au bout, jusqu'à la mort. Avant de se prononcer, le médecin devra s'assurer que la demande d'aide à mourir correspond à la volonté libre et éclairée du patient, que les autres conditions sont respectées; apporter des informations et proposer des soins palliatifs ; solliciter l'avis d'au moins deux autres professionnels – médecin et personnel paramédical ; répondre au patient au plus tard quinze jours après le recueil de sa demande ; être présent à chaque étape de la procédure, jusqu'à l'administration de la substance létale. Avant même l'ouverture de l'aide à mourir, nous renforcerons considérablement les soins palliatifs.
Mme Annie Genevard
Un Français sur deux n'a pas accès aux soins palliatifs !
Mme Catherine Vautrin
J'ai rencontré les équipes soignantes, composées des aides-soignantes, des infirmières et du médecin, de plusieurs services de soins palliatifs, dans différents établissements. Je connais leur implication au quotidien, leur force ; j'ai constaté leur engagement.
Mme Annie Genevard
Leur opposition, même !
Mme Catherine Vautrin
Je connais leurs réserves concernant ce texte : je les respecte pleinement. J'ai entendu des patients témoigner de leur reconnaissance d'un accompagnement à la fois personnalisé, professionnel et particulièrement humain. J'ai entendu le message des équipes : la volonté du patient évolue au fil de la maladie. Parce que nous respectons ce message, nous plaçons au cœur du texte l'expression de la volonté libre et éclairée du malade. À tous les professionnels, je redis qu'avec ce projet de loi, nous souhaitons renforcer leur mission et développer de nouvelles formes de prise en charge – c'est tout le sens du titre Ier. Je leur demande également de comprendre que certains patients doivent être entendus, car il s'agit de leurs souffrances, de leur vie, de leur volonté.
La France n'est manifestement pas au rendez-vous de l'accès universel aux soins palliatifs. Avec le titre Ier, nous repensons l'ensemble de la prise en charge en développant une offre complémentaire, en particulier à domicile et en établissement médico-social. Nous voulons ajouter « de la vie aux jours, quand on ne peut plus ajouter de jours à la vie », anticiper en accroissant les moyens consacrés à une prise en charge précoce de la douleur, dès la phase de diagnostic. Les mesures de la stratégie décennale des soins d'accompagnement traduisent une triple ambition : premièrement, le renforcement de l'offre de soins spécialisés ; deuxièmement, celui de l'accompagnement des patients, au plus près de leur domicile, par la société – aussi soutiendrons-nous les collectifs d'entraide, les bénévoles et les aidants ; troisièmement, le soutien à l'émergence indispensable d'une filière de formation universitaire en médecine palliative et soins d'accompagnement, en lien avec le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Grâce à cette logique de prise en charge anticipée, renforcée et continue de la douleur, nous apporterons des réponses structurelles et bâtirons un modèle français des soins d'accompagnement incluant les soins palliatifs. J'ai annoncé un investissement décisif de plus de 1 milliard d'euros, qui commence dès cette année et traduit un engagement fort : d'ici à la fin de l'année 2025, chaque département sera doté d'une unité de soins palliatifs. Si ces soins reposent sur une éthique de la vulnérabilité de la personne, l'aide à mourir postule la volonté et l'autonomie du patient à l'égard de cette vulnérabilité. Dans cet esprit, qui doit servir de boussole au débat, le Gouvernement redit son attachement à un texte qui équilibre des principes de même valeur et des sensibilités de même intensité.
On ne peut légiférer sur un tel sujet qu'avec une main tremblante, comme nous y invitait Montesquieu. Encore une fois, nous devons trouver un équilibre entre solidarité envers les plus vulnérables, ce qui suppose de développer les soins d'accompagnement, et respect de l'autonomie individuelle, ce qui passe, à des conditions strictes et claires, par une aide à mourir. Le sujet est sensible : cet équilibre constitue un impératif éthique et sociétal. Notre responsabilité est grande : il s'agit de répondre aux souffrances sans brusquer les consciences. Entre le choix de ne rien faire et la tentation d'en faire trop, il existe un chemin pour bien faire. La démocratie représentative a toujours su trouver les justes équilibres à inscrire dans la loi. Je suis certaine que ce projet de loi n'y fera pas exception.
Avec ce débat, nous disons aux patients que nous ne les abandonnerons jamais à leurs souffrances ; aux soignants, que nous ne les abandonnerons jamais à leurs dilemmes ; au monde, que la France ne renoncera jamais à ses valeurs de courage, de respect de la dignité humaine, de solidarité et de fraternité. Je souhaite qu'au cours des débats, nous prenions conscience que nous ne faisons pas qu'ajouter une loi à notre législation : nous ouvrons ensemble une nouvelle voie d'humanité et de compassion. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE, LFI-NUPES, Dem, HOR, SOC, GDR-NUPES, LIOT et Écolo-NUPES.)
(…)
Mme la présidente
La discussion générale est close.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Catherine Vautrin, ministre
Je tiens à remercier les orateurs : ces interventions témoignent de l'engagement de la présidente de la commission, des rapporteurs et des groupes. Des convictions très fortes, parfois très différentes, se sont exprimées ; je les respecte toutes et j'aurai à cœur de répondre à chacun.
Dans l'examen de ce texte, nos quatre points cardinaux sont l'humilité, la responsabilité, le respect et l'écoute, qui déterminent l'attitude du Gouvernement. Par ce débat, nous cherchons à trouver un juste équilibre entre toutes les sensibilités de cette assemblée et de notre société – vous avez été nombreux à le souligner.
Madame Rousseau, vous disiez que ce projet de loi n'est qu'un texte d'intention. Au contraire, nous recherchons un texte d'équilibre : l'aide à mourir doit être un choix, et nous souhaitons donner toute sa place au diagnostic médical. Beaucoup d'entre vous ont évoqué l'effectivité de l'accès aux soins palliatifs : je répète qu'il n'est pas question que qui que ce soit sollicite de mourir par défaut d'accès à ces soins.
La stratégie en matière de soins d'accompagnement a été pensée pour relever les défis. Elle reprend en grande partie, monsieur Guedj, les propositions issues du rapport du professeur Chauvin, qui a travaillé avec de très nombreux acteurs du secteur. Les mesures prévues proviennent donc, très concrètement, des soignants eux-mêmes – il faut le souligner.
Mme Darrieussecq a rappelé l'importance de l'approche financière : notre engagement en faveur des soins palliatifs passera de 1,6 milliard d'euros en 2023 à 2,7 milliards en 2034, soit 100 millions supplémentaires investis par an, dès cette année, afin d'équiper notre pays. À MM. Vigier, Gernigon et Ménagé, je réponds que nous passerons de 166 unités de soins palliatifs à 198 à la fin de l'année 2025, ce qui portera le nombre de lits de 7 540 à 8 000 et permettra la prise en charge des cas les plus complexes. Parmi les départements encore dépourvus il y a peu de telles unités, onze en ont été dotés ou le seront au cours de l'année : le Cher, les Ardennes, les Vosges, l'Orne, la Corrèze, le Lot, la Lozère, les Pyrénées-Orientales, la Mayenne, la Guyane, Mayotte. En 2025 viendra le tour des derniers : la Sarthe, le Jura, la Haute-Saône, l'Eure-et-Loir, l'Indre, la Haute-Marne, la Meuse, le Gers, le Tarn-et-Garonne et la Creuse. Les prises en charge dans le cadre d'une hospitalisation à domicile passeront de 70 000 à 120 000 personnes. Quinze équipes mobiles de soins palliatifs (EMSP) seront créées dès 2024, une centaine en 2034, le tout en favorisant le conventionnement avec les Ehpad afin d'assurer une couverture à 100 % de ces établissements, qui doivent pouvoir, comme d'autres unités, d'accompagner des personnes en soins palliatifs. (M. Jean-Pierre Taite s'exclame.)
M. Hetzel m'a appelée à être précise : la notion de rupture anthropologique est généralement définie comme l'anéantissement des marqueurs civilisationnels.
M. Patrick Hetzel
On y est !
Mme Catherine Vautrin, ministre
Or ce texte a été précédé – vous avez omis de le mentionner – de trois autres. Pratiquement chacun d'entre vous a cité les auteurs du dernier en date, celui de 2016 : Jean Leonetti et Alain Claeys, dont vous savez qu'ils n'ont pas la même lecture du projet de loi, puisque M. Claeys le soutient, ce qui n'est pas le cas de M. Leonetti. Cette loi instituait un droit à la « sédation profonde et continue […] jusqu'au décès » : nous nous situons bien dans la continuité de la législation existante. (M. David Valence applaudit.) Il s'agit d'autant moins d'une rupture anthropologique que le texte se limite à quelques cas précis, dans le cadre d'une procédure dont la volonté du patient est la clef de voûte. C'est ainsi une éthique de responsabilité individuelle et sociétale qui fonde le projet de loi. En définitive, la question qu'il convient de se poser est la suivante : autoriser un malade, condamné par la science à brève échéance et qui souffre terriblement – c'est l'élément fondamental –, à demander, en toute lucidité, qu'il soit mis un terme à une existence qu'il ne supporte plus, est-ce une rupture anthropologique ? Je ne le crois pas.
Monsieur Juvin, permettez-moi de vous dire que ce texte n'exprime ni fascination pour la performance, ni rejet de la vieillesse ou de la dépendance. Il a trait à la pathologie, qui mérite d'être accompagnée : tel est le sens du titre Ier, consacré aux soins palliatifs. S'il devait y avoir fascination, ce serait pour la recherche – et je suis sûre que nous la partagerions. En effet, si nous examinons ce projet de loi, c'est parce qu'en l'état actuel de la science, nous ne pouvons remédier à toutes les douleurs – reconnaissons-le en toute humilité. Une seule volonté m'anime : m'engager dans un continuum du soulagement, afin d'apporter une véritable réponse à ceux qui souffrent. C'est ce qui doit nous guider : la recherche constitue le moyen d'y parvenir.
M. Jocelyn Dessigny
La recherche, mais avec quel budget ?
Mme Catherine Vautrin, ministre
Le titre Ier, monsieur Dessigny, concerne entre autres l'organisation des soins palliatifs et la création d'un diplôme d'études spécialisées (DES) de médecine palliative et de soins d'accompagnement, qui permettra d'aller plus loin en matière de recherche.
M. Jocelyn Dessigny
Il n'y a pas de budget !
Mme Catherine Vautrin, ministre
Il y a ceux qui disent que ce n'est jamais assez et ceux qui essaient courageusement de faire avancer ce sujet important.
M. Jocelyn Dessigny
Sans budget !
Mme Catherine Vautrin, ministre
Autre point essentiel, trois d'entre vous ont évoqué une prétendue volonté de faire des économies – l'un a même mentionné les colonnes d'un tableur. Alors que nous avons convoqué l'humilité et le respect, cela démarre mal, monsieur Hetzel !
Mme Sophie Errante
C'est clair !
Mme Catherine Vautrin, ministre
Il ne s'agit pas d'un tableur. Il est question de femmes et d'hommes, de bienveillance et d'humilité. Laissez-moi vous dire une chose, monsieur Hetzel : ni vous ni moi ne détenons le monopole de l'humilité et de la bienveillance ; chacun, sur ces bancs, sait en faire preuve. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes RE, Dem, HOR et Écolo-NUPES.)
M. Patrick Hetzel
Et vous parlez d'un débat apaisé ?
Mme Catherine Vautrin, ministre
Nous pouvons n'avoir pas la même lecture d'un texte sans pour autant rejeter les uns ou les autres au motif qu'ils n'exprimeraient aucune bienveillance. Vous aussi, monsieur Dupont-Aignan, avez évoqué des économies. Vous avez également cité M. Badinter : son épouse a eu l'occasion de s'exprimer sur ce point, je n'y reviendrai donc pas.
Mme Sophie Errante
Tout à fait !
Mme Catherine Vautrin, ministre
Le Gouvernement, madame Battistel, tient au principe de l'auto-administration de la substance létale, l'intervention d'un tiers devant rester l'exception. Tel est le sens de l'article 5, qui n'a pas été modifié en commission. Si le patient n'est pas en mesure de s'administrer le produit, il pourra, comme le prévoit l'article 11, choisir une personne pour le faire à sa place. Je sais combien cette question suscite de débats. Permettez-moi de revenir sur la clause de conscience prévue par l'article 16 : comme je l'ai souligné dans mon propos introductif, les professionnels de santé seront libres de la faire jouer. Réaffirmons le respect de ce principe : nous le devons à chacun d'entre eux.
Certains d'entre vous s'opposent à ce texte, d'autres voudraient qu'il aille plus loin ; je recherche un équilibre. Monsieur Clouet, vous parlez de bataille parlementaire : je préfère le débat parlementaire.
M. Hadrien Clouet
Nous aurons les deux !
Mme Catherine Vautrin, ministre
Nous devons être en mesure d'échanger, de progresser. J'ai noté, madame K/Bidi, la prudence avec laquelle vous avez rédigé vos amendements – c'est le cas de nombre d'entre vous. Afin de garantir l'effectivité de l'aide à mourir, le texte doit être applicable ; il nous faut veiller à établir des critères clairs, précis, protecteurs, pour les patients comme pour les professionnels de santé.
Mme Pouzyreff l'a rappelé, notre volonté est de parvenir à un texte équilibré qui garantisse l'application éthique de l'aide à mourir, dans le respect de la volonté libre et éclairée du patient. Il résulte d'une trajectoire qui conjugue autonomie éclairée du patient et solidarité de la nation – car le développement des soins palliatifs traduit bien cette solidarité face à un moment de vulnérabilité. Grâce aux dispositions du titre Ier, le projet de loi renforcera l'accompagnement des malades ; grâce à celles du titre II, il permettra qu'il soit mis fin aux souffrances de certains dans un contexte précis. Personne ne sera obligé de le faire ; c'est tout le sens de l'équilibre du texte. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE, ainsi que sur quelques bancs des groupes Dem et HOR.)
source https://www.assemblee-nationale.fr, le 29 mai 2024