Texte intégral
JEFF WITTENBERG
Bonjour à vous, Aurore BERGE.
AURORE BERGE
Beaucoup de questions autour des sujets dont vous avez la charge à la tête de votre ministère, à commencer par cette décision de la Cour européenne des droits de l'homme, cette semaine, qui a condamné la France. Pourquoi ? Parce qu'un tribunal français, celui de Versailles, en l'occurrence, avait prononcé un divorce au tort exclusif d'une femme, au motif qu'elle ne respectait pas, en quelque sorte, son devoir conjugal, qu'elle refusait d'avoir des relations sexuelles. C'est la question du devoir conjugal qui est posée. Est-ce qu'il faut changer la loi ?
AURORE BERGE
Je me réjouis, moi, de cette condamnation, parce que je trouve que la décision du tribunal était absolument inique et anachronique, comme si, finalement, les femmes appartenaient à leur mari, et donc devaient se soumettre à avoir des relations sexuelles – qui interpelle même sur la question du viol conjugal, qui est quand même reconnu, évidemment – n'appartient pas à son compagnon, à son conjoint. Et on est libre d'avoir ou de ne pas avoir des relations sexuelles. Et s'il faut clarifier la loi, alors on le fera, parce qu'il n'y a pas d'ambiguïté, évidemment, de notre part, et je crois de la part de l'ensemble des législateurs français sur cette question.
JEFF WITTENBERG
On voit le code civil, là, sur l'image. L'article 212 de ce code civil, dit que les époux s'obligent mutuellement à une communauté de vie. C'est ce qui est écrit dans la loi aujourd'hui. Est-ce qu'il faut préciser les choses et dire que ça n'inclut pas forcément les relations intimes ?
AURORE BERGE
Encore une fois, on va y travailler. Parce que je pense qu'il n'y aura aucune ambiguïté, évidemment, ni chez nous, ni chez les parlementaires. Communauté de vie, pour moi, ce n'est pas la même chose, évidemment, qu'intimité et relation sexuelle. C'est deux choses différentes, c'est-à-dire quelqu'un qui abandonnerait le domicile, qui abandonnerait sa femme et ses enfants, par exemple. Ça pose évidemment une question sur la nature même du mariage. Je pense que c'est deux choses de nature différentes, mais la décision du tribunal, elle allait bien au-delà. Et pour moi, elle s'éloignait, en fait, du code civil.
JEFF WITTENBERG
Donc vous dites que la loi, en tout cas, doit s'adapter ?
AURORE BERGE
Donc, s'il faut qu'on clarifie, on clarifiera. Et encore une fois, je me réjouis – c'est un peu étonnant, peut-être – mais pour le coup, je me réjouis de cette condamnation.
JEFF WITTENBERG
Il est question, finalement, de consentement, un rapport sexuel dans cette affaire. Et cette question du consentement a été posée cette semaine, avec les conclusions d'une commission parlementaire, sur une nouvelle définition pénale du viol, cette fois. Il faut savoir qu'aujourd'hui, il y a quatre critères pour définir le viol. Je crois la menace, la contrainte, la violence, la surprise. Est-ce qu'il faut ajouter le non-consentement, pour vous ? Les députés le demandent, certains. Est-ce que vous y êtes favorable ?
AURORE BERGE
Moi, j'y suis favorable. Je suis favorable pour deux raisons. La première, c'est qu'on a des magistrats qui nous interpellent en nous disant qu'aujourd'hui, il y a encore des situations qui leur échappent, parce que ce n'est pas suffisamment précis, parce que ce n'est pas suffisamment défini. Et puis, la deuxième raison, c'est qu'on a besoin que ce débat, il existe dans l'ensemble de la société, et que cette culture, elle existe dans l'ensemble de la société, parce que ce n'est pas encore le cas, on le voit. Ne pas dire non ne veut pas dire oui. Il y a bien des cas où on n'est pas en capacité de dire non, parce qu'un rapport de pouvoir, un rapport hiérarchique, une vulnérabilité économique, la pauvreté, le handicap… Bref, je pense que ça mérite que ce soit clarifié. Je pense que ça mérite que le non-consentement puisse être écrit dans notre droit pénal.
JEFF WITTENBERG
Mais toute relation non consentie deviendrait-elle un viol dès lors, si on changeait la loi ?
AURORE BERGE
Alors, c'est ce que proposent les députés, c'est-à-dire qu'à partir du moment où il n'y a pas de consentement, alors ça veut dire que c'est caractéristique d'un viol ; ce qui veut dire que c'est l'auteur qui doit démontrer qu'il a vraiment recueilli, obtenu le consentement, et qu'encore une fois…
JEFF WITTENBERG
Et est-ce que vous, vous êtes favorable à ça ?
AURORE BERGE
Oui, parce que ne pas dire non ne veut pas dire oui. Et je crois que c'est ça qu'il faut qu'on intègre dans notre société, dans notre culture, dans notre pays, tout simplement.
JEFF WITTENBERG
Vous parliez du consentement, justement, cette semaine. Un cinéaste reconnu, Bertrand BLIER, est décédé. Pourquoi j'en parle ? Parce que son film Les Valseuses, en 1974, décrivait une sexualité. On voit Bertrand BLIER, sans entrave. Et il montrait aussi des personnages féminins, finalement à la disposition de deux personnages hommes, Patrick DEWAERE et Gérard DEPARDIEU. Un tel film avait eu beaucoup de succès à l'époque ; 6 millions d'entrées. Est-ce qu'il pourrait être produit aujourd'hui à l'heure de #MeToo ?
AURORE BERGE
Je crois que la question est différente. C'est-à-dire que moi je souhaite qu'on garde évidemment une liberté de création et une liberté artistique. La question c'est comment ces images sont tournées. Aujourd'hui on a des coordinateurs d'intimité en plateau et c'est absolument nécessaire. Est-ce que tout est écrit dans le scénario pour qu'une comédienne ne découvre pas, au moment du tournage, des scènes qui sont recueillies, justement, sans son consentement.
JEFF WITTENBERG
Ça c'est la fabrication du film, et ce qu'ils montrent…
AURORE BERGE
Oui, mais je pense que c'est deux choses qu'il faut distinguer.
JEFF WITTENBERG
La fiction, elle montrait quand même. On voit MIOU MIOU là, par exemple.
AURORE BERGE
Moi, c'est ma position, je pense qu'il faut qu'on conserve une liberté de création et une liberté artistique dans notre pays. Je pense par contre qu'il faut qu'on protège celles et ceux qui sont les comédiens, les artistes…
JEFF WITTENBERG
Liberté artistique…
AURORE BERGE
… celles et ceux qui travaillent sur les plateaux aussi, les techniciens, les maquilleuses, parce que c'est ça qui n'a pas toujours été le cas, loin s'en faut…
JEFF WITTENBERG
Donc on pourrait refaire Les Valseuses aujourd'hui ?
AURORE BERGE
S'il y a un plein consentement des comédiens, s'il y a un coordinateur d'intimité qui vérifie que les scènes se passent strictement la manière avec laquelle elles ont été écrites.
JEFF WITTENBERG
L'apprentissage du consentement, du respect, c'est dès le plus jeune âge. Et c'est la raison pour laquelle la ministre de l'Éducation nationale, Elisabeth BORNE, a remis en selle, en quelque sorte, les cours d'éducation affective et sexuelle, dès la rentrée prochaine, aux primaires, aux collèges, aux lycées. Vous y êtes également favorable ? Vous pensez que c'est un moyen d'apprendre le consentement ?
AURORE BERGE
Je suis très favorable, et les Français y sont très favorables. On a commandé une étude avec le Haut Conseil à l'Egalité cette semaine. 9 Français sur 10 y sont favorables. Vous voyez qu'on est quand même très loin des fantasmes et de certains écrits sur les réseaux sociaux. Et 7 Français sur 10 pensent même que c'est la meilleure option, la meilleure solution pour qu'enfin des rapports d'égalité puissent exister dans notre pays, entre filles et garçons, entre hommes et femmes.
JEFF WITTENBERG
Est-ce que tout est précisé dans ces propositions, dans ces enquêtes ?
AURORE BERGE
Bien sûr.
JEFF WITTENBERG
Est-ce que, par exemple… Parce que dans les Français qui ne sont pas d'accord avec ces programmes, il y a ceux qui disent : "Est-ce que c'est normal, par exemple, d'aborder la théorie du genre ou d'expliciter les pratiques sexuelles ?"
AURORE BERGE
Mais il n'y a pas de théorie du genre, il suffit de lire les programmes.
JEFF WITTENBERG
Il est mentionné 7 fois dans le…
AURORE BERGE
Jamais le mot "théorie du genre", jamais, à aucun moment. Il suffira de lire les programmes. Les programmes seront rendus publics, ce sera transparent, parce que le problème c'est que maintenant les parents…
JEFF WITTENBERG
Mais on dira, comme Donald TRUMP, qu'il n'y a que deux genres, l'homme et la femme, par exemple ?
AURORE BERGE
Non, on ne dit pas ça, on dit qu'on est... En fait, en fonction des âges des enfants, en fonction de la maturité et de leur compréhension, on aborde des sujets différents. Et ça veut dire que des lois maternelles pouvaient expliquer à un enfant, alors qu'on a un fléau absolu sur les violences sexuelles qui sont infligées à nos enfants. On explique à nos enfants que personne n'a le droit de les toucher, que personne n'a le droit de leur faire du mal, qu'eux-mêmes, d'ailleurs, ne doivent rien faire à l'autre, si ça n'est pas avec leur consentement, c'est ça. C'est lutter aussi contre le fait que nos adolescents s'informent ou parfois ils se déforment ailleurs du fait de la pornographie. Donc on a besoin d'avoir des lieux sûrs, avec des programmes clairs, transparents, des personnes qui sont agréées, pour intervenir devant nos enfants et nos adolescents, pour leur préciser tout simplement des principes qui sont essentiels.
JEFF WITTENBERG
Aurore BERGE, vous êtes à nouveau ministre, après une parenthèse, puisque vous avez été renommée en décembre dans ce Gouvernement BAYROU. Vous n'étiez pas présente dans le Gouvernement BARNIER. Comment on vit de l'intérieur ces montagnes russes politiques, d'une part, et puis est-ce que vous croyez – c'est ça quand même la question principale – à la longévité de ce Gouvernement-ci, qui finalement souffre des mêmes problèmes que le précédent ? Il n'y a toujours pas de majorité.
AURORE BERGE
Je crois à l'attente très forte des Français de stabilité. Je crois que justement, le yo-yo permanent, le bouleversement permanent, la conflictualisation permanente, je crois que les Français en ont marre. Et je crois qu'ils attendent de la stabilité, parce qu'ils attendent que le budget puisse être voté, ils attendent de savoir comment les choses vont évoluer pour eux, pour leurs services publics, pour l'école, pour la santé. Les maires, les collectivités locales attendent de savoir comment ils vont pouvoir investir…
JEFF WITTENBERG
Ça, c'est le vœu…
AURORE BERGE
Et donc ça, ça dépend du fait qu'on ait ou qu'on n'ait pas un budget, qu'on soit censuré ou qu'on puisse continuer à travailler.
JEFF WITTENBERG
Et vous prouvez toujours l'être, notamment par les Socialistes. Et c'est la raison pour laquelle, on en parlait dans le journal de 7h30, vos députés ont fait preuve de mansuétude et ont laissé passer toutes les propositions de loi du Parti Socialiste hier à l'Assemblée nationale ?
AURORE BERGE
Il y a eu aussi des évolutions sur ces textes, évidemment. Après, la question c'est, est-ce qu'on est capable de faire des compromis ou pas ? Donc de toute façon, il va falloir que chacun arrive à en faire. Un compromis, c'est comme dans votre vie…
JEFF WITTENBERG
Il faut faire des concessions au Parti Socialiste ? Vous êtes de ceux qui disent ça ?
AURORE BERGE
Le compromis, ça ne fait jamais plaisir. Le compromis, ça coûte un peu. C'est comme dans nos vies personnelles. Quand on fait des compromis, ça nous coûte, mais on considère qu'on fait ce qu'il y a de mieux pour notre couple, pour notre famille. Là, on essaye de faire ce qu'il y a de mieux pour le pays, en se disant qu'il faut qu'on réussisse à établir des compromis, parce que sinon, ça veut dire de l'instabilité permanente. Ça suppose de l'esprit de responsabilité de la part du Parti Socialiste, et puis de l'esprit compromis de notre part.
JEFF WITTENBERG
Merci beaucoup Aurore BERGE, ministre de l'Égalité entre les femmes et les hommes, et de la lutte contre les discriminations.
AURORE BERGE
Merci à vous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 27 janvier 2025