Interview de Mme Clara Chappaz, ministre déléguée, chargée de l'intelligence artificielle et du numérique, à France Info TV le 10 janvier 2025, sur les réseaux sociaux, Elon Musk et les sites pour adultes.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Clara Chappaz - Ministre déléguée, chargée de l'intelligence artificielle et du numérique ;
  • Hadrien Bect - journaliste

Média : France Info TV

Texte intégral

HADRIEN BECT
Pourra-t-on bientôt écrire tout et n'importe quoi sur Facebook ? Elon MUSK, veut-il faire basculer la vie politique européenne grâce à son réseau social X ? Voilà quelques questions assez vertigineuses, disons-le, au coeur de l'actualité de ces derniers jours. Et voilà quelques enjeux auxquels vous devez faire face. Clara CHAPPAZ, bonjour.

CLARA CHAPPAZ
Bonjour.

HADRIEN BECT
Vous êtes la ministre déléguée chargée de l'intelligence artificielle et du numérique. Alors, commençons peut-être avec META. Tout le monde connaît, c'est Facebook, Instagram, WhatsApp. META qui annonce donc arrêter le fact-checking aux Etats-Unis, pas encore en France, à la place des notes de contexte publiées par les internautes. Ce serait du coup un petit peu collaboratif. Pour quelqu'un comme moi qui utilise Facebook ou Instagram, ça va changer quoi très concrètement ?

CLARA CHAPPAZ
Alors, quand META a fait cette annonce il y a quelques jours, je me suis entretenue tout de suite avec la direction de META, ici, en France. Et je veux rassurer nos auditeurs, dans l'immédiat, rien, ça ne va rien changer.

HADRIEN BECT
Oui, mais potentiellement, c'est quoi le changement ? Qu'est-ce qui serait moins fiable ? Qu'est-ce qui serait très différent ?

CLARA CHAPPAZ
Pourquoi on s'intéresse à cette question ? Moi, vous savez, je ne suis pas en charge du développement technique de META. Je suis en charge de faire en sorte que ces plateformes, sur lesquelles se connectent des millions de Français, et certainement ceux qui nous écoutent, aujourd'hui, qu'ils soient dans leur voiture, en train de prendre leur petit-déjeuner, qui utilisent ces plateformes pour s'informer, puissent être sûrs que ces plateformes suivent nos règles. Nous avons, en Europe, une des réglementations les plus ambitieuses en matière de sécurisation de l'espace numérique, et en particulier du contenu de ces plateformes.

HADRIEN BECT
Pour être très concret, ça veut dire que cette réglementation, elle empêche potentiellement META, Facebook notamment, de changer la manière dont les contenus sont modérés, ou pas ? Ou peuvent le faire ?

CLARA CHAPPAZ
Elles ne l'empêchent pas, elles demandent, de la même manière que si on changeait les règles sur cette radio ou à la télé, on serait en mesure de se demander comment ce changement impacte les personnes qui nous écoutent. Elle demande à ces plateformes de mesurer quel est l'impact sur la qualité de la modération qu'implique ce type de changement de fonctionnalité.

HADRIEN BECT
Et est-ce que vous avez été rassurés par META ?

CLARA CHAPPAZ
META m'a indiqué qu'ils avaient bien l'intention de suivre nos règles, qu'ils ne les remettent pas en question.

HADRIEN BECT
Vous leur faites confiance ?

CLARA CHAPPAZ
Je leur fais confiance. Ils ont bien compris. Parce que ce dont il s'agit au fond, c'est de la liberté d'expression. Et du fait qu'en France, comme en Europe, la façon dont nous définissons la liberté d'expression est différente que la façon dont elle est définie aux Etats-Unis. Je ne peux pas, ici, sur cette antenne, avoir des propos haineux, avoir des propos homophobes. Je pense que ça choquerait tout le monde. Il en est de même sur nos réseaux. Il n'est pas question que l'espace en ligne ne respecte pas les mêmes règles que l'espace hors ligne.

HADRIEN BECT
Alors, Clara CHAPPAZ, les notes de communauté, comme on dit, ça existe déjà sur le réseau social X, c'est le réseau social d'Elon MUSK, ce proche de Donald TRUMP. Alors, il a fait, d'ailleurs, hier soir, un échange vidéo avec la chef de l'équipe allemande sur X. Il lui a redit son soutien en vue des législatives le mois prochain. Est-ce que ça vous inquiète qu'il puisse faire la même chose en France ?

CLARA CHAPPAZ
Je ne suis pas surprise des propos que tient Elon MUSK sur son réseau. Le projet politique d'Elon MUSK est très clair. Ce n'est pas notre projet et ce qui m'intéresse en tant que ministre du numérique…

HADRIEN BECT
C'est pour ça que je vous demande si ça vous inquiète s'il venait le faire en France avec d'autres responsables politiques.

CLARA CHAPPAZ
Ce qui m'intéresse, en tant que ministre du Numérique, c'est de m'assurer que le réseau social qu'utilise Elon MUSK pour partager un certain nombre d'informations, qui se trouve aussi être son réseau par ailleurs, suit nos règles. Les fameuses community notes dont vous parlez font l'objet, aujourd'hui, d'une commission d'enquête de l'Union européenne.

HADRIEN BECT
Ça n'est pas fiable ?

CLARA CHAPPAZ
Je ne suis pas là pour vous dire si c'est fiable ou pas. Je suis là pour vous dire que nous avons raison de nous poser un certain nombre de questions puisque cet outil est en ce moment-là cible d'une enquête. Quand la Commission européenne donnera les conclusions de son enquête, s'il s'avérait que cet outil de modération n'est pas efficace, s'il s'avérait que la façon dont les propos que tiennent Elon MUSK sont montrés sur la plateforme comportent certains biais, alors il nous faudra agir. Nous avons l'arsenal pour le faire.

HADRIEN BECT
C'est la question que j'allais vous poser justement, qui est la question de l'algorithme. En gros, c'est pour faire simple, la manière dont les messages s'affichent sur votre compte ou pas, parce que tout ça ne se fait évidemment pas par hasard. Est-ce que vous pensez qu'Elon MUSK manipule cet algorithme ?

CLARA CHAPPAZ
Je pense que la Commission européenne mène un certain nombre d'enquêtes, que nous aurons les résultats prochainement et que nous serons alors en mesure d'agir s'il s'avérait qu'il y avait cet outil de manipulation.

HADRIEN BECT
Vous ne remarquez pas ça ?

CLARA CHAPPAZ
Mais ce que je veux vous dire quand on parle de ces réseaux sociaux est d'opinion et d'information, en fait, c'est de ça dont il s'agit. Nous ne sommes pas en train de condamner les opinions. La liberté d'expression est un droit fondamental qui est encadré, ici, en France et les plateformes doivent aussi respecter cet encadrement pour garantir la qualité de l'information.

HADRIEN BECT
Mais quand vous dites " arsenal législatif ", ça veut dire que quand votre collègue des affaires étrangères laisse entrevoir une interdiction de X en Europe, en tout cas, en France, ce n'est pas qu'un effet de manche ?

CLARA CHAPPAZ
Ce n'est pas qu'un effet de manche, c'est possible dans ce qu'on appelle le Digital Service Act qui est la réglementation européenne dont nous nous sommes dotés pour garantir la sécurité de cet espace numérique. Il y a un certain nombre d'amendes qui sont possibles aussi. Bien sûr, nous ne voulons pas en venir ici. Je pense que c'est un peu la même question que vous vous êtes certainement posée ici à cette rédaction, savoir est-ce qu'il faut quitter X ? Moi, ce que je réponds aux personnes qui nous écoutent, ce que je réponds et ce que nous discutons avec les membres de mon Gouvernement, c'est de se dire que ce n'est pas à nous de quitter X, c'est à X de se mettre en règle.

HADRIEN BECT
Un dernier sujet, Clara CHAPPAZ, vous recevez, aujourd'hui, les représentants des sites pour adultes, sites pornographiques notamment. À partir de dimanche, ils doivent vérifier l'âge de leurs utilisateurs. Chaque mois, plus de deux millions de mineurs fréquentent des sites pornographiques selon l'ARCOM. On va y revenir avec vous. D'abord, écoutez les explications d'Angélique BOUIN.

ANGELIQUE BOUIN
Se déclarer majeur sans autre contrainte n'est plus acceptable pour l'ARCOM qui impose donc aux plateformes des outils de vérification d'âge techniquement fiables. Avec un calendrier progressif, jusqu'en avril, enregistrer et authentifier une carte bancaire suffira. Mais pour protéger l'anonymat de leurs utilisateurs adultes, les plateformes devront proposer ensuite d'autres solutions techniques. Certaines le font déjà via des applications en ligne de vérification d'identité ou encore la prise d'un selfie analysé par de l'IA. De nouvelles règles françaises contestées néanmoins par les plus gros acteurs du secteur installés à Chypre ou en République Tchèque, règles qui ne devraient donc pas à ce stade améliorer radicalement la protection des mineurs, il serait plus efficace d'avoir un dispositif de vérification d'âge crédible à l'échelle européenne, reconnaît d'ailleurs le patron de l'ARCOM. Selon la dernière étude de cette autorité de régulation, la moitié des garçons âgés de douze et treize ans et un tiers des filles visionnent en moyenne une fois par mois des images pornographiques.

HADRIEN BECT
En quelques mots, Clara CHAPPAZ, ministre du numérique, ça va concerner combien de sites pour l'instant ? Assez peu, on l'imagine ?

CLARA CHAPPAZ
C'est une réglementation sur laquelle nous travaillons depuis un certain nombre de temps et aujourd'hui, c'est une étape majeure, parce que dès demain, les sites basés en France et en dehors de l'Union européenne devront se mettre en conformité. Ce que vient de dire le reportage est extrêmement choquant. Je veux dire, un garçon sur deux se connecte à ces sites…

HADRIEN BECT
Vous ne savez pas combien de sites ça représente ?

CLARA CHAPPAZ
Je ne pense pas que c'est une question de nombre de sites, c'est une question de faire des progrès chaque jour et on aura, tout à l'heure, dans mon ministère un certain nombre d'acteurs qui seront là pour pouvoir rencontrer un certain nombre de solutions, aussi technologiques sur cette question. Parce qu'aujourd'hui, ce qu'il se passe en un clic, c'est que, je l'ai fait tout à l'heure, les jeunes, les enfants ont accès à un certain nombre de contenus. Je ne vais pas vous faire l'affront de vous dévoiler toutes les vidéos, mais ces contenus sont extrêmement choquants.

HADRIEN BECT
Merci beaucoup Clara CHAPPAZ, ministre déléguée chargée de l'Intelligence artificielle et du Numérique, d'avoir été avec nous ce matin sur France Info.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 13 janvier 2025