Interview de Mme Amélie de Montchalin, ministre déléguée, chargée des comptes publics, à France 2 le 6 janvier 2025, sur le projet de budget pour 2025.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France 2

Texte intégral

JULIEN ARNAUD
Bonjour Madame la ministre.

AMELIE DE MONTCHALIN
Bonjour,

JULIEN ARNAUD
Merci d'être avec nous. On lit déjà une première interview de votre part dans les colonnes du Parisien, ce matin. Voilà, mais on va aller plus loin, ce matin, avec vous et on espère que vous allez nous donner des précisions sur ce projet de budget. D'abord, si vous le voulez bien, un mot de la situation des agriculteurs parce qu'on a vu leur mobilisation dans le journal, il y a des tentatives de blocage. Est-ce que, d'abord, vous pouvez garantir que les aides qui ont été prévues par le passé leur seront versées, à ces agriculteurs, et elles seront quand ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Ce que je peux garantir, c'est que le Gouvernement, avec Annie GENEVARD, la ministre de l'agriculture, la première mesure que nous avons prise après notre installation, et c'est, d'ailleurs, le premier communiqué que j'ai signé au ministère avec Eric LOMBARD, le ministre de l'économie et des finances, c'est pour les agriculteurs. C'est pour leur dire que nous, le Gouvernement, dès que le budget sera voté, on mettra en oeuvre toutes les mesures, que ce soit sur la transmission, sur les vaches laitières, sur le gazole non routier, sur toutes les aides qui ont été négociées depuis, maintenant, plusieurs années, certaines qui ont tardé à être mises en oeuvre. Et au fond, les agriculteurs ont dit une chose, c'est qu'ils sont, comme beaucoup de Français, dans l'attente d'un budget, parce qu'ils voient l'urgence et voient, notre côté, de l'attentisme qui a été créé par la censure et par l'absence de budget.

JULIEN ARNAUD
Et s'il n'y a pas de budget, il se passe quoi ?

AMELIE DE MONTCHALIN
S'il n'y a pas de budget, nous, on peut faire des choses d'urgence, mais tous les mécanismes de soutien à la trésorerie, à l'investissement, à la transmission, à l'installation des agriculteurs, cela demande un budget et c'est pour cela que vous le savez. Dès ce matin, avec Éric LOMBARD, nous recevons toutes les forces politiques, parce que nous devons trouver un compromis pour avoir, le plus vite possible, un cadre qui redonne un cap aux Français. Les agriculteurs sont dans la situation, il y a les patrons de PME, les artisans, tout le monde.

JULIEN ARNAUD
Tout le monde, les Français et les contribuables, tout le monde.

AMELIE DE MONTCHALIN
Et cela a une conséquence sur l'économie. Et, donc, plus on attend, plus l'économie ralentit et plus ce sera difficile. C'est bien pour cela qu'on veut agir vite et agir bien.

JULIEN ARNAUD
C'est vrai que les consultations commencent, ce matin, et c'est pour cela que vous êtes avec nous, à commencer par le MoDem tout à l'heure. On va rentrer dans le détail. Mais d'abord, expliquez-nous pourquoi vous pourriez réussir là où votre prédécesseur, Laurent SAINT-MARTIN, et le Gouvernement précédent, ont échoué ? Parce que les données fondamentales du problème, elles, n'ont pas changé en réalité.

AMELIE DE MONTCHALIN
Moi, j'ai le devoir de réussir. Pour les Français, pour les agriculteurs.

JULIEN ARNAUD
Mais Laurent SAINT-MARTIN, aussi, il avait le devoir de réussir.

AMELIE DE MONTCHALIN
Mais aujourd'hui, il faut qu'on ait un appel collectif de toutes les forces politiques, à la responsabilité. Il y a eu la censure. Certains ont voulu bloquer, certains ont pensé que ça allait donner des solutions au pays. Je peux vous dire que depuis six jours, nous n'avons pas de budget en France et je peux vous dire qu'aujourd'hui, je crois que beaucoup de Français et donc j'espère, beaucoup de responsables politiques, voient que nous avons besoin d'un sursaut collectif. Si on est responsable, aujourd'hui, vouloir jouer politiquement la carte de l'immobilisme, le blocage, la rupture avec la vie concrète, c'est être déconnecté. Moi, je suis fondamentalement convaincu.

JULIEN ARNAUD
Vous dramatisez, mais vous vous rendez bien compte que le précédent Gouvernement faisait la même chose. Ça n'a pas convaincu ni le RN, ni LFI, ni les socialistes.

AMELIE DE MONTCHALIN
Mais moi, je ne regarde pas les étiquettes, Je regarde le sens des responsabilités des parlementaires. Je suis convaincu, et je le dis avec beaucoup de lucidité, que nous avons la capacité de trouver, à l'Assemblée, une majorité de députés qui considèrent que leur devoir, c'est de soutenir un budget. Ce ne sera un budget de compromis, ce ne sera pas le budget de la droite, ce ne sera pas le budget de la gauche, ce ne sera pas le budget du centre, sera pas le budget du Gouvernement, ce sera le budget du pays dont nous avons besoin maintenant.

JULIEN ARNAUD
Alors, Eric CIOTTI a expliqué qu'Éric LOMBARD, le ministre de l'Economie, lui avait dit que le budget BARNIER était récessif. Est-ce que vous êtes d'accord avec ça ? Est-ce que vous dites Ben oui, il faut le jeter au panier ou bien est-ce que vous dites que c'est la base de nos discussions ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Je laisse Eric CIOTTI avec ses propos sur les réseaux sociaux, il vient au ministère, donc on pourrait changer directement. Ce que je peux vous dire, c'est qu'avec Eric LOMBARD, la première décision qu'on a prise avec le Premier ministre, c'est, Il y a urgence, donc, on part des textes qui sont sur la table pour aller vite, mais, mais on est lucide, le texte sur la table a été censuré, donc on consulte les forces politiques et on va mettre sur la table un budget qui sera, par définition, différent.

JULIEN ARNAUD
Différent dans les chiffres. L'objectif de Michel BARNIER, c'était 5%. Est-ce que vous dites, ce matin : " Non, ce ne sera pas 5%, ce sera un peu au-delà. " On a eu le chiffre de 5,4 dans la presse, qui est largement repris, ce matin.

AMELIE DE MONTCHALIN
Le plus près de cinq. Mais il y a le budget 2025. Mais il y aura aussi plein d'efforts à faire en 2026, en 2027, en 2028. Pourquoi ? Parce que, d'ici 2029, il faut que nous soyons revenus aux 3% de déficit. Pas parce que c'est une idéologie et parce que si nous ne revenons pas là, nous ne serons plus capables le jour où il y aura une prochaine crise. Et puis quatre ans, il y a eu le Covid, il y a eu l'inflation, il y a eu la guerre en Ukraine, pourquoi on a pu faire face ? Parce que nous avions assaini les comptes avant d'autres objectifs. En 2018, le déficit, c'était 2,3%, donc on l'a déjà fait. Il faut refaire cet effort pour que le jour où une nouvelle crise arrive, eh bien, nous soyons en capacité d'y faire face. Et donc oui, nous allons présenter des mesures d'économies parce que notre boussole, c'est que la solution, ce n'est pas de taper sur le pouvoir d'achat des Français. La solution, ce n'est pas des impôts sur les classes moyennes. La solution, c'est de faire des économies et des économies pour rendre l'argent public efficace partout, ligne à ligne politique, pas politique. Vous avez des tonnes de gens très respectables à la Cour des comptes, dans les inspections des ministères, au Parlement qui font des rapports toute l'année.

JULIEN ARNAUD
Ça, c'est sûr qu'il y en a. Et des décisions, il y en a. On a l'impression d'avoir entendu ça sans arrêt, Amélie de MONTCHALIN. C'est ça le problème, aujourd'hui. Ce que vous dites là est un peu démonétisé de ce point de vue-là.

AMELIE DE MONTCHALIN
Moi, je peux vous le dire, aujourd'hui, on n'a pas le choix, on n'a pas le luxe d'attendre, on n'a pas le luxe de dire : " Les rapports, on va faire une petite pile et puis on attendra plus tard ". Aujourd'hui, on doit, on peut faire des économies, on doit faire plus.

JULIEN ARNAUD
On va rentrer dans le dur, si vous le voulez bien, sur du concret. D'abord sur les recettes, sur les impôts. Est-ce que vous nous dites, ce matin, qu'il y aura les contributions exceptionnelles pour les grandes entreprises ? Est-ce qu'on ira au-delà pour l'ensemble des autres entreprises ou pas ? Est-ce qu'il y aura des hausses de charges, notamment.

AMELIE DE MONTCHALIN
On vise, d'abord, à rattraper l'impôt sur les sociétés, qui n'a pas été payé par les très grandes entreprises en 2023-2024, pour des raisons qui sont complexes. Mais, il y a un rattrapage nécessaire. Cet impôt exceptionnel, il va avoir lieu, on va le mettre en place. Il y avait aussi des propositions sur les hauts revenus. Ma conviction, c'est qu'on ne veut pas créer des impôts nouveaux. Mais pour les hauts revenus, tout le monde doit payer sa part. J'ai une conviction, je crois, qui est très partagée par tout le monde, c'est que pour que le système fonctionne, tout le monde doit payer l'impôt qui est sur la table. Donc l'optimisation fiscale n'est pas illégale. Mais la sur optimisation fiscale…

JULIEN ARNAUD
C'est-à-dire, concrètement ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Il faut qu'on puisse, potentiellement, changer les règles pour vérifier que tout le monde paye sa juste part d'impôt. C'est la condition de cette contribution différentielle sur les hauts revenus. On est en train de travailler très en détail et moi, j'ai une conviction, c'est que la sur-optimisation fiscale…

JULIEN ARNAUD
Sur quels produits financiers, par exemple ?

AMELIE DE MONTCHALIN
On regarde, voilà, vous avez des revenus, est-ce que vous avez bien payé les impôts que tous les autres français payent ? Si ce n'est pas le cas, quand vous payez la différence. Vous avez aussi…

JULIEN ARNAUD
Le Girardin, ce genre de choses. Toutes les niches fiscales ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Ce n'est pas, oui, c'est les niches, mais c'est aussi les impôts qui sont, parfois, pas payés parce que vous créez des holdings. Parce qu'on fait des montages très complexes. Cela, on veut lutter contre et on veut, surtout, lutter plus massivement contre la fraude. Et donc, je peux vous annoncer, ce matin, qu'il y a un sujet, vous savez où il y a une majorité au Parlement, il y a un sujet sans chercher des consultations très compliquées, c'est la lutte contre la sur-optimisation fiscale et la lutte contre la fraude. Je prendrai, dans les prochaines semaines, un plan d'action très concret, très ambitieux. Les parlementaires ont beaucoup travaillé. Ils peuvent compter sur moi parce qu'on a besoin, et vous venez d'en montrer un exemple, de nous assurer que tout le monde paye. Parce que ce qui rend les Français dans la défiance, c'est de se dire : " Il y a des impôts, mais il y a manifestement certains qui ne payent pas, ça, on doit lutter contre pour les hauts revenus qui parfois sur optimisent et pour tous les fraudeurs, pour tous les trafiquants. " Ma main ne tremblera pas. Le parlement, sur ce sujet, a des accords trans-partisans et je peux vous dire que j'irai chercher des majorités.

JULIEN ARNAUD
Un autre point précis, concret si vous le voulez bien. Ce week-end, en lisant ce que disait le ministre de la fonction publique, nous avons cru comprendre que les deux jours de carence pour la fonction publique seraient visiblement pas supprimés, mais en tout cas pas confirmés. On en est où ? Est-ce que ce sera fait ou pas ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Chaque ministre, aujourd'hui, a une mission, contribuer au rééquilibrage des comptes. Donc soit c'est des nouvelles recettes. Vous voyez que notre conviction, c'est que comme on veut, le pouvoir d'achat, ce n'est pas vraiment la piste qu'on privilégie. C'est pour ça qu'on ne privilégie pas du tout la hausse de TVA. C'est pour ça qu'on ne privilégie pas d'aller créer des impôts à toute vitesse. Mais chaque ministre a la responsabilité. Qu'est ce qui peut être fait sur les recettes à la marge s'il y a besoin ? Mais surtout, qu'est-ce qu'il peut faire en économie ? Et chaque ministre, ensuite, viendra présenter sa copie. Et vous voyez, ce n'est pas dans mon bureau que je vais, d'un trait de plume rayer, telle ou telle politique.

JULIEN ARNAUD
Alors, c'est quoi le timing ? C'est très important, il nous reste assez peu de temps. C'est quoi le timing ? Il arrivera quand ce budget ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Donc le budget, cette semaine, on consulte les forces politiques avec Eric LOMBARD. Je fais la même chose avec Catherine VAUTRIN sur la Sécurité sociale, qui est aussi un budget essentiel pour les Français. Vous savez que la santé finira à l'année 2024 avec un déficit de 15 milliards. Ce n'est pas moins important que le budget de l'Etat et donc la santé au travail.

JULIEN ARNAUD
Et, donc, une date ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Et donc, on commence ensuite à nouveau le travail parlementaire mi-janvier et on vise d'avoir un budget, on espère, courant février pour que, au plus tard fin février, les Français sortent de l'incertitude, sort de l'immobilisme et que les agriculteurs et tous les autres y voient clair. Et c'est comme ça qu'on agit. Donc c'est à la fois une course contre la montre, mais on le doit aux Français, on le doit en responsabilité.

JULIEN ARNAUD
Objectifs, février. Et vous reviendrez pour nous dire si ce timing a été tenu, merci à vous.

AMELIE DE MONTCHALIN
Je reviendrais, évidemment, et montrer aux Français qu'on sera capable, j'en suis certaine, et, en tout cas, j'y travaille, de trouver un compromis.

JULIEN ARNAUD
Merci beaucoup, madame la ministre.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 7 janvier 2025