Interview de Mme Aurore Bergé, ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, à LCP le 15 janvier 2025, sur la réforme des retraites, la hausse des moyens financiers pour l'hôpital, le projet de loi relatif à la fin de vie, la proportionnelle et le cumul des mandats et le nombre de féminicides depuis le début d'année.

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Intervenant(s) : 

Média : LCP Assemblée nationale - La Dépêche

Texte intégral

ORIANE MANCINI
Bonjour Aurore BERGE.

AURORE BERGE
Bonjour.

ORIANE MANCINI
Merci beaucoup d'être notre invitée politique ce matin, ministre chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations. On est ensemble pendant 20 minutes pour une interview en partenariat avec la presse régionale représentée par Christelle BERTRAND du groupe La Dépêche. Bonjour Christelle.

CHRISTELLE BERTRAND
Bonjour Oriane, bonjour Aurore BERGE.

AURORE BERGE
Bonjour.

ORIANE MANCINI
On va évidemment longuement revenir sur la déclaration de politique générale de François BAYROU une heure et demie et le PS qui, à l'issue, menace toujours de voter la censure. Est-ce que le Premier ministre a raté son grand oral ?

AURORE BERGE
Non je ne crois pas parce que je pense que l'objectif d'une déclaration de politique générale c'est comme son nom l'indique de fixer des grandes orientations et de fixer un cadre. Et il a fixé un cadre et je crois qu'il faut que chacun mesure puisque tout le monde focalise sur la question des retraites. Donc j'y viens tout de suite. Chacun mesure quand même ce que ça suppose et ce que ça signifie pour nous de dire tout est sur la table. Moi, j'étais présidente de groupe à l'Assemblée nationale au moment où on a porté la réforme des retraites. Parce qu'on y croit. Ça a été un climat extrêmement tendu, extrêmement difficile. Assumer de dire "nous, ancienne majorité présidentielle, tout est ouvert, sans totem, sans tabou" ça, ça s'appelle une véritable concession. Et de donner la main à 100 % aux partenaires sociaux. Donc je pense qu'il faut que chacun mesure l'effort qui est le nôtre.

ORIANE MANCINI
Donc vous êtes allé au maximum du compromis pour vous ?

AURORE BERGE
Qu'est-ce qu'on peut faire de plus que de dire à 100 % on rend la main aux organisations syndicales et patronales. S'ils trouvent un accord, on le met en œuvre. Et donc sans totem, sans tabou par rapport à la réforme que nous avions conduite avec en effet une ligne rouge absolue. Ça, c'est vrai et c'est légitime qu'est la soutenabilité financière. Parce que sinon on peut tout écrire, si à la fin on ne sait pas le financer, c'est un sujet. Donc, moi je pense qu'il faut faire confiance aux...

CHRISTELLE BERTRAND
Ce que vous demandaient les socialistes, c'est dans l'attente des conclusions de ce conclave qui va se réunir à partir de vendredi. C'est de suspendre la réforme. Et ça le mot n'a pas été présenté. Et Olivier FAURE avait dit : "mais nous, il faut bien qu'on rentre avec des victoires chez nous pour faire accepter le fait qu'on ne censure pas le Gouvernement."

AURORE BERGE
Oui mais je pense que c'est sincèrement une victoire. Parce que c'est sincèrement une concession pour nous que de dire qu'on est prêt à tout remettre sur la table donc ça veut dire à tout remettre en cause. Si les organisations syndicales et patronales trouvent un meilleur accord. Parce que nous-mêmes nous avons…

ORIANE MANCINI
Mais là le problème c'est qu'il y a quand même des chances qu'ils ne le trouvent pas l'accord.

AURORE BERGE
Oui mais enfin, on ne peut pas parier sur l'échec. Puisque je trouverais ça quand même un peu étonnant que la gauche dise dès maintenant d'emblée aux organisations syndicales : "de toute façon, vous allez échouer donc à nous de prendre la main." Dans toutes les démocraties matures, ce n'est pas comme ça que les choses se passent. Ce sont les organisations syndicales et patronales qui négocient, qui discutent. Et ensuite, comme elles ont trouvé des accords parce qu'elles y arrivent, alors ça veut dire qu'on le transpose. Et récemment, elles ont trouvé des accords justement sur la question de l'emploi des seniors. Donc ça veut dire que c'est possible de leur faire confiance.

CHRISTELLE BERTRAND
Il y a une question qui reste en suspens. On n'a pas très bien compris dans le discours de François BAYROU hier. Il veut réunir une délégation permanente avec d'un côté, les représentants des organisations syndicales. Et on ne sait pas qui de l'autre côté. Est-ce que vous y voyez plus clair, vous ?

AURORE BERGE
Je pense qu'il aura l'occasion au Sénat aujourd'hui de clarifier un certain nombre de points, notamment sur justement le cadrage, le process qui met en place. Ce qui est très clair c'est le calendrier. On n'attend pas. C'est dès vendredi que le conclave se réunira sur la base aussi de chiffres indiscutables. Parce que vous vous souvenez quand même des débats qu'on avait eus au moment de la réforme. Où finalement les chiffres n'étaient pas les mêmes. Donc là au moins, il faut objectiver les choses. Il n'y a rien de mieux que la Cour des Comptes qui est quand même totalement indépendante du Gouvernement des partis politiques pour dire voilà l'état des chiffres et voilà aujourd'hui, pour que ce soit soutenable, ce qu'il faut trouver comme moyen budgétaire nouveau. Donc ça des chiffres que personne ne discute, un calendrier très court… Là encore, on aurait pu dire "attendez, on va gagner du temps. On verra dans 6 mois." Nous avons une clause de revoyure à la fin juillet, septembre. Non, c'est avant l'été, c'est 3 mois. Et c'est donner la main aux partenaires sociaux. Je comprends votre question. Et je pense qu'il aura l'occasion de clarifier.

ORIANE MANCINI
Il y a deux questions : est-ce que ça veut dire, un, que la réforme BORNE ne garantit pas la soutenabilité financière du régime ?

AURORE BERGE
Alors on a toujours dit que c'était une réforme qui était nécessaire. Moi, je l'ai défendue bec et oncle, donc je ne vais pas dire l'inverse ce matin. Mais qu'elle la garantissait sur une période. On le voit bien, on le sait bien et d'ailleurs les chiffres ont été rappelés par le Premier ministre hier. Ce qui est certain, qu'on parle beaucoup de la dette quand même. Et heureusement d'ailleurs qu'on en parle ; la moitié de cette dette c'est notre système de retraite. Donc ça veut dire que sans réforme, suspension par exemple de la réforme, vous aggravez d'autant la dette générale de notre pays. Et ça, je pense que c'est juste inacceptable en fait qu'en permanence on fasse peser ce poids-là. On ne peut pas, d'un côté, nous dire : "vous avez créé trop de dettes", mais dans l'autre : "Surtout ne faites rien sur les retraites. Revenez à 62 ans, à 60 ans et peu importe la soutenabilité du régime." C'est quand même totalement incohérent. Donc pas de tabou. On est prêt à tout remettre sur la table.

ORIANE MANCINI
Y compris les 64 ans ?

AURORE BERGE
De facto, on dit… Et ça ne me fait pas quelque part plaisir de vous le dire, si je suis honnête et sincère. Parce que moi, j'ai porté cette réforme et que j'y crois ; qu'on s'est senti un peu seule pour la porter. Et qu'on ne l'a pas fait pour se faire plaisir, on l'a fait parce qu'on pense qu'elle était absolument nécessaire. Mais s'il y a une autre solution qui peut être trouvée, qui est plus consensuelle dans le pays, qui est consensuelle entre les organisations syndicales et patronales et qui garantit la soutenabilité, eh bien, allons-y !

ORIANE MANCINI
Ça veut dire que vous, si les partenaires sociaux se mettent d'accord sur il n'y a pas d'âge légal à 64 ans, vous voterez ça ?

AURORE BERGE
Mais de toute façon, c'est l'engagement que le Premier ministre a pris. Donc moi, je suis solidaire du Premier ministre puisque je suis membre de son Gouvernement.

ORIANE MANCINI
L'engagement c'est de mettre la loi au Parlement, ce n'est pas de garantir que tout le monde va la voter.

AURORE BERGE
Ça, après, chaque parlementaire est libre.

ORIANE MANCINI
Mais vous, vous le voterez ?

AURORE BERGE
Mais je pense qu'en fait…

ORIANE MANCINI
Et le groupe Renaissance… Ensemble pour la République le votera.

AURORE BERGE
En fait, il faut être cohérent. C'est-à-dire si on dit : "On donne la main aux organisations syndicales et patronales", un, il ne faut pas miser sur leur échec. C'est ce que je dis à la gauche. Ne misez pas des mains sur leur échec alors qu'ils n'ont même pas pu encore se réunir et que c'est vendredi." Deux, nous dire par anticipation si la mouture finale ne nous convient pas alors nous, on ne votera pas. Parce que là, ils ont piégé quelque part les organisations syndicales.

ORIANE MANCINI
Donc il y a garantie que le groupe Ensemble pour la République le votera. Et l'autre question, c'est ce que demandent maintenant les Socialistes, c'est que vous n'êtes pas prêt à dire, quelle que soit l'issue de ce conclave, le texte ira au parlement et c'est au parlement de trancher.

AURORE BERGE
C'est ce qui a été dit par le Premier ministre.

ORIANE MANCINI
Non. C'est-à-dire s'il n'y a pas d'accord. Olivier FAURE dit : "même s'il n'y a pas d'accord, il faut que ce soit le parlement qui tranche."

AURORE BERGE
Encore une fois, pourquoi il parie d'emblée sur le fait qu'ils ne vont pas réussir. Je vois que dans une période très récente, sous le précédent Gouvernement, pour le coup, de Michel BARNIER, ils ont réussi à avoir un accord, je crois, important entre les organisations syndicales et patronales. Donc ça veut dire que c'est possible. Ou alors, dans ces cas-là, il ne faut pas leur donner la main et on se dit que tout se passe au parlement. Et on voit bien les difficultés que ça pourrait représenter évidemment vu la composition du parlement…

ORIANE MANCINI
Vous n'êtes pas prêt à accéder à la dernière demande du PS ?

AURORE BERGE
Écoutez. En fait, moi, ce que je ne comprends pas, c'est… À un moment, il faut que personne ne fasse semblant. Donc, encore une fois, on ne fait pas semblant en disant : "Tout est sur la table." Et ça veut dire que quelle que soit la mouture ; si elle est consensuelle entre les organisations syndicales et patronales, eh bien, on prend acte nos gouvernements de la reprendre, de la mettre en débat au parlement et donc il ne faut pas piéger les organisations, de la soutenir. Et de la même manière, il ne faut pas dire : "Écoutez, on va parier sur l'échec parce que ça nous arrangerait qu'il y ait un échec." Donc. Je pense que les Français sont suffisamment en attente de ce qui peut se passer. Parce qu'à force, ça va peser à nouveau de l'incertitude, du doute, de savoir quel va être l'âge de départ, pas l'âge de départ. Est-ce que ça va être repoussé ? Réavancé ? Quel va être le niveau de leur pension ? Parce qu'à la fin, il y a aussi tous ceux qui sont déjà retraités, qui nous écoutent, qui disent "Attendez, vous n'allez quand même pas. Remettre en jeu le fait qu'on puisse tout simplement payer nos pensions de retraite." Donc ça, on le dit, il faut que ce soit soutenable évidemment, financièrement.

CHRISTELLE BERTRAND
Est-ce que ce n'est pas compliqué pour les Socialistes ? Vous leur dites... enfin, ils vous demandaient une suspension de la réforme, vous dites non. Ils vous demandent de soumettre un nouveau texte au Parlement, vous leur dites non. Est-ce que ce n'est pas compliqué d'expliquer cela à leurs électeurs ?

AURORE BERGE
Moi, je pense qu'il faut expliquer aux Français, pas juste à des électeurs, mais expliquer aux Français qu'encore une fois, ce sont les partenaires sociaux qui ont trois mois – pas six mois, pas un an, trois mois – pour trouver une alternative qui soit plus consensuelle dans le pays, qui soit soutenable financièrement et qui si elle est trouvée, avec l'engagement du Premier ministre, sera immédiatement discutée au Parlement. Je crois que c'est très clair et c'est très fort de notre part de le faire, parce que le Premier ministre aurait pu dire : "De toute façon, nous, on tient à la réforme et on ne bougera pas." Et c'est vrai que nous, on y tient à cette réforme puisqu'on l'a portée. Donc on fait une concession qui est quand même très conséquente. Il y a d'autres avancées aussi. Il y avait une demande très forte sur la question de l'hôpital. L'ONDAM, c'est-à-dire les moyens financiers qui sont accordés à notre système hospitalier vont encore être revus à la hausse.

ORIANE MANCINI
Ça, c'est pour… avec les exigences de baisse de la dépense publique ?

AURORE BERGE
Il y a des éléments de baisse de la dépense publique que l'on poursuit, notamment sur les rendements fiscaux, vous l'avez vu, sur les très hauts patrimoines, sur un certain nombre de très grandes entreprises, sur la question des allègements de charges. Donc tout n'est pas à jeter de la copie telle qu'elle avait été présentée, évidemment, par le précédent gouvernement. Les mesures d'économie très claires qui sont demandées sur le train de vie de l'État. Il a parlé aussi du volet immobilier de l'État. Et ce n'est pas un petit sujet, ce ne sont pas quelques milliers d'euros d'économies. Ça veut dire qu'on va tous faire des efforts, tous les membres du Gouvernement – là on doit rendre notre copie – sont invités à faire des efforts budgétaires sur leur propre budget. Aussi, parce que malheureusement, on a perdu deux mois. Comme il y a eu la censure, on n'a pas pu lancer le budget.

ORIANE MANCINI
Comment allez-vous le faire dans votre ministère, vous, par exemple, eh bien…

AURORE BERGE
On est en train de regarder sujet par sujet, subvention par subvention. Moi, ce que j'ai dit, c'est qu'il y avait une ligne rouge. C'est qu'évidemment, sur la question de la lutte contre les violences, il était hors de question qu'on baisse le budget. Et ça, ça a été immédiatement entendu. Donc, je ne suis pas du tout inquiète sur ce volet-là. Mais par contre, je pense que c'est légitime que tous, on fasse ce travail de vérification, presque ligne à ligne, pour savoir quelles sont les économies qui sont possibles. Et puis, c'est aussi dire aux Français que la censure a un coût. Parce que moi, typiquement, si j'avais été ministre avec un budget voté, j'aurais pu immédiatement lancer des appels à projet pour les associations qui les attendent, du soutien des collectivités. Mais là, tout est décalé, tout est décalé, parce que nous n'avons pas de budget. Parce que je ne sais pas dans quel cadre je m'inscris et que j'espère qu'enfin, au 1er mars, au 15 mars, on en aura…

CHRISTELLE BERTRAND
Et ça risque d'être décalé à nouveau, puisque les Socialistes font à nouveau peser la menace d'une censure. Est-ce que vous comprenez ce qui s'est passé entre avant-hier soir où les Socialistes sortent d'une réunion avec François BAYROU plutôt contents en laissant entendre qu'ils avaient trouvé un accord, et hier, où ils disent finalement : "On va peut-être censurer" ?

AURORE BERGE
Il faut demander au Parti socialiste. Je pense qu'il y a aussi des enjeux internes du Parti socialiste, peut-être, qui pèsent sur les décisions.

CHRISTELLE BERTRAND
François BAYROU n'a pas fait marche arrière par rapport aux promesses qu'il a pu leur faire la veille ?

AURORE BERGE
Non. Il n'y a pas eu de "machin". Et puis, ce n'est pas comme ça que le Premier ministre travaille et fonctionne. Il a été transparent avec eux. Et il a dit ce qu'il leur avait promis, encore une fois, que ce soit sur les retraites – on en a longuement parlé – que ce soit sur l'hôpital, que ce soit sur les enjeux de fiscalité, de justice fiscale. On ne triche pas. On ne peut pas jouer à ça. Personne ne joue. Parce qu'à un moment, très sincèrement, si à nouveau, là, on a un Gouvernement censuré, la question ce n'est pas qu'il y a un nouveau Gouvernement ; la question, c'est que si on est censuré sur un budget, on est… mais c'est vraiment "rendez-vous en terrain inconnu". Moi, je ne sais pas ce qui se passe dans le pays, sincèrement, si à nouveau, là, on n'a pas de budget. Je ne sais pas ce que je dis aux collectivités territoriales. Je ne sais pas ce que je dis à toutes celles et ceux qui attendent que les projets puissent être financés et soutenus. Je ne sais pas ce que je dis aux Français sur la question de la dette et de l'explosion des taux d'intérêt que nous aurons, si à nouveau, on n'a pas de budget. Donc oui, il faut qu'on fasse des concessions et des compromis. Vraiment. Et sincèrement, moi, ça me coûte de venir ce matin et de dire que tout est sur la table sur la réforme des retraites.

CHRISTELLE BERTRAND
Est-ce que, justement, entre cette dernière réunion entre le Premier ministre et le Parti socialiste, François Bayrou a rencontré Emmanuel MACRON ? Est-ce que lui est prêt à remettre en question sa réforme des retraites ? On sait qu'il y tient beaucoup.

AURORE BERGE
Évidemment qu'on y tient. Evidemment, on ne peut pas vous dire autre chose. C'est-à-dire que c'est une réforme sur laquelle le Président s'est engagé…

CHRISTELLE BERTRAND
Est-ce que cette marche arrière a été demandée par le Président de la République ?

AURORE BERGE
Il n'y a pas eu de machine arrière. Je ne pense pas que le Premier ministre ait jamais envisagé de dire : "Voilà, la réforme des retraites, ce sera un nouveau projet de loi et puis ce sera ça." Ce n'est pas sa méthode. Sa méthode, c'est une méthode d'association, de consultation.

CHRISTELLE BERTRAND
Non mais vous laissez entendre qu'elle pouvait être gelée quelque temps.

AURORE BERGE
Moi, ce que je sais, c'est que, quand le Premier ministre a été nommé, il a tout de suite dit de manière assez claire : "Reprendre sans suspendre." Il l'a dit d'entrée de jeu, quand il a été nommé. Donc, il n'a pas varié de cette ligne-là. Par contre, reprendre, ce n'est pas dire : "Ecoutez, on va juste reprendre à la marge et faire quelques aménagements, et c'est nous qui allons décider des aménagements." C'est dire : "On donne la main, à 100 %, aux partenaires sociaux." Et on ne leur donne pas un cadre figé, en disant : "voilà, il n'y a que tel ou tel sujet sur lesquels vous avez le droit de retravailler." Non. "Vous avez le droit de reprendre la réforme à la racine." Et vraiment, sincèrement, oui, ça coûte pour nous, qui avons porté et défendu cette réforme, qui avons été beaucoup attaqués pour l'avoir portée, de le dire et de le faire. Mais on a la nécessité de trouver des compromis. Parce que sinon, il n'y aura pas de budget pour ce pays. Et s'il n'y a pas de budget pour ce pays, on arrive dans un domaine dont personne ne mesure les conséquences. Donc il faut que chacun accepte de faire un pas. Il faut que chacun accepte que ça lui coûte un peu.

CHRISTELLE BERTRAND
Aujourd'hui, la pression est très forte sur les Socialistes. On a entendu les mots de Jean-Luc MELENCHON, hier, qui menace d'envoyer des candidats LFI…

AURORE BERGE
Ce n'est pas la première fois qu'il les menace.

CHRISTELLE BERTRAND
Là, la menace est vraiment très, très lourde, surtout en cas de nouvelle dissolution au mois de juin. Quelle main tendue pourriez-vous leur adresser pour qu'ils finissent par soutenir le Gouvernement ou pas le censurer ?

AURORE BERGE
Est-ce qu'on a vraiment envie de vivre avec des partenaires qui nous menacent ? Est-ce qu'on vit sous le même toit que quelqu'un qui nous menace ? Parce que c'est ça, à la fin.

CHRISTELLE BERTRAND
Ils risquent, surtout, de ne plus avoir décision en cas de dissolution.

AURORE BERGE
Mais ce sont des insultes qu'ils subissent de manière récurrente. Ce sont aussi des menaces qu'ils subissent de manière récurrente. Nous aussi, on est dans une logique, depuis 2017, où on a des partenaires – Renaissance, Modem, Horizons. On n'a jamais eu de menaces mutuelles entre nous. On n'a jamais fonctionné ainsi. On a pu assumer des nuances, voire des désaccords, mais on n'a jamais fonctionné de cette manière-là. Et moi, je ne vois pas comment le Parti socialiste, un, peut continuer à accepter de se faire insulter et menacer ; deux, peut continuer à accepter que systématiquement de nouvelles lignes rouges soient franchies. J'entendais encore hier soir un député de La France Insoumise qui révoquait la question de l'antisémitisme, en disant qu'en gros, on parlait trop d'antisémitisme dans le pays, que ces personnes-là, je cite, ciblant les propriétaires de médias, parlaient trop d'antisémitisme et qu'accessoirement ce n'était pas vrai, qu'il n'y avait pas de faits d'antisémitisme et que c'étaient des faits inventés. C'est grave quand on voit et quand on sait dans notre pays ce que vivent beaucoup trop de nos compatriotes juifs qui vivent malheureusement dans la peur depuis le 7 octobre, il y a deux ans. À un moment, est-ce qu'on veut vivre avec ces partenaires-là ? Est-ce qu'on veut que ces lignes rouges soient franchies, qu'elles n'aient jamais de conséquences ?

CHRISTELLE BERTRAND
Donc vous appelez à rompre avec LFI ?

AURORE BERGE
Je pense qu'encore une fois, ils sont sortis des élections européennes avec un candidat qui, quelque part, nous a fait un peu de tort parce qu'il a fait un bon score et parce qu'il a réussi, je trouve, à avoir une gauche qui était une gauche républicaine, qui était laïque, qui était universaliste, qui était européenne. Moi, je préfère avoir des concurrents sérieux mais totalement républicains plutôt que des concurrents qui en permanence s'affranchissent du cadre. Et c'est aussi une vraie question pour le Parti socialiste. Regardez ici les sénateurs. Ce sont les premiers à se féliciter que La France insoumise n'ait pas de siège au Sénat et d'avoir tout fait d'ailleurs pour que ce soit le cas. Donc je le dis plutôt aux députés : "Oui, affranchissez-vous." Peut-être que ça coûtera électoralement, je ne sais pas. Ce n'est pas mon problème en fait. Moi, ce que je sais, c'est quelle concession, quel compromis on est prêt à mettre sur la table pour justifier aussi que le Parti socialiste puisse ne pas censurer. Ça, c'est normal ; ça s'appelle du compromis. Il faut que chacun accepte que ça lui coûte. Mais après, oui, je crois qu'il faut qu'ils arrivent à sortir de cette soumission à Jean-Luc MELENCHON qui ne peut pas en permanence tweeter des insultes et des menaces.

CHRISTELLE BERTRAND
Dans ce que vous réclamez, le Parti Socialiste, il y avait le maintien des 4 000 postes de profs qui devaient être supprimés dans le budget BARNIER. François BAYROU n'a pas été très clair sur le sujet. Est-ce qu'il faut leur accorder ce point ou pas ?

AURORE BERGE
Moi, je pense que ce qu'il faut garantir, c'est le niveau d'enseignement et la qualité, évidemment, de ce niveau d'enseignement pour le bien de nos enfants.

CHRISTELLE BERTRAND
Mais pas le nombre de postes ?

AURORE BERGE
Et que dans chaque classe, il y ait évidemment – ce qui est la moindre des choses – un enseignant. Moi, je ne sais pas vous dire, parce que ce n'est pas moi la ministre de l'Éducation nationale, quel est le niveau des postes.

CHRISTELLE BERTRAND
Justement, la ministre de l'Éducation nationale a dit qu'elle voulait se battre pour maintenir ces 4 000 postes.

AURORE BERGE
Bien sûr, mais on a une démographie et c'est en fonction de ça qu'on doit juger le nombre de postes qui sont nécessaires. C'est-à-dire qu'à la fin, si vous avez de moins en moins d'élèves, c'est légitime à un moment que vous ne demandiez pas le même nombre de postes. Et à l'inverse, si vous avez de plus en plus d'élèves, évidemment, vous avez une évolution. Après, vous le savez, on a réussi à avoir un cas depuis 2017, où on a réduit le nombre d'élèves par classe. Tout le monde nous disait que c'était impossible. On a réussi à le faire. D'abord, on repérait plus ces CP-CE1. On l'a fait pour tous les territoires en maternelle, pour arriver à avoir des plus petites classes et des apprentissages renforcés. Donc peut-être que c'est ça, les compromis qui peuvent exister. Dire même si, voilà, on a moins d'élèves, on redéploye peut-être de manière différente pour baisser les effectifs par classe. Et ça, c'est à la ministre, évidemment, d'en parler d'abord, là encore, aux organisations syndicales.

ORIANE MANCINI
Un mot sur un sujet sur lequel François BAYROU a été un peu flou, c'est la loi sur la fin de vie. Est-ce que vous dites, comme Yaël BRAUN-PIVET, qu'il faut que ce texte soit inscrit à l'agenda de l'Assemblée le 3 février ?

AURORE BERGE
Alors le 3 février, je ne sais pas. Moi, ce que je sais, c'est oui, c'est une attente qui, sans doute, est importante dans le pays et puis pour un certain nombre de députés et de parlementaires. Et après, moi, j'ai toujours dit, je l'ai dit en tant que présidente de groupe et je le dis aujourd'hui en tant que membre du Gouvernement, chacun sera libre parce que c'est un sujet qui est trop personnel, qui est trop intime pour donner une quelconque consigne de vote. Et donc que ce soit les membres du Gouvernement, que ce soit les parlementaires, chacun sera libre, évidemment, de décider et de voter ou d'arbitrer.

ORIANE MANCINI
Autre sujet, c'est la proportionnelle dont François BAYROU a reparlé hier. Ça ne plaît pas du tout aux Républicains qui lui demandent d'abandonner ce projet. Est-ce qu'il faut aller dans leur sens ?

AURORE BERGE
Le Premier ministre a rappelé une conviction personnelle. Et d'ailleurs, il sait bien que même au sein de Renaissance ou d'Horizons, on n'est pas forcément totalement, nous, sur un soutien à la proportionnelle intégrale. Il le sait. Et on arrive à vivre ensemble sans s'insulter et sans se menacer. Après, voilà, il a rappelé…

ORIANE MANCINI
Il faut y renoncer ou pas, du coup, à la proportionnelle intégrale ?

AURORE BERGE
Non, mais lui, il a rappelé sa conviction personnelle. Il n'a pas dit : "Demain, je présente un texte sur la question de la proportionnelle, sur la question du cumul des mandats". Il a dit "Voilà, on a des sujets dont on me demande qu'ils soient en permanence traités". Et c'est vrai qu'un certain nombre de partis et de groupes politiques réclament une réforme sur le mode de scrutin, d'autres réclament une réforme sur la question du cumul des mandats. Donc il dit "Voilà, est-ce qu'on n'a pas intérêt à, à un moment, clairement poser la question au Parlement pour savoir s'il y a une majorité de députés, de sénateurs qui le souhaiteraient ?" Honnêtement, je ne sais pas. Je ne sais pas s'il y a une majorité aujourd'hui dans l'État et de l'Assemblée et du Sénat sur ces deux sujets. Et puis la proportionnelle, il y a plein de méthodes différentes qui peuvent exister, à intégrale, à une dose de proportionnelle départementale, régionale, nationale. Donc voilà. Je pense que, là encore, l'État de l'art, il n'est pas totalement arbitré.

ORIANE MANCINI
On va parler des questions qui concernent votre ministère. Il y a déjà malheureusement 4 féminicides depuis le début de l'année. C'est évidemment un échec dramatique pour l'ensemble de la société. Est-ce qu'il faut de nouvelles mesures ? Et est-ce que les mesures qui ont été annoncées par Michel BARNIER au mois de novembre vont être appliquées ? Ça sera quoi la suite de ce plan ?

AURORE BERGE
Alors évidemment. Moi, l'idée, ce n'est pas de se dire qu'on va arrêter tout ce qui avait été annoncé. Et puis d'ailleurs, c'est un combat qu'on mène depuis 2007, mais un combat qui était mené avant. Il faut être très honnête et très sincère. Ça fait depuis quasiment toujours que ce combat, il est mené, il est porté, quels qu'aient été les Gouvernements, quels qu'étaient les Présidents de la République. Et c'est important d'ailleurs qu'il y ait cette continuité-là. Ce qui est nécessaire, c'est qu'il y ait un vrai réveil sociétal. Moi, ce que je dis systématiquement, c'est que jamais, l'État ne doit se défausser de ses responsabilités, parce qu'on est les premiers responsables. On est en première ligne sur la question des moyens, sur la question de la formation, sur la question de la détection, sur la question du repérage, de l'accompagnement qu'on doit aux victimes. Il y a énormément de choses qui ont progressé : sur la question du dépôt de plainte, sur la question de la formation des policiers, des gendarmes, des magistrats, sur la question de l'accompagnement qu'on doit aux victimes. Et c'est pour ça, là, typiquement, j'étais à Creil sur l'inauguration d'une maison des femmes. On a garanti qu'il y aurait au moins une maison des femmes par département. Concrètement, ça veut dire un accompagnement global. Quand vous êtes une femme qui subit des violences – et les violences, ce n'est pas que des coups, ça peut être des violences sexuelles, ça peut être des violences psychologiques, ça peut être tout ça à la fois –, vous avez besoin de cet accompagnement global pour partir, c'est-à-dire un accompagnement juridique et judiciaire, un accompagnement psychologique, un accompagnement pour votre propre santé, l'accompagnement pour vos enfants aussi. Parce que souvent, les enfants se retrouvent au milieu, évidemment, de ces situations et sont co-victimes des violences que subissent leurs mères, même si eux-mêmes ne les subissent pas directement… un accompagnement en termes de logement. On a sacralisé un certain nombre de places d'hébergement d'urgence. Il y a sans doute matière à aller encore plus loin en lien avec les bailleurs sociaux pour se dire qu'il y a de l'hébergement d'urgence, mais après, il y a une trajectoire qui permet d'accompagner sur le long terme. Donc c'est tout ça qu'on met en place. La maison des femmes, typiquement, ça n'existait pas avant. Et maintenant que c'est fait, je le redis aussi peut-être à des femmes qui nous écoutent, il y a ce qu'on appelle l'aide universelle d'urgence que nous avons créée, qui fait qu'une femme victime de violences, si elle porte plainte, en moins de trois jours, elle obtient une aide qui lui permet d'avoir les premiers moyens pour peut-être partir, reprendre un billet de train, un billet d'avion. Ce sont des choses très concrètes, mais qui parfois sont des empêchements absolus de partir. C'est dû aux femmes. Donc voilà, on leur demande de porter plainte parce que ça permet aussi d'engager des procédures judiciaires importantes. Plus de 36 000 d'entre elles, malheureusement, en ont déjà bénéficié.

CHRISTELLE BERTRAND
Vous parlez de la violence sexuelle. Le procès PELICOT a marqué un tournant. Vous avez souhaité que la notion de consentement rentre dans la définition du viol. Est-ce qu'un projet de loi est prévu et quand ?

AURORE BERGE
Alors ce sera plutôt une proposition de loi, parce qu'il y a eu un gros travail parlementaire qui a été conduit notamment à l'Assemblée nationale ; Véronique RIOTTON, Marie-Charlotte GARIN, donc transpartisan, ancienne majorité, Renaissance avec les Ecologistes, et je pense avec une alliance beaucoup plus large qui existe. Je pense que ça permet deux choses : déjà de définitivement très bien caractériser dans notre code pénal ce qu'est le consentement, et donc sans doute mieux appréhender des situations qui ne l'étaient pas. Des magistrats se sont réexprimés sur ce sujet-là en disant parfois : "on n'a pas réussi à appréhender des situations parce que le code pénal, parce que le droit ne les définissait pas, ne les caractérisait pas." Et puis surtout, comment faire enfin entrer dans la tête de chacun ce qu'est la question du consentement, et que le fait de ne pas dire non ne veut pas dire oui, ne vaut pas accord, ne vaut pas approbation. Et ça, il faut le faire dès le plus jeune âge ; éducation à la vie affective. Je sais les débats, mais je sais aussi la nécessité absolue de lutter contre le fléau des violences sexuelles dès le plus jeune âge. Et pour ça, on a besoin aussi que nos enfants puissent être accompagnés.

CHRISTELLE BERTRAND
Cette proposition de loi pourrait discuter quand ?

AURORE BERGE
Je l'espère le plus rapidement possible. Elles remettent leur rapport la semaine prochaine.

ORIANE MANCINI
Merci beaucoup, merci Aurore BERGE, merci d'avoir été avec nous.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 16 janvier 2025