Déclaration de M. Didier Migaud, garde des sceaux, ministre de la justice, sur la pénurie de magistrats, la politique judiciaire et le traitement de la délinquance des mineurs, Toulouse le 11 octobre 2024.

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Circonstance : Congrès de l'Union syndicale des magistrats

Texte intégral

Monsieur le président de l'Union syndicale des magistrats,
Mesdames, Messieurs les magistrats, membres de l'Union syndicale des magistrats,

Je vous remercie pour votre invitation à ce congrès qui marque également le cinquantenaire de votre organisation syndicale.

Je suis très heureux d'être parmi vous à Toulouse aujourd'hui et de renouer ainsi avec l'usage de la présence du garde des Sceaux à cet événement annuel.

Ma présence devant vous illustre ma volonté – que j'ai eu l'occasion de rappeler il y a quelques jours à l'Assemblée nationale – d'être particulièrement attentif au respect du statut, des droits et des libertés des magistrats.

Le droit syndical est expressément garanti aux magistrats de l'ordre judiciaire et consacré à l'article 10-1 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature.

Comme vous le savez, par un avis de sa formation plénière en date du 4 mai 2023, le Conseil supérieur de la magistrature a réaffirmé que la liberté syndicale est reconnue aux magistrats et a rappelé que les prises de position d'une organisation syndicale ne sauraient servir de fondement à la mise en cause de l'impartialité d'un magistrat au seul motif qu'il serait membre de cette organisation.

J'entends pour ma part échanger régulièrement avec les organisations syndicales de magistrats. A ce titre, j'ai rencontré dès ma prise de fonctions les trois organisations représentatives. Je suis à votre écoute et, comme j'ai pu l'indiquer à votre président, je serai toujours attentif aux propositions susceptibles d'améliorer le fonctionnement de l'institution judiciaire que vous serez amenés à me soumettre.

Je crois au dialogue et, de ce point de vue, je sais pouvoir compter sur la démarche constructive de l'USM.

Monsieur le président, je vous ai écouté avec attention et j'entends répondre, comme le veut la tradition, à votre discours.

L'indépendance de la justice est un des piliers de l'État de droit, découlant du principe de séparation des pouvoirs et garanti par la Constitution et par la Convention européenne des droits de l'Homme.

Les magistrats doivent rendre la justice en appliquant les règles de droit, libres de toute influence ou pression.

Le Conseil supérieur de la magistrature a réaffirmé à plusieurs reprises qu'il ne peut être porté une quelconque appréciation sur les actes juridictionnels des magistrats du siège et du parquet, lesquels relèvent de leur pouvoir d'appréciation et ne sauraient être critiqués que par l'exercice des voies de recours prévues par la loi en faveur des parties au litige.

Je veillerai au respect de ce principe fondamental et ne cesserai de défendre l'indépendance de la Justice, garantie de l'Etat de droit auquel je suis particulièrement attaché.

J'arrive dans ce ministère dans un contexte de finances publiques très contraint qui ne vous aura pas échappé. Je veux toutefois vous assurer, comme j'ai déjà eu l'occasion de le faire à plusieurs reprises depuis mon arrivée place Vendôme, de ma détermination à concrétiser les engagements pris, car je persiste à penser que la Justice doit être considérée comme une priorité.

Notre justice manque cruellement et depuis longtemps, des moyens nécessaires, comme l'ont révélé les États généraux de la justice. Si des efforts budgétaires importants ont été consentis ces dernières années, je sais que la Justice n'est pas pour autant réparée.

J'ai conscience de l'espoir important suscité par les annonces de renforts, je sais l'attente des juridictions et je suis pleinement mobilisé, avec mes équipes, pour obtenir la mise en œuvre effective de l'ensemble des annonces, au profit des magistrats mais aussi des personnels de greffe et des attachés de justice nécessaires au bon accomplissement des missions des magistrats.

Évoquer le renfort en effectifs impose d'amorcer une réflexion sur les conditions de travail et le temps de travail des magistrats. Monsieur le président, vous avez fait référence à deux recours que vous avez initiés sur ce sujet devant les organes de la Commission européenne et le Conseil d'État, ainsi qu'à la saisine de l'inspection du travail. J'ai à cœur, qu'à l'avenir, un dialogue plus nourri permette de prévenir ou de régler ce type de différends.

La charge de travail excessive des magistrats dénoncée, notamment dans la tribune dite "des 3 000", a été entendue. Le manque d'effectifs dont souffrent les juridictions a été mis en lumière par le comité des États généraux de la justice. L'objectif de recrutements supplémentaires de 1 500 magistrats d'ici 2027 devrait concourir à l'amélioration des conditions d'exercice en juridiction.

Les travaux sur la charge de travail des magistrats, initiés par la direction des services judiciaires et auxquels vous avez participé, constituent un outil supplémentaire pour évaluer les conditions de travail des juges et procureurs. J'en profite d'ailleurs pour saluer la nomination hier en conseil des ministres, sur ma proposition du procureur de Nanterre, Pascal Prache, en qualité de directeur des services judiciaires. C'est un magistrat de grande qualité et je me réjouis de son arrivée à ce poste stratégique du ministère.

De nombreux dispositifs ont été mis en œuvre pour renforcer la protection de la santé et la sécurité des magistrats dans l'organisation de leurs conditions de travail : numéro vert d'écoute et de soutien ; création d'une mission “santé et qualité de vie au travail” à la DSJ ; recrutement de psychologues cliniciens dans les cours d'appel…

Evoquer la protection des magistrats me conduit à évoquer la protection fonctionnelle, qui est l'un des sujets de vos revendications. J'ai entendu votre demande de soutien concret et visible des magistrats pris à partie dans l'exercice de leurs fonctions et l'octroi systématique et plus rapide de la protection fonctionnelle.

Je veux vous assurer de la volonté de la Chancellerie de poursuivre une politique pro-active et concrète de soutien aux magistrats. Si cette politique n'est peut-être pas assez visible, elle est réelle et mobilise la direction des services judiciaires.

S'agissant de la réforme de la grille indiciaire des magistrats, comme j'ai déjà pu vous le dire à l'occasion de notre précédente rencontre, j'y suis favorable. Destinée à maintenir l'attractivité des fonctions judiciaires, à encourager les mobilités entre les corps de niveau comparable et à aligner les rémunérations des magistrats administratifs et financiers, cette réforme m'apparaît légitime.

Outre ces questions statutaires, vous avez, monsieur le président, appelé mon attention sur la lutte contre la criminalité organisée. Risque majeur pour l'Etat de droit, la criminalité organisée est un phénomène global dont je mesure pleinement la gravité. Les évènements récents nous imposent d'être à la hauteur et d'avancer rapidement, collectivement, et efficacement.

Des travaux avaient été entrepris par le Gouvernement précédent sur les solutions possibles. Parallèlement, les travaux de la commission d'enquête sénatoriale ont conduit l'ensemble des acteurs de la lutte contre la grande criminalité à formuler un certain nombre de propositions.

Comme je l'ai indiqué mercredi à l'Assemblée nationale, nous sommes en train, avec le ministre de l'Intérieur, de les examiner pour pouvoir avancer en trouvant des mesures efficaces qui produisent des résultats rapides.

J'ai aussi eu l'occasion de m'exprimer à plusieurs reprises sur l'exécution des peines d'emprisonnement et la surpopulation carcérale. Le Premier ministre a souhaité que les jugements soient mieux respectés et que les peines soient exécutées sans être transformées, au risque de faire perdre toute crédibilité à la réponse pénale.

Pour que cela soit efficace, il faut diversifier les solutions d'enfermement ou de surveillance effective en fonction du profil de la personne détenue et de la peine prononcée, notamment pour les mineurs délinquants. À ce titre, j'ai été attentif à vos propos sur la création d'une peine de probation autonome, que vous appelez de vos vœux.

Le Premier ministre a indiqué être favorable à la création de nouveaux établissements pour les courtes peines. Nous explorons en ce moment même les voies possibles pour avancer sur ce point.

La prison est nécessaire, elle est là pour punir et protéger nos concitoyens, mais l'incarcération doit se faire dans des conditions dignes. La France compte actuellement 80 000 détenus pour environ 62 000 places. Nous allons poursuivre la réalisation du plan immobilier pénitentiaire de 15 000 places, comme le Premier ministre s'y est engagé dans sa déclaration de politique générale.

Vous avez, monsieur le président, rappelé l'attachement de votre organisation à la spécificité du droit pénal des mineurs.

Il n'est pas question de remettre en question ce principe. Non seulement je ne le souhaite pas, mais la Constitution – des conventions internationales également – s'y oppose.

Le sujet de la délinquance des mineurs est difficile et sensible.

Une réflexion doit être menée autour de l'idée de comparution immédiate pour les mineurs délinquants de plus de 16 ans déjà connus de la justice et poursuivis pour des actes d'atteintes graves aux personnes.

Des débats ont récemment été réactivés sur l'atténuation de responsabilité des mineurs, "l'excuse de minorité".

Lorsque des mineurs commettent des infractions extrêmement graves, en pleine connaissance de cause, on peut s'interroger sur la possibilité d'écarter, au cas par cas, cette excuse. Notre droit le permet déjà, dans des circonstances exceptionnelles.

Je l'ai dit, il ne faut pas s'interdire de réfléchir à étendre cette possibilité, face à des situations d'une violence extrême dont l'actualité de ces derniers jours nous a encore donné une illustration tragique.

Des marges existent pour améliorer les choses. Personne ne peut se satisfaire de l'existant. Mais vous pouvez compter sur moi pour que ces améliorations se fassent toujours dans le respect de l'État de droit.

Le traitement des mineurs délinquants ne peut par ailleurs être envisagé sans une réflexion sur la protection de l'enfance et les moyens qui y sont consacrés.

En matière civile, plusieurs réflexions d'ampleur sont actuellement conduites. A ce titre, on peut citer la perspective du 60ème anniversaire de la loi de 1966 relative au droit des sociétés et l'expérimentation à venir de tribunaux des activités économiques.

La réécriture, dans le code de procédure civile, de la partie sur les modes de règlement alternatif des différends constitue quant à lui un chantier d'ampleur.

Je serai attentif à la poursuite de la mise en œuvre de la politique de l'amiable.

Des travaux en matière de droit international privé, pourraient être envisagés.

Une réflexion sur la modernisation du droit de l'arbitrage devrait également être amorcée.

Ces réflexions en matière civile et commerciale sont d'autant plus importantes qu'elles nous permettront de poursuivre les travaux autour de l'attractivité des fonctions civiles.

Monsieur le président, Mesdames et messieurs les magistrats,

Les enjeux et les défis sont nombreux.

Les attentes de nos concitoyens sont immenses.

J'ai confiance en vous et je veux vous assurer de ma détermination à défendre la Justice, les magistrats et toutes celles et ceux qui concourent à leur travail difficile et à la mise en œuvre de leurs décisions. C'est une question de principe car la Justice est au fondement de notre démocratie et de l'Etat de droit.

Vous pouvez compter sur moi.

Je vous remercie.


Source https://www.justice.gouv.fr, le 14 octobre 2024